Notes
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[1]
Les auteurs remercient les rédacteurs en chef et les évaluateurs pour la qualité de leurs commentaires et de leurs suggestions qui ont contribué à l’évolution et à l’amélioration de cet article.
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[2]
Davidsson (1989) emploie la notion de conséquences attendues.
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[3]
Il convient de préciser que deux cas atypiques n’ont pas été retenus dans l’analyse. Le dirigeant de la PME 26, qui s’est concentré sur la direction nationale d’un réseau de dirigeants et qui a mis entre parenthèses la croissance de son entreprise. Le dirigeant de la PME 14, directeur d’une filiale, dont la volonté est soumise à celle de l’actionnaire.
1De nombreuses études montrent que tous les entrepreneurs n’optent pas nécessairement pour la croissance de leur entreprise. Face à ce constat, les recherches en entrepreneuriat portent une attention accrue au rôle joué par l’Intention de Croissance (IC) des entrepreneurs (Davidsson, 1989 ; Kolvereid, 1992 ; Wiklund et al., 2003 ; Delmar et Wiklund, 2008). Les conclusions de ces travaux soulignent deux aspects de l’IC particulièrement importants. Tout d’abord, l’IC recouvre différents degrés d’intensité. Une majorité d’entrepreneurs privilégient un développement modéré tandis que d’autres, plus exceptionnellement, choisissent expressément une croissance forte (Gilbert et al., 2006, p. 929 ; McKelvie et Wiklund, 2010, p. 268). En outre, lorsque cette intention est substantiellement présente chez les entrepreneurs, son rôle est déterminant pour la croissance effective de l’entreprise (Levie et Autio, 2013 ; Ben-Hafaïed et Hamelin, 2015). L’impact économique de l’IC des entrepreneurs étant donc réel, la compréhension des mécanismes de l’IC devient une urgence et un défi pour les sciences de gestion. Cet enjeu est d’autant plus important que le contexte est marqué par une très forte attente des décideurs publics et économiques envers la croissance des PME, jugée favorable à l’emploi.
2Les travaux conduits sur l’IC visent principalement l’identification des raisons pour lesquelles certains entrepreneurs, plus que d’autres, recherchent la croissance. Dans cette perspective, les recherches adoptent une démarche constituée de deux étapes complémentaires. La première mesure le degré d’IC. Cette étape évalue si, oui ou non, dans quelles mesures et dans quelles proportions, les entrepreneurs recherchent la croissance (Davidsson, 1989 ; Kolvereid, 1992 ; Wiklund et al., 2003). La seconde étape analyse les déterminants de l’IC. Elle étudie les effets de variables telles que l’éducation, l’expérience et les motivations de l’entrepreneur au regard des différents degrés d’IC exprimés. Les connaissances accumulées montrent, par exemple, que l’IC peut être motivée par des gains financiers (Davidsson, 1989 ; Cassar, 2007), un besoin d’accomplissement (Kolvereid, 1992), mais être inhibée par la volonté de l’entrepreneur de préserver le contrôle sur l’ensemble de ses activités (Davidsson, 1989).
3Malgré l’intérêt de ces recherches, plusieurs limites ont été identifiées par les auteurs, qui suggèrent de faire progresser les connaissances sur l’IC autour de deux pistes principales.
4Ils proposent premièrement de dépasser les approches d’évaluation et de mesure de l’IC par une concentration accrue sur ses diverses modalités et sa dynamique d’évolution. L’emploi de projections de chiffre d’affaires, d’effectif, ou de tout autre indicateur de croissance, ne constitue en effet qu’une approche conceptuelle statique et réduite à un nombre restreint de dimensions pour définir et éclairer les multiples facettes de l’IC (Achtenhagen et al., 2010, p. 308). Or l’intention de croître d’un entrepreneur peut changer au fil des événements, se transformer suivant les expériences vécues et se réorienter au contact de nouvelles opportunités (Dutta et Thornhill, 2008). En conséquence, une première voie d’approfondissement de l’IC consiste à mieux capturer ces dynamiques et à mettre en lumière l’ensemble des modalités et des évolutions constitutives de la notion.
5De même, certains auteurs proposent une seconde piste et incitent à approfondir l’étude des déterminants de l’IC par une exploration du rôle joué par les croyances. En effet, peu de recherches analysent les variables déterminantes de l’IC sous l’angle des croyances (Wiklund et al., 2003 ; Wright et Stigliani, 2013, p. 7). Pourtant, au regard des approches mobilisées dans le champ de l’entrepreneuriat, notamment de la Théorie des Comportements Planifiés (TCP) (Ajzen, 1991), les croyances jouent un rôle prépondérant dans le processus d’adoption des comportements, puisqu’elles constituent les éléments fondateurs et structurants de l’intention individuelle qui produit l’action. Devant ce constat, cette seconde piste identifiée porte sur l’analyse des croyances qui déclenchent, restreignent, ou inhibent l’IC. Cette perspective est particulièrement stimulante sur le plan des implications managériales, puisque c’est fondamentalement au niveau des croyances que se situent les possibilités de modifier et de renforcer les intentions individuelles (Fishbein et Ajzen, 2010).
6Notre recherche, qui prolonge ces deux pistes, propose une analyse en profondeur de l’IC. Dans cette perspective, nous avons rencontré des entrepreneurs expérimentés pour identifier les différentes modalités de l’IC et pour analyser, en prenant appui sur le protocole de recherche formative de la TCP, les croyances, et la nature des croyances, qui sont à l’origine de ces diverses modalités intentionnelles.
7L’analyse conduite dans le cadre de cette recherche met en évidence plusieurs apports. Un cadre intégrateur de la notion d’IC est d’abord développé, à l’aune de la littérature puis empiriquement, à partir d’une distinction sémantique qui est établie entre Intention de Croissance Effective (ICE), Non-Intention de Croissance (NIC) et Intention de Non-Croissance (INC). Ce cadre permet d’appréhender l’ensemble des modalités et des nuances de l’IC. Ensuite, le dispositif qualitatif mobilisé souligne l’asymétrie et l’hétérogénéité des croyances à l’origine des diverses modalités de l’IC identifiées. L’ICE, la NIC et l’INC sont influencées par des croyances qui agissent séparément, reflètent des concepts distincts plutôt qu’opposés et qui sont non mutuellement exclusives. Cette asymétrie et cette hétérogénéité des croyances expliquent que certains entrepreneurs puissent être passionnés par la croissance, mais uniquement jusqu’à un certain stade à partir duquel une autre modalité de l’IC est préférée, stimulée par des croyances d’une autre nature. Ces résultats, mis en perspective avec les débats publics, insistent sur la nécessité de dépasser la vision d’une action exclusivement centrée sur la réticence des entrepreneurs à la croissance. Ils suggèrent de développer des dispositifs de soutien différenciés mieux ciblés sur chacune des trois modalités de l’IC identifiées et sur les systèmes de croyances qui leur sont associés.
8La première partie de l’article propose un état des lieux des recherches sur l’IC. Une seconde étape présente le cadre théorique, qui souligne l’importance des croyances dans le cadre de la TCP. Après une description de la méthodologie employée, les résultats sont exposés dans une quatrième partie. L’article se conclut par une discussion finale qui expose les implications théoriques et managériales de la recherche.
1 – Les modalités et les déterminants de l’intention de croissance
9Après une présentation des différentes modalités et des déterminants de l’intention de croissance recensés dans la littérature, l’accent est mis, en synthèse, sur l’enjeu de l’étude des croyances pour améliorer la compréhension de l’IC.
1.1 – Pour un triptyque de l’Intention de Croissance (IC)
10La croissance d’une entreprise n’est pas exclusivement liée à des forces externes, mais est aussi affaire de volonté individuelle (Penrose, 1959 ; Davidsson et al., 2010). Sur ce plan, les recherches montrent une forte diversité dans les ambitions des entrepreneurs envers la croissance (Gilbert et al., 2006, p. 929 ; McKelvie et Wiklund, 2010, p. 268). Afin de distinguer des catégories dans cette hétérogénéité, l’analyse des travaux qui s’intéressent à l’IC nous conduit à recenser et à proposer trois modalités principales de l’IC : l’Intention de Croissance Effective (ICE), la Non-Intention de Croissance (NIC) et l’Intention de Non-Croissance (INC).
1.1.1 – L’Intention de Croissance Effective (ICE)
11L’intention de faire croître son entreprise est une caractéristique essentielle d’un comportement entrepreneurial (Sadler-Smith et al., 2003 ; Dutta et Thornhill, 2008). Or l’ICE n’est pas une disposition d’esprit qui se rencontre de façon généralisée. Parmi un échantillon de 242 entrepreneurs norvégiens, Kolvereid (1992) en identifie seulement 35 % qui recherchent fortement la croissance. À un niveau européen et sur un échantillon de 483 entrepreneurs, Chabaud (2013) montre également que seulement 19 % d’entre eux souhaitent développer leur entreprise le plus possible. Un constat analogue sur le faible degré d’ICE des entrepreneurs est établi dans d’autres régions du monde, ce qui est souligné dans différents travaux (GEM Global Report, 2016-2017 ; Levie et Autio, 2013). Dans ce contexte, la relative rareté de l’ICE a aiguisé la curiosité des chercheurs, qui ont tenté d’en comprendre les déterminants, en se concentrant prioritairement sur les caractéristiques individuelles de l’entrepreneur.
12En premier lieu et à la suite des travaux précurseurs de Davidsson (1989), l’ICE est analysée à partir des attentes projetées par l’entrepreneur sur les conséquences de la croissance. En accord avec les théories économiques, certaines recherches montrent d’abord que l’ICE est liée aux gains financiers que l’entrepreneur espère de la croissance (Davidsson, 1989 ; Cassar, 2007). D’autres travaux relativisent le poids de cette dimension purement économique et insistent plutôt sur l’influence des attentes non économiques pour expliquer l’ICE. En particulier, Wiklund et al. (2003) identifient la volonté de préserver une bonne atmosphère de travail et d’accroître le bien-être des salariés en tant que facteur influençant l’ICE. Un autre déterminant de l’ICE est identifié dans la volonté d’indépendance de l’entrepreneur vis-à-vis des diverses parties prenantes de l’entreprise. Selon Davidsson (1989), la croissance est perçue par l’entrepreneur comme un moyen de réduire sa dépendance face aux acteurs externes de l’entreprise et la perspective d’être moins lié aux clients, aux fournisseurs, aux investisseurs, stimulerait l’ICE.
13Dans une approche psychologique, les recherches se sont appuyées sur les théories de la motivation, particulièrement en mobilisant les travaux développés par McClelland (1961). Les auteurs montrent une stimulation de l’ICE par le besoin d’accomplissement de l’entrepreneur, la notion reflétant le fait de surmonter les problèmes, de continuer à apprendre ou de développer des idées innovantes (Davidsson, 1989 ; Kolvereid, 1992 ; Levie et Autio, 2013). Le lien existant entre certains éléments de personnalité et l’ICE, notamment la tolérance au risque (Cassar, 2007 ; Levie et Autio, 2013) et le sentiment d’efficacité personnelle (Baum et Locke, 2004 ; Chabaud et Degeorge, 2015), a également été souligné dans les travaux. Baum et Locke (2004, p. 593) emploient ainsi la terminologie de buts pour évoquer l’ICE et montrent une forte influence du sentiment de confiance et de compétences de l’entrepreneur sur l’ICE.
14Au-delà de ces perspectives motivationnelles et psychologiques, l’ICE a également été étudiée de façon plus pragmatique, à un niveau cognitif et comportemental. Plusieurs auteurs associent l’ICE aux compétences que possèdent les entrepreneurs ambitieux. Pour Gundry et Welsch (2001), ces dirigeants, dans le cas étudié, des entrepreneures, développent une approche très structurée dans l’organisation et le management de leurs affaires. Morrisson et al. (2003) évoquent des entrepreneurs ambitieux très orientés vers la veille du marché, la quête des opportunités et le développement des innovations. Cette capacité d’analyse est également identifiée dans les travaux de Dutta et Thornhill (2008), qui lient l’esprit de planification de l’entrepreneur à la stabilité de l’ICE dans le temps et en dépit des turbulences environnementales.
15Pour conclure sur les déterminants individuels de l’ICE, certaines recherches ont étudié l’effet des variables sociodémographiques sur l’ICE, notamment l’âge, le genre, l’expérience et la formation (Morrisson et al., 2003 ; Davis et Shaver, 2012 ; Levie et Autio, 2013). Dans une méta-analyse conduite sur 39 études, Levie et Autio (2013) indiquent que seules la formation et l’expérience entrepreneuriale influencent l’ICE. Pour ces auteurs, l’âge et le genre, tout comme les expériences industrielles et managériales, n’auraient donc pas d’effet notable sur l’ICE.
1.1.2 – La Non-Intention de Croissance (NIC)
16Une modalité alternative de l’IC se situe dans la Non-Intention de Croissance (NIC). Face à la croissance, certains entrepreneurs ont des aspirations stables et ne souhaitent simplement pas faire croître leur entreprise, quels que soient par ailleurs les indicateurs envisagés, de chiffre d’affaires comme d’effectif (Kolvereid, 1992). Cette apathie envers la croissance a été identifiée dans les travaux qui ont été développés plus haut et qui étudient directement l’IC, mais peut être également observée dans les recherches qui développent des typologies d’entrepreneur et dans les travaux, plus récents, qui évoquent un entrepreneuriat qualifié de « Lifestyle ».
17Pour expliquer la NIC, une première raison évoquée par les auteurs porte sur le choix qu’entretient l’entrepreneur de préserver le contrôle et la pleine maîtrise sur l’ensemble de son entreprise, tant d’un point de vue financier qu’au niveau de ses activités opérationnelles. Cet intérêt marqué par l’entrepreneur pour la préservation du contrôle est observé dans les recherches qui étudient directement l’IC (Davidsson, 1989 ; Wiklund et al., 2003), mais est également identifiable dans les approches typologiques, qui développent la vision d’un entrepreneur artisan peu enclin à l’ouverture de son capital et à la délégation de ses responsabilités et de ses tâches (Lorrain et Dussault, 1988 ; Daval et al., 2002).
18La NIC peut également provenir d’un choix qui est plus assumé, motivé par d’autres buts que la croissance. Dans cette perspective, plusieurs auteurs évoquent l’existence d’un entrepreneur « Lifestyle » (Johannisson, 2004 ; Gomez-Breysse, 2016). Ce type d’entrepreneur se définit prioritairement par une stratégie de vie et une combinaison harmonieuse entre projet personnel et professionnel, qui privilégie l’accomplissement de soi aux motivations pour la croissance (Gomez-Breysse, 2016, p. 232).
19Dans une même optique, certains travaux mettent en évidence deux principales voies pour déterminer les ambitions entrepreneuriales et proposent d’établir une distinction entre un choix de carrière d’indépendance et de croissance (Cassar, 2007 ; Douglas, 2013). Pour ces auteurs, la NIC est fortement associée au besoin d’indépendance de l’entrepreneur, qui préfère l’autonomie que lui confère le choix de se mettre à son propre compte et d’être son propre patron aux contraintes exigeantes de la mise en œuvre d’une trajectoire de croissance.
20Finalement, certains travaux évoquent l’impact de la culture sur la NIC (Kolvereid, 1992 ; Levie et Autio, 2013). Ces recherches suggèrent que certaines cultures seraient plus propices que d’autres à la croissance et mettent en évidence l’influence de la perception de la réussite, qui varie en fonction des pays et qui, par conséquent, peut étouffer l’ambition des entrepreneurs et brider leur intention de croître. À la lecture de Levie et Autio (2013, pp. 26-27), les entrepreneurs britanniques souffriraient ainsi d’un syndrome de « penser petit », qui contraint leur appétence de réussite financière et les empêche d’imaginer des marchés plus fructueux que celui de la niche locale. Ce même syndrome est déjà mis en avant dans l’ancrage culturel des PME françaises développé par Duchéneaut (1996), qui souligne la gestion en bon père de famille des entrepreneurs peu orientés vers l’attrait de la grandeur et de la puissance.
1.1.3 – L’Intention de Non-Croissance (INC)
21Une dernière modalité de l’IC identifiée porte sur l’Intention de Non-Croissance (INC). Nous procédons à cette distinction sémantique pour différencier la NIC, qui reflète plutôt une indifférence et un manque d’attrait pour la croissance, de l’INC, qui traduit plus volontiers une stratégie, consciente et active, d’évitement de l’entrepreneur face à la croissance. Cet évitement ne se décline pas nécessairement en une activité routinière et en une absence de développement dans l’entreprise, mais prend une forme plus complexe, au sein de laquelle plusieurs attributs principaux de la croissance, notamment l’expansion et l’augmentation de taille de l’entreprise, constituent une situation redoutée et pour laquelle d’autres attributs, comme le profit et la valorisation, sont préférés. L’INC ne reflète donc pas une insensibilité totale à l’ensemble des dimensions connexes de la croissance, mais exprime, toutes choses égales par ailleurs, un refus de croissance, surtout lorsque la notion est entendue dans sa conception pionnière penrosienne. En effet, au contraire des travaux récents qui, soulignant l’aspect multidimensionnel de la croissance, assimilent parfois la notion à un développement interne (Weinzimmer et al., 1988 ; Shepherd et Wiklund, 2009 ; Achtenhagen et al., 2010), les travaux fondateurs de Penrose (1955, 1959) insistent explicitement et fortement sur la dynamique d’expansion inhérente à la croissance. Pour l’auteure, la croissance se définit prioritairement et principalement par le processus et la dynamique d’expansion de l’entreprise, qui, sont planifiés, conduisent à une augmentation de la taille de l’entreprise, et sont motivés par une quête de profit sur le long terme. Selon cette conception, l’INC exprime donc un rejet volontaire du processus d’expansion de l’entreprise, qui est identifié dans la littérature sous plusieurs formes.
22Pour Kolvereid (1992, p. 215), il existe ainsi une catégorie d’entrepreneurs orientés vers l’efficience et la productivité, qui refusent la croissance de l’emploi mais tentent de développer leur chiffre d’affaires. Achtenhagen et al. (2010) établissent un constat identique, en montrant que les entrepreneurs recourent à différents moyens pour éviter d’embaucher et préfèrent se consacrer au développement interne et à la valorisation de leur organisation. Selon Girard (2002), les dirigeants de PME choisissent des politiques malthusiennes et privilégient les investissements de productivité aux investissements de capacité, qui imposent des équipes plus nombreuses. Grandclaude et Nobre (2015) identifient plusieurs stratégies d’évitement et montrent qu’une croissance linéaire peut être interrompue par des effets de filialisation et d’externalisation initiés par l’entrepreneur au passage de certains caps d’effectif. Dans la plupart de ces travaux, l’INC s’explique par l’existence de barrières exogènes et notamment par les contraintes relatives au droit du travail (Kolvereid, 1992 ; Morrisson et al., 2003 ; Coad, 2007, p. 42). Ce constat est partagé par ailleurs dans différents contextes internationaux, quels que soient leurs niveaux de protection de l’emploi (Schivardi et Torrini, 2008 ; Levie et Autio, 2013 ; Neneh et Vanzyl, 2014). Devant un nombre de travaux plus limité que pour les deux autres modalités de l’IC, il semble donc que les facteurs explicatifs de l’INC identifiés dans le cadre des recherches académiques fassent écho aux divers freins qui constituent le socle invariable des débats publics récurrents sur la croissance.
1.2 – L’IC : en conceptualiser les modalités et en explorer les croyances
23Les recherches présentées montrent que l’IC se caractérise par une forte diversité en fonction des individus. Ces travaux mettent également en lumière certains facteurs explicatifs de l’IC et offrent ainsi une meilleure compréhension des variables à l’origine de cette diversité. Pour autant et en dépit de ces intérêts, plusieurs limites sont identifiées par les auteurs. Ils suggèrent, d’une part, d’adopter une approche plus dynamique pour mieux éclairer l’ensemble des modalités du concept d’IC. D’autre part, ils insistent sur la nécessaire exploration du rôle joué par les croyances dans le phénomène d’IC.
24Premièrement, la conceptualisation de l’IC repose sur une approche statique, qui consiste à mesurer l’IC à partir d’une projection, sur une période donnée, d’indicateurs de croissance, ou à faire un choix entre une préférence d’indépendance et de croissance. Or la conceptualisation de l’IC semble plus complexe qu’une distinction à opérer entre croître et ne pas croître. Le parcours de la littérature proposé montre que l’IC prend non seulement plusieurs modalités, mais que celles-ci sont également évolutives. Tandis que la NIC peut s’avérer relativement stable lorsqu’il s’agit d’un choix de carrière, la NIC provenant de la peur de perte de contrôle peut très bien faire suite à une ambition de croissance. De la même façon, l’INC peut naître postérieurement à une période de quête de croissance. Pour certains auteurs et par-delà la question de la mesure, cet éclairage des dynamiques d’évolution de l’IC est particulièrement digne d’intérêt (Dutta et Thornhill, 2008, p. 311 ; Achtenhagen et al., 2010, p. 308). En prolongeant cette réflexion, l’idée de mettre au jour un panorama complet des nuances et des dynamiques de l’IC semble en effet particulièrement utile à des fins d’accompagnement, puisque ces modalités de rupture et d’inflexion de l’IC se traduisent concrètement dans l’entreprise par la recherche, ou non, de la croissance.
25En second lieu, alors que la plupart des travaux antérieurs prennent appui sur les théories de la motivation et les modèles intentionnels, peu de recherches analysent les déterminants de l’IC sous l’angle des croyances. Ce choix paraît paradoxal, puisque les cadres d’analyses mobilisés insistent largement sur le rôle essentiel des croyances dans la formation de l’intention (Ajzen, 1991 ; Fishbein et Ajzen, 2010). Pour ces auteurs, les déterminants prédominants et fondamentaux de l’intention et de l’action sont constitués par les croyances (Ajzen, 1991, p. 189). Or, à ce jour, les rares études qui évoquent l’importance des croyances dans le cadre de l’IC [2], ne les identifient pas empiriquement, mais par le biais du recensement bibliographique (Davidsson, 1989 ; Wiklund et al., 2003). À ce titre, Wright et Stigliani (2013, p. 7) insistent sur les limites de ces approches et suggèrent de multiplier les démarches empiriques pour approfondir le rôle joué par les croyances, et la nature des croyances, qui influencent l’intention et la décision de croître.
26Prenant pour fondements ces deux pistes, la conceptualisation des diverses modalités de l’IC et l’exploration de ses croyances déterminantes, notre recherche mobilise le cadre théorique de la Théorie des Comportements Planifiés (TCP). Ce cadre d’analyse, au-delà de constituer une approche dominante et adaptée à l’étude de l’intention entrepreneuriale, offre également une grille de lecture particulièrement adéquate pour analyser les croyances à l’origine de l’IC.
2 – Cadre théorique : les croyances dans la TCP
27La Théorie des Comportements Planifiés (TCP) est largement mobilisée dans le champ de l’entrepreneuriat pour l’étude des intentions et des comportements liés à la création et au développement de l’entreprise (Kruger et al., 2000 ; Krueger, 2009 ; Fayolle et Liñán, 2014). La TCP s’articule autour de trois construits directs, l’attitude, la norme sociale perçue et le contrôle comportemental perçu, qui influencent l’intention et les comportements individuels. Ces notions cristallisent l’attention des chercheurs. La TCP insiste aussi sur le rôle de construits indirects, plus particulièrement des croyances, qui ne suscitent, quelle que soit la discipline et malgré leur importance pour la théorie, qu’un intérêt relatif de la part des auteurs (Sutton et al., 2003). Après une brève présentation des construits directs dans la TCP, l’importance des construits indirects dans la TCP est souligné. Finalement, les perspectives avancées par certains auteurs pour mieux appréhender encore le rôle des croyances au sein de cette théorie sont exposées.
2.1 – Les construits directs dans la TCP
28Les nombreuses recherches qui mobilisent la TCP se concentrent sur ses construits directs et leur relation avec l’intention et les comportements individuels. Selon Ajzen (1988, 1991), un comportement est avant tout intentionnel et l’intention est fonction de trois composantes majeures : l’attitude, la norme sociale perçue et le contrôle comportemental perçu.
29L’attitude se définit comme l’évaluation individuelle, positive ou négative, de l’adoption et de la performance d’un comportement particulier. Plus l’attitude d’un individu est favorable à l’adoption d’un comportement, c’est-à-dire plus il évalue positivement le comportement, plus l’intention de l’individu va être forte pour réaliser l’action. La norme sociale se définit comme la pression sociale qui s’exerce sur l’adoption ou la non-adoption d’un comportement en considération. Plus cette pression est positive et forte, c’est-à-dire plus l’individu est encouragé socialement à l’adoption du comportement, plus son intention de le réaliser devrait être forte. Enfin, la dernière composante, le contrôle comportemental perçu, se définit comme la perception de l’individu de la facilité ou de la difficulté à adopter un comportement. Cette perception d’aptitude intervient à un double niveau : à un niveau interne, elle reflète le sentiment d’auto-efficacité des individus (Bandura, 1986, 1997) ; à un niveau externe, le contrôle perçu est constitué par l’ensemble des opportunités et des barrières qui facilitent ou entravent l’adoption du comportement. En d’autres termes, plus un individu se sent compétent, en interne, et moins il perçoit de barrières, en externe, à l’adoption d’un comportement, plus son intention est stimulée.
2.2 – Les construits indirects dans la TCP
30Présentée comme précédemment, la TCP ne tient compte que des construits directs influençant l’intention et le comportement. Or, les trois construits directs, l’attitude, la norme sociale et le contrôle comportemental, sont sous-tendus, animés et structurés par des croyances. Pour Ajzen (1991, p. 189), les individus forment toutes sortes de croyances à propos de l’adoption d’un comportement et ce sont elles qui déterminent l’intention et l’action d’une personne. Trois formes de croyances, qui constituent les construits indirects dans la théorie, sont donc distinguées : les croyances comportementales, liées à l’attitude, les croyances normatives, liées à la norme sociale perçue et les croyances de contrôle, liées au contrôle comportemental perçu.
31Les croyances comportementales sont celles qui associent un comportement à un certain résultat ou à des attributs tels que le coût engendré par le fait d’adopter un comportement. Ces attributs sont évalués positivement ou négativement par les individus qui forment, de façon automatique et simultanée, une attitude envers un comportement. Les croyances normatives impliquent, quant à elles, la probabilité que des personnes, ou des groupes de personnes, référents pour un individu, approuvent ou désapprouvent un comportement donné (Ajzen, 1991, p. 195). Enfin, les croyances de contrôle traduisent l’ensemble des facteurs qui concernent la présence ou l’absence de ressources et d’opportunités nécessaires à l’adoption d’un comportement. Les croyances de contrôle sont composées des expériences passées et de l’ensemble des sources informationnelles qui tendent à augmenter ou réduire la perception de difficulté associée à l’adoption d’un comportement (Ajzen, 1991, p. 196).
32Pour recenser ces croyances, un protocole est clairement défini par les auteurs (Fishbein et Ajzen, 2010). Une liste des avantages et désavantages perçus à l’adoption du comportement est établie pour recenser les croyances comportementales, liées à l’attitude. Une liste des personnes ou groupes de personnes qui approuvent ou désapprouvent le comportement permet de recenser les croyances normatives, associées à la norme sociale perçue. Enfin, une liste des barrières perçues et des conditions facilitantes à l’adoption du comportement détermine les croyances de contrôle.
2.3 – De nouvelles perspectives pour appréhender les croyances dans la TCP
33Le recensement des croyances dans la TCP a nourri les débats, les auteurs ayant souligné son aspect trop instrumental et rationnel (Conner et Armitage, 1998 ; Sutton et al., 2003 ; French et al., 2005 ; Ajzen, 2011). En se concentrant sur les avantages et les désavantages associés à l’exécution d’un comportement, la théorie occulte d’autres construits influençant l’intention et l’action, plus particulièrement les notions d’affect, de valeurs et d’habitude.
34Sutton et al. (2003), puis French et al. (2005), distinguent ainsi la composante affective de l’attitude, qui réfère aux émotions et énergies engendrées par l’exécution du comportement, de la composante instrumentale de l’attitude, qui renvoie aux attentes exprimées envers le bénéfice lié à l’adoption du comportement. Sur ces fondements, les auteurs invitent à établir une distinction entre les croyances instrumentales et les croyances affectives dans les travaux futurs qui mobilisent la TCP.
35L’influence des valeurs semble également sous-estimée dans la TCP. De récentes contributions soulignent l’importance de mobiliser ces notions pour éclairer les processus entrepreneuriaux (Carsrud et Brännback, 2011 ; Fayolle et al., 2014). Pour Fayolle et al. (2014, p. 685), la recherche sur le rôle des valeurs dans la formation de chaque croyance saillante formulée envers l’entrepreneuriat peut se révéler d’un grand intérêt. Ces interrogations ne concernent pas uniquement le champ de l’entrepreneuriat, les travaux de sociologues ayant également pointé l’importance des valeurs pour expliquer un phénomène intentionnel (Boudon, 1999). Enfin, la place de l’habitude est relativement floue dans la TCP (Ajzen, 2011). Pourtant, la notion est reconnue comme un prédicteur d’un comportement futur. Un parallèle avec la sociologie peut encore être établi, puisque la logique wébérienne insiste sur les réflexes enracinés pour évoquer l’action traditionnelle. Dans le champ de la psychologie, de nombreux travaux ont également conduit à la thèse selon laquelle un comportement passé est le meilleur prédicteur d’un comportement futur (Triandis, 1977 ; Ajzen, 2011 ; Norman et Cooper, 2011).
2.4 – Cadre d’analyse de la recherche
36Cette recherche repose sur deux voies principales. Premièrement, il est important de clarifier la posture des entrepreneurs face à la croissance et de mettre en lumière les différentes modalités et les dynamiques de l’IC, notamment au regard de celles déjà identifiées dans la littérature : l’ICE, la NIC et l’INC. Ensuite se pose la question des croyances, et de la nature des croyances, qui sont à l’origine et qui façonnent ces différentes modalités. Dans cette perspective et, plus particulièrement à propos des croyances comportementales, liées à l’attitude, l’accent est mis sur la distinction entre croyances instrumentales et croyances affectives, comme il est tenu compte du rôle des valeurs et des habitudes dans ces processus intentionnels. La figure 1 propose une vue synoptique du cadre d’analyse de la recherche.
Vue synoptique du cadre d’analyse de la recherche
Vue synoptique du cadre d’analyse de la recherche
3 – Dispositif méthodologique
37Compte tenu de la focalisation de cette recherche sur les croyances et les intentions des entrepreneurs, un dispositif méthodologique qualitatif semble particulièrement approprié. En effet, lorsque l’objectif est de mettre au jour et de comprendre les croyances qui sous-tendent l’intention et l’action des individus, ce type d’approche est privilégié (Blanchet et Gotman, 1992, p. 27 ; Mucchielli, 2009 ; Dumez, 2013, p. 12). En préalable à la présentation du protocole de collecte et d’analyse des données, nous rappelons les raisons qui sous-tendent les choix méthodologiques.
3.1 – L’approche méthodologique : une réponse à une triple injonction qualitative
38Le choix d’une démarche d’enquête qualitative est motivé par trois raisons principales. Tout d’abord, la revue de littérature met en évidence une forte complexité de l’IC, qui nécessite d’être analysée en profondeur pour en appréhender toutes les nuances (Achtenhagen et al., 2010). D’autre part, nous nous intéressons prioritairement aux croyances des individus, pour lesquelles une démarche compréhensive est recommandée (Dumez, 2013, p. 12). Enfin, le protocole de recherche de la TCP insiste sur la mise en œuvre d’une phase de recherche formative qualitative pour l’étude des croyances des acteurs impliqués par l’adoption d’un comportement (Fishbein et Ajzen, 2010).
39Le parcours des recherches sur l’IC montre la complexité du phénomène. L’IC se caractérise par une grande diversité, que ce soit au niveau de ses modalités ou sur le plan de ses déterminants. Devant cette complexité, plusieurs auteurs soulignent l’impératif de proposer d’autres approches que les standards quantitatifs. Pour Leitch et al. (2010, p. 250), il est essentiel que les recherches sur la croissance, qui incluent les dilemmes sur l’IC, adoptent une approche compréhensive. Achtenhagen et al. (2010, p. 310) incitent à multiplier les enquêtes qualitatives sur différents aspects de la croissance, notamment sur l’IC, pour développer une compréhension plus fine de la perspective de l’entrepreneur. Ce questionnement rejoint des défis méthodologiques qui s’imposent plus largement aux recherches en entrepreneuriat et aux sciences de gestion, dès lors que l’objectif est la compréhension d’un phénomène (Dumez, 2013 ; Degeorge, 2015 ; Rispal et Jouison-Lafitte, 2015).
40Une seconde raison nécessitant une démarche d’enquête qualitative est relative à l’objet étudié. Poursuivant les pistes évoquées précédemment, cette recherche vise la compréhension de l’IC à partir des croyances qui la déterminent. Dans le cadre des travaux sur les croyances, les approches qualitatives sont privilégiées (Blanchet et Gotman, 1992 ; Mucchielli, 2009). Pour Blanchet et Gotman (1992, p. 27), l’enquête qualitative est d’ailleurs particulièrement pertinente lorsque l’on veut mettre en évidence les systèmes de valeurs et les repères normatifs à partir desquels les acteurs s’orientent et se déterminent.
41Enfin, l’emploi d’une approche qualitative est relatif au protocole de recherche développé dans le cadre même de la TCP. Bien que la théorie soit de standard quantitatif, Ajzen (2006) insiste sur l’importance de procéder à une phase de recherche qualitative, dite formative, qui consiste à recenser et à éliciter les croyances des individus envers un comportement donné. Dans ce cadre et comme le soulignent Gagné et Godin (1999), différentes méthodes peuvent être employées pour recueillir les informations : questionnaire, interview, focus group. Le plus important est que cette phase de recherche qualitative puisse être conduite auprès des principaux acteurs impliqués par l’adoption du comportement en considération.
42Dans le cadre de ce travail et poursuivant ces réflexions, une attention particulière est donc portée pour que les entrepreneurs occupent une place privilégiée et centrale au sein du dispositif méthodologique.
3.2 – Une collecte des données centrée sur des entrepreneurs expérimentés
43Pour étudier l’IC, deux options s’imposent. Soit l’on étudie les porteurs de projet et les entrepreneurs naissants, soit l’on approche les entrepreneurs actuels (Douglas, 2013). Nous avons fait le choix de nous concentrer sur les entrepreneurs actuels, dirigeants de PME et d’Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI). Bien que cette option puisse constituer une tâche plus exigeante en termes d’accessibilité et de disponibilité des acteurs sur le terrain, elle est également plus riche pour la compréhension de l’IC. En effet, ce sont ces entrepreneurs, qui ont déjà expérimenté la croissance, qui présentent la plus forte hétérogénéité et la plus grande instabilité dans leur IC (Dutta et Thornhill, 2008 ; Douglas, 2013).
44En outre, l’IC des dirigeants de ce type d’entreprises est clairement identifiée comme un enjeu économique et social majeur. Les réflexions et les rapports sur la croissance des entreprises françaises soulignent l’importance de la transition d’une économie constituée de TPE et de PME à un modèle d’ETI (Attali, 2008 ; Retailleau, 2010 ; Gallois, 2012). Or, pour parvenir à cette fin, ces travaux placent au cœur de leur analyse la question des obstacles psychologiques à la croissance, soulevant, en toile de fond et au regard d’une lecture plus académique, la problématique de l’IC.
45Le choix de concentrer cette recherche sur l’IC des dirigeants de PME et d’ETI, par-delà son intérêt théorique, entre donc en résonance avec des problématiques managériales très concrètes d’accompagnement et de soutien à la croissance des PME. Sur ces fondements, notre recherche s’articule autour de deux étapes complémentaires. Une première démarche d’enquête par entretiens individuels, menée auprès d’entrepreneurs de PME et d’ETI est suivie par la tenue de deux entretiens collectifs focalisés, avec des entrepreneurs présentant une très forte expertise de la croissance.
3.2.1 – Les entretiens individuels
46Nous avons conduit, entre octobre 2013 et juin 2014, 29 entretiens semi-directifs auprès de dirigeants de PME et d’ETI du Grand Est de la France. En complément de la démarche menée auprès des dirigeants et pour multiplier les points de vue, trois accompagnants experts des PME sont également interrogés : deux responsables de l’accompagnement du développement des PME au sein de deux Chambres de Commerce et d’Industrie distinctes, un spécialiste juridique des opérations de croissance des PME. Un tableau, proposé en annexe, présente une synthèse des entreprises dont les dirigeants sont rencontrés (annexe 1).
47Lors de cette première étape, les entretiens s’articulent autour de deux objectifs. D’une part, il est important de recueillir les éléments relatifs à la démarche de recherche formative, telle que décrite dans le protocole de la TCP (Gagné et Godin, 1999 ; Fishbein et Ajzen, 2010). Dans cette perspective, les questions posées sont précises et visent le recensement des avantages/désavantages (1), des personnes approuvant/désapprouvant (2) et des facteurs facilitant/entravant (3), la croissance de l’entreprise. Ces questions sont ainsi extraites de la trame d’entretien : Quels sont, selon vous, les principaux bénéfices/avantages de la croissance ? Quels sont selon vous les principaux risques/inconvénients de la croissance ? Quels autres éléments vous viennent à l’esprit quand vous pensez au fait de faire croître votre entreprise ? (1) Ceux qui vous entourent et la croissance ? Qu’en pensent-ils ? Comment réagissent-ils ? Pouvez-vous nous donner la liste des personnes qui approuveraient/ désapprouveraient la croissance de votre entreprise ? Pour quelles raisons ?(2) Quels sont les facteurs qui facilitent/ entravent la croissance ? (3).
48Au-delà de cette perspective très cadrée de l’entretien, il est important d’adopter, d’autre part, une démarche plus ouverte. En effet, recenser les croyances à partir de concepts développés préalablement présente un risque fort de circularité (Dumez, 2013). Ainsi, le fait de demander les avantages et les inconvénients de la croissance entraîne automatiquement l’inscription du discours des entrepreneurs dans le lexique des croyances instrumentales et contribue indubitablement à considérer et à expliquer l’IC au regard d’une perspective rationnelle. Pourtant, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’attitude d’un individu à propos d’un comportement peut aussi être influencée par des croyances affectives, des valeurs, ou des habitudes.
49Devant ce constat, l’entretien intègre donc également des questions plus ouvertes, qui visent à élargir la compréhension du contexte de l’entreprise et à mieux cerner l’ensemble des perceptions et des croyances que l’entrepreneur formule envers la croissance : Pouvez-vous me décrire les grandes étapes du parcours de votre entreprise ? Pouvez-vous me décrire votre parcours ? La croissance, c’est quoi pour vous ? Votre vision (passée, présente et future) de la croissance de votre entreprise ? La croissance, vous la recherchez ? Pour quelles raisons ? Jusqu’à quel point ? Qu’est-ce qui, selon vous, est important pour faire de la croissance ? Les entrepreneurs en général, ne recherchent pas tous la croissance, pourquoi ? Qu’est-ce qui vous fait avancer au quotidien ? Vous vous levez pourquoi ? Qu’est-ce qui vous pousse à faire de la croissance ? La finalité de votre entreprise ? Ces questions sont complétées par des questions de relance pour approfondir certains points forts de l’entretien et progresser autour de la question de recherche (Baumard et al., 2007).
3.2.2 – Les entretiens collectifs
50En complément de cette première étape, deux entretiens collectifs focalisés sont conduits, chacun auprès de 4 témoins, en novembre 2014 et en janvier 2015. Un tableau, proposé dans une seconde annexe, présente une synthèse de l’activité entrepreneuriale des principaux témoins conviés (annexe 2).
51Ces dirigeants ont une très grande expertise de la croissance. La conduite des entretiens collectifs focalisés se déroule autour de deux phases. Un premier temps réplique la méthode et le contenu des entretiens individuels pour viser une saturation théorique (Royer et Zarlowski, 2007). Un second temps consiste à présenter les premiers résultats et les soumettre à un avis d’expert (Denzin, 1978). Cette étape, poursuivant le principe de l’effet miroir, permet, par un dispositif de réflexions et de dialogues, une confrontation des représentations du chercheur à celles des acteurs réels de la croissance (Savall et Zardet, 2004, p. 335).
52Pour conclure sur la collecte des données et devant la problématique récurrente soulevée par la diversité des indicateurs de croissance (Weinzimmer et al., 1988 ; Shepherd et Wiklund, 2009), nous précisons que la croissance est entendue dès le départ des entretiens au sens d’un accroissement de la taille de l’entreprise. Cette conceptualisation, proche des enjeux de transition entre PME et ETI, constitue le diapason à partir duquel nous éclairons l’IC.
3.3 – L’analyse des données
53Tous les entretiens, individuels et collectifs, sont enregistrés et retranscrits. Le logiciel Nvivo 10 est employé tout au long de la phase de codage et d’analyse. Avec l’objectif d’approfondir la question des modalités de l’IC, des fiches de synthèses des entretiens sont d’abord constituées. Ces trames reprennent des éléments caractéristiques de l’entreprise et les points saillants de l’entretien. Une dernière thématique caractérise l’IC de chaque cas. Dans cette perspective, des indications reflètent une caractérisation de la croissance souhaitée, (maîtrisée vs rapide, par exemple) et donnent une indication sur les modalités de l’IC (ICE, NIC, INC). Cette démarche de synthèse facilite le codage des cas et l’appréhension des différentes modalités d’IC rencontrées.
54Concernant les croyances, l’analyse est développée en prenant pour point de départ les trois grandes catégories proposées par Ajzen (comportementales, normatives, contrôle). Un second temps procède à un codage ouvert et répartit les données du corpus au sein de ces trois catégories. Finalement, la réflexion porte sur la nature des croyances comportementales et entrevoit le rôle de l’utilité, de l’affect, des valeurs et des habitudes dans l’IC. Pour conclure, l’analyse consiste, tout au long du processus de recherche, à mettre en perspective les diverses modalités de l’IC rencontrées et les différentes croyances identifiées et à procéder à de nombreux allers-retours entre le matériau recueilli et les connaissances théoriques pour conceptualiser les résultats.
4 – Résultats
55Après une présentation des différentes modalités de l’IC observées, nous exposons les croyances recensées selon le triptyque proposé dans la TCP. Une focalisation sur le rôle de la nature des croyances comportementales, essentiel pour expliquer l’IC des entrepreneurs, précède l’exposé des croyances normatives et de contrôle.
4.1 – Les différentes modalités de l’IC
56La phase de codage des cas permet de repérer les différentes modalités de l’IC. Sept différentes modalités de l’IC sont identifiées dans les discours des entrepreneurs (tableau 1).
Les modalités de l’IC identifiées chez les entrepreneurs
Les modalités de l’IC identifiées chez les entrepreneurs
57Au final, ce premier degré d’analyse [3] permet d’observer une déclinaison des trois principales modalités de l’IC en plusieurs alternatives :
- L’Intention de Croissance Effective (ICE), dans sa forme pure, se décline en deux modalités : ICE forte et durable ; ICE forte et rapide. Cette intention consiste à rechercher fortement la croissance, soit sur le court terme, soit sur le long terme. Une modalité alternative de l’ICE, plus hybride, se situe dans l’ICE modérée. Cette intention marque une relation ambiguë à la croissance, comme le soulignent ces verbatim :
Le discours de cet hôtelier, paradoxal, montre une coexistence de l’ICE et de la NIC dans ses perceptions. Cet entrepreneur recherche la croissance, mais est simultanément indifférent à certains espaces du périmètre de croissance de son entreprise.« … Il y a un côté presque jouissif… ça libère des endorphines… » (ICE) ; « … Si j’ai 100 chambres, je ne fais plus le même boulot… je ne m’y vois pas du tout… » (NIC). - L’Intention de Non-Croissance (INC) se décline en deux modalités : INC efficiente ; INC bricolée. L’INC efficiente consiste à privilégier l’efficience à la croissance. Devant les contraintes environnementales et réglementaires, l’entrepreneur évite d’accroître la taille de son entreprise mais préfère plutôt développer son chiffre d’affaires et réduire ses coûts. L’INC bricolée consiste à refuser la croissance organique, mais à prolonger une certaine forme de croissance, proche du bricolage parallèle et excessif qui est décrit par Baker et Nelson (2005). À l’intention de faire de la croissance organique se substitue une intention d’externaliser ou de créer des filiales pour éviter les contraintes réglementaires. Ces verbatim illustrent également cette relation ambiguë à la croissance, qui souligne cette fois une coexistence de l’ICE et de l’INC dans les perceptions des dirigeants :« … On est tous dans le même état d’esprit, on a tous envie d’avancer… » (ICE) ; « Ce n’est pas pour ça qu’on ne croît pas, on croît d’une autre façon. On peut croître en créant d’autres sociétés ou en externalisant… » (INC).
- Enfin, la non-intention de croissance (NIC) se décline également en deux modalités : la NIC apathique ; la NIC contrainte. Les entrepreneurs évoquent le statut des indépendants, plutôt indifférents et apathiques envers la croissance. La NIC est aussi contrainte, puisque certains dirigeants, dans l’état des capacités actuelles de leur entreprise, sont incapables d’envisager la croissance. La figure suivante propose une synthèse de ces résultats. Elle met l’accent sur les trois principales modalités de l’IC et sur ses différentes alternatives (figure 2).
Les modalités, principales et alternatives, de l’Intention de Croissance
Les modalités, principales et alternatives, de l’Intention de Croissance
4.2 – L’analyse des croyances
58L’étude des croyances comportementales poursuit le cadre d’analyse de la recherche développé. L’influence des croyances instrumentales, de l’affect, des valeurs et des habitudes est d’abord analysée au regard des différentes modalités de l’IC. Ensuite, l’analyse se concentre sur les croyances normatives et de contrôle.
4.2.1 – Les croyances comportementales instrumentales
59Afin de mettre au jour les croyances comportementales instrumentales, une première étape consiste à dresser la liste des principaux avantages et désavantages associés à la croissance. Le tableau 2 poursuit ce cheminement méthodologique, par une répartition de ces notions en sous-catégories, liées à des critères, principalement de gestion, et à des thèmes, plus précis, identifiant le contenu des croyances.
60Une indication du nombre de références par élément est donnée. L’objectif de cette quantification n’est pas de rationaliser une démarche, qui, par essence, est liée à la conduite des entretiens et à l’interprétation des données. Elle permet néanmoins de donner une indication sur le poids très relatif des croyances instrumentales positives dans l’attitude des entrepreneurs à la croissance. L’unité de codage est le « sens des données » (Dumez, 2005), en l’espèce des phrases ou des paragraphes qui reflètent une croyance.
Les croyances comportementales instrumentales
Les croyances comportementales instrumentales
4.2.1.1 – Les croyances comportementales instrumentales positives
61Les avantages stratégiques liés à la croissance se situent principalement dans la capacité d’atteindre une taille critique pour pouvoir développer de nouveaux marchés et faire face à la concurrence. Conjointement, cette taille acquise est perçue par les dirigeants comme un facteur d’accessibilité, de crédibilité et de dilution de la dépendance, dans la relation entre l’entreprise et ses diverses parties prenantes.
62Dans une perspective plus interne, le rapport de réciprocité entre confiance, ambiance et croissance a été souligné par les interviewés, qui voient dans la croissance une source de confiance et de bonne ambiance pour les équipes. Cette atmosphère de travail contribue, par retour, à la croissance. Plus opérationnellement au niveau de la gestion des ressources humaines, la croissance est également perçue comme un développement des compétences et de la polyvalence dans l’entreprise.
63Un autre avantage de la croissance identifié se situe dans son impact sur la structure et la dynamique de l’organisation. Pour les dirigeants, plus l’entreprise croît, plus l’entreprise se structure et gagne en souplesse et polyvalence dans ses principes de fonctionnement. Ces bénéfices ne sont pas qu’organisationnels, puisque l’activité du chef d’entreprise, se trouvant libérée de certaines contraintes managériales, consiste à prendre plus de recul pour pouvoir se consacrer à des tâches visionnaires et stratégiques plus valorisantes.
64Pour conclure sur les croyances instrumentales positives, il est observé, au-delà du fait qu’elles soient peu nombreuses, qu’elles reflètent plutôt l’utilité organisationnelle de la croissance pour les dirigeants. À travers la notion d’avantages et de bénéfices de la croissance, les dirigeants projettent et formulent des croyances dont les répercussions sont principalement destinées au fonctionnement de leur organisation, mais ces éléments ne permettent pas, ou alors de façon très marginale, d’identifier les moteurs intrinsèques de leur motivation personnelle à la croissance.
4.2.1.2 – Les croyances comportementales négatives
65À l’opposé des croyances comportementales positives, les croyances comportementales négatives, les désavantages de la croissance, sont recensés de façon beaucoup plus récurrente dans les entretiens conduits auprès des dirigeants.
66Dans le cadre de ce recensement, ce sont les problématiques de gestion des ressources humaines, plus particulièrement en lien avec le droit du travail, qui sont clairement identifiées comme un élément prédominant et déclencheur d’une attitude défavorable à la croissance. Que ce soit à propos des obligations liées aux seuils sociaux, de la réglementation des contrats, du risque de prud’hommes, les dirigeants redoutent l’effet de cliquet de la croissance, ses obligations et son caractère irréversible. Dans l’esprit des dirigeants, une association entre croissance et décroissance est très vite établie et la question posée par l’expansion de l’entreprise n’est pas tant « comment croître » mais plutôt « comment décroître », comment réduire la voilure en cas de difficultés passagères. Dans cette perspective, le droit du travail et ses conséquences sur les obligations en termes de gestion des ressources humaines sont considérés comme des inconvénients majeurs, puisque ces contraintes rendent particulièrement difficile, voire impossible, un retour en arrière. Par ailleurs, le développement de l’entreprise augmentant, par essence, le nombre des ressources humaines, les dirigeants envisagent une multiplication des risques et problématiques de management dans la croissance. Ces risques peuvent se situer parfois simplement dans l’intégration de nouveaux employés qui perturbent une ambiance existante.
67Si l’irréversibilité de la croissance est perçue au niveau des obligations imposées par le droit du travail, elle l’est aussi à un niveau financier. La croissance implique un développement de l’activité et des investissements, du nombre de sites et des implantations. Là encore se pose la question de la décroissance, de la perte de clients et de ses répercussions sur la gestion de l’entreprise. Sur un même plan, financier, la croissance est aussi associée à une plus forte dépendance aux organismes financiers et à une multiplication des risques d’impayés.
68Le pendant des avantages liés à la structuration de l’organisation réside dans les efforts que le processus implique. Non seulement la croissance oblige à une adaptation des outils de production, mais elle induit également de renforcer le management, de trouver et de mettre en place des relais managériaux. La structuration nécessaire à la croissance présente ainsi un inconvénient majeur, qui réside dans la capacité de l’entreprise, et de l’entrepreneur, à pouvoir assumer ces efforts dans l’organisation. En parallèle, la structuration engage d’autres enjeux, plus dynamiques, portant sur la lourdeur du système et un bouleversement de la culture d’entreprise. Enfin, ces changements ne se situent pas qu’à un niveau organisationnel, mais ont aussi un impact sur l’activité du dirigeant. Il doit envisager de perdre la maîtrise de certaines activités pour se consacrer essentiellement à son rôle de manager.
69Au final, ce panorama des croyances comportementales instrumentales est paru relativement concluant pour expliquer une attitude défavorable à la croissance et, par conséquent, l’Intention de Non-Croissance (INC). Celle-ci semble naître de croyances portant sur les obligations et contraintes, réglementaires, financières, et managériales, qui sont associées par les dirigeants à la croissance. Ainsi, les dirigeants qui cherchent à éviter la croissance de taille n’envisagent pas de prendre le risque de recruter des collaborateurs en CDI ou de mettre en place les obligations liées aux seuils sociaux, ce qui tend à faire converger ces résultats avec les raisons de la non-croissance invoquées dans les débats publics.
70Pour autant et de façon plus surprenante, ces croyances comportementales instrumentales négatives ne sont pas uniquement observées chez les dirigeants qui refusent la croissance, mais sont plutôt partagées par un ensemble de dirigeants, y compris chez ceux qui envisagent le plus de faire croître leur entreprise. Ces résultats corroborent les conclusions de Chabaud et Degeorge (2015). Que les dirigeants aient ou non de fortes ambitions de croissance, ils perçoivent les facteurs et contraintes de développement de la même façon. Dans une telle circonstance, une réflexion pour expliquer l’attitude des dirigeants serait d’envisager que les avantages qu’ils perçoivent sont supérieurs aux désavantages perçus, mais il est observé que ces avantages sont non seulement peu nombreux, mais qu’ils sont, en outre, très souvent orientés vers une perspective organisationnelle. Ces considérations conduisent, dans la phase d’analyse des données, à interroger la place des croyances instrumentales en tant que réel moteur d’une attitude favorable à la croissance et, par répercussion, de l’ICE.
4.2.2 – Les croyances comportementales affectives
71L’analyse des entretiens met en évidence le rôle majeur des croyances affectives pour expliquer une attitude favorable à la croissance. Les questions, très ouvertes, posées aux dirigeants sur leur conception de la croissance, font ressortir trois composantes essentielles pour expliquer leur attitude et leur intention de faire de la croissance : l’esprit de compétition, le désir de création et le besoin de construction.
72Certaines croyances sous-jacentes à une attitude favorable à la croissance et à l’ICE sont assimilables à celles rencontrées au sein des disciplines sportives. Un esprit de compétition externe, la volonté de combattre et de défier la concurrence, est ainsi très fortement identifié dans les discours des dirigeants, qui s’idéalisent en valeureux sportifs, voire en combattants :
« … Quand je joue au ping-pong, aux échecs, n’importe quel jeu, je veux terminer premier, je veux gagner… » (PME 15) ; « … C’est comme un sportif, il courrait sans doute tout aussi vite s’il n’avait pas la médaille, s’il n’allait pas sur le podium mais le fait d’aller sur le podium ça lui rajoute une dose de fierté, de passion, de plaisir… » (Bêta) ; « … J’ai fait un peu de sport en étant plus jeune, je voulais gagner. Il faut aussi dans la personnalité avoir le goût du risque et vouloir gagner au jeu… ».
74Cet esprit de compétition ne consiste pas uniquement en l’adoption d’un tempérament de vainqueur, mais réside aussi dans une relève de défis plus internes, telle qu’une prise de décision de plus en plus importante et engageante :
« … Je pense que beaucoup de dirigeants n’ont pas verbalisé ça… Mais le vrai enjeu de notre métier, quand tu es une entreprise, et plus elle grandit, et plus cet impact est important… C’est la décision !… » (PME 26) ; « … Moi, personnellement, c’est un truc bête, je suis content d’avoir eu raison. C’est de dire, voilà, j’avais une vision, on va dans cette vision, ça donne un résultat, on progresse, j’avais raison… ».
76Dans les deux cas, l’esprit de compétition exprime une croyance affective et le plaisir associé à la croissance. Le plaisir de l’esprit de compétition combatif trouve sa source au contact des concurrents et dans la volonté d’être meilleur que les autres. Un esprit de compétition internalisé reflète davantage une satisfaction liée au sentiment de s’être fixé un objectif ambitieux et de surmonter les obstacles pour l’atteindre.
77La seconde composante du processus affectif qui prédomine dans une attitude favorable des entrepreneurs à la croissance est la notion de désir de création. Une attitude positive est associée à des croyances affectives portant sur les créations, les innovations, la folie et les rêves :
« … En 2015, je pourrai faire voler des hommes avec des turboréacteurs dans le dos… Moi, j’aurais envie de faire ça. Je suis resté un grand gosse… » (PME 5) ; « … L’entrepreneur que je suis, je pense que beaucoup de ce que j’ai fait, je l’ai rêvé avant… Un entrepreneur rêve. Il rêve de ce qu’il a envie de faire. C’est le summum de l’entrepreneur… ».
79La croissance étant le prolongement d’un comportement entrepreneurial, une attitude favorable à la croissance est stimulée par la possibilité de multiplier les créations et les innovations. Cette composante, plutôt irrationnelle, est loin de pouvoir être associée à une quelconque réflexion stratégique ou utilitariste. Il n’y a aucune considération instrumentale dans ces projets rendus possibles par la croissance, il s’agit uniquement, pour le dirigeant, du sentiment de pouvoir être encore plus inventeur ou créateur.
80La dernière composante affective identifiée porte sur la notion de besoin de construction. Une attitude favorable à la croissance est liée à des croyances portant sur les notions de projets, de construction, l’action de bâtir pour laisser une trace tangible de l’activité entrepreneuriale :
« … Quelque part, dans cette boîte noire, je suis assez stratège, je travaille beaucoup sur le long terme, je suis plus dans la construction, je pense que dans ma boîte noire, c’était un groupe… » (Alpha) ; « … Je suis là aussi pour gagner de l’argent mais ce qui m’intéresse avant tout c’est le projet c’est emmener les hommes vers un projet… ».
82La croissance de l’entreprise est ici vue comme une possibilité d’agrandir le bâtiment que l’entrepreneur a construit ou que le repreneur a développé. Dans cette dernière perspective, la croissance est assimilée à un projet de construction que l’entrepreneur s’efforce de réaliser et de faire vivre sur la durée.
83Ces trois composantes, l’esprit de compétition, le désir de création et le besoin de construction, montrent le besoin qu’ont les entrepreneurs de se percevoir et de se comporter comme des combattants, des artistes et des architectes dans la croissance.
84Dans les cas étudiés, l’intérêt de la croissance n’est donc pas tant porté sur les conséquences de la croissance, mais porte plutôt sur son exercice en soi.
85Pour reprendre la distinction établie par French et al. (2005), les résultats témoignent d’une attente exprimée par les dirigeants envers les émotions et les énergies engendrées par la pratique et l’exercice de la croissance plus qu’ils ne reflètent des attentes envers les conséquences et les bénéfices liés à l’adoption de la croissance.
4.2.3 – Le rôle des valeurs
86En complément du rôle important joué par les croyances affectives, les valeurs sont également recensées comme un moteur central d’une attitude favorable à la croissance. Ces composantes reflètent le but vers lequel l’ICE est projetée sur le long terme. Pour exprimer les valeurs identifiées dans les discours des entrepreneurs, nous proposons deux notions, celle d’hommage patrimonial, qui évoque les valeurs des descendants ou des repreneurs d’entreprises familiales et celle de chef-d’œuvre entrepreneurial, plus propre aux entrepreneurs fondateurs.
87La notion d’hommage patrimonial repose sur des valeurs qui expriment le respect et la dignité par rapport à des équipes qui ont façonné l’histoire d’une entreprise de croissance. Le patrimoine n’est pas restreint ici à la conception d’une accumulation de richesses, mais évoque l’héritage commun de l’entreprise. Hériter d’une entreprise implique pour les dirigeants de se montrer digne du parcours qu’elle a réalisé. Cette trajectoire a été rendue possible par le travail des générations passées, d’entrepreneurs comme de salariés. Pour les dirigeants descendants d’entreprises familiales, une attitude favorable à la croissance s’inscrit dans la volonté de prolonger un développement que d’autres ont su initier :
« … J’ai eu la chance, je m’estime privilégié d’hériter d’un outil… Je me suis dit, je vais quand même me montrer digne, je vais développer ça puisque j’ai eu la chance de le recevoir… ».
89Une attitude favorable à la croissance est également stimulée par un but supérieur qui exprime une volonté de laisser une empreinte de son passage sur la terre par l’ampleur de ses créations et réalisations entrepreneuriales. À travers la croissance, les dirigeants voient une opportunité pour pérenniser l’entreprise et constituer, par conséquent, une œuvre :
« … La pérennité pour moi, c’est la conséquence de croissance, de bonne gestion, de tout ce qu’on veut mais c’est le fait que ça dure… Le seul truc qui reste, c’est tout ce qu’on a créé… ».
91Dans le cadre d’une transmission familiale, le chef-d’œuvre entrepreneurial peut se situer à la genèse de l’hommage patrimonial, comme le souligne ce témoignage :
« … On a vraiment une vision d’entrepreneur avec une volonté confirmée de nos actionnaires de la deuxième génération qui est une volonté de pérennité. C’est clair… On veut que cette entreprise soit pérenne… Ce qu’il faut bien retenir, c’est cette âme d’entrepreneur… ».
93Au côté des croyances affectives, les valeurs sont identifiées comme un élément prédominant de la construction d’une attitude positive à l’égard de la croissance. Elles contiennent le rapport entretenu entre croissance et pérennité, reflétant, pour certains entrepreneurs, la volonté de laisser une empreinte par la constitution d’une œuvre et d’un chef-d’œuvre entrepreneurial, tandis que, pour d’autres, elles forment une façon de rendre hommage, de se montrer digne et respectueux des générations passées qui ont mené l’entreprise sur le chemin de la croissance.
4.2.4 – La place de l’habitude
94Alors que les croyances instrumentales négatives sont importantes pour expliquer une attitude défavorable à la croissance et l’INC, l’habitude paraît plutôt explicative de la NIC et d’une attitude indifférente à la croissance. Ainsi, une apathie envers la croissance provient de réflexes encastrés dans une longue pratique technicienne dont la vocation principale est plus vouée à l’exercice des tâches et du métier de l’entreprise que centrée sur les pratiques managériales et sur le rôle de dirigeant :
« … Ce sont des artisans, des techniciens des amoureux du boulot bien fait, des manuels. Ce ne sont pas des développeurs… ».
96Le rôle de l’habitude est également observé chez les dirigeants dont l’ICE est modérée. Ces entrepreneurs présentent plutôt une attitude favorable à la croissance, mais parvenue à un certain stade, la trajectoire de l’entreprise est envisagée comme un point de rupture avec les routines et coutumes qui ont fondé l’activité de l’entreprise. Par conséquent, les croyances de ces dirigeants reflètent une indifférence envers certaines zones de croissance, qui impliqueraient pour eux de devoir rompre avec certains aspects traditionnels de l’entreprise :
« … Si on est à 50… On serait dans une taille qui à mon avis serait critique. Ce n’est pas le discours qui sonnerait avec nous. Il y aurait des pans de métier que l’on devrait abandonner… ».
98La croissance impliquant un bouleversement dans les pratiques du métier de dirigeant, un rôle important de l’habitude est identifié dans cette recherche pour expliquer une indifférence à la croissance. Cette apathie provient d’une préférence des entrepreneurs pour les activités opérationnelles de l’entreprise qui sont privilégiées à celles d’expansion et de développement.
4.2.5 – Une synthèse du rôle des croyances comportementales dans l’intention de croissance
99Le panorama établi des croyances comportementales soulève plusieurs points qui méritent d’être considérés pour approfondir la compréhension de l’IC.
100En particulier, ces résultats montrent que l’ICE, l’INC et la NIC sont façonnées par des croyances comportementales qui sont asymétriques, hétérogènes et non mutuellement exclusives.
101En premier lieu et pour illustrer cette asymétrie et cette hétérogénéité, les résultats indiquent que les systèmes de croyances qui stimulent chacune des modalités de l’IC ne se situent pas nécessairement sur un même plan conceptuel, qui marque une opposition.
102Au contraire de la rationalité économique qui, par exemple, se décline en une opposition entre les coûts et les avantages pour expliquer les choix individuels, les croyances comportementales déterminantes des modalités de l’IC sont de nature distincte.
103L’ICE repose majoritairement sur des croyances affectives et les valeurs, ce qui traduit un intérêt accru pour la pratique de la croissance en soi et non pour ses conséquences. L’INC s’inscrit dans un raisonnement instrumental qui consiste, là, à établir un calcul des coûts et avantages de la croissance, ce qui traduit, cette fois, une attention portée aux conséquences de la croissance. La NIC est plutôt affaire des habitudes et des routines de l’entrepreneur, qui préfère se concentrer sur l’exercice de son métier que sur le développement de son entreprise.
104En d’autres termes, les différentes modalités de l’IC (ICE, INC, NIC), ne peuvent être considérées comme des construits qui sont le contraire des uns et des autres, mais comme des construits séparés et conceptuellement différents.
105Par ailleurs, ces construits sont non mutuellement exclusifs, puisqu’ils peuvent parfois coexister et évoluer en parallèle au sein des perceptions des individus.
106Ce phénomène est souligné dans les modalités alternatives de l’IC. Une ICE modérée repose sur une attitude façonnée par une confrontation de croyances affectives, qui stimulent l’ICE, et de croyances plus traditionnelles, qui brident l’ICE et favorisent la NIC. Les verbatim ambigus et paradoxaux exposés plus haut témoignent de cette évolution, en parallèle, de deux systèmes de croyances distincts. Les entrepreneurs prennent énormément de plaisir dans l’exercice de la croissance, mais ce système affectif, à un certain stade, est confronté à une autre intention, celle de garder une taille adéquate pour exercer le métier traditionnel de l’entreprise.
107De même, une INC bricolée reflète l’évolution conjointe de deux systèmes de croyances. Les dirigeants prolongent leur intention de faire une certaine forme de croissance, mais présentent simultanément une volonté d’éviter les inconvénients environnementaux et organisationnels liés à la taille.
108Cette coexistence et cette confrontation des systèmes de croyances au sein des individus sont également importantes pour éclairer les dynamiques d’évolution de l’IC.
109La perspective de franchir certains caps de taille d’entreprise, dans le cas de l’ICE modérée comme dans le cas de l’INC bricolée, marque la prédominance d’un nouveau système de croyances, qui change le rapport originel de l’entrepreneur à la croissance. Une synthèse des résultats est proposée dans le tableau suivant (tableau 3).
Synthèse du rôle des croyances comportementales dans l’IC
Synthèse du rôle des croyances comportementales dans l’IC
110Ce tableau montre que les trois dimensions de l’IC identifiées ne reposent pas sur un socle commun conceptuel homogène et symétrique, mais sur des systèmes motivationnels bien différenciés, hétérogènes et asymétriques. Par conséquent, envisager le contraire de l’IC ne se limite pas à une prise en considération des inconvénients de la croissance, mais doit surtout s’inscrire dans une réflexion sur la présence ou non des facteurs motivationnels et des valeurs identifiés dans le cadre de cette recherche. À la lecture de nos résultats, le contraire d’une attitude favorable à la croissance ne se situe donc pas dans une attitude défavorable à la croissance, mais plutôt dans l’absence d’une attitude favorable à la croissance, reflétée par un manque d’esprit de compétition, de désir de création et de besoin de construction. Il en va de même pour les contraires de chaque modalité alternative de l’IC.
111Pour compléter ces résultats et compte tenu de l’importance accordée dans la littérature à la relation entre les perspectives financières et l’IC, il est nécessaire d’évoquer la place des attentes et des perspectives économiques dans nos résultats.
112Lorsque l’ICE est projetée sur le long terme, que la croissance forte et durable est projetée, les profits sont mis au service de la pérennité. Les bénéfices financiers attendus de la croissance ne sont pas perçus en tant que buts, mais plutôt comme un effet collatéral et un moyen de réaliser l’ambition première des dirigeants : pérenniser l’entreprise.
113Lorsque l’ICE est projetée sur le court et moyen terme, que la croissance forte et rapide est projetée, les attentes financières et le sentiment de pouvoir réaliser une opération fructueuse par la cession de l’entreprise peuvent être appréhendés en tant que finalités. Toutefois, s’il est observé au cours de l’étude que le profit réalisé par une opération de cession peut être une fin en soi, ce capital contribue aussi à l’élaboration d’un chef d’œuvre entrepreneurial, puisque les entrepreneurs se projettent dans une dynamique de multiplication et de réplication de l’acte de création.
114Enfin, il convient de ne pas poser un regard univoque sur le lien entre attentes financières et croissance, l’INC pouvant être aussi fortement motivée par des perspectives économiques.
4.2.6 – Les croyances normatives
115Poursuivant le protocole de recensement des croyances dans la TCP, l’intérêt est à présent porté sur les croyances normatives. Après une description des principaux acteurs de la pression sociale exercée sur l’adoption d’un comportement de croissance, nous décrivons certains mécanismes à l’œuvre dans ce processus cognitif.
4.2.6.1 – Les acteurs de la pression sociale
116La figure 3, construite à partir des données du corpus, propose une vue synoptique des principaux acteurs de la pression sociale exercée sur l’adoption d’un comportement de croissance.
117La forme de la pression sociale exercée sur le comportement de croissance de l’entrepreneur s’articule particulièrement autour de deux notions : la proximité et la discrétion. D’une part, les acteurs qui influencent les entrepreneurs peuvent être plus ou moins proches. D’autre part, la relation entretenue est, par essence, plutôt discrétionnaire. L’entrepreneur fait le choix de la création de son réseau pour entretenir des conversations sur la croissance de son entreprise. Lorsqu’il n’a pas le choix de son réseau, comme lors d’une relation contractuelle, il préserve le choix de prendre en compte ou de ne pas prendre en compte les avis émis, les financiers pouvant être les rares acteurs dont la pression est plus coercitive, ce qui est identifié dans les discours des entrepreneurs et est par ailleurs montré par Tarillon et al. (2015).
118Au-delà des acteurs facilement identifiables que sont les parties prenantes et l’entourage familial, la pression sociale exercée sur le comportement de croissance peut aussi être constituée d’éléments plus latents. Un des éléments surprenants de la recherche est l’attention portée par les entrepreneurs à l’opinion publique.
119Au final, trois cercles de la pression sociale sont identifiés. Le premier cercle est celui du confinement. Ce cercle est constitué de la famille, des acteurs entretenant des relations contractuelles avec les entrepreneurs et des acteurs incontournables, tels que les concurrents.
120Le second cercle est celui de l’ouverture. Ce cercle, plus ouvert que le précèdent, est composé de relations informelles exclusivement entretenues par une démarche intentionnelle. Il s’agit principalement des associations de dirigeants et d’organisations patronales. Bien que ce cercle puisse constituer un système ouvert, il n’en demeure pas moins marqué par une proximité sociale forte et par des effets de mimétisme. Ainsi, rares ont été les entrepreneurs qui mentionnent des relations avec des universités, des écoles ou des associations.
121Enfin, le dernier cercle est culturel et sociétal. C’est le cercle de l’opinion publique. Sans entrer dans la complexité d’un tel concept sociologique, il peut être appréhendé comme un ensemble de croyances que les entrepreneurs formulent à propos de l’image qu’ils renvoient en société.
Les principaux acteurs de la pression sociale exercée sur l’adoption d’un comportement de croissance
Les principaux acteurs de la pression sociale exercée sur l’adoption d’un comportement de croissance
4.2.6.2 – Les mécanismes à l’œuvre dans les croyances normatives
122Les acteurs de la pression sociale ayant été identifiés, l’accent est à présent mis sur les mécanismes à l’œuvre dans la construction des croyances normatives. Au niveau du cercle de confinement, plus particulièrement à propos de la pression sociale familiale, trois dynamiques principales sont identifiées : l’ambivalence, l’autorégulation et la dilution de la pression sociale dans la croissance. En premier lieu, la pression sociale exercée par la famille et les proches est ambivalente. En fonction des entrepreneurs, leur famille approuve, ou, au contraire, désapprouve l’engagement dans la croissance. Tandis que certains entrepreneurs évoquent une confiance absolue des proches dans leurs projets et leurs réalisations, d’autres témoignent des réticences familiales qu’ils doivent affronter pour s’engager dans de nouveaux plans d’investissement et de développement. Ensuite, un second point méritant d’être relevé porte sur l’autorégulation des entrepreneurs. Quand bien même la pression sociale des proches n’est pas explicitée, elle naît de mécanismes régulateurs internes implicites :
« … Quand il y a une femme, qu’il y a des enfants, on ne peut plus raisonner égoïstement en disant, j’enlève le frein. La zone de risque, pour moi, elle s’arrêtera lorsque je me dirai que je mets vraiment en danger ma famille… ».
124Ce témoignage montre qu’en l’absence d’une pression sociale ostensible, celle-ci peut trouver sa source dans l’esprit des entrepreneurs, qui formulent des croyances à propos des répercussions familiales supposées de leur comportement de croissance.
125Un troisième phénomène identifié à propos de la pression sociale familiale porte sur son aspect dilutif dans la croissance, comme l’indique ce témoignage :
« … Mais la famille ne fait pas changer les décisions pour l’entreprise, ça fait changer l’organisation qu’on décide de mettre en place. L’entreprise elle a ses besoins propres. À moi de concilier les deux… ».
127À un certain stade de taille, il semble que la famille de l’entrepreneur compose avec les besoins de l’entreprise, mais qu’elle n’est plus instigatrice d’une quelconque pression sur le comportement de l’entrepreneur. Enfin, et pour conclure sur la pression sociale exercée par les proches, il convient de la relativiser au regard de la dynamique entrepreneuriale poursuivie. Les entrepreneurs rencontrés présentent souvent un caractère si trempé qu’ils font abstraction des avis de l’entourage lorsque le développement de l’entreprise est en jeu.
128Au niveau du cercle d’ouverture, constitué majoritairement de pairs, la pression sociale exercée s’articule autour de quatre notions principales : stimulation, confortation, confrontation et mentorat.
129La relation aux pairs stimule la croissance par l’éveil de l’esprit de compétition des entrepreneurs. Ils semblent agir par mimétisme face à des pairs qui font croître leur entreprise. Cette caractéristique peut refléter la notion de concurrence lorsque l’entreprise est isolée sur son secteur d’activité, elle peut aussi provenir de partenaires :
« … Si je prends l’exemple de mon papa, c’est ce qui l’a poussé. Il y en avait un qui avait ouvert 10 agences au bout d’un an. Mon père, ça l’a influencé… Les dirigeants se stimulent entre eux… ».
131Au-delà de la stimulation, la relation aux pairs conforte les décisions prises par les entrepreneurs. Ces décisions peuvent être favorables à la croissance, comme elles peuvent être défavorables. L’entrepreneur voit sa stratégie de développement confortée par ses discussions entre confrères. Ces mêmes confrères peuvent aussi, à l’occasion de questions critiques face à l’environnement réglementaire, conseiller très fortement la non-croissance de l’entreprise.
132Un troisième mécanisme identifié dans la relation aux pairs porte sur la notion de confrontation. Certains réseaux sont propices aux discussions et échanges sur l’introduction et l’adoption de nouvelles solutions qui contribuent à la croissance de l’entreprise :
« … L’appartenance à un réseau, ça permet d’échanger avec des dirigeants qui se sont posé les mêmes questions, qui sont plus petits, plus grands, qui vous apportent une vraie confrontation sur des situations… Globalement, c’est toujours positif et on va aider les autres… ».
134La confrontation est importante dans l’IC puisqu’elle implique des retours d’expérience d’entrepreneurs qui ont su transformer leur IC en acte, constituant au passage une forme d’apprentissage social de la croissance.
135Le dernier phénomène observé dans la relation aux pairs relève du mentorat. Le dirigeant de la PME 2 a été suivi pendant 10 ans par un entrepreneur retraité pour la reprise de son entreprise familiale. Cette démarche lui a permis de faire, selon lui, son éducation de dirigeant. Un autre entrepreneur, rencontré lors du premier entretien collectif focalisé évoque l’importance d’un grand patron qui l’a suivi dans le cadre du développement de son entreprise. Pour lui, la croissance est liée à la rencontre de personnes clefs. Il souligne :
« … Quand on a la chance de rencontrer des personnes clés qui ont été à l’origine de fortes réalisations, ça vous donne des images, des représentations, qui vous façonnent votre boîte noire… ».
137Au final, comme pour le cercle de confinement, une ambivalence sur le caractère approbateur et désapprobateur de la croissance est identifiée au sein du cercle d’ouverture, particulièrement auprès des pairs. Certains réseaux cultivent ainsi une vision endogène et managériale de la croissance, privilégiant une approche dynamique et proactive du phénomène de croissance, lorsque d’autres associations se montrent plus politisées et centrées sur les facteurs exogènes qui bloquent la non-croissance, justifiant au passage l’INC.
138Ce panorama des croyances normatives ne serait pas complet sans évoquer la question du cercle culturel et sociétal et de l’opinion publique. Les entrepreneurs sont persuadés que l’opinion publique n’apprécie guère un comportement de croissance :
« … La France aime bien les gens qui créent l’entreprise… Par contre, 10 ans après on en a à peine 5 % qui ont plus de 50 salariés… On a une affection déclinante plus l’entreprise réussit… ».
140Ce type de pression sociale pourrait paraître caricatural et anodin. Pour autant, il semble que les entrepreneurs y attachent beaucoup d’importance et que cette pression sociale soit réellement perçue comme un frein à leur IC. Ils ne se sentent pas reconnus pour leurs actions entrepreneuriales qui contribuent à générer de la valeur et de l’emploi.
4.2.7 – Les croyances de contrôle
141Les croyances de contrôle sont identifiées régulièrement et en nombre dans le corpus. Pourtant, le recensement de ces croyances n’a pas permis d’apporter une connaissance supplémentaire à ce que d’autres études mettent déjà en évidence à propos des freins au développement des PME (Duchéneaut, 1996, p. 306 ; Oséo, 2009). La disponibilité des ressources humaines, des financements, la complexité des normes, la conjoncture économique sont les principales croyances avancées en tant que barrières et, simultanément, conditions facilitantes, de l’adoption d’un comportement de croissance.
142Pour porter un autre regard sur ces croyances, qui sont par ailleurs largement identifiées et relayées dans les médias économiques, une perspective plus analytique est apportée. Conformément à la distinction établie par Ajzen entre les deux composantes, internes et externes, du contrôle comportemental, une répartition des croyances de contrôle est conduite en fonction de leur appartenance à la notion de contrôlabilité (opportunités, barrières) ou à celle du sentiment d’efficacité personnelle (compétences, émotions, carences personnelles) (tableau 4). La démarche permet ainsi de proposer une analyse plus fine sur des éléments qui constituent un leitmotiv des discussions sur la croissance.
Les croyances de contrôle
Dimensions conceptuelles plutôt liées à la contrôlabilité | Catégories | Dimensions conceptuelles plutôt liées à l’efficacité personnelle |
---|---|---|
Crise économique | Contexte économique et industriel | Appréhension du contexte de mondialisation et des nouvelles économies |
Relation PME Grands Groupes Respect des engagements | Relation PME Grands Groupes solidarité (conquête de marché) | |
Disponibilité des candidats | Disponibilité des ressources humaines | Attractivité ontologique de la PME |
Attractivité géographique de la PME | Attractivité de l’industrie | |
Réglementation | Disponibilité des financements | Veille et négociation |
Fiscalité Cotisations sociales Rigueur | Réglementation juridique, fiscale et sociale | Formalités et obligations administratives Multiplication et complexité |
Les croyances de contrôle
143La disponibilité des ressources humaines est mise en évidence de façon très récurrente dans les discours des dirigeants. Cette notion fait émerger plusieurs problématiques qui portent sur des dimensions conceptuelles distinctes. Ainsi, la disponibilité des candidats, leur présence et leur formation, comme l’attractivité géographique de la PME, répondent de la dimension de contrôlabilité, constituant une barrière objective à la croissance. À l’opposé, l’attractivité de la PME en soi et de l’industrie expriment davantage le sentiment d’efficacité personnelle et des complexes entretenus par l’entrepreneur envers l’image de son entreprise et de son industrie. Il en va de même pour les autres catégories des croyances de contrôle. Si la disponibilité des financements pose la question objective d’une approche plus ou moins prudentielle de l’octroi de crédit, elle soulève également le problème de l’ingéniosité de la collecte de fonds (Penrose, 1959), ce qui renvoie à la dynamique de veille et de négociation et au sentiment d’efficacité personnelle. Un autre exemple porte sur le contexte économique et industriel. Une barrière objective à la croissance se situe dans la conjoncture économique et industrielle. Cependant, l’appréhension de ce contexte masque encore très concrètement une problématique d’efficacité personnelle pour l’entrepreneur, qui doit s’adapter à de nouvelles donnes sur son industrie.
144Les croyances de contrôle, les barrières perçues et les conditions facilitantes sont applicables à toutes les entreprises. Elles peuvent être importantes pour décrire un contexte global de croissance, les conditions de jeu avec lesquelles les entrepreneurs composent, mais elles ne permettent pas d’expliquer pourquoi certains entrepreneurs, plus que d’autres, recherchent la croissance. Dans cette perspective, ce sont les facteurs motivationnels intrinsèques qui sont identifiés dans le cadre de cette recherche qu’il convient de privilégier.
5 – Discussion
145Cette recherche propose une analyse en profondeur de l’IC des entrepreneurs, à partir de deux nouveaux angles d’approche : l’identification des modalités de l’IC et le recensement des croyances à l’origine des diverses modalités de l’IC. L’adoption de ces deux perspectives permet d’obtenir des résultats qui interrogent les conclusions des travaux antérieurs. Tout d’abord, la démarche compréhensive adoptée permet de développer une grille de lecture, polymorphe et dynamique, des différentes modalités et alternatives de l’IC. Ensuite, l’analyse des croyances comportementales, normatives et de contrôle appréhende les croyances à l’origine des diverses modalités de l’IC. Elle met en lumière l’importance des croyances affectives et des systèmes de valeur dans l’IC. Finalement, nos résultats soulignent l’asymétrie et l’hétérogénéité des systèmes de croyances qui guident les différentes modalités de l’IC, ce qui permet d’insister sur les implications managériales de la recherche.
5.1 – Une nouvelle vision, polymorphe et dynamique, de l’IC
146Les approches antérieures conceptualisent l’IC à partir de la volonté de l’entrepreneur de développer les indicateurs de croissance de l’entreprise (Davidsson, 1989 ; Kolvereid, 1992 ; Wiklund et al., 2003 ; Cassar, 2007). Cette conception de l’IC est statique, puisqu’elle considère l’IC stable dans le temps, et simplificatrice, puisque la notion est reflétée par des proxys (Dutta et Thornhill, 2008 ; Achtenhagen et al., 2010). Au contraire de cette approche, cette recherche développe, à partir du ressenti des acteurs de terrain, une vision plus complexe et dynamique de l’IC. Ainsi, nos résultats appréhendent un ensemble de modalités et de nuances de l’IC. Nous distinguons un triptyque de modalités principales de l’IC (ICE NIC, INC), qui se déclinent elles-mêmes en diverses modalités alternatives : ICE forte et durable, ICE forte et rapide, ICE modérée, NIC apathique, NIC contrainte, INC efficiente, INC bricolée. Ces résultats développent une compréhension fine de l’IC, notamment parce qu’ils montrent qu’un degré d’IC, qu’il soit faible, moyen, ou fort, recouvre surtout différentes significations. Plus particulièrement, nos résultats insistent sur les différentes motivations, telles qu’une stratégie d’évitement, une indifférence ou une impossibilité, qui se masquent derrière une absence d’IC.
147L’identification des modalités de l’IC nous renseigne également sur la dynamique de l’IC. Nous montrons, à travers deux modalités, l’ICE modérée et l’INC bricolée, comment l’IC originelle évolue en fonction du contexte temporel et événementiel. En outre, les résultats montrent que certaines alternatives à l’IC résultent plus d’un dilemme pour l’entrepreneur que d’une opposition nette et tranchée à l’idée de développer son entreprise. Des entrepreneurs, passionnés par l’exercice de la croissance, stoppent ainsi une trajectoire d’expansion pour préserver le savoir-faire historique de leur entreprise. D’autres entrepreneurs rongent leurs freins car ils souhaiteraient absolument faire de la croissance, mais sont contraints par la capacité de leur organisation. Ces résultats tranchent avec les recherches qui classent et catégorisent drastiquement l’ambition des entrepreneurs en fonction d’échelle de graduation. À la lecture de nos résultats, les entrepreneurs ne sont pas que peu ou très ambitieux face à la croissance, mais parfois moins, ou parfois plus, ambitieux. L’IC originelle de l’entrepreneur est ainsi fortement altérée et conditionnée par le contexte au sein duquel son entreprise évolue.
148Au final, alors que les recherches antérieures pointent les variations d’intensité de l’IC, ce travail en souligne plutôt la variabilité et insiste sur ses diverses dimensions et significations. À cet égard, le cadre intégrateur proposé dans le cadre de cette recherche développe une conception polymorphe et dynamique de l’IC, qui permet de refléter et d’appréhender l’ensemble des facettes et des nuances de la notion.
5.2 – Mieux comprendre la nature des croyances à l’origine de l’IC
149En prenant appui sur la phase de recherche formative de la TCP, notre travail explore également le rôle joué par les croyances comportementales, normatives et de contrôle dans l’IC. Cette démarche développe une compréhension des croyances, et de la nature des croyances, qui influencent les modalités de l’IC.
150Sur le plan des croyances comportementales, cette recherche adopte un nouveau point de vue puisqu’elle accorde une place centrale au rôle joué par les croyances affectives, les valeurs et les habitudes dans l’IC. Cette perspective permet de pallier l’excès de rationalité reproché à la TCP et d’emprunter d’autres voies que les recherches antérieures, qui s’intéressent principalement aux conséquences attendues de la croissance (Davidsson, 1989 ; Wiklund et al., 2003).
151Nos résultats insistent sur l’importance des croyances affectives et des valeurs pour expliquer l’ICE. En particulier, nous montrons qu’un entrepreneur développe son ICE, non pas en fonction des conséquences de la croissance, mais parce qu’il apprécie l’exercice et la pratique de la croissance en soi. Autrement dit, le plaisir de parcourir le chemin est au moins aussi important que la satisfaction d’atteindre le but. Dans cette perspective, nous identifions trois systèmes de croyances affectives qui expliquent les fondements de l’ICE : l’esprit de compétition, le désir de création, le besoin de construction.
152Au côté des croyances affectives, nous expliquons également l’influence des systèmes de valeurs dans l’ICE. Dans ce cadre, deux notions sont proposées : le chef-d’œuvre entrepreneurial et l’hommage patrimonial. Le chef-d’œuvre entrepreneurial exprime la volonté qu’a l’entrepreneur de laisser une empreinte de son passage par l’ampleur de ses réalisations entrepreneuriales. L’hommage patrimonial témoigne de la nécessité perçue par l’entrepreneur de faire de la croissance pour se montrer digne des réalisations entrepreneuriales passées.
153Ces résultats, qui soulignent l’importance des systèmes de valeurs et des croyances affectives à l’origine de l’ICE, complètent les recherches sur l’influence du besoin d’accomplissement dans l’IC (Kolvereid, 1992 ; Levie et Autio, 2013). À la lecture de ces travaux, la direction d’une entreprise plus grande est un facteur de motivation intrinsèque pour l’entrepreneur. Nos résultats apportent une dimension complémentaire à ces conclusions. Ils proposent trois notions, liées à l’affect, et deux notions, liées aux valeurs, pour éclairer et détailler très concrètement le concept, plutôt large et englobant, de besoin d’accomplissement. Par ailleurs, ces résultats apportent des éléments de réponse aux questions soulevées sur la nature personnelle ou utilitariste des motivations à la croissance, puisqu’ils développent et argumentent l’idée d’une ICE plus personnelle et expérientielle que rationnelle et instrumentale (Wright et Stigliani, 2013, p. 7).
154À l’opposé de l’ICE, nous indiquons que les deux autres modalités de l’IC, la NIC et l’INC sont influencées respectivement par les habitudes et les croyances instrumentales. Ces résultats permettent de porter un regard académique sur la notion d’INC, jusqu’alors peu étudiée. Ils rejoignent également plusieurs conclusions avancées dans les recherches antérieures. Les typologies d’entrepreneurs, comme les études menées sur les entrepreneurs indépendants, montrent déjà l’importance des compétences fonctionnelles et des logiques traditionnelles pour caractériser les comportements d’entrepreneurs peu ambitieux.
155Sur le plan des croyances normatives, cette recherche identifie les acteurs de la pression sociale qui est exercée sur un comportement de croissance. Les mécanismes à l’œuvre dans le cadre de cette pression sociale sont également mis en évidence, soulignant certains points étonnants : l’INC peut être confortée par des pairs ; les entrepreneurs accordent une grande importance à l’opinion publique. Ces résultats suggèrent, outre des travaux supplémentaires, qu’il convient d’adopter très certainement une approche plus contextualisée, collective et communautaire de l’IC. Les travaux antérieurs se concentrent exclusivement sur l’individu et la personnalité des entrepreneurs. Or c’est omettre que l’IC, comme d’autres actions entrepreneuriales, puissent être fortement encastrées et contextualisées à un niveau social (McKeever et al., 2015). Cette perspective semble importante à développer, d’autant qu’elle offre la possibilité d’identifier des ressources culturelles et sociales pour déclencher et renforcer l’IC des entrepreneurs.
156Au niveau des croyances de contrôle, nos résultats convergent avec les conclusions d’études anciennes et avec les freins à la croissance qui sont régulièrement évoqués dans les débats publics (Duchéneaut, 1996, p. 306 ; Oséo, 2009). Nous distinguons néanmoins dans ces résultats les croyances de contrôle qui relèvent de la contrôlabilité de celles qui relèvent de l’auto-efficacité. Cette répartition est importante, car elle offre la possibilité de différencier les barrières objectives à la croissance, de celles, plus subjectives, qui sont plus à même d’être modifiées.
157En mettant en avant le rôle central des croyances affectives et des valeurs dans l’ICE, nos résultats permettent de s’extraire du carcan rationnel pour l’analyse de l’IC. Ils développent une vision de l’ICE plutôt motivée par la pratique de la croissance que par ses conséquences, et insistent donc sur la place centrale des émotions, plus que sur celle des avantages, pour expliquer l’ICE.
5.3 – Une asymétrie et une hétérogénéité des croyances à l’origine des modalités de l’IC
158Cette recherche montre que les croyances à l’origine des diverses modalités de l’IC sont asymétriques et hétérogènes. Asymétriques, parce que les croyances qui motivent l’intention ne sont pas systématiquement l’opposé de celles qui motivent ses alternatives. Hétérogènes, parce que les croyances qui motivent l’intention n’appartiennent pas nécessairement au même champ conceptuel que celles qui motivent ses alternatives. Ce caractère asymétrique et hétérogène des croyances implique que les trois modalités principales de l’IC ne peuvent être considérées comme des notions contraires mais doivent être envisagées comme des construits distincts.
159Ces résultats convergent avec certaines approches psychologiques de l’attitude et de la motivation. En particulier, Herzberg (1967, 1987) soulignait déjà, à propos de la motivation au travail, que les facteurs qui guident la satisfaction au travail sont singulièrement distincts de ceux qui guident l’insatisfaction au travail et qu’en conséquence, les deux dimensions ne peuvent être considérées comme les contraires les unes des autres. Pour l’auteur, le contraire de la satisfaction au travail n’est pas l’insatisfaction au travail, mais l’absence de satisfaction au travail. Ses recherches indiquent également que les perceptions de satisfaction et d’insatisfaction au travail peuvent coexister et évoluer en parallèle au sein d’un même individu. Plus récemment, Richetin et al. (2011) parviennent à des conclusions analogues à propos de l’adoption de comportements alimentaires et sportifs en mobilisant la TCP. Pour ces auteurs, les systèmes de croyances, de buts et de motivations qui guident l’intention et l’absence d’intention d’adopter un comportement ne se situent parfois pas sur un plan conceptuel opposé mais plutôt sur un plan conceptuel séparé. Par exemple, l’intention de faire du sport peut reposer sur le plaisir et l’absence d’intention ne pas être influencée par le déplaisir, mais être plutôt liée à un manque de temps, le coût du matériel, etc. En ce sens, les voies de l’action et de l’inaction peuvent être différentes et non mutuellement exclusives.
160Une conception identique, asymétrique, hétérogène et non mutuellement exclusive, des croyances à l’origine des diverses modalités de l’IC est observée et développée dans le cadre de cette recherche. Ce résultat implique des répercussions importantes à des fins managériales. Cette nouvelle perspective suggère de développer et d’orienter les dispositifs de soutien à l’IC de façon différenciée et ciblée sur chacune des trois modalités de l’IC identifiées et sur les systèmes de croyances qui leur sont associés.
161Pour encourager la croissance, les décideurs publics s’orientent sur des principes de flexisécurité et de simplification, avec l’objectif de lever les freins psychologiques à la croissance pour favoriser l’ambition des entrepreneurs. À la lumière de nos résultats, ces mesures publiques ne constituent qu’une partie de la solution. En effet, ces orientations politiques et économiques ne traitent qu’une face de la problématique de l’IC, puisqu’elles agissent essentiellement sur l’INC et non sur ses deux autres modalités.
162Cette recherche montre qu’encourager l’ICE implique une réflexion d’un tout autre niveau. En particulier, il s’agit de faire naître et de conforter des composantes affectives telles que l’esprit de compétition, le désir de création, le besoin de construction chez les entrepreneurs. Favoriser l’ICE repose ainsi sur une action dont les leviers sont plus émotionnels qu’instrumentaux et dont le niveau d’analyse est principalement culturel et sociétal. Dans cette voie, il est nécessaire de renforcer la culture entrepreneuriale sous toutes ses formes (Chabaud et Degeorge, 2015). Plus particulièrement, il ne s’agit plus de se limiter à une analyse des facteurs contextuels de la croissance, mais de prendre à bras le corps la question des facteurs motivationnels intrinsèques et des valeurs par une approche de l’éducation, de la formation et de l’information, plus valorisante et inspirante.
163Concernant la NIC, trois pistes se dessinent. La première s’adresse aux décideurs publics. Ces acteurs sont amenés à prendre conscience que la croissance ne va pas de soi pour tous les entrepreneurs et nécessite une configuration cognitive pour valoriser, désirer et mettre en œuvre la croissance. Une seconde piste porte sur l’éducation. L’encouragement à l’entrepreneuriat, notamment à la création d’entreprise, qui est maintenant bien ancré, nécessite de franchir une étape supplémentaire par une meilleure intégration de la dimension croissance de l’entreprise. Enfin, une dernière piste s’adresse aux différents acteurs des programmes et dispositifs d’accompagnement des PME. Parmi les différentes composantes de ces programmes, un levier s’avère particulièrement déterminant, la sensibilisation aux enjeux sociétaux et économiques de la croissance des entreprises. Compte tenu de la nature de ces trois différentes pistes, l’action sur la NIC demeure plus sensible et, de ce fait, doit être envisagée sur le long terme.
5.4 – Limites et perspectives
164Cette recherche comporte plusieurs limites qui doivent ouvrir sur des prolongements et des travaux de recherche futurs. Premièrement, l’accent est mis volontairement sur le rôle des croyances comportementales, qui concentrent le cœur de notre travail. Bien que nous ayons procédé à une analyse des croyances normatives, celle-ci mériterait d’être élargie aux acteurs de la pression sociale exercée sur l’adoption du comportement de croissance. Au regard des mécanismes déjà identifiés, cette perspective de recherche paraît être enrichissante et à poursuivre. Deuxièmement, le travail se concentre sur une démarche compréhensive. Un prolongement de cette recherche serait de mobiliser la TCP lors d’une enquête par questionnaire. Cette perspective implique d’adopter une approche élargie des antécédents de l’IC, en envisageant d’analyser, par exemple, le rôle des émotions anticipées dans l’IC. Enfin, le choix du recueil des données s’est porté sur des entrepreneurs ayant déjà connu la croissance, puisque ces entrepreneurs présentent la plus forte diversité dans leur IC. Cette recherche peut également être répliquée auprès des porteurs de projet ou des dirigeants de TPE, ces entreprises constituant le cœur du tissu économique dans la plupart des pays.
Conclusion
165Cette recherche, qui accorde une place centrale aux entrepreneurs, permet de mieux comprendre leur intention de croissance (IC). Premièrement, elle identifie un large panel des modalités de l’IC et développe un cadre intégrateur de la notion, qui permet d’en appréhender toutes les facettes et les nuances. Deuxièmement, en prenant appui sur le cadre d’analyse des croyances dans la Théorie des Comportements Planifiés (TCP), cette recherche développe une compréhension fine des croyances à l’origine de chaque modalité de l’IC. Notre travail montre que les modalités principales de l’intention de croissance, l’Intention de Croissance Effective (ICE), la Non-Intention de Croissance (NIC) et l’Intention de Non-Croissance (INC) trouvent leurs origines dans des croyances qui sont asymétriques et hétérogènes. Dans cette perspective, nous soulignons l’importance des systèmes de croyances affectives et de valeurs à l’origine de l’ICE, le rôle de l’habitude pour expliquer la NIC, et celui des croyances instrumentales, des inconvénients perçus, dans l’INC. Pour les chercheurs, ces résultats impliquent d’adopter une approche complexe dans l’analyse de l’IC pour mieux en capturer les dynamiques. Ces résultats interrogent également le bien-fondé des politiques publiques qui visent l’encouragement de l’IC. Ils proposent une nouvelle lecture, plus culturelle et sociétale, de ces problématiques.
Caractéristiques des entreprises, dont les dirigeants ont été interrogés
Les entretiens collectifs focalisés
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Mots-clés éditeurs : Non-Intention de Croissance, croyances, théorie des comportements planifiés, Intention de Croissance Effective, Intention de Non-Croissance, Intention de Croissance
Date de mise en ligne : 12/03/2018.
https://doi.org/10.3917/entre.163.0107Notes
-
[1]
Les auteurs remercient les rédacteurs en chef et les évaluateurs pour la qualité de leurs commentaires et de leurs suggestions qui ont contribué à l’évolution et à l’amélioration de cet article.
-
[2]
Davidsson (1989) emploie la notion de conséquences attendues.
-
[3]
Il convient de préciser que deux cas atypiques n’ont pas été retenus dans l’analyse. Le dirigeant de la PME 26, qui s’est concentré sur la direction nationale d’un réseau de dirigeants et qui a mis entre parenthèses la croissance de son entreprise. Le dirigeant de la PME 14, directeur d’une filiale, dont la volonté est soumise à celle de l’actionnaire.