1Selon l’Institut Supérieur des Métiers (ISM), une entreprise sur trois est artisanale soit environ 1,4 million d’entreprises en 2017 dont 155 000 sont nouvelles (Tableau économique de l’artisanat, mars 2019). Difficile alors d’ignorer l’importance de ces entreprises dans le tissu économique français et l’intérêt qu’elles suscitent. D’ailleurs, cette communauté est largement valorisée dans les médias par les pouvoirs publics français pour la solution qu’elle représente en termes de création d’emploi (Mazaud, 2012). Avec 100 000 embauches par an et le départ de 300 000 actifs dans les 10 ans à venir, l’artisanat constitue un secteur en profonde mutation et créateur d’emplois (Polge, 2010). L’artisanat fait référence à des métiers au savoir-faire professionnel qui suppose un apprentissage pour maîtriser des compétences techniques spécifiques (Siméoni, 1999). Cependant, ce tour de main qui faisait la particularité de l’artisan est aujourd’hui confronté à une montée en puissance d’un besoin de gestion de son entreprise (Mazaud, 2012, 2015). Un phénomène qui n’est pas propre à l’artisan puisqu’il est constaté dans d’autres secteurs comme les professions libérales (Reyes, 2016). Ainsi, l’artisan n’est plus forcément cet homme de métier dont la valeur ajoutée se base sur un savoir-faire technique mais parfois un reconverti qui s’appuie sur d’autres ressources (Mazaud, 2015). Il acquiert de nouvelles compétences ou en délègue certaines pour maintenir ou développer son activité (Loup, Bravo et Rakotovahiny 2011 ; Loup et Rakotovahiny, 2010). La question des compétences de l’artisan en lien avec l’avenir de son entreprise est un sujet riche mais, en dehors du travail de Paradas et Polge (2010) ou Siméoni (1999), il semble peu évoqué directement. Les recherches se focalisent sur son profil et son identité (Picard 2009a ; Thevenard-Puthod et Picard, 2013), sa stratégie (Jaouen, 2006 ; Richomme-Huet, 2006) ou encore sur des questions de reprise et de transmission (Barbot-Grizzo, 2012 ; Picard, 2009b). Pourtant, la transformation qui s’opère chez l’artisan, où une séparation entre production et gestion entraîne des disparités dans cette population, est bien réelle (Mazaud, 2012, 2015). Elle n’est pas sans conséquences sur la manière d’exercer son métier, de structurer son entreprise et d’orienter son avenir. Jourdain (2016) en étudiant l’artisanat d’art constate des disparités dans la façon de concevoir l’entreprise (patrimoine social, ascension sociale, réalisation de soi) et dans la manière d’entreprendre. Pour cette dernière, elle propose trois manières de saisir des opportunités de profits pour l’entreprise (logique de qualité, logique de prix et logique de diversification) afin d’assurer sa survie. Il est bien question de survie, donc de s’inscrire dans la durée. Ces artisans cherchent, par différentes façons d’entreprendre, à assurer la pérennité de leur entreprise. Si la création d’entreprise est souvent un challenge pour le futur entrepreneur, sa pérennité est un combat de tous les jours (Djousta Wamba et Hikkerova, 2014).
2La pérennité est un terme polysémique très vaste symbolisant la finalité même de la gestion (Mignon, 2013). Cependant, nous pouvons nous accorder sur le fait que lorsqu’il est utilisé pour une entreprise il exprime un questionnement sur la durée de vie de celle-ci. Dès lors, le terme doit s’entendre au-delà de la notion de capitalisation avec l’idée de faire durer un patrimoine familial. À cet effet, nous traitons dans cette recherche de pérennité organisationnelle qui se définit comme « la capacité d’une entreprise d’initier ou de faire face au cours de son histoire à des bouleversements externes ou internes tout en préservant l’essentiel de son identité » (Mignon, 2009, p. 4). On peut considérer qu’une entreprise pérenne, selon cette approche, doit assurer sa continuité dans le temps en capitalisant sur ses acquis mais en même temps être capable d’évoluer sans perdre son essence identitaire. C’est toute la richesse du concept de pérennité organisationnelle qui associe deux notions contradictoires avec la continuité et le changement. La continuité s’inscrit dans une logique de capitalisation de connaissances autour d’invariants organisationnels et techniques alors que le changement suppose l’adaptation et l’exploitation des mutations de l’environnement (Benghozi, 2009). Un constat qui rappelle la tension paradoxale développée par March (1991) entre exploitation excessive et exploration sans capitalisation. L’équilibre porteur de pérennité évitera ces deux excès (Mignon, 2013). La pérennité organisationnelle suppose donc d’être capable de trouver un équilibre entre continuité et changement. Dans ces conditions, le terme « pérennité » nous semble particulièrement adapté aux entreprises artisanales où le savoir-faire est essentiel à leur identité et à leur capacité de se différencier (Siméoni, 1999 ; Picard, 2009) tout en étant confronté à un environnement en pleine mutation qui les oblige de plus en plus à s’adapter (Mazaud, 2015).
3En considérant sa place et son rôle dans sa TPE (Picard, 2009a et b ; Loup et Rakotovahiny, 2010 ; Paradas et Polge, 2010 ; Thevenard-Puthod et Picard, 2013) et la proximité spatiale et temporelle de ces organisations (Torrès, 2009), l’artisan apparaît au cœur de la pérennisation de sa TPE. Nous proposons alors d’étudier l’influence des compétences individuelles de l’artisan sur la pérennisation de son entreprise compte tenu des transformations que ce secteur subit. Pour cela, nous mobilisons les travaux sur les compétences individuelles selon un processus combinatoire de Le Boterf (2005, 2013). Ils considèrent que les compétences s’évaluent par rapport à leur capacité d’agir. Elles sont donc contextualisées et reliées à une action et mobilisent un ensemble de ressources internes et externes. Cette approche combinatoire du concept de compétence nous semble intéressante pour étudier une communauté largement caractérisée par une pratique ou un savoir-faire déterminé en situation et, en tant que dirigeant, par une nécessité de faire des choix stratégiques pour orienter l’avenir de sa TPE. Selon cet angle d’analyse, nous proposons de comprendre comment ces artisans agissent avec compétence. La problématique de cette recherche est la suivante : quelle est l’influence des compétences de l’artisan sur la pérennisation de son entreprise ? Pour que l’analyse soit « en situation », nous focalisons notre étude sur la stratégie déployée par l’artisan pour pérenniser son entreprise. Pour cela, nous nous appuyons sur les travaux de Fourcade et Polge (2006a) et Polge (2008) sur les stratégies envisageables pour une entreprise artisanale. L’approche combinatoire nous permet alors de révéler les différentes compétences mobilisées et leur incidence sur l’équilibre recherché pour pérenniser l’entreprise. L’artisan est confronté à la nécessité pour assurer la pérennité de sa TPE de miser sur des compétences multiples. Ses seules compétences techniques ne suffisent plus (Mazaud, 2012, 2015), une approche combinatoire nous permettra de comprendre la nature de ces compétences et leur lien avec la pérennisation de l’entreprise.
4La première partie est consacrée à la présentation du concept de pérennité organisationnelle et à la façon dont il est mobilisé dans ce travail. La deuxième partie présente le cadre conceptuel utilisé avec l’approche combinatoire du concept de compétence. La troisième partie expose la méthodologie et notamment les 4 cas utilisés pour l’analyse. La quatrième partie propose une analyse de l’articulation des compétences individuelles face aux évolutions de leur métier de chaque cas. Ensuite, une analyse croisée des cas permet de révéler comment cette articulation influence la pérennité de l’entreprise de manière différenciée. Nous terminerons par une discussion où nous expliquerons comment cette recherche participe à enrichir le concept de pérennité organisationnelle ainsi que le concept de compétence individuelle.
1 – La pérennité organisationnelle : un équilibre difficile
5« Les dirigeants n’ont pas obligatoirement le même souhait quant au devenir de leur entreprise. » Par cette phrase, Chabaud et Degeorge (2016, p. 21) évoquaient la question du dirigeant face à la problématique de la croissance ou non de son entreprise. Leur recherche nous enseigne deux choses importantes. La première est que la croissance n’est pas une fin en soi pour le dirigeant de PME puisque 71 % de leur échantillon, composé de 483 dirigeants de PME indépendantes, souhaitent garder une taille comparable. La seconde est que l’échantillon retenu est composé d’entreprises de plus de 10 salariés afin d’interroger une population de dirigeant qui a été (ou est) confrontée à des problématiques de croissance et de gestion du personnel. Or nous étudions des artisans à la tête de TPE dont les effectifs sont moindres. Considérer que seuls les profits et la croissance importent pour l’artisan, représente un raccourci alors qu’il est souvent seul dans son entreprise. Il s’est engagé dans cette aventure en poursuivant des buts personnels qui sont parfois très loin de la maximisation du profit (Boulet et Picard, 2004). Outre son sentiment d’hostilité pour la grande entreprise et sa volonté de préserver la relation avec son métier, l’artisan prend des risques, plus ou moins calculés, en engageant ses capitaux personnels dans une affaire et ne considère pas l’objectif de croissance comme un moyen d’être davantage compétitif et de trouver de nouveaux marchés. Il « prédétermine » ainsi son entreprise, selon ses caractéristiques propres comme ses qualités, son histoire et son expérience (Barbot-Grizzo, 2012).
6Pour traduire les objectifs de l’artisan à l’égard de son entreprise, il nous semble plus adapté d’utiliser le concept de pérennité organisationnelle. Les deux notions ne sont pas étrangères l’une à l’autre puisque Marchesnay (1991) les a depuis longtemps associées pour différencier deux types de dirigeants de PME avec les PIC (Pérennité, Indépendance, Croissance) et les CAP (Croissance, Autonomie, Pérennité). Pérennité et croissance se retrouvent à chaque fois dans les traits de caractère du dirigeant. En fonction de leur ordre d’apparition, elles traduisent des objectifs différents. Cela décrit plutôt un entrepreneur prudent pour le PIC et un opportuniste pour le CAP. Dans cette typologie la pérennité se rattache davantage à un objectif de faire perdurer un patrimoine (familial). En l’associant à l’organisation pour donner le terme de « pérennité organisationnelle », elle prend une autre ampleur.
7Mignon (2009) précise dans sa définition que la pérennité organisationnelle est une capacité à durer en faisant face aux bouleversements externes et internes de l’entreprise sans perdre son identité. C’est donc l’aptitude de l’organisation à entreprendre des changements, plus ou moins structuraux, afin de s’adapter aux événements plus ou moins ponctuels et importants et trouver des solutions durables dans le temps. La pérennité organisationnelle soulève un aspect paradoxal entre la volonté d’assurer la continuité du système en exploitant et valorisant des compétences maîtrisées mais sans s’affranchir d’un besoin de changement pour s’adapter aux mutations de l’environnement (Benghozi, 2009). C’est là tout le paradoxe puisque, comme le souligne Dumez (2009, p. 92), « il n’existe évidemment pas d’organisation éternelle, et il n’est pas sûr que l’on puisse dire d’une organisation qui dure qu’elle est la même organisation ». Ainsi, une entreprise pérenne fait face à une contradiction majeure entre devoir faire évoluer et rester soi-même, remettre en cause et respecter ses valeurs fondamentales, innover et exploiter les compétences existantes (Mignon, 2013). Il s’agit donc d’établir un équilibre entre changement et continuité. C’est la particularité du concept où l’équilibre doit permettre d’éviter les deux excès que sont l’exploitation excessive rendant difficile l’acquisition de compétences nouvelles et l’exploration sans capitalisation de connaissance ne permettant pas à l’entreprise de tirer parti d’une position concurrentielle bien établie (March, 1991). Ce dilemme exploitation/exploration que pose la pérennité organisationnelle implique de développer des capacités d’adaptation tout en préservant une part de continuité. L’équilibre entre changement et continuité est central dans la recherche de pérennité organisationnelle (Mignon, 2013). Ainsi, la stabilité peut être une source de changement en apportant une sécurité et une robustesse favorable à l’adaptation. Inversement le changement peut être une source de stabilité. L’expérimentation et la capacité d’apprendre de ses échecs favorisent une ouverture d’esprit permettant à l’organisation d’intégrer le changement dans une perspective de continuité. Mignon (2001) identifie la culture, la tradition ou encore l’histoire comme des constantes de la pérennité organisationnelle source de continuité.
8Chez l’artisan, cette continuité est importante au regard du système identitaire artisanal (Picard, 2009a). Ce système s’appuie sur une combinaison complexe de facteurs politiques (institutions de rattachements), de facteurs structurels (configuration de l’entreprise), de productions symboliques (cultures, mythes) et d’imaginaire organisationnel (image de l’entreprise). Le rapport au métier est déterminant dans la définition de l’artisan et de ses aspirations pour son entreprise L’entreprise artisanale est définie comme une TPE valorisant un métier à partir de la maîtrise qu’en détient son dirigeant (Polge, 2008). Julien et Marchesnay (1987) ont utilisé la notion de pérennité pour qualifier les aspirations de l’artisan. Cette notion fait référence à une volonté de survie par la transmission aux héritiers, à des valeurs individuelles et sociales et à une vision paternaliste. Ainsi, l’artisan s’appuie sur ses valeurs sources de continuité. Cependant, faisant face à un secteur en profonde mutation depuis quelques années, il est contraint de s’adapter (Polge, 2010 ; Boutiller et Fournier, 2009). Il doit trouver un équilibre entre changement et continuité pour assurer la survie de son entreprise. Tout en conservant les valeurs que représente l’exercice de son métier, il va élaborer des stratégies pour faire face. L’ambiguïté du changement et de la continuité est soulevée. Une des spécificités de la stratégie mise en œuvre dans ces entreprises est le manque de formulation claire par l’artisan. La petite entreprise se caractérise par son adaptabilité et sa réactivité aux turbulences liées à son environnement. Ainsi, la trajectoire stratégique est flexible et centrée sur l’action (Marchesnay, 1991). L’incorporation de l’identité métier est une autre caractéristique propre à l’entreprise artisanale (Picard, 2009b ; Siméoni, 2004). L’artisan recherche la satisfaction de son client mais aussi à se faire plaisir dans l’exercice de son métier, y compris dans son rôle productif. C’est d’ailleurs par ce dernier qu’il va affirmer sa différence par rapport à un produit industriel standardisé. La qualité au travers du savoir-faire artisanal est mise en avant comme un élément de compétitivité (Siméoni, 1999).
9Dans ce contexte, plusieurs auteurs se sont intéressés aux stratégies mises en œuvre par l’artisan (Siméoni, 1999 ; Polge et Loup, 2004 ; Fourcade et Polge, 2006a, 2006b, 2007 ; Polge, 2008). Les travaux de Fourcade et Polge (2006a) et Polge (2008) proposent trois stratégies envisageables pour l’entreprise artisanale avec le développement interne, le développement externalisé et le développement incrémental.
10Le développement interne implique un changement structurel et organisationnel important pour l’entreprise artisanale. Cette orientation sous-entend une augmentation du volume d’activité, de l’effectif, des investissements matériels… L’artisan devient alors davantage un « chef d’entreprise artisanale » plus qu’un « artisan », faisant davantage appel à ses compétences managériales que techniques. Polge (2008) justifie le choix de cette option par un « sentiment d’insécurité » de l’artisan. Il est relatif à des tensions provenant de mutations du secteur de l’Artisanat, notamment l’intensification du climat concurrentiel et l’exigence de la clientèle (Boutiller et Fournier, 2009).
11Le développement externalisé consiste en une association avec d’autres confrères. L’objectif est d’optimiser la marge en valorisant, notamment, son savoir-faire ou sa singularité. L’artisan choisit de se spécialiser ou de se recentrer sur son cœur de métier. Il s’associe avec des confrères évoluant sur un métier ou une spécialisation distincte des siens, sans chercher un développement par la croissance. Au contraire, la croissance représente le risque pour le dirigeant de dénaturer la compétence métier, centrale dans son organisation et le rapport de proximité qu’il peut entretenir avec son environnement (dans les relations avec la clientèle ou les fournisseurs, par exemple).
12Le développement incrémental évolue de manière transversale aux deux autres formes de stratégie de développement et peut constituer ainsi une variante du développement interne. Il s’agit de positionner l’entreprise artisanale dans une posture innovante et créative. Le propriétaire dirigeant est en veille permanente par rapport à son environnement et saisit les opportunités pour s’ouvrir aux signes du marché. L’organisation s’adapte et se renouvelle ainsi de manière continue, alliant « tradition et innovation ». Le développement incrémental peut constituer une motivation, riche de plaisir et de défis, motivant le propriétaire dirigeant à l’évolution de son organisation. Le choix, entre l’une ou l’autre stratégie de développement, n’est pas exclusif. Des relations existent entre les trois types de stratégies, qui peuvent coexister (Polge, 2008).
13Au regard de ces trois stratégies, le dirigeant pourra s’orienter vers la croissance de l’entreprise mais aussi, plus simplement, vers sa continuité sans la volonté d’améliorer des indicateurs comme le chiffre d’affaires, l’effectif ou la valeur ajoutée. On y retrouve le paradoxe du changement et de la continuité que suppose la pérennité organisationnelle. Ainsi, dans les trois cas de figures, l’artisan essaie de manœuvrer avec des valeurs qui font la force de son métier et un besoin d’innovation ou de changement pour s’adapter.
14Pour maintenir cet équilibre nécessaire entre changement et continuité, nous supposons que l’artisan va miser sur ses compétences. Le système identitaire artisanal indique qu’il existe un rapport fusionnel entre l’artisan et son entreprise (Picard, 2009). Pour l’artisan, le devenir de son entreprise repose en grande partie sur son travail et sa créativité (Loup et Rakotovahiny, 2010). Son savoir-faire est chargé de signification. Il participe à la construction d’une culture d’entreprise ayant un impact sur sa stratégie (Siméoni, 2004). Cette culture repose notamment sur l’identité de son dirigeant et son savoir-faire artisanal. Ce lien entre la pratique du métier (le savoir-faire), la charge identitaire et les conséquences stratégiques a été établi chez d’autres professionnels comme le pharmacien d’officine. Il est constaté que l’identité du dirigeant impacte ses choix stratégiques (Reyes, 2016, 2015). Ces recherches révèlent que cette identité est construite en partie par les valeurs et le capital social du dirigeant mais également lors d’interactions avec les usagers de la pharmacie, donc par une pratique professionnelle quotidienne. C’est dans un contexte similaire, bouleversé par des mutations, que l’artisan doit faire preuve de compétences particulières pour gérer seul son activité (Paradas et POLGE, 2010).
2 – Agir avec compétence
15Plusieurs travaux ont tenté d’aborder la notion de « compétence » de l’entrepreneur par ses traits de caractère ou par ses actes. L’approche par les traits concerne l’étude de ses caractéristiques psychologiques et les attributs de leur personnalité (Mc Clelland, 1961 ; Brockhaus et Horwitz, 1986 ; Gartner, 1988 ; Shaver et Scott, 1991). L’approche fonctionnaliste étudie davantage ce que font les entrepreneurs (Verstreate, 1999 ; Schmitt, 2003 ; Chandler et Jansen, 1992 ; Herron et Robinson, 1993). Un seul individu peut difficilement avoir toutes les qualités exigées pour réussir (Fonrouge, 2002 ; Bayad et al., 2006). Ses traits de personnalité peuvent l’inciter à la création d’entreprise mais ne garantissent pas la pérennité de son organisation (Sexton et Bowman, 1985 ; Brockhaus et Howitz, 1986 ; Stevenson et Jarillo, 1990 ; Baron, 1998). Les compétences sont un meilleur indicateur (Chandler et Jansen, 1992 ; Herron et Robinson, 1993). De plus, l’artisan assume seul, la plupart du temps, la majorité des fonctions dans son entreprise (Polge, 2008). Siméoni (2004) précise que le savoir-faire de l’artisan joue un rôle prépondérant dans l’entreprise artisanale. Il note que, souvent en raison de la pauvreté des ressources (financières, humaines et matérielles), l’artisan se concentre sur le noyau productif. Cependant, il insiste sur le fait que les activités managériales et stratégiques sont essentielles pour pérenniser l’entreprise. Ce constat nous invite à aller au-delà du savoir-faire technique en considérant une approche combinatoire où les compétences techniques de l’artisan cohabitent avec d’autres compétences pour faire vivre l’entreprise artisanale.
16De nombreuses typologies des compétences existent en entrepreneuriat. Celle de Chandler et Jansen (1992) est la plus répandue et a servi de base à l’élaboration de plusieurs travaux (Herron et Robinson, 1993 ; Bayad et al., 2006 ; Loué et al. 2008 ; Bayad et al., 2010 ; Loué et Majdouline, 2015). Ainsi, trois types de compétences sont associés à l’entrepreneur selon Chandler et Jansen (1992) : des compétences entrepreneuriales (capacité à identifier des opportunités d’affaires, créer et gérer son réseau…), des compétences managériales (élaborer la stratégie, manager, contrôler les activités…), des compétences techniques de gestion (gestion des opérations, gestion financière, marketing…). C’est un ensemble de compétences relatives au rôle de chef d’entreprise. Cependant, ce ne sont pas les seules chez l’artisan. Si, idéalement, il doit posséder les compétences précédemment citées, on lui attribue davantage des compétences techniques fondées sur des savoir-faire et des connaissances propres à l’exercice de son « art ». D’ailleurs, beaucoup d’études reconnaissent les compétences techniques des artisans mais encore peu le rôle de chef d’entreprise développeur d’affaires (Boughattas, 2011 ; Thévenard-Puthod et Picard, 2015).
17Dès lors, il nous semble intéressant de distinguer deux types de compétences, celles relatives à l’exercice du métier au travers de savoir, savoir-faire et savoir-être et celles relatives au pilotage de l’entreprise au travers des compétences entrepreneuriales, managériales et de gestion. Pour simplifier notre démarche et éviter les confusions, nous utiliserons compétences techniques pour parler des savoir-faire techniques propres à un tour de main ou un métier spécifique de l’artisanat et compétences managériales pour regrouper le triptyque de compétences autour du rôle de chef d’entreprise (compétences entrepreneuriales, managériales et de gestion).
18Ainsi, l’artisan doit composer avec des compétences techniques liées à l’exercice de son métier et des compétences managériales liées à son statut d’entrepreneur dirigeant. Comme ces compétences sont multiples et différentes, nous proposons d’étudier leur nature combinatoire au sens de Le Boterf (2005, 2013), et ce, dans le contexte de la TPE artisanale. Dès lors, la compétence individuelle est contextualisée mais également contingente à une situation professionnelle (Loué et Majdouline, 2015 ; Le Boterf, 2013, Elidrissi et al. 2017). Elle s’analyse et se comprend dans l’action en dépassant la logique de l’attribut pour la considérer également comme un processus de construction permanente (Dejoux, 2001). Un individu compétent est capable de gérer des situations professionnelles complexes, de faire face à des événements, de prendre des initiatives, d’arbitrer et de coopérer. Il sait agir dans un contexte particulier en choisissant et en mobilisant des ressources personnelles (connaissances, savoir-faire, qualités, culture, ressources émotionnelles…) et des ressources de réseaux (banques de données, réseaux documentaires, réseaux d’expertise…). C’est donc un processus combinatoire complexe où une combinaison de ressources internes et externes à l’individu toujours contextualisée est reliée à une action précise (Le Boterf, 2005, 2013 ; Loué et Majdouline, 2015). Le Boterf (2013) insiste sur l’importance de considérer le savoir combinatoire et l’aptitude de l’individu à mobiliser les ressources nécessaires dans un contexte donné.
19Ainsi, « avoir des compétences » est une condition nécessaire mais non suffisante pour être reconnu comme étant compétent. En effet, un individu peut avoir des compétences mais ne pas savoir les combiner, les activer. Il ne sait donc pas agir avec compétence. Dans ce sens, Marchesnay (2002) et Julien (2005) évoquent l’importance du profil de l’entrepreneur, lié à sa logique d’action, qui va, à son tour, influencer la capacité combinatoire de l’entreprise. La caractéristique de la petite entreprise s’illustre dans son potentiel de ressources limitées. Ce n’est pas la possession de ressources distinctives qui constitue un avantage concurrentiel mais la capacité du dirigeant à combiner des ressources existantes, transformant ainsi la capacité stratégique des entreprises. L’ajustement opéré par rapport à l’environnement dépendra de la capacité du dirigeant à combiner de manière originale des ressources ordinaires. Les ressources disponibles sont de deux types. Les premières sont extérieures à l’individu. Le professionnel est de moins en moins compétent tout seul. La capacité à agir avec compétence dépend de la richesse de son environnement et de ses possibilités d’accès aux réseaux de ressources. Il s’agit par exemple des réseaux d’expertise, de banques et réseaux de données intégrées, de réseaux documentaires, de réseaux et associations professionnelles, observatoires… Les secondes sont incorporées ou personnelles. Elles correspondent au potentiel de l’individu. Elles s’articulent autour des connaissances, des savoir-faire et des qualités de l’individu. Les connaissances générales existent indépendamment du contexte de travail et permettent à l’individu de comprendre une situation et d’effectuer un diagnostic. Les connaissances spécifiques concerneront les savoirs du professionnel sur son environnement professionnel. Il s’agit de connaissances contextualisées, lui permettant d’agir sur mesure.
20Le Boterf (2005) aborde la compétence en approche combinatoire autour de trois composantes. Le « pouvoir agir » résulte de l’organisation du travail et, notamment, de l’environnement à travers le contexte facilitateur et les réseaux de ressources. Le « vouloir agir » concerne la reconnaissance, la confiance et l’image de soi. Enfin, le « savoir agir » est obtenu par les formations et le retour réflexif du professionnel sur son expérience professionnelle notamment. Le schéma ci-dessous illustre l’idée d’« agir avec compétence ».
Agir avec compétence
Agir avec compétence
21Seule l’action sur les trois composantes permettra d’augmenter la possibilité d’agir avec compétence. De plus, l’organisation du travail exercera une influence sur la gestion des compétences. Ainsi, une organisation taylorienne aura tendance à réduire la compétence à l’exercice d’un savoir-faire et l’exécution d’opérations prescrites. En revanche, une organisation de travail plus ouverte, telle une entreprise artisanale, exigera polyvalence, initiatives, gestion de situations complexes, et une notion de compétences davantage axée sur le « savoir agir ».
22L’objectif est de comprendre comment l’artisan réussit à maintenir un équilibre entre changement et continuité pour pérenniser son activité. Nous supposons que grâce à une approche combinatoire de ses compétences individuelles il atteint cet équilibre. Cette capacité à associer deux types de compétences en apparence contradictoires a été étudiée par le prisme de l’identité de métier chez des professionnels de santé (Reyes, 2016, 2015). Ces recherches ont montré l’importance du métier dans la construction identitaire. La relation que ce professionnel de santé entretient avec son environnement et les compétences qu’il mobilise sont essentielles à sa survie. Dès lors, en orientant sa pratique professionnelle selon ses orientations identitaires, il développera des compétences spécifiques et en marginalisera d’autres grâce à des compensations organisationnelles comme la délégation ou le développement de nouveaux marchés (Reyes, 2015). L’étude de leur pratique a révélé que certaines compétences (entre techniques et managériales) étaient mieux assumées que d’autres. En appliquant l’approche combinatoire de Le Boterf (2005) autour du pourvoir-agir, savoir-agir et vouloir-agir, nous espérons mieux comprendre comment cet équilibre est atteint par l’artisan voulant pérenniser sa TPE. Nous proposons d’étudier l’artisan dans l’action lors de sa pratique professionnelle, afin de comprendre les mécanismes explicatifs de la pérennisation de son organisation en mobilisant l’approche combinatoire.
3 – Démarche méthodologique
23Cette recherche qualitative, de type compréhensif, analyse l’impact des compétences de l’artisan sur la pérennisation de son entreprise. En privilégiant une analyse par études de cas, ce travail permet de considérer les comportements humains et organisationnels dans leur contexte, compte tenu des représentations que les personnes donnent aux choses et à leurs actions (Hlady-Rispal, 2002 ; Gavard-Perret et al., 2011 ; Dumez, 2013). Les études de cas se concentrent, notamment, sur l’examen des processus décisionnels, l’élaboration et la mise en œuvre d’actions organisationnelles (Yin, 2008). À l’instar des chercheurs qui reconnaissent le besoin de contextualisation pour mieux comprendre le concept de compétence (Le Boterf, 2013 ; Loué et Majdouline, 2015) et le développement de l’entreprise artisanale (Thévenard-Puthod et Picard, 2015) ainsi que les compétences individuelles de l’artisan (PARADAS et POLGE, 2010), nous estimons que le recours à une analyse qualitative est justifié. L’analyse des compétences doit faire l’objet d’une attention particulière mais doit être également mise en relation avec les autres composantes de l’histoire et du fonctionnement de l’entreprise (PARADAS et POLGE, 2010). À ce titre, l’étude de cas apparaît pertinente.
3.1 – Le protocole d’étude
24Les quatre cas ont été sélectionnés parmi trente qui s’inscrivent dans une recherche plus large sur le métier de l’artisan conduite sur le territoire de la Vendée de juin 2013 à février 2015. (Picquenard, 2018). L’échantillon de l’étude initiale prend en compte les contraintes inhérentes au terrain et à la diversité que représentent les entreprises artisanales. Ainsi, des critères dits « d’homogénéité » comme la taille, le territoire ou la structure juridique sont utilisés dans la sélection des entreprises pour faciliter les comparaisons inter-cas sur des variables similaires. Par ailleurs, des critères dit de diversité comme le choix des métiers, le statut ou encore la date de création permettent de préserver la diversité du secteur des métiers Les trente entreprises sont toutes immatriculées au répertoire des métiers comme des entreprises artisanales. Seize métiers ont été sélectionnés avec quatre par secteur de l’Artisanat. Ainsi, le secteur de l’alimentation est représenté par les métiers de boulanger, pâtissier, boucher et traiteur ; le secteur de la fabrication par les métiers de bijoutier, styliste, scieur et imprimeur ; le secteur du bâtiment par les métiers d’électricien, menuisier, maçon et peintre ; enfin, le secteur des services par les métiers de maréchal-ferrant, ambulancier, informaticien et coiffeur. Deux entreprises par métier ont été déterminées, soit 32 entreprises. Deux entreprises artisanales ont été enlevées de l’échantillon par rapport à la qualité des données recueillies. Les entreprises évoluent sur un territoire rural commun et ont moins de 5 salariés. Les statuts des entreprises sont diversifiés et, à une exception près, les entreprises ont été créées (ou reprises) entre 1987 et 2012.
25Comme notre objectif est d’étudier comment ces artisans mobilisent leurs compétences pour pérenniser leur entreprise, pour cette recherche nous avons réétudié les cas afin de trouver trois cas ayant un comportement stratégique proche des axes de développement proposés dans les travaux de Fourcade et Polge (2006a) et Polge (2008), à savoir le développement interne, externalisé et incrémental. Trois cas ont été ainsi choisis. Cependant, en étudiant le verbatim, nous avons constaté qu’un cas assez atypique poursuit une stratégie différente tout en ayant une volonté d’assurer la continuité de son entreprise. Sous couvert de maintenir l’activité, cet artisan choisit une stratégie qu’une étude plus approfondie nous a permis de qualifier d’« immobilisme ». Cette dernière s’apparente à un véritable choix stratégique si on considère que le parcours de l’entreprise ne se fait pas forcement au détriment de la préservation de ses valeurs fondamentales. Il nous a semblé intéressant de l’intégrer aux trois autres cas à la lumière du travail de Siméoni (1998) sur le lien entre savoir-faire et stratégie.
26Dès lors, nous ne cherchons pas une représentativité des quatre cas avec le secteur de l’artisanat mais davantage qu’ils illustrent une certaine diversité de situations professionnelles et de comportement d’artisan par rapport aux différentes stratégies déployées pour pérenniser leur TPE.
27Afin d’optimiser la triangulation, l’étude s’appuie sur une combinaison de méthodes de recueil des données (Hlady-Rispal, 2002). Des données primaires et secondaires ont été recueillies de manière simultanée. Les données secondaires générales sur le secteur de l’Artisanat tout d’abord, sur les secteurs d’activité et les branches métier, par le biais des syndicats notamment, et les métiers ont tout d’abord été collectées (statistiques, référentiels de formation RNCP, fiches ROME). Parallèlement, des données spécifiques aux cas étudiés ont été réunies comme des sources comptables, dossiers officiels de création d’entreprise, documents publicitaires, référentiels de formation suivie par l’artisan. Ces informations ont permis de mieux appréhender les contextes des entreprises ainsi que des artisans.
28Compte tenu du rôle majeur de l’artisan dans la conduite et les orientations à donner à son organisation, c’est la principale personne observée et interviewée. Un entretien non directif de type biographique (Bertaux 2010) a permis d’établir une relation de confiance. Précisément pour les quatre cas retenus, il fut complété par la technique de l’observation participante (Garfinkel, 2007).
29Nous voulions situer l’artisan dans sa réalité quotidienne. Cette technique confère la possibilité au chercheur de « s’imprégner », c’est-à-dire de se fondre dans la vie quotidienne et les pratiques de l’organisation (Jodelet, 2003). Paradas (2010) souligne l’intérêt des méthodes d’observation pour identifier plus précisément la complexité cognitive de l’artisan. Nous avons décidé d’opter pour une participation, plus ou moins marginale à l’activité, un peu contrainte parfois en raison des risques que représentait la pratique du métier. Certains artisans ont complètement adhéré à l’exercice, comme le boulanger pour la fabrication du pain, le bijoutier pour la lamination de l’or alors que d’autres ont préféré une participation plus mesurée comme le maréchal-ferrant en raison des risques et des compétences techniques requises. L’observation des réalités du terrain nous a permis de nous rendre compte d’un certain nombre de choses que nous n’aurions pu aborder dans le cadre d’un entretien. La gestion de la relation clientèle, avec le personnel, la gestion du comportement avec les équidés, la gestion des urgences, l’environnement de travail, les contraintes… C’est un ensemble de paramètres que seule l’observation pouvait permettre d’appréhender. Chaque journée d’observation a fait l’objet d’un compte rendu sur un carnet d’observation faisant état à la fois des faits concernant le déroulement des missions de l’artisan et des remarques personnelles du chercheur. En complément des entretiens non directifs et des observations, une série d’entretiens semi-directifs fut mise en œuvre pour étudier les compétences techniques et managériales de l’artisan et son approche par rapport à la pérennisation de son entreprise. Un volume important de données a été collecté. Le tableau suivant les présente.
Les données collectées
Matériaux empiriques sur lesquels s’appuie l’analyse | |
---|---|
Analyses documentaires | - statistiques du secteur, - référentiels de formation RNCP - fiches ROME - données comptables - dossiers officiels de création d’entreprise - référentiels de formation suivie par l’artisan. |
Entretien non directif | 1 à 2 heures d’entretien de type biographique par artisan (presque 150 pages de verbatim) |
Observations participantes | - 3 jours d’observation et de participation à l’activité par artisan - journal de bord du chercheur - discussions informelles avec d’autres membres de l’entreprise (conjoint, famille, salariés). |
Entretiens semi-directifs | 1h30 d’entretien par artisan environ, 130 pages de verbatim pour les 4 artisans |
Les données collectées
30Afin d’ordonner le volume important de données riches et diversifiées l’utilisation du logiciel N’Vivo, version 10, s’est avérée nécessaire. Le traitement des données s’est fait selon une analyse qualitative de contenu (Miles et Huberman, 2003). Pour ce travail nous avons repris les 30 entretiens non directifs issus du travail initial sur le métier de l’artisan (Picquenard, 2018) pour isoler les quatre cas symptomatiques des quatre stratégies de pérennisation de la TPE artisanale. Puis, nous nous sommes plongés dans les entretiens semi-directifs réalisés auprès des quatre artisans sélectionnés, ainsi que dans le journal de bord des observations. Un codage ouvert s’est opéré (Glaser et Strauss, 1999 ; Strauss et Corbin, 1998). Plus nous avancions dans ce codage, plus nous avions une idée précise des catégories conceptuelles qui émergeaient notamment sur la place des compétences dans la pérennisation de l’entreprise ou encore l’articulation entre compétence technique et managériale. Cependant, ce n’est que suite à un aller-retour entre terrain et littérature sur la pérennité organisationnelle et l’approche combinatoire des compétences que nous avons pu avoir une lecture plus précise de l’équilibre recherché par les artisans entre continuité et changement. C’est alors que nous avons constaté l’impact chez ces artisans du pouvoir-agir. Ainsi, nous avons utilisé la littérature comme guide pour le développement des thèmes et organiser notre codage.
3.2 – Présentation des cas
31Le tableau ci-dessous permet une approche synthétique des quatre TPE concernées par l’étude de leurs artisans. Afin de préserver l’anonymat des entreprises, nous nommerons les artisans réciproquement Boul, Bij, Elec et Mfer en référence à leur métier. Chaque entreprise est issue d’un secteur de l’artisanat différent et d’un métier spécifique : « Boul » pour l’alimentation avec le métier de boulanger, « Bij » pour la fabrication avec le métier de bijoutier, « Elec » pour le bâtiment avec le métier d’électricien et « Mfer » pour les services avec le métier de maréchal ferrant. Les entreprises ont toutes été créées depuis 10 ans et plus, exceptée pour l’entreprise « Boul » créée en 2012. Seule l’entreprise « Mfer » n’a pas de salarié, les autres, apprentis compris, disposent de 3 salariés. Trois des quatre dirigeants propriétaires sont titulaires d’un diplôme plus élevé que le niveau CAP prérequis pour la création d’entreprise. Nous pouvons noter deux particularités importantes pour l’étude des résultats par la suite. Le dirigeant « Mfer » est le seul à avoir entrepris la création de son entreprise par le biais d’une reconversion, les autres ayant une trajectoire beaucoup plus classique. Seul l’artisan « Bij » a un lien filial avec le métier puisque son père et sa mère étaient tous deux bijoutiers, son grand-père artisan. Les autres dirigeants propriétaires n’ont aucun lien ni avec le métier ni avec le secteur de l’artisanat en général.
Présentation synthétique des cas
Présentation synthétique des cas
4 – À la recherche d’un équilibre pour pérenniser sa TPE
32Nous allons présenter quatre cas symptomatiques d’une manière dont l’artisan poursuit une stratégie lui permettant de pérenniser sa TPE. Pour bien cerner les cas en fonction de leur environnement, de leur métier, des compétences mobilisées et de la stratégie suivie pour pérenniser l’activité, nous en proposerons une présentation approfondie dans un premier temps. Nous verrons ensuite comment l’approche combinatoire des compétences individuelles de chaque artisan étudié explique comment un équilibre est obtenu entre les aspects techniques et managériaux du métier. C’est grâce à cet équilibre que la stratégie est efficace et permet la pérennité.
4.1 – Quatre manières de pérenniser son entreprise artisanale
33Dans le cadre de la préparation du rapport annuel sur l’État de la France 2019, l’Institut Supérieur des Métiers livre un rapport sur les principaux axes d’évolution de l’artisanat 2017-2018. Il semble que même si le secteur est en reprise, les entreprises restent encore très fragiles, notamment pour celles sans salariés (61 % des 1 360 000 entreprises artisanales en 2018). L’étude des éléments structurels inhérents à l’organisation artisanale est à prendre en compte. Cette partie entend présenter de manière individuelle chacun des 4 cas en revenant sur l’environnement de ces entreprises, le métier de l’artisan et son parcours, ses compétences individuelles et la stratégie retenue. À cet effet, nous utilisons les trois stratégies de développement issues des travaux de Fourcade et Polge (2006a) et Polge (2008) avec le développement interne, le développement externalisé et le développement incrémental auxquelles nous ajoutons l’immobilisme, comme précisé précédemment. Chaque cas est symptomatique d’un axe de développement mais comme le précisent Fourcade et Polge (2006a), des relations existent entre ces différentes stratégies. Les artisans étudiés ne sont donc pas toujours totalement tournés vers une seule orientation stratégique.
34Artisan au fourneau :
35La TPE « Boul » est une boulangerie, plutôt ancienne qui se situe sur un territoire très rural bénéficiant d’une bonne affluence saisonnière, du fait de la présence de nombreuses résidences secondaires. La principale amélioration de l’entreprise vient du fournil qui a été, en partie, remis aux normes pour faciliter la production. Par ailleurs, l’entreprise et le domicile se confondent. Ainsi, outre l’aspect chronophage du rythme de la boulangerie, l’impression de ne jamais « couper avec l’entreprise » est souvent décrite par le dirigeant et sa conjointe.
36Cet artisan a une réelle affection pour son métier de main. Il travaille la maîtrise du geste pour obtenir une perfection dans la production. Il valorise ses compétences techniques en participant à des concours professionnels. En revanche, il n’aspire pas du tout à gérer son entreprise, partie qu’il délègue à sa conjointe, qui travaille dans l’entreprise en tant que vendeuse, et à son comptable. À cet effet, il n’affectionne pas les tâches administratives et n’est pas familier du contact clientèle. La délégation pourrait lui permettre un certain équilibre dans l’entreprise.
37Cependant, il rencontre quelques difficultés pour recruter. Il estime ne pas pouvoir recruter un ouvrier car il ne génère pas assez de chiffre d’affaires tout en éprouvant des difficultés à assumer seul la production. Une solution plus économique a été retenue en recrutant des apprentis mais les contraintes légales limitent la possibilité de déléguer la partie production. Par ailleurs, il paraît difficile de recruter des apprentis car le métier ne correspond plus aux mentalités des plus jeunes qui préfèrent, selon lui, travailler en boulangerie industrielle, moins contraignante que la boulangerie artisanale (travail les week-ends et jours fériés). Si la délégation des compétences techniques semble difficile, la délégation des compétences managériales l’est également. L’artisan « Boul » n’aspire pas à gérer son entreprise. Son lien fort avec son métier de boulanger le cloisonne dans ses compétences techniques. Il laisse sa conjointe s’occuper de cette partie sans garder ne serait-ce qu’une vision générale de la gestion de l’entreprise. Sa conjointe explique se sentir esseulée face à cette délégation. L’artisan « Boul » se repose donc sur une délégation à l’aveugle sur les compétences du comptable. Il parle d’« une navigation en eau trouble » pour décrire la gestion de son entreprise. Fonctionnant « la tête dans le guidon » (Boul), il ne projette pas son entreprise dans le temps. La très forte proximité avec son environnement familial et le peu d’intérêt avec la gestion de l’entreprise le conduisent à se renfermer sur la pratique de son métier et ses compétences techniques.
38Ainsi, l’artisan « Boul » évolue dans un environnement économique plutôt favorable mais avec des contraintes institutionnelles qui limitent sa marge de manœuvre pour déléguer et se consacrer pleinement à ce qui l’intéresse dans ce métier c’est-à-dire le savoir-faire de boulanger plus que la gestion d’une TPE. Dès lors, sa stratégie pour pérenniser son entreprise s’oriente vers de l’immobilisme car toutes autres orientations l’obligeraient à développer des compétences managériales ou à les déléguer. Or il décrit son comptable comme un « empêcheur de tourner en rond » plus que comme un conseiller en management. Cela traduit sa volonté à préférer le statu quo au mouvement.
39Artisan créateur :
40L’artisan « Bij » a repris l’entreprise familiale pour exercer le métier de bijoutier.
41Ce secteur sur la partie vente subit un climat concurrentiel intense. En effet, contrairement à d’autres secteurs de métiers, aucun diplôme n’est exigé pour la vente de bijoux. L’absence de barrières à l’entrée intensifie alors la concurrence. Pour y faire face, l’artisan « Bij » se différencie en étant présent sur la fabrication, la transformation et la vente du bijou. L’entreprise peut se décomposer en deux activités : la vente avec le magasin et la fabrication avec l’atelier. L’artisan « Bij » favorise l’activité fabrication car créatrice d’avantage concurrentiel.
42En effet, il appartient à un cercle restreint de bijoutiers capables de concevoir un bijou de « A à Z » et est reconnu comme tel auprès de ses pairs qui lui sous-traitent son savoir-faire. Il est à la fois bijoutier, gemmologue, joaillier mais se distingue d’autant plus de par sa compétence de sertisseur. Dès lors, il affectionne particulièrement son métier de main et l’aptitude qu’il a de pouvoir gérer un projet de création en entier. Il ne délaisse pas pour autant les compétences managériales. Ainsi, il développe ses compétences entrepreneuriales au travers de son réseau. Il est très impliqué dans sa branche professionnelle. Il bénéficie d’une reconnaissance de son savoir-faire par sa communauté. Il a également à faire face à un contexte de plus en plus procédurier et exigeant en termes de temps et de compétences, notamment en raison des lourdeurs administratives relatives à son activité. Pour se dégager du temps, il a opté pour une délégation partielle de ses compétences techniques et de ses compétences managériales sur ses salariées. Cela lui permet de se consacrer davantage à la partie création.
43Ainsi, il dispose d’une vision claire du développement de son entreprise, centrée sur la valorisation de sa compétence technique spécifique et son aptitude à concevoir une création de bijoux de A à Z. Si son environnement concurrentiel est de plus en plus intense ainsi que l’exigence de la clientèle, il parvient à les gérer en déléguant ou en faisant appel à ses proches. Ainsi, en plus d’évoluer dans des réseaux professionnels officiels et officieux (branches professionnelles, associations de métier, syndicats…), ses réseaux amicaux et familiaux sont très présents (sa mère s’occupe du tri des commandes, son père de certaines commandes, sa femme des livraisons) pour l’aider.
44En définitive, la stratégie suivie pour pérenniser son entreprise correspond à un développement interne de sa TPE en capitalisant principalement sur ses compétences techniques. Pourtant, ses compétences managériales ne sont pas inexistantes si on considère l’importance du réseau (professionnel, amical et familial) dans l’exercice de son métier. Ce réseau correspond à une compétence entrepreneuriale qui lui a permis de saisir plusieurs opportunités d’affaires.
45Artisan connecté :
46La TPE « Elec » est une entreprise du secteur du bâtiment spécialisée dans l’électricité. Elle évolue dans un environnement fortement concurrentiel au sein des constructeurs dû en partie à un marché peu porteur (accession à la propriété difficile pour les primo-accédants, salaires moyens faibles en Vendée, augmentation des normes à la construction…). Face à cette difficulté, l’artisan « Elec » s’est associé avec deux autres dirigeants propriétaires du bâtiment, de corps de métiers différents, pour créer une autre entité, composée de 6 salariés et 3 établissements distincts, centrée sur la construction. Afin de développer cette deuxième entité, il a été convenu entre les trois dirigeants que l’artisan de la TPE « Elec » se chargerait de sa gestion. Ainsi, il passe environ 95 % de son temps en dehors de la TPE « Elec ». La deuxième entité est le principal ameneur d’affaires pour son entreprise initiale (90 % de CA) ce qui crée une grande dépendance entre les deux entités.
47L’artisan « Elec » se caractérise par un lien faible avec son métier et perçoit son entreprise comme une opportunité d’affaires. L’artisan « Elec » revendique une certaine indépendance qui lui permet de prendre des risques, pour lui-même et son entreprise. S’il est très concentré sur la deuxième entité, il assume tout de même la gestion générale de son entreprise principale, tout en déléguant l’ensemble des compétences techniques de gestion des chantiers et d’affectation des ressources humaines à son collaborateur. Par ailleurs, l’artisan « Elec » est très impliqué dans différents réseaux professionnels, à travers les syndicats du bâtiment par exemple, mais aussi afférents à son activité comme les associations de constructeurs. Il développe alors un ensemble de compétences managériales (entrepreneuriales par le réseau, managériales pour le pilotage) pour assurer son rôle de chef d’entreprise. Dès lors, il délègue les compétences techniques. S’il avoue avoir gagné en compétences grâce à son expérience professionnelle antérieure ainsi que grâce à ses réseaux professionnels très développés, il nous confie son extrême dépendance par rapport à son collaborateur « qui fait tourner la boîte au quotidien ».
48Ainsi, la stratégie suivie pour pérenniser son entreprise est un développement externalisé. Il repose sur une association avec des confrères du secteur du bâtiment pour développer une autre structure complémentaire à la première. Dès lors, l’artisan « Elec » limite les perspectives de développement par la croissance de son entreprise principale puisque dépendante de la seconde entité. De cette manière, il capitalise exclusivement sur des compétences managériales en assumant pleinement son rôle de chef d’entreprise ce qui le contraint à déléguer les compétences techniques.
49Artisan reconverti :
50L’artisan « Mfer » travaille seul pour exercer son métier de maréchal ferrant. Il a suivi une trajectoire professionnelle particulière en créant son entreprise, suite à un licenciement économique afin d’opérer une reconversion professionnelle.
51Son secteur d’activité se caractérise par une intensité concurrentielle importante en raison du nombre de maréchaux ferrants qui s’est multiplié en quelques années en Vendée. Ce climat concurrentiel est d’autant plus exacerbé qu’une économie parallèle se développe avec le travail non déclaré. Cela crée une cannibalisation des marchés qui entraîne une difficulté pour les maréchaux ferrants installés à leur compte de pratiquer des prix raisonnables. Ceci est d’autant plus important que les charges pèsent de plus en plus sur les petites structures artisanales. Par ailleurs, l’environnement est aussi caractérisé par une clientèle décrite comme beaucoup plus exigeante. Outre l’accès facilité à la concurrence, la clientèle évolue dans un environnement équestre assez fermé où le bouche-à-oreille alimente la reconnaissance ou non de l’artisan.
52Dès lors, l’artisan « Mfer » a voulu développer ses compétences techniques en se différenciant compte tenu du contexte concurrentiel. Comme il a eu l’opportunité de faire sa formation chez un maître d’apprentissage qui lui a transféré des compétences techniques spécifiques, il a pu positionner son entreprise sur une prestation de gestion des problématiques orthopédiques des équidés. De plus, l’artisan « Mfer » développe cette spécialisation grâce à l’appartenance à un réseau professionnel officieux composé d’artisans qui travaillent non seulement de la même façon d’un point de vue technique mais aussi dans la même philosophie. Il possède également des compétences managériales car il doit faire face à un métier très procédurier et à l’absence de connaissances du métier par les partenaires comme l’expert-comptable.
53Ainsi, la stratégie suivie pour pérenniser son entreprise est le développement incrémental. L’artisan « Mfer » a choisi un développement par non-croissance en se spécialisant sur une compétence technique spécifique et distinctive (traitement orthopédique). En capitalisant sur une compétence technique spécifique rare, l’artisan « Mfer » se protège d’un environnement assez dynamique.
54Le tableau suivant reprend les principales caractéristiques de ces artisans en fonction de leur choix stratégique pour pérenniser l’entreprise. Il faut souligner que les stratégies des artisans pour pérenniser leur TPE correspondent à des tendances qui se dégagent majoritairement. Cependant, comme le souligne Polge (2008), le choix entre l’une ou l’autre stratégie n’est pas exclusif. Dans certains cas, nous constatons que la frontière est faible.
Les stratégies des quatre artisans étudiés pour pérenniser leur TPE
Les stratégies des quatre artisans étudiés pour pérenniser leur TPE
55Chacun des quatre artisans étudiés aborde à sa manière la pérennisation de sa TPE en poursuivant une stratégie qui lui permet un équilibre entre changement et continuité. Ainsi, l’artisan « Elec » s’inscrit dans la continuité de son métier avec son entreprise initiale et ses valeurs tout en s’adaptant au marché grâce au développement d’une nouvelle structure. L’artisan « Mfer » assure la continuité en affirmant les valeurs de son métier et parallèlement il développe une expertise spécifique pour s’adapter à un environnement turbulent. L’artisan « Bij » s’appuie sur son savoir-faire dans la bijouterie pour s’inscrire dans la continuité et la tradition familiale tout en capitalisant sur un réseau de relation afin d’anticiper les mutations du métier. Enfin, l’artisan « Boul » est plus atypique. Il consacre ses efforts à assurer la continuité par excès de tradition et de qualité évoquant presque une peur du changement. Dans ce cas de figure, l’équilibre est précaire. Dans ces quatre cas, les artisans s’appuient en priorité sur un type de compétences pour assurer la pérennité de leur entreprise. Cependant, il s’avère à chaque fois que d’autres compétences individuelles sont également mobilisées. Une lecture par l’approche combinatoire pour agir avec compétence nous permettra d’y voir plus clair.
4.2 – Analyse croisée entre approches combinatoires des compétences et choix stratégique
56Au travers de la présentation des quatre cas, la première partie évoque un environnement conjoncturel plus difficile qu’autrefois, notamment en termes de concurrence et de clientèle, qui implique le développement de compétences notamment managériales. Une analyse du processus combinatoire des compétences des artisans permet d’appréhender comment ils réagissent face à ce contexte et comment ils l’utilisent pour poursuivre une orientation stratégique leur permettant de pérenniser sa TPE. Pour simplifier la présentation des cas, nous avons insisté, dans la partie précédente, sur la compétence principale sur laquelle les artisans étudiés s’appuient pour pérenniser leur activité. Cependant, une analyse de la compétence en approche combinatoire révèle une mobilisation plus complexe.
57L’approche combinatoire selon Le Boterf (2002, 2005, 2013) suppose que pour agir avec compétence la combinaison de trois composantes est à respecter : savoir agir, vouloir agir et pouvoir agir. Nous allons reprendre chacune de ces composantes pour proposer une analyse croisée des quatre cas.
58Savoir agir :
59Il s’illustre par la formation initiale de l’artisan mais également en capitalisant sur son expérience professionnelle liée à son parcours avant ou après installation. Il est assez normal compte tenu du processus de formation des artisans que les compétences techniques prévalent dans un premier temps. En effet, le métier d’artisan passe par un apprentissage durant lequel il y a une transmission d’un savoir-faire entre un apprenti et son maître artisan. Les quatre artisans étudiés ont suivi cette voie. Cependant, le parcours professionnel des quatre artisans est assez différent que cela soit avant d’accéder au métier ou par la suite. Ainsi, l’artisan « Boul » entretient un lien fort avec son métier sur les aspects techniques, il participe à des concours pour valoriser un savoir-faire. Il a une image précise du métier d’artisan boulanger mais qui n’intègre pas la facette chef d’entreprise. L’artisan « Bij » est également très concerné par les compétences techniques de son métier en valorisant son savoir-faire de créateur de bijou ou de sertisseur mais il met cet aspect au service de l’entreprise notamment pour la fabrication et la création qu’elle soit pour son magasin ou en sous-traitance pour d’autres. « Le but du jeu est de mettre en avant vraiment l’atelier, parce que c’est mon métier. Ce n’est pas une volonté de ma part parce que je ne veux pas faire que du serti. Le serti, c’est très intéressant, mais je veux faire de la fabrication. J’ai envie de faire ce qu’il me plaît. Je le fais mais pas autant que je voudrais. Je n’arrive pas encore à prendre le temps. Je veux que l’on recommence à faire de la création » (Bij). Il était important pour cet artisan de reprendre l’entreprise familiale afin d’œuvrer dans le respect de l’héritage familial et la valorisation d’un métier qu’il affectionne. Cette empreinte du savoir-faire est également très présente chez l’artisan « Mfer » avec son expertise dans l’orthopédie des équidés. Elle lui a été transmise par son maître d’apprentissage qui a multiplié les concours professionnels. Il a formé « Mfer » dans ce sens et l’a incité à participer aux mêmes concours pour perfectionner sa compétence technique et la faire reconnaître. « C’est pour un trip technique, c’est lié à ma personnalité, moi, j’aime bien les choses un peu compliquées, je ne suis pas un routinier dans le travail ». L’artisan « Mfer » mise sur la reconnaissance que cette compétence lui apportera dans son métier vis-à-vis de ses clients. « Je ne voulais pas faire de publicité, surtout pas, car c’est un milieu très fermé. Donc je voulais tout miser sur le bouche-à-oreille » (Mfer). L’artisan « Elec » est dans un tout autre cas de figure. Il a suivi une formation en apprentissage comme les autres artisans mais il a également été ouvrier dans plusieurs entreprises où il a pu suivre différents plans de formation notamment en gestion d’entreprise. Contrairement aux autres artisans, il est davantage attaché au rôle de chef d’entreprise qu’à celui d’électricien. Ce dernier dans la maîtrise du savoir-faire ne semble pas lui donner la même satisfaction que le pilotage de l’entreprise. Il semble rechercher le développement de ses compétences managériales et plus précisément entrepreneuriales. À l’écoute de toutes les opportunités, il est prêt à prendre des virages à 90° si l’opportunité en vaut la peine. « Je ne dis pas qu’un jour, j’arrêterai tout et je ferai autre chose. À un moment donné, quand le marché était plus porteur, j’avais même envisagé, avec le comptable, de racheter des boîtes qui étaient en difficultés, de les remettre en route et de les revendre. Ça, j’y avais pensé, et on en avait discuté avec le comptable » (Elec).
60Dans le savoir agir la formation des artisans et l’empreinte de leur maître d’apprentissage semblent prépondérantes. Mais le lien entre le métier et l’artisan est plus ou moins intense selon les cas. L’artisan « Elec » explique clairement le choix du métier d’électricien comme une opportunité plutôt qu’une conviction profonde. A contrario, l’artisan « Bij » se revendique créateur bijoutier et bénéficie d’un lien fort vis-à-vis de son métier et de l’entreprise familiale. Ils entretiennent un rapport au métier totalement différent. La charge identitaire ne semble pas avoir la même intensité. De plus, nous constatons que la composante du savoir-agir semble mobiliser des compétences chez les artisans étudiés qui seront à l’origine de la stratégie pour pérenniser leur TPE mais qui nécessite l’appui des deux autres composantes.
61Vouloir-agir :
62Il se caractérise par la reconnaissance par les pairs, la confiance en soi et l’image que l’on veut donner de son métier. Il s’exprime donc dans la manière dont les artisans souhaitent que l’on perçoive leurs compétences en fonction des objectifs qu’ils poursuivent.
63La reconnaissance de la profession est un point important pour les artisans « Boul », « Bij » et « Mfer ». La participation à de nombreux concours professionnels pour mettre à l’épreuve leurs compétences techniques en est la preuve. Par exemple, « Boul » s’investit beaucoup dans ces manifestations pour montrer la qualité de ses produits. Cette reconnaissance passe aussi par la manière de se distinguer de la concurrence ou de convaincre le client. Ainsi, pour l’artisan « Bij », qui évolue dans un secteur très concurrentiel, le fait d’avoir la compétence de bijoutier, gemmologue, joaillier et sertisseur lui confère une reconnaissance auprès du client et des confrères. « Il y a à peu près 6 % des gens qui ont pignon sur rue qui ont des diplômes d’état liés à l’activité. C’est-à-dire qu’il y a à peu près 94 %, même plus, de gens qui n’ont pas été formés pour exercer ce métier. Je pense que pour pouvoir vendre un T-shirt, il faut quand même moins de connaissance que pour vendre un bijou » (Bij). Cette reconnaissance est entretenue par la force du réseau comme le souligne « Bij ». « Ah eh bien là, la différence notoire, c’est la qualification, le métier, il n’y a pas photo. Parce que les gens qui fabriquent ou qui transforment, par exemple, dans l’Ouest, on se connaît tous. On s’appelle, par le biais de manifestations, par le biais de l’école ».
64Cette reconnaissance suppose également un investissement dans la formation des apprentis mais aussi en intervenant auprès des centres de formation. L’artisan « Bij » insiste sur la nécessité de consacrer du temps à la transmission du savoir-faire auprès des plus jeunes. Il réalise régulièrement des interventions dans une école de bijouterie et met en pratique ses nouvelles compétences pédagogiques, acquises grâce à cette expérience professionnelle, au profit de ses salariées. « On a un devoir de transmission, c’est un devoir, on est à deux doigts de l’obligation » (Bij). Pourtant, ce transfert de compétence n’est pas toujours aisé comme le souligne l’artisan « Mfer » en raison d’une relation personnalisée avec la clientèle et des compétences techniques pointues sur l’orthopédie des équidés difficile à enseigner.
65L’artisan « Elec » n’est pas dans cette logique car très pris par son rôle de chef d’entreprise. Contrairement aux trois autres qui développent une reconnaissance sur le savoir-faire, lui va la développer sur le management des deux entités. Dès lors, la confiance en soi et l’image de soi ne reposent pas sur les mêmes compétences. Pour l’artisan « Elec », c’est celle d’un chef d’entreprise qui pilote plusieurs structures, à la recherche d’affaires et prêt à saisir des opportunités nouvelles.
66Pour « Bij », même s’il est dans une perspective de croissance de son activité, il défend une image métier de créateur. C’est également le cas pour les artisans « Boul » et « Mfer » qui défendent une image de spécialiste mais sans poursuivre le même but. À cet effet, il est intéressant de rapprocher le lieu de prédilection dans l’exercice de son métier et l’image de soi ainsi que la confiance en soi de l’artisan. L’artisan « Elec » est représenté par la création d’une deuxième entité dans laquelle il passe 90 % de son temps ce qui le conforte dans son rôle de chef d’entreprise et dans l’image qu’elle représente. L’artisan « Bij » est attaché à son atelier et sa volonté de valoriser le côté fabricant créateur de son métier. L’artisan « Boul » est représenté par son fourneau pour son tour de main mais également son côté cloisonné sans contact avec le client contrairement à l’artisan « Bij ». Enfin, l’artisan « Mfer » est représenté par l’absence de lieu propre mais des interventions auprès de ces clients. Cela exprime chez lui le contact personnalisé avec la clientèle et son rapport avec l’animal qu’il soigne.
67Pouvoir-agir :
68Si les deux précédentes composantes illustrent des acquis pour le savoir-agir et une volonté pour le vouloir-agir, le pouvoir-agir se caractérise par des moyens à mettre en place. Ainsi, agir avec compétence repose sur des acquis, une volonté et des moyens. Ces derniers passent par une certaine organisation du travail avec notamment de la délégation et l’exploitation d’un réseau de ressources.
69Il apparaît que cette composante est très importante pour maintenir un équilibre entre un besoin de compétences techniques et managériales. Elle s’exprime principalement par la capacité de délégation des artisans des compétences dont ils manquent ou veulent s’affranchir et de la capacité à entretenir un réseau professionnel.
70L’artisan « Elec » a volontairement délégué la gestion opérationnelle et la production en recrutant un collaborateur confirmé. Son objectif était de ne plus être sur les chantiers et de se consacrer uniquement à la gestion de son entreprise et à son développement. L’artisan « Bij » a sélectionné une apprentie qu’il a recrutée en tant qu’ouvrière qualifiée ensuite. Il veut lui transférer un maximum de compétences et lui impose de passer ses qualifications en candidat libre. « Un investissement », selon lui, mais aussi « une obligation lorsque l’on fait un métier de main ». Parallèlement, les artisans « Boul » et « Mfer » estiment ne pas pouvoir déléguer la production. Le « tour de main », « l’œil », sont, selon eux, impossibles à transmettre et procurent le cas échéant l’insatisfaction de la clientèle. Le maréchal ferrant insiste sur la forte personnification du rapport avec la clientèle qui exige que le maréchal et non son apprenti ferre l’équidé. Ainsi, ces deux artisans ont de réelles difficultés à déléguer la partie technique. Paradoxalement, l’artisan « Boul », par exemple, occulte complètement les compétences managériales. « Je ne sais pas faire, alors c’est pour ça, je reste tranquille dans mon fournil ! » Son désintérêt des compétences managériales explique, en partie, la forte place des compétences techniques dans son métier pourtant il n’envisage pas une optimisation de son outil de travail, particulièrement de la partie fournil, qui pourrait pourtant lui permettre d’augmenter son chiffre d’affaires et de recruter un ouvrier qualifié. Il est pour autant très conscient des problématiques managériales de sa structure. Il a choisi de déléguer « à l’aveugle » l’ensemble de sa gestion au cabinet comptable de la fédération vendéenne des boulangers-pâtissiers, sous couvert de la spécialisation du cabinet dans le métier de boulanger. « Je lui envoie tout, toutes mes feuilles, toutes mes factures payées, celles que j’ai éditées et puis la comptable se débrouille. »
71À l’inverse, l’artisan « Elec » délègue facilement à un tiers pour se concentrer sur une vue générale de la gestion en s’épargnant des procédures administratives fastidieuses. Par ailleurs, il attend beaucoup de ses partenaires, notamment, de l’expert-comptable. « Le comptable, je le vois plus comme un conseiller. Certes, il a la mission de mettre les chiffres dans les cases, ça ce n’est pas le problème mais, je ne le paye pas pour ça. Je le paye pour avoir des échanges, des conseils, c’est ce que j’attends de lui. On discute cartes sur table. C’est un échange important qui te permet d’avoir d’autres éléments pour prendre ta décision » (Elec).
72L’artisan « Bij » explique avoir fait des calculs précis et a estimé, chiffres à l’appui, qu’il est préférable, et plus rentable, pour son entreprise, de confier une partie de ses compétences managériales à une partie de son personnel, de sorte d’étoffer leur polyvalence, et à un comptable dont c’est le métier. Il peut alors consacrer plus de temps à la production qui est une partie qu’il affectionne particulièrement.
73Les artisans trouvent ainsi un équilibre entre compétences technique et managériale. C’est ce que révèle une analyse par l’approche combinatoire. On constate que la composante du pouvoir-agir par la délégation permet un transfert de compétence pour se dégager une marge de manœuvre afin de poursuivre la stratégie retenue. C’est ainsi qu’ils utilisent également leur réseau professionnel et personnel. Cette compétence entrepreneuriale de management d’un réseau est très présente chez les quatre artisans comme nous l’avons vu lors de la présentation des cas. Elle est entretenue dès l’accès à la profession grâce à l’apprentissage mais se développera ensuite en participant à des manifestations (concours), en s’impliquant dans des organisations professionnelles ou institutionnelles. Par exemple, l’artisan « Elec » est très présent dans les conseils d’administration de différentes associations de constructeur. Il dispose alors d’informations importantes sur l’évolution de sa profession. Cette implication lui permet d’anticiper plusieurs décisions en bénéficiant de l’information en priorité. « On peut se dire que ces réunions c’est du temps de perdu, tout ça, mais il y a quand même des gros morceaux qui y participent, il y a des gens qui sont dans des syndicats ou autres organisations professionnelles impliquées à haut niveau, donc, tu es au courant en avant-première des infos » (Elec).
74Rappelons que l’approche combinatoire des compétences individuelles suppose que pour agir avec compétence trois composantes sont à combiner. Nous constatons que les quatre artisans étudiés ont mobilisé ces trois composantes de différentes manières, que cela soit le savoir initial utilisé ou la volonté de valoriser une compétence plutôt qu’une autre et les moyens développés pour équilibrer le besoin entre compétences managériales et techniques que requiert le métier d‘artisan. Le tableau suivant propose de synthétiser ces éléments.
Approche combinatoire des composantes pour agir avec compétence
Approche combinatoire des composantes pour agir avec compétence
75Le Boterf (2005) explique que la compétence individuelle doit s’appréhender en situation et dans l’action. C’est pour cette raison qu’il insiste sur la notion d’agir avec compétence. Nous constatons que chaque artisan a sa propre approche combinatoire. Certaines caractéristiques sont communes comme la relation au réseau de ressources ou le recours à la délégation. D’autres sont distinctives et traduisent une orientation stratégique différente. Les approches combinatoires de nos quatre cas sont le reflet d’une stratégie dont le but est de minimiser le paradoxe de la pérennité organisationnelle. Ainsi, c’est en associant ses compétences individuelles qu’il pourra poursuivre une stratégie de pérennisation de son entreprise où l’équilibre entre changement et continuité est possible.
76L’artisan « Elec » n’a pas peur du risque. Il fonctionne clairement par opportunités et n’hésitera pas à faire totalement autre chose si demain l’occasion se présente. Il bénéficie de son capital d’expériences professionnelles qui lui apportent à la fois un portefeuille de compétences diversifiées mais aussi un réseau professionnel riche et diversifié. Fort de ces atouts, il a clairement une aptitude dans la prise de risques. Ainsi, il analyse la situation et a fait le choix de déléguer la gestion opérationnelle de son entreprise à un ouvrier pour pouvoir se concentrer sur le développement de l’autre société. Il a choisi pour pérenniser son activité de suivre une stratégie de développement externe n’entraînant pas la croissance de sa TPE pour se consacrer à la deuxième entité. Il capitalise sur une approche combinatoire à majorité de compétences managériales avec une forte proportion de compétences entrepreneuriales et une faible proportion de compétences techniques de gestion. Ces dernières sont déléguées.
77L’artisan « Mfer » s’appuie dans un environnement assez dynamique sur sa compétence technique basée sur le traitement orthopédique des pieds des équidés. Cette compétence distinctive lui permet de valoriser ses prestations et de supporter les effets de saisonnalité de l’activité. Conscient de cette valeur ajoutée, il fait en sorte de faire évoluer son capital de compétences techniques en permanence en participant à des séminaires professionnels mais aussi à des concours techniques. Celui-ci lui a permis également d’augmenter la reconnaissance de son savoir-faire auprès de ses « confrères » qui le voient, du fait de cette spécialité, comme un partenaire plutôt qu’un concurrent, à qui on envoie « les cas que l’on ne peut traiter ». Ainsi, il développe également des compétences managériales grâce à une bonne gestion de son réseau de ressource. L’artisan « Mfer » a opté pour une stratégie développement incrémental (non croissance) pour pérenniser son activité. Cette stratégie s’appuie sur l’utilisation d’une combinaison de compétences majoritairement techniques mais également managériales avec la gestion du réseau.
78L’artisan « Bij », a repris l’entreprise familiale avec sa réputation. Il se devait d’offrir les mêmes prestations. Son objectif est de développer davantage la partie création, génératrice d’une meilleure valeur ajoutée que la boutique. Son environnement est très concurrentiel avec l’arrivée notamment d’un espace bijoux dans la grande surface de sa zone de chalandise. En revanche, ses capacités de création des bijoux liées à son artisanat d’art sont très recherchées. Ainsi, l’artisan « Bij » travaille régulièrement pour ses « confrères » qui n’ont pas la compétence technique de sertir les pierres. Le package de ses formations et la pratique tant sur la gemmologie, la bijouterie, le sertissage et la joaillerie lui ont permis d’acquérir une compétence distinctive reconnue. Le fait pour lui de ne sous-traiter aucune étape de la création lui permet d’avoir un positionnement en termes de prix très compétitif. L’artisan « Bij » poursuit une stratégie de développement interne pour pérenniser son entreprise. Il a choisi de valoriser ses compétences techniques de création et de déléguer les aspects gestions de l’entreprise pour s’y consacrer pleinement. Parallèlement, il développe ses compétences entrepreneuriales grâce à un savoir-faire reconnu.
79L’artisan « Boul » ne peut produire davantage, du fait d’un outil de production saturé mais aussi de l’absence de main-d’œuvre qualifiée. Il se concentre sur ses compétences techniques pour masquer un désintérêt envers les aspects managériaux. Le développement de l’entreprise est ainsi mis en pause. Son environnement concurrentiel est plutôt favorable. L’artisan « Boul » apprécie son métier pour la liberté et le plaisir qu’il lui procure. Il exprime notamment, avec beaucoup d’émotion, sa satisfaction lorsqu’il a remporté, de ses pairs, un prix reconnaissant la qualité d’un de ses produits. En revanche, lorsque l’on aborde les questions de développement de l’entreprise un malaise se ressent. Il apparaît que pour pérenniser son entreprise l’artisan « Boul » préfère une stratégie d’immobilisme. Il ne cherche pas à développer son activité. Il bénéficie d’un environnement favorable qui ne l’oblige pas à remettre en question le fonctionnement de son entreprise. Il s’appuie sur une approche combinatoire qui allie de fortes compétences techniques basées sur son tour de main associé à une délégation importante presque aveugle des compétences managériales.
80Nous constatons que l’articulation des composantes de l’approche combinatoire est bien différente entre ces quatre cas d’artisans. Il nous a semblé intéressant de mettre en lumière cette combinaison de compétences en fonction de la stratégie retenue pour pérenniser l’activité. Le tableau suivant résume ces éléments.
Approche combinatoire des compétences pour pérenniser sa TPE
Stratégie pour pérenniser l’activité | Approche combinatoire des compétences : caractéristique principale de chaque composante | Explications |
---|---|---|
Développement externalisé | Savoir-agir : saisir des opportunités Vouloir-agir : image de chef d’entreprise Pouvoir-agir : capitaliser sur le réseau de ressource | Elec. Goût pour le risque, réseau important |
Développement Incrémental | Savoir-agir : connaissances spécialisées et rares Vouloir-agir : image d’expert Pouvoir-agir : délégation et gestion du réseau | Mfer. Valoriser ses prestations, affirmer son expertise, éviter un recrutement |
Développement Interne | Savoir-agir : gérer le processus de A à Z Vouloir-agir : image de créateur Pouvoir-agir : délégation et gestion du réseau | Bij. Valoriser ses prestations, affirmer son expertise et développer son activité |
Stratégie d’immobilisme | Savoir-agir : tour de main Vouloir-agir : image du travail manuel Pouvoir-agir : forte délégation | Boul. Désintérêt pour la gestion et manque de maîtrise. Concentration sur les compétences techniques pour combler ce manque. |
Approche combinatoire des compétences pour pérenniser sa TPE
5 – Discussion
81Les résultats ont permis de mettre en lumière plusieurs éléments intéressants concernant l’artisan. Au même titre que plusieurs autres types de dirigeant propriétaire de TPE comme les professions libérales (Reyes, 2016), il évolue dans un contexte plus tendu, notamment en raison de l’incertitude de son environnement. Il est confronté à la nécessité de faire face à ces évolutions s’il veut pérenniser son entreprise. Pour comprendre sa capacité d’adaptation, nous explorons la dimension métier au travers de ses compétences individuelles. En mobilisant le travail de Le Boterf (2005) sur les compétences individuelles, nous montrons dans ce travail l’importance de l’approche combinatoire en prenant en compte ses trois composantes (savoir-agir, vouloir-agir, pouvoir-agir) pour agir avec compétence. Par cette recherche, notre objectif était d’étudier l’influence des compétences de l’artisan sur la pérennisation de sa TPE. Nos résultats montrent que le lien entre compétence et pérennisation est déterminant dans la réussite de cet objectif. Ils montrent également que la pérennisation repose sur un équilibre particulier où certaines composantes de l’approche combinatoire ont un rôle plus important que d’autres. Nous proposons donc d’enrichir le concept de pérennité organisationnelle avec le cas de l’artisan et de montrer l’intérêt d’étudier ses compétences afin de mieux comprendre son rapport au métier et l’impact qu’il a sur ses choix et le design de son entreprise. Ainsi, ce travail permet de soulever plusieurs points de discussion.
82Nous offrons tout d’abord une contribution théorique au concept de compétence en TPE. Nous insistons sur l’importance d’une approche par les compétences afin de mieux comprendre comment certains métiers sont confrontés à des évolutions sectorielles et la manière dont ils y font face. En analysant le métier de l’artisan, nous contribuons aux travaux qui portent sur ses compétences et montrent comment elles engagent la réussite ou l’échec de l’entreprise (Loup, Bravo et Rakotovahiny 2011 ; Loup et Rakotovahiny, 2010 ; Polge et Loup, 2004 ; Fourcade et Polge, 2006a, 2006b, 2007 ; Polge, 2008, Siméoni, 1999, 2004). Barbot-Grizzo, (2012) souligne que l’artisan prédétermine son entreprise à partir de ses propres qualités, de son histoire et de son expérience. Siméoni (1999) montre que le savoir-faire de l’artisan influence la structuration de l’entreprise mais aussi sa culture. Dès lors, son travail de créativité suppose de faire preuve de compétences particulières pour gérer son activité compte tenu d’un environnement de plus en plus changeant (PARADAS et POLGE, 2010). Ainsi, l’artisan n’est plus seulement caractérisé par cette image d’homme de métier au savoir-faire spécifique (Mazaud, 2012). Nous constatons que les artisans opèrent un savant mélange entre des compétences techniques sources pour certains d’un avantage concurrentiel et des compétences managériales (réseau, gestion, délégation…). Ces dernières, loin d’être inexistantes ou délaissées, sont dans certains cas (Bij, Mfer) au service des compétences techniques pour les valoriser (avec le réseau) ou les améliorer (en déléguant). Même l’artisan « Boul » qui semble peu concerné par la gestion de l’entreprise, développe des compétences managériales en déléguant des tâches ou en développant son réseau. Dans un autre cas (Elec), nous constatons le rapport inverse où les compétences managériales sur le pilotage de l’entreprise seront valorisées alors que les compétences techniques et de gestion seront déléguées. Ce constat se rapproche du travail de Reyes (2016, 2015) sur le métier de pharmacien titulaire d’officine. Il montre comment ce professionnel lors de sa pratique quotidienne cherche un équilibre entre des compétences managériales et techniques pour faire face à un environnement durci par les réformes des pouvoirs publics. La dimension métier est alors essentielle pour comprendre les mutations du secteur et la manière dont ce professionnel les aborde. Notre travail s’inscrit dans cette continuité avec le cas de l’artisan tout en apportant une lecture complémentaire grâce à l’approche combinatoire de Le Boterf (2005, 2013). En effet, l’étude des compétences individuelles de l’artisan est essentielle pour comprendre son rapport au métier mais comme c’est un acteur qui s’illustre avant tout par une pratique professionnelle, l’approche combinatoire permet de révéler toutes les subtilités de l’articulation des compétences multiples de l’artisan. En étudiant ces quatre artisans, nous avons constaté comment les compétences sont avant tout au service de l’action (agir). Par exemple avec « Mfer », s’il développe une compétence technique spécifique, c’est avant tout pour « agir » sur son environnement trop concurrentiel en se démarquant de ses confrères avec son expertise. Il combine cette compétence avec des compétences managériales en gérant son réseau de ressources ou en délégant des tâches. Ainsi, dans ce travail agir avec compétence illustre des actes avec la poursuite d’un but spécifique. Cela nous invite à considérer qu’en TPE le concept de compétence peut être entendu avec moins d’artefacts notamment par rapport aux travaux sur des référentiels dont l’objectif est de valider une série de compétences nécessaires aux qualités d’entrepreneur par exemple (Loué et Majdouline, 2015). Le Boterf (2013) insiste sur la capacité d’ajustement de l’individu à la situation professionnelle qui se présente. Selon nous, cette construction originale (au sens de Dejoux, 2001) ne saurait en TPE s’enfermer dans un référentiel au vu des contingences qu’elle nécessite. Une analyse par les différentes manières d’agir avec compétence montre comment l’artisan développe un ensemble de compétences combinées qui dépassent la détention d’un savoir-faire. En ce sens, les travaux de Le Boterf (2002, 2005, 2013) proposent une analyse de la compétence particulièrement pertinente pour l’artisan car il multiplie les rôles au sein de sa TPE (diriger, concevoir, fabriquer…). Il doit alors opérer des ajustements quotidiens par rapport à son environnement en fonction de sa capacité à combiner de manière originale des ressources ordinaires. L’articulation entre savoir-agir, vouloir-agir et pouvoir-agir chez les quatre artisans étudiés montre cette capacité. Elle révèle également l’importance du pouvoir-agir comme variable d’ajustement pour combiner les compétences techniques et managériales. Le pouvoir-agir correspond selon Le Boterf (2002) à des moyens à mettre en place. Chez les artisans étudiés, ces moyens se caractérisent par une capacité à déléguer et le développement d’un réseau relationnel. Ainsi, la compétence de l’artisan ne relève pas uniquement d’un savoir-faire même s’il est essentiel dans la définition de ce métier (Siméoni, 1999 ; Mazaud, 2012). Comme le montre le pouvoir-agir, l’artisan est capable de développer des compétences entrepreneuriales qui apparaissent déterminantes dans sa capacité à pérenniser sa TPE.
83Le deuxième point de discussion porte sur le concept de pérennisation organisationnelle et son lien avec les compétences du dirigeant. Les travaux qui s’y consacrent montrent que pour durer une entreprise est confrontée à la nécessité d’associer continuité du système et changement afin de s’adapter aux mutations de l’environnement (Mignon, 2009, 2013 ; Dumez, 2009 ; Benghozi, 2009). Ce dilemme entre exploitation/exploration rend difficile la pérennisation. Il faut alors rechercher un équilibre entre les deux pour permettre la pérennité organisationnelle (Mignon, 2013). Or, chez l’artisan, les recherches insistent sur la continuité comme étant au cœur du système de valeur à l’image de la transmission du métier par l’apprentissage. Picard (2009a) en traitant du système identitaire de l’artisan indique que celui-ci est construit notamment sur une symbolique développée lors de la relation maître/apprenti. C’est donc la compétence technique qui est mise en valeur. Elle est source de continuité des systèmes et des valeurs. Cependant, elle rend l’équilibre difficile. Dès lors, pour s’adapter aux évolutions de leur environnement les artisans étudiés développent des compétences managériales. L’artisan « Elec » par exemple misera en priorité sur ses compétences managériales pour saisir des opportunités de développement pour son activité quitte à déléguer des compétences techniques pour se libérer du temps. La recherche de pérennité est poursuivie dans ce cas de figure en mobilisant des compétences managériales permettant un changement par adaptation. Mais là encore l’équilibre n’est pas évident. Une première lecture des cas semble montrer que les compétences techniques de l’artisan sont au service de la continuité alors que les compétences managériales sont plutôt au service du changement en leur permettant l’adaptation. Pourtant, le point d’équilibre requis entre changement et continuité (Mignon, 2013) pour qu’il y ait pérennité organisationnelle semble fragile. En utilisant l’approche combinatoire des compétences individuelles de l’artisan, nous proposons une lecture plus précise de cet équilibre. En effet, c’est en appliquant la grille de lecture de Le Boterf (2002, 2005, 2013) pour agir avec compétence où trois composants sont requis (savoir-agir, vouloir-agir, pouvoir-agir), que nous découvrons comment ces artisans réussissent à maintenir un équilibre pour pérenniser leur entreprise. C’est par le pouvoir-agir caractérisé par des moyens à mettre en place que l’artisan gère la contradiction entre changement et continuité. C’est donc essentiellement par une compétence entrepreneuriale (au sens de Chandler et Jansen, 1992) avec la capacité à créer et gérer un réseau d’affaires que les quatre artisans étudiés réussissent à maintenir leur activité. Par ailleurs, la délégation est aussi très importante pour les quatre artisans pour s’affranchir des compétences qu’ils ne souhaitent pas mobiliser qu’elles soient techniques ou managériales. Selon Chandler et Jansen (1992), cette délégation relève davantage d’une compétence de gestion.
84Ainsi, nos résultats montrent que ce n’est pas un équilibre entre compétences managériales et compétences techniques qui permet la pérennité organisationnelle de l’entreprise artisanale mais l’association de trois composants (savoir-agir, vouloir-agir et pouvoir-agir). Le pouvoir-agir reste, selon nous, l’élément essentiel car c’est la variable d’ajustement. Cependant, l’approche est combinatoire et les deux autres composants sont requis. En somme, pour pérenniser son entreprise, l’artisan doit agir avec compétence. Notre contribution au concept de pérennité organisationnelle confirme que l’équilibre est difficile entre changement et continuité. Nous montrons alors que c’est grâce à la capacité de l’artisan d’agir avec compétence que l’entreprise sera pérenne.
Conclusion
85L’objectif de ce travail a été d’analyser le lien entre les compétences individuelles de l’artisan et la pérennisation de sa TPE. Nous constatons effectivement une influence sur la pérennisation de la TPE en fonction des compétences individuelles de l’artisan, comme certains auteurs l’ont déjà évoqué (Paradas et Polge 2010). Cependant, nous ajoutons que cette pérennisation ne se limite pas à une association entre des compétences techniques et managériales. C’est une combinaison de trois composants (savoir-agir, vouloir-agir et pouvoir-agir) qui permet de pérenniser les entreprises dans les quatre cas étudiés. Sans remettre en cause l’intérêt d’un référentiel des compétences individuelles de l’artisan, ce travail en relativise l’impact en considérant, comme pour les recherches sur les traits de caractère du dirigeant, que la combinaison des compétences individuelles est différente d’un artisan à un autre et permet certaines trajectoires à la TPE. Par ailleurs, nous constatons que la compétence entrepreneuriale au travers de la création et de la gestion d’un réseau d’affaires est de plus en plus un prérequis pour un artisan évoluant dans un environnement changeant. Il est difficile de capitaliser uniquement sur son savoir-faire. La combinaison est plus complexe. Enfin, au travers de l’étude des compétences individuelles de l’artisan, nous analysons sa pratique professionnelle et montrons comment elle permet d’expliquer son comportement, la manière de se définir et d’expliquer ses choix stratégiques pour pérenniser son entreprise.
86L’intérêt managérial de cette recherche est d’apporter un nouveau regard sur la pérennisation des TPE artisanales qui, contrairement à certaines idées reçues, ne se concentre pas uniquement sur le savoir-faire de l’artisan. Le développement des compétences managériales est important (Mazaud, 2012), même si les compétences techniques peuvent être au centre de la pérennisation de l’activité. En traitant les compétences par l’analyse du processus combinatoire (savoir-agir, vouloir-agir, pouvoir-agir), la question des compétences multiples de l’artisan apparaît plus claire. En tenant compte de la situation professionnelle, cette grille de lecture est très riche pour comprendre « l’artisan d’aujourd’hui ». Qu’il soit l’homme de métier inscrit dans différents collectifs au service de son installation et du maintien de son activité ou un reconverti qui a suivi d’autres cadres socialisateurs (Mazaud, 2015), l’approche combinatoire permet une analyse approfondie de sa pratique. D’ailleurs, ces reconvertis que Mazaud (2015, p. 69) nomme néo-artisans vont pour certains participer aux tâches productrices alors que d’autres les délèguent. Dans les deux cas, l’analyse par le processus combinatoire (savoir-agir, pouvoir-agir, vouloir-agir) permet de déterminer précisément quels types de compétences sont mobilisés, comment elles se combinent et quelle influence elles entraînent sur la pérennisation de l’entreprise. L’intérêt est donc de se focaliser davantage sur « l’agir » que sur un référentiel pour comprendre la compétence en situation.
87Cependant, ces résultats doivent être entendus par rapport aux limites de cette étude. Compte tenu de la démarche compréhensive de ce travail, nous avons privilégié une approche qualitative afin de favoriser une analyse en profondeur et non leur représentativité. Nous avons choisi quatre cas symptomatiques des stratégies suivies pour pérenniser l’activité. Il conviendra de continuer à approfondir la comparaison en intégrant d’autres paramètres comme les traits de caractère de l’artisan ou encore de réaliser une étude comparée entre artisan de métier et reconverti.
Bibliographie
- ARLOTTO, J., CYR, A., MEIER, O., PACITTO, J.-C. (2011). Très petite entreprise et croissance : à la découverte d’un continent inexploré. Management & Avenir, 43, 16-36.
- BALDWIN, J.R., GOREKI, P.K. (1991). Firm entry and exit in the Canadian manufacturing sector, 1970-1982. The Canadian Journal of Economics, 24(2), 300-323.
- BARBOT-GRIZZO, M.C. (2012). Gestion et anticipation de la transmission des TPE artisanales : vers une démarche pro-active du dirigeant propriétaire. Management & Avenir, 52, 35-56.
- BARDIN, L. (2003). L’analyse de contenu. Paris : PUF.
- BARON, R.A. (1998). Cognitive mechanims in entrepreneurship. Why and when entrepreneurs think differently than other people. Journal of Business Venturing, 13(4), 275-294.
- BAYAD, M., GALLAIS, M., MARLIN, X., SCHMITT, C. (2010). Entrepreneuriat et TPE : la problématique de l’accompagnement. Management&Avenir, 40, 116-140.
- BAYAD, M., BOUGHAYTAS, Y., SCHMITT, C. (2006). Le métier de l’entrepreneur : le processus d’acquisition de compétences. 8e Congrès International Francophone en Entrepreneuriat et PME, CIFEPME.
- BENGHOZI, P.J. (2009). La pérennité : un lest ou un gyroscope pour l’entreprise ? Revue française de gestion, 192, 177-181.
- BERTAUX, D. (2010). L’enquête et ses méthodes : le récit de vie. Paris : Armand Colin.
- BLANCHET, A., GOTMAN, A. (1992). L’enquête et ses méthodes : l’entretien. Paris : Nathan.
- BOYER, L. (2002). Le devenir des métiers. Revue française de gestion, 140, 151-168.
- BOULET, M., PICARD, C. (2004). Quelle reprise pour quels artisanats ? Vers une approche identitaire de la transmission dans l’artisanat. Actes du Colloque GESEM « Transmission d’entreprise : état des lieux et perspectives », novembre, Montpellier, p. 73.
- BOUGHATTAS, Y. (2011). Les compétences de l’entrepreneur : définitions, démarche d’évaluation et facteurs de développement. Thèse de doctorat, Université Nancy 2.
- BOUTILLER, S., FOURNIER, C. (2009). Les divers modes de développement. In S. Boutiller, M. David, C. Fournier (dir.), Traité de l’Artisanat et de la petite entreprise (livre 3, chapitre 2, pp. 309-312). Paris : Educaweb.
- BROCKHAUS, R.H., HORWITZ, P.S. (1986). The psychology of the entrepreneur. In D.L. Sexton, R.W. Smilor (Eds.), The art and science of entrepreneurship (pp. 25-48). Cambridge, MA: Ballinger.
- BRENET, P., SCHIEB-BIENFAIT, N., AUTIER, J. (2017). Concevoir un référentiel de compétences pour les étudiants entrepreneurs : la démarche PEPITE. Entreprendre & Innover, 33(2), 29-43.
- CHABAUD, D., DEGEORGE J.-M. (2016). Croître ou ne pas croître : une question de dirigeant ? Entreprendre & Innover, 28, 18-27.
- CHANDLER, G.N., JANSEN, E. (1992). The founder’s self-assessed competence and venture performance. Journal of Business Venturing, 7, 223-236.
- COGNIE, F. (2009). L’artisan et son marché-Un marché socialisateur. In S. Boutiller, M. David, C. Fournier (dir.), Traité de l’Artisanat et de la petite entreprise (livre 7, chapitre 3, pp. 573-586). Paris : Educaweb.
- DEJOUX, C. (2001). Les compétences au cœur de l’entreprise. Paris : Éditions d’Organisation.
- DELMAR, F., WIKLUND, J. (2008). The Effect of Small Business Managers’ Growth Motivation on Firm Growth: A Longitudinal Study. Entrepreneurship Theory & Practice, 32(3), 437-457.
- DJOUTSA WAMBA, L., HIKKEROVA, L. (2014). L’entrepreneur : un input non négligeable pour la pérennité de son entreprise. Gestion 2000, 31(4), 111-131.
- DUMEZ, H. (2009). Identité, performance et pérennité organisationnelle. Revue française de gestion, 192, 91-94.
- DUMEZ, H. (2013). Qu’est-ce que la recherche qualitative ? Problèmes épistémologiques, méthodologiques et de théorisation. Gérer et comprendre, 112, 29-42.
- DUPERRAY, P. (2012). Comment les dirigeants de petite structure se représentent-ils le développement de leur affaire ? Humanisme et entreprise, 307(2), 29-48.
- ELIDRISSI, D., HAUCH, V., LOUFRANI-FEDIDA, S. (2017). La dynamique des compétences relationnelles dans le développement des entreprises à internationalisation rapide et précoce : une approche multi-niveaux, Revue internationale PME, 30(1), 85-119.
- FILION, L.J. (1997). Le métier d’entrepreneur. Revue Organisation, 6(Aut.), 29-45.
- FILION, L.J. (2007). Management des PME, de la création à la croissance. Montréal : Pearson Education.
- FONROUGE, C. (2002). L’entrepreneur et son entreprise : une relation dialogique. Revue française de gestion, 138, 145-158.
- FOURCADE, C. POLGE M. (2006a). Le développement de l’entreprise artisanale comme vecteur d’innovation. Humanisme et entreprise, 280, 25-41.
- FOURCADE, C., POLGE, M. (2006b). Diversité des TPE de métier : entre tradition et modernité. Revue internationale P.M.E., 19(3-4), 7-11.
- FOURCADE, C., POLGE, M. (2007). Le développement incrémental de l’entreprise artisanale : des innovations dans la tradition. AIMS, Atelier Innovation et Tradition, Angers.
- FOURCADE, C., POLGE, M. (2008). Sur les parcours de la démarche innovante : pour une approche prospective et personnalisée. Annales 2008-2009, Réseau Artisanat-Université®.
- GARFINKEL, H. (2007). Recherches en ethnométhodologie. Paris : PUF.
- GARTNER, W.B. (1988). Who is an entrepreneur? Is the wrong question. American Journal of Small Business, Spring, 11-32.
- GAVARD-PERRET, M.-L., GOTTELAND, D., HAON, C., JOLIBERT, A. (2011). Méthodologie de la recherche : réussir son mémoire ou sa thèse en sciences de gestion. Paris : Pearson.
- GILBERT, P., PARLIER, M. (1992). La gestion des compétences, au-delà des discours et des outils, un guide pour l’action des DRH. Personnel, 330, 43-47.
- GLASER B.G., STRAUSS, A. (1999). The discovery of grounded theory. Chicago: Aldine Transaction.
- HERRON, L.A., ROBINSON, R.B. (1993). A structural model of the effects of entrepreneurial characteristics on venture performance. Journal of Business Venturing, 8, 281-294.
- HLADY-RISPAL, M. (2002). La méthode des cas : application à la recherche en gestion. Bruxelles : De Boeck.
- JAEGER, C. (2009). L’artisanat des territoires mouvants pour des choix personnels. In S. Boutiller, M. David, C. Fournier (dir.), Traité de l’Artisanat et de la petite entreprise (livre 2, chapitre 1, pp. 149-162). Paris : Educaweb.
- JAOUEN, A. (2006). Les stratégies d’alliances des TPE artisanales. Revue internationale P.M.E., 19(3-4), 111-136.
- JODELET, D. (2003). Les représentations sociales (7e éd.). Paris : PUF, coll. « Sociologie d’aujourd’hui ».
- JOURDAIN, A. (2016). L’héritier, l’ancien ouvrier et la reconvertie : analyse des différents types de logiques entrepreneuriales parmi les artisans d’art. Revue de l’entrepreneuriat, 15(3-4), 257-281.
- JULIEN, P.A. (2005). Entrepreneuriat régional et économie de la connaissance. Une métaphore des romans policiers. Québec : Presses universitaires du Québec.
- JULIEN, P.A., MARCHESNAY, M. (1987). La petite entreprise : principes d’économie et de gestion. Paris : Vuibert Gestion.
- LE BOTERF, G. (2002). Ingénierie et évaluation des compétences (4e éd.). Paris : Éditions d’Organisation.
- LE BOTERF G. (2005). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris : Éditions d’Organisation.
- LE BOTERF, G. (2013). Construire les compétences individuelles et collectives. Paris : Eyrolles.
- LEISSLE, K. (2017). Artisan as Brand: Adding Value In A Craft Chocolate Community. Food, Culture & Society, 20(1), 37-57.
- LEYRONAS, C., LOUP, S. (2015). Le développement des compétences entrepreneuriales lors de la préincubation des projets étudiants. Entreprendre & Innover, 26(3), 8-17.
- Loué, C, Majdouline, I (2015). Les compétences de l’entrepreneur marocain : validation quantitative d’un référentiel. Revue internationale PME, 28(2), 159-189.
- Loué, C., Laviolette, E-M., Bonnafous-Boucher, M. (2008). L’entrepreneur à l’épreuve de ses compétences : éléments de construction d’un référentiel en situation d’incubation. Revue de l’entrepreneuriat, 7(1), 63-83.
- LOUP, S., RAKOTOVAHINY, M.A. (2010). Protection et valorisation de la créativité artisanale. Management & Avenir, 40(10), 100-115.
- LOUP, S., Bravo, K., RAKOTOVAHINY, M.A. (2011). Peut-on entreprendre dans l’artisanat sans être artisan ? Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation. Paris : Octobre.
- MARCHESNAY, M. (2002). Pour une approche entrepreneuriale de la dynamique ressources-compétences. Essai de praxéologie. Éditions de l’ADREG, www.editions-adreg.net.
- MARCHESNAY, M. (1991). La PME : une gestion spécifique. Économie rurale, 206(1), 11-17.
- MAZAUD, C. (2015). Trajectoires d’artisans d’hier et d’aujourd’hui. Marché et organisations, 24(3), 55-77.
- MAZAUD, C. (2012). Artisan, de l’homme de métier au gestionnaire ?, Travail et Emploi, 130, 9-20.
- MCCLELLAND, D. (1961). The achieving society. Princeton, NJ: Van Nostrand.
- MARCH, J.G. (1991). Exploration and Exploitation in Organizational Learning. Organization Science, 2(1), 71-87.
- MIGNON, S. (2013). Pilotage de la pérennité organisationnelle : normes, représentations et contrôle. Paris : EMS.
- MIGNON, S. (2009). La pérennité organisationnelle. Un cadre d’analyse : introduction. Revue française de gestion, 192, 73-89.
- MIGNON, S. (2001). Stratégie de pérennité d’entreprise. Paris : Vuibert.
- MILES M., HUBERMAN M. (2003). Analyse des données qualitatives : recueil de nouvelles méthodes. Bruxelles : De Boeck.
- PARADAS, A. (2010). Intérêts et modalités de l’utilisation de la cartographie cognitive dans les petites entreprises. Management & Avenir, 30, 242-257.
- PARADAS, A., POLGE, M. (2010). Diversité des sources de changements d’une entreprise artisanale dans une perspective cognitiviste. Management & Avenir, 38, 215-239.
- PICARD, C. (2009a). La représentation identitaire de la TPE artisanale. In S. Boutiller, M. David, C. Fournier (dir.), Traité de l’Artisanat et de la petite entreprise (livre 1, chapitre 1, pp. 28-38). Paris : Educaweb.
- PICARD, C. (2009b). Continuité et rupture lors de la reprise dans l’artisanat : pour une lecture identitaire du processus., Revue internationale P.M.E., 22(3-4), 57-82.
- PICARD, C. (2006). La représentation identitaire de la TPE artisanale. Revue internationale PME, 19(3-4), 13-49.
- PICQUENARD, L. (2018). Le rôle des compétences du propriétaire dirigeant artisan dans la construction de la pérennité organisationnelle. Thèse soutenue à l’Université de Poitiers.
- POLGE, M., LOUP, S. (2004) Le dirigeant-artisan, un développement par des stratégies individuelles et collectives : illustration par une étude de cas. Congrès International Francophone de l’Entrepreneuriat et de la PME. Montpellier : Octobre.
- POLGE, M. (2010). Diversité des compétences stratégiques des dirigeants-artisans. Éducation permanente, 182, 165-179.
- POLGE, M. (2008). Les stratégies entrepreneuriales de développement. Le cas de l’entreprise artisanale. Revue française de gestion, 185, 125-140.
- REIJONEN, I., KOMPPULA, R. (2007). Perception of Success and its Effect on a Small Firm Performance. Journal of Small Business and Enterprise Developpement, 14(4), 689-701.
- REYES, G. (2016). Gestionnaire d’un commerce de détail et professionnel du médicament : deux rôles, une tension ? Management & Avenir, 87, 103-124.
- REYES, G. (2015). Identité professionnelle du pharmacien et design organisationnel de la pharmacie. Revue française de gestion, 248, 77-92.
- RICHOMME-HUET, K. (2006). Une interprétation des stratégies artisanales à partir des trajectoires personnelles dans le secteur des métiers. Revue internationale PME, 19(3-4), 51-76.
- ROSA, P., HALE, R. (1990). Hale the craft ideology as a barrier. Piccola Impresa/Small Business, 1, 27-45.
- SCHMITT, C. (2003). De la formation à l’entrepreneuriat à la formation en entrepreneuriat. In Grand Atelier MCX-APC, La formation au défi de la Complexité : interroger et modéliser les interventions de formation en situations complexes. Lille, septembre.
- SEXTON, D.L., BOWMAN, N. (1985). The entrepreneur: a capable executive and more. Journal of Business Venturing, 1(1), 129-140.
- SHAVER, K.G., SCOTT L. (1991). Person, Process, Choice: The Psychology of New Venture Creation. Entrepreneurship Theory and Practice, 16(2), 23-45.
- SIMÉONI, M. (1999). La stratégie de l’artisan. Une étude de sa genèse et de son élaboration par l’analyse du savoir-faire. Thèse de doctorat. Corte.
- STEVENSON, H.H., JARILLO, J.C. (1990). A paradigm of entrepreneurship : entrepreneurial management. Strategic Management Journal, 11, 17-27.
- STRAUSS A., CORBIN J. (1998). Basics of qualitative research (2nd ed.). Thousand Oaks, CA: Sage Publication.
- TABLEAU ÉCONOMIQUE DE L’ARTISANAT (2019). Artisanat rural et artisanat urbain. Études et recherches de l’Institut supérieur des métiers (mars 2019). (http://ism.infometiers.org/ISM/Tableaux-de-bord-de-l-artisanat/Tableau-economique).
- THEVENARD-PUTHOD, C., PICARD, C. (2013). L’influence du profil du dirigeant sur le nombre et la forme des réseaux interentreprises dans l’artisanat. Revue internationale P.M.E., 26(3-4), 187-212.
- TORRES, O. (2009). La recherche en PME an V.I.T.R.I.O.L. Économies et Sociétés, série Économie de l’entreprise, 20(2), 343-362.
- VERSTREATE, T. (1999). Entrepreneuriat : connaître l’entrepreneur, comprendre ses actes. Paris : L’Harmattan.
- YIN, R.K. (2008). Case study research: design and methods. Malden: Sage publications.
- ZARCA, B. (1988). Identité de métier et identité artisanale. Revue française de sociologie, 29(2), 247-273.