Introduction
1Dans le cadre du « Global Entrepreneurship Monitor: Executive Report » [1], une distinction est faite entre l’entrepreneuriat de nécessité – motivé par l’obligation de créer son propre emploi – et l’entrepreneuriat d’opportunité – motivé par la présence d’une opportunité perçue comme un meilleur choix de carrière.
2Si l’entrepreneuriat d’opportunité reste conforme aux théories économiques de référence [2], cette dichotomie nécessité/opportunité repose sur des facteurs beaucoup plus difficiles à déterminer (Bergmann et Sternberg, 2007) :
- Reynolds, Bygrave, Autio, Cox et Hay (2002) suggèrent que les entrepreneurs de nécessité ne peuvent pas nécessairement être affectés par les mêmes facteurs que les entrepreneurs d’opportunité.
- Selon Bhola, Verheul, Thurik et Grilo (2006), cela implique que les programmes actuels visant à encourager l’entrepreneuriat ne sont pas adaptés aux entrepreneurs motivés par la nécessité mais plutôt aux entrepreneurs d’opportunité.
3Ainsi, les pratiques de formation et d’accompagnement actuelles prennent-elles en considération les profils motivationnels des entrepreneurs ?
4Notre étude porte sur l’analyse de 19 porteurs de projet de création d’entreprise en situation de recherche d’un nouvel emploi. En lien avec Pôle Emploi, ces derniers ont suivi une formation « Entrepreneur de petite entreprise » dont la finalité est : « Acquérir les méthodes et les repères disciplinaires essentiels pour conduire un projet de développement, de création ou de reprise au sein d’une petite entreprise ou d’une entreprise artisanale ». Cette formation met l’accent sur une pédagogie alternant des phases de face-à-face pédagogique, et des temps d’application sur leur propre projet. L’étude se base sur des entretiens individuels auprès de ces porteurs de projet.
5Notre étude exploratoire vise (1) à comprendre si leurs motivations sont liées uniquement à leur situation d’inactivité professionnelle (sortir du chômage), (2) à connaître l’évolution de la réalisation de leur projet, (3) à identifier les différents obstacles rencontrés influençant le démarrage ou non de leurs activités.
6Pour y répondre, nous nous sommes intéressés aux raisons psychologiques qui ont conduit les individus à une réussite ou à un échec de leur projet de création. Est-ce que les porteurs de projet considèrent que leur réussite/échec est dû (due) à leurs propres actions ou au contraire à des facteurs externes à eux-mêmes et sur lesquels ils n’ont que peu d’influence (Larose, 2002) (locus interne ou externe) ? Ensuite, nous nous sommes intéressés à un mode de calcul de la motivation entrepreneuriale des individus.
1 – Cadrage théorique
7La personnalité d’un entrepreneur occupe une place centrale pour la réussite de son projet (Bruyat, 1993).
8En 1967, Smith a mis en évidence deux types d’entrepreneur : (a) l’entrepreneur artisan : « characterized by narrowness in education and training, low social awareness and involvement, a feeling of incompetence in dealing with the social environment, and a limited time orientation » (Smith et Miner, 1983, p. 326); (b) l’entrepreneur opportuniste : « opportunistic entrepreneurs exhibited breadth in education and training, high social awareness and involvement, confidence in their ability to deal with the social environment, and an awareness of, and orientation to, the future » (Smith et Miner, 1983, p. 326).
9En 1999, Boutillier et Uzunidis mettent en évidence l’opposition de deux archétypes, qu’ils nomment « Routinier » et « Révolutionnaire ».
10En 2006, Lagarde expose que « la plupart des typologies peuvent ainsi être vues comme des prolongements et des adaptations de la dichotomie originale de Smith (1967) :
- le Prospecteur-innovateur (Miles et Snow, 1978),
- le Suiveur- réacteur (Miles et Snow, 1978),
- l’Entrepreneur et le Propriétaire (Gartner, 1989),
- le Risque-manageur (Lafuente et Salas, 1989)
- l’Artisan-famille (Lafuente et Salas, 1989).
11En ce qui concerne le comportement des entrepreneurs, deux approches principales se sont développées dans la littérature en entrepreneuriat (Gartner, 1988) :
- l’approche par les traits : l’entrepreneur possède des caractéristiques psychologiques (le besoin d’accomplissement, la prise de risque, etc.) qui le distinguent des non-entrepreneurs (Hernandez, 1999) ;
- l’approche comportementale par les faits : dans cette approche, on s’intéresse à ce que fait l’entrepreneur, l’accent est mis sur son agir. Certains comportements ont été mis en avant par les chercheurs (Innovation Leadership, création, flexibilité) (Filion, 1997).
12Les deux approches tentent de répondre respectivement à trois questions : (1) « Qui » : qu’est-ce qu’un entrepreneur ? (2) « Comment » : comment fait-il ? (3) Une autre approche s’est intéressée au « Pourquoi » : pourquoi une personne souhaite-t-elle créer une entreprise ? Pour Bruyat (1993, p. 121), « les typologies ont permis de faire ressortir que la création d’une entreprise était largement inscrite dans le parcours personnel du créateur ». Le profil du créateur dépend ainsi pareillement des circonstances initiatrices de la création :
- McMullen, Bagby et Palich (2008) montrent que les entrepreneurs volontaires, en raison de leurs motivations, sont orientés vers les projets innovants, à forte croissance et secteurs d’exportation, contrairement aux entrepreneurs contraints.
- Reynolds, Bygrave, Autio et Hay (2001) montrent que le pourcentage de créateurs contraints est plus élevé dans les secteurs de l’agriculture, de la forêt, de la pêche et de l’Horeca, comparativement aux créateurs volontaires. Ces derniers sont plus présents dans les secteurs de l’automobile et des services aux entreprises.
1.1 – Modèles de Shapero et Sokol (1982)
13En 1993, Krueger, sur la base du modèle général [3] de Shapero, distingue l’entrepreneuriat de nécessité par opposition à l’entrepreneuriat d’opportunité. Ces travaux serviront de base aux recherches effectuées sur la thématique de l’entrepreneuriat, comme le montrent les travaux de Reynolds, Bygrave, Autio, Cox et Hay (2002).
La formation de l’événement entrepreneurial (Shapero et Sokol, 1982, p. 83)
La formation de l’événement entrepreneurial (Shapero et Sokol, 1982, p. 83)
14Le modèle de Shapero vise à étudier le « Pourquoi » : quels sont les événements de vie qui poussent une personne à s’orienter vers l’entrepreneuriat plutôt que vers une autre voie professionnelle. Selon Bruyat (1993) et Emin (2004), ce choix est le résultat de la combinaison de trois forces : sa situation précipitant l’acte entrepreneurial (déplacements négatifs, déplacements positifs ou situations intermédiaires) ; sa perception de la désirabilité du comportement ; sa perception de la faisabilité du comportement envisagé. Le modèle se veut multidimensionnel : la formation d’entreprise est le résultat de la combinaison de plusieurs des facteurs du modèle, complémentaires et non exclusifs.
15Événement déclencheur : il s’agit des événements qui marquent des changements dans les trajectoires de vie des individus et sont à la base du déclenchement de l’événement entrepreneurial. Ils influencent le système de valeur des individus et ainsi leurs perceptions de désirabilité. Il existe deux groupes de variables intermédiaires : les perceptions de désirabilité et les perceptions de faisabilité qui sont le produit de l’environnement culturel, social et économique (Gasse, Lacasse, Tremblay, Guénin-Paracini et Brousseau Doiron, 2006).
16Perceptions de la désirabilité : elles renvoient selon les auteurs à l’attrait envers la création et sont notamment influencées par la présence de modèles dans l’entourage (Audet, 2004). Elles peuvent être assimilées aux concepts de la norme subjective perçue et de l’attitude, proposées dans la théorie développée par Ajzen (1991, p. 188).
17Les perceptions de faisabilité : elles renvoient au degré avec lequel un individu pense pouvoir mener à bien la création d’entreprise. Elles dépendent par exemple de la disponibilité perçue des ressources nécessaires à la création de l’entreprise, des compétences de l’entrepreneur et de la confiance qu’il a en sa capacité à mener à bien les tâches jugées critiques pour la réussite d’un processus entrepreneurial. Elles renvoient à la théorie du comportement planifié d’Ajzen (1991, p. 188) et au concept de contrôle perçu.
18Cependant, le modèle de Shapero ne fait pas explicitement référence à l’intention de créer une entreprise (Emin, 2004). Dans ce sens, Krueger (1993) propose une modélisation de la formation de l’événement entrepreneurial de Shapero en incorporant le concept d’intention. L’étude d’un comportement futur de création d’entreprise est indissociable des intentions qui animent les individus quant à la manifestation de ce comportement (Tounés, 2003).
1.2 – Modélisation de Krueger (1993)
19Pour Krueger (1993, p. 7), l’intention entrepreneuriale se définit comme l’engagement de lancer une nouvelle entreprise. Il distingue l’intention entrepreneuriale de l’entrepreneuriat, qui renvoie au démarrage effectif d’une nouvelle entreprise.
20Dans la conceptualisation de Shapero, la propension à l’action dépend notamment des perceptions de désirabilité par le désir de prendre le contrôle. Pour Krueger (1993), la propension à agir est uniquement une variable modératrice. Selon ce dernier, avoir des intentions sérieuses et crédibles implique automatiquement une propension importante à agir. Il suggère que la propension à l’action peut influencer les attitudes et les comportements d’intention et d’action qui sont à leur tour influencés par l’expérience (cf. figure 2).
Modèle de Shapero d’après Krueger (1993)
Modèle de Shapero d’après Krueger (1993)
21L’étude exploratoire de Krueger a permis de valider les propositions de Shapero concernant l’importance des perceptions de désirabilité et de faisabilité. L’analyse causale a démontré une influence indirecte des expériences entrepreneuriales antérieures sur les intentions (à travers leurs perceptions). La positivité de ces expériences influence aussi indirectement l’intention via l’attrait de l’intérêt perçu.
22En dehors des modèles précédemment exposés, plusieurs modèles conceptuels ont été utilisés pour tenter d’expliquer l’intention entrepreneuriale : (a) des modèles issus de la psychologie sociale et cognitive (Ajzen, 1991 ; Bandura, 1982 ; Learned, 1992 ; Boyd et Vozikis, 1994) ; (b) d’autres propres aux domaines de l’entrepreneuriat (McClelland, 1961 ; Brockhaus, 1982 ; Gartner, 1988 ; Reynolds, 1991).
23Le modèle conceptuel de l’événement entrepreneurial de Shapero et Sokol (1982) représente l’un des principaux modèles théoriques de l’intention entrepreneuriale.
1.3 – Émergence des concepts de l’entrepreneuriat de nécessité et de l’entrepreneuriat d’opportunité
24Suite à ces différents travaux, deux concepts d’entrepreneuriat ont vu le jour : (1) l’entrepreneuriat d’opportunité, motivé par des déplacements positifs (au sens de Shapero et Sokol, 1982 : motivations de création « pull ») ; (2) l’entrepreneuriat de nécessité, motivé par des déplacements négatifs (motivations de création « push »).
Motivations « push » et « pull »
Motivations « push » et « pull »
25Le premier travail faisant référence à ces deux notions est celui de Reynolds, Bygrave, Autio, Cox et Hay (2002, p. 16), dans le « Global Entrepreneurship Monitor: Executive Report » (GEM). Ces derniers font état de deux raisons principales qui motivent les personnes impliquées dans les initiatives entrepreneuriales à travers le monde (37 pays) : (1) la perception d’une occasion d’affaire (le choix de démarrer une entreprise est considéré comme l’une des options de carrière possibles : 61 % au niveau mondial), (2) l’entrepreneuriat est considéré comme un dernier recours (obligation de démarrer leur propre entreprise parce que toutes les autres options de travail sont absentes ou insuffisantes : 37 % au niveau mondial). Cependant, une grande variabilité existe entre les 37 pays au regard des deux motivations.
26Giacomin, Guyot, Janssen et Lohest (2008) ont réalisé une synthèse des motivations « push » et « pull » sur la base d’une revue de la littérature. Nous proposons de reprendre leur travail de classification. Comme le souligne Giacomin, Guyot, Janssen et Lohest (2008), cette classification reste heuristique. Pour Hughes (2003), une variable peut être considérée comme « push » chez les uns et comme « pull » chez les autres en fonction de leurs propres circonstances de vie (cité par Giacomin, Guyot, Janssen et Lohest, 2008, p. 4).
2 – Méthodologie adoptée et collecte des données
27La présente étude repose sur des données issues d’entretiens individuels réalisés individuellement auprès des porteurs de projet. Un guide d’entretien a été conçu sur la base de notre revue de littérature. Récoltées dans le cadre du cursus pédagogique, nous disposons également d’informations qualitatives, telles que la présentation du porteur de projet, sa motivation à l’entrée en formation, le projet en lui-même et ses compétences.
2.1 – Présentation des porteurs de projet de création d’entreprise étudiés
28La présente recherche s’inscrit dans une approche exploratoire. Elle a pour but de comprendre le phénomène d’entrepreneuriat chez des porteurs de projet de création d’entreprise en situation de recherche d’un nouvel emploi. Ces derniers ont tous suivi le même parcours de formation issu d’un partenariat entre le pôle-emploi et le Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Les variables sociodémographiques et les niveaux de formation des porteurs de projet se trouvent en annexe 2.
29Pour Baumard et Ibert (2007, p. 86), « les “données” sont des représentations acceptées d’une réalité que l’on ne peut ni empiriquement (par les sensations) ni théoriquement (par l’abstraction) embrasser ». Ces derniers font une distinction entre la réalité objective et la réalité subjective des individus qui l’ont vécue. Dans le cadre de notre étude, nous nous intéressons à la réalité perçue par les porteurs de projet de création d’entreprise vis-à-vis de la création de leur propre entreprise. Nous avons donc mis en évidence les degrés de maturité des projets et la nature des projets.
Données à l’entrée en formation
Données à l’entrée en formation
30Lors de leur entrée en formation, sept porteurs de projet en étaient à la phase d’identification de l’idée : ils avaient exprimé leur envie d’entreprendre sans avoir une idée claire de l’idée (un secteur d’activité, une envie d’entreprendre et un concept encore flou). Douze porteurs de projet avaient une idée assez précise de concept : six en phase de faisabilité, un en phase de planification et cinq en phase de budgétisation.
31La majorité des créations sont de nature commerciale, pour douze d’entre eux (négoce, achat-vente). Les sept autres porteurs de projet se répartissent dans des activités industrielles, des bureaux d’étude et des services aux entreprises. Nous avons ensuite mis en évidence les motivations qui ont poussé les porteurs de projet à se lancer dans cette formation (plusieurs réponses par porteur) (tableau 3).
Motivation à l’entrée en formation
Motivation à l’entrée en formation
32Les raisons qui ont conduit les porteurs à s’inscrire à cette formation nous donnent une indication forte sur leur engagement et sur leur intention entrepreneuriale définie par Krueger (1993). Il faut toutefois nuancer la corrélation entre « motivation à suivre la formation » et « intention entrepreneuriale » par le biais des obligations données par pôle-emploi.
33D’autre part, nous disposons de l’ensemble des travaux pédagogiques des porteurs de projet relatifs à la formalisation de leur projet et à l’analyse de leurs compétences :
- vision et posture entrepreneuriale du porteur de projet (prise de décision, veille stratégique, conduite de projet, management des ressources, contrôle de l’activité, animation des réseaux de partenaires) ;
- leur stratégie et leur objectif (volonté et ambitions à un horizon de trois ans, objectifs à six mois) ;
- les forces, les faiblesses de leurs ressources financières, matérielles, humaines, logicielles, techniques ; ainsi que les menaces et les opportunités économiques, technologiques, normatives, concurrentielles ;
- leur tableau de bord initial et réactualisé pendant tout le déroulement de leur projet entrepreneurial, incluant les indicateurs de mesures, les niveaux attendus et les évolutions ;
- leur plan d’action dressé objectif par objectif, incluant tâches, rétroplanning, répartition par acteurs et évolutions pendant le projet ;
- les ressources initiales et acquises pendant le projet (ressources matérielles, logicielles, humaines, techniques, financières) ;
- les actions, tâches et activités de leur fonction entrepreneuriale en devenir, ainsi que leurs domaines d’intervention ;
- les savoirs requis, ainsi que les compétences académiques, procédurales, liées à l’expérience de vie et au vécu, et au savoir-faire ;
- leur plan d’amélioration des compétences ;
- le bilan qualitatif, quantitatif, économique et administratif de leur projet ;
- le bilan des acquis, de l’évolution de leurs compétences, de l’origine de la progression et de leur apprentissage.
34L’ensemble de ces éléments nous a permis de constituer un verbatim riche et important sur ces 19 porteurs de projet, au-delà des entretiens individuels réalisés.
2.2 – Les données issues des entretiens individuels
35La finalité des entretiens individuels est de permettre de déceler les éventuels blocages susceptibles d’entraver notre étude empirique finale et d’acquérir une compréhension poussée des raisons et des motivations liées aux représentations et comportements (Bonoma, 1985).
36L’objectif est triple :
- la validation des données pédagogiques collectées (principalement ce qui a trait aux motivations) ;
- étoffer les informations sur leur situation professionnelle ;
- les différents freins rencontrés.
37Nous avons effectué des entretiens téléphoniques semi-directifs à consigne ouverte, en excluant les questions fermées. Ces entretiens reposent sur un guide dont le but est d’offrir une trame au déroulement des échanges.
38Présentation du protocole :
- Nous avons créé un guide d’entretien qui s’appuie d’une part sur la revue de littérature et d’autre part sur les premières observations issues des données de terrain. Comme le souligne Wacheux (1996, p. 203), l’entretien est « un moyen privilégié d’accéder aux faits, aux représentations et aux interprétations sur les situations connues par les acteurs ». Il permet au chercheur d’accéder au récit de la propre expérience de la personne interrogée, avec un mélange d’interprétations et d’opinions très subjectives. Ce « discours de l’acteur n’est jamais, a priori, la réalité, mais la manière dont il a perçu les événements. Il restitue les éléments présents dans sa mémoire au moment de la rencontre ou se livre sans analyse sur une situation précisée » (Wacheux, 1996, p. 204). Ceci implique certains biais cognitifs qui peuvent altérer la réalité. Le guide d’entretien a donné un cadrage aux échanges.
- Nous avons contacté les porteurs de projet. L’entretien a débuté par une présentation de l’objet de l’entretien, de l’explication de l’anonymisation des données, de l’intérêt de leur propos (faire un point sur la formation suivie et sur les améliorations possibles à apporter). Ensuite, nous avons réalisé des échanges en profondeur en suivant le guide d’entretien créé. Nous avons pris des notes pendant l’entretien sur les propos tenus par les porteurs de projet. Nous avons utilisé l’écoute active afin de valider les propos des personnes : reformulation et validation des propos. Concernant le déroulement des entretiens, nous avons conservé une flexibilité par rapport à l’ordre et au développement des questions selon les interactions avec les interviewés. Enfin, pour éviter les risques de mauvaise interprétation de certains propos, nous avons validé l’ensemble des réponses à la fin de chaque entretien avant analyse. Les entretiens ont eu une durée d’une heure environ.
- Suite à l’entretien, nous avons retranscrit les propos des porteurs de projet, synthétisé les éléments dans une grille de synthèse, puis nous avons anonymisé cette grille.
39Ainsi, à l’issue de leur parcours de formation, on peut constater quatre niveaux de réalisation des projets (tableau 4). Douze porteurs de projet ont ou vont réaliser leur projet avec une égale répartition entre les créations effectives (entreprise créée et en cours d’exercice), les projets en cours de réalisation (créations administratives et juridiques à venir) et les projets reportés (créations reportées pour des raisons de repositionnement de concepts ou de repositionnement économique). Sept autres porteurs de projet ont décidé d’abandonner leur projet de création (manque de financement, manque de compétences, lourdeur administrative, aversion au risque, manque d’appui familial).
Niveaux de réalisation des projets
Niveaux de réalisation des projets
3 – Résultats et analyses
40Si, sur la base des premières observations, l’engagement dans la perspective entrepreneuriale semble indépendant du sexe, de l’âge ou du niveau du diplôme, d’autres variables semblent néanmoins influencer l’évolution et/ou la réalisation des projets de création : les différentes trajectoires, les types de motivation, les niveaux de motivation, les niveaux de contrôle des obstacles, la posture du porteur de projet et l’influence de l’entourage.
3.1 – Différentes trajectoires : décalage entre les logiques d’intention et d’action
41Pour Tounès (2003), l’intention est évolutive selon les circonstances, les populations, les lieux et les opportunités. Plusieurs facteurs (les événements professionnels, les opportunités d’affaire, la disponibilité des ressources, etc.) peuvent affecter les attitudes et les perceptions et donc les intentions des individus.
42Ainsi, le passage d’une logique d’opinion (l’intention de créer une entreprise) à une logique d’action (l’acte de création) est difficile à cerner. Pour Bruyat (1993), l’engagement se réalise lorsque l’action de créer est perçue comme préférable au maintien dans la situation présente (salarié, chômeur, étudiant, etc.).
43Une faible proportion des individus ayant un potentiel entrepreneurial suffisant formulera l’intention d’entreprendre (Krueger, Reilly et Carsud, 2000). Une part plus faible prendra l’initiative de créer une entreprise. Ce qui relève de la volonté présente pourrait devenir un futur impossible (Tounès, 2003)
44Toutefois, Tkachev et Kolvereid (1999) affirment qu’on ne peut s’appuyer sur l’hypothèse d’une stabilité des attitudes et des perceptions au cours du temps. De même qu’on ne peut exclure que les mêmes causes peuvent entraîner d’autres effets.
45Selon Moreau (2006), l’approche par les intentions n’a toujours pas exploré le lien entre l’intention et sa concrétisation : une personne intentionnée se lance-t-elle forcément dans l’aventure entrepreneuriale ? « Cette question du lien entre l’intention d’entreprendre et le passage à l’acte reste largement ouverte de sorte que les modèles proposés aujourd’hui s’avèrent incomplets et ne permettent pas vraiment d’expliquer et encore moins de prédire les actions entrepreneuriales » (Danjou, 2004, p. 227).
46Le passage « intention – action » reste encore mystérieux et les modèles actuels ne permettent pas d’expliquer pourquoi, à l’intérieur même d’un groupe de personnes intentionnées, certaines créeront leur société et d’autres non (Moreau, 2006).
47Pour expliquer cela, des auteurs comme Danjou (2004) et Audet (2004) avancent l’idée que l’intention d’entreprendre est susceptible de changer dans le temps. De ce fait, entre la formation de l’intention et le moment de sa concrétisation, il y a des chances que l’intention initiale se modifie à cause de circonstances nouvelles. Dans une étude menée auprès d’étudiants, Moreau (2006) démontre que l’intention entrepreneuriale peut connaître des redéfinitions d’intensité dans le temps dans un sens positif ou négatif, parfois radicales. Ceci explique le décalage entre l’intention et le passage à l’acte. Ces résultats restent à être appuyés par d’autres recherches de terrain.
48Les relations entre intention et action ne sont ni immédiates ni certaines. Toutefois, l’intention occupe une place stratégique dans le système d’action de l’individu (elle lie la logique mentale et la logique d’action). Aussi, dès lors que l’on cherche à mieux comprendre les logiques d’action, l’étude de l’intention se révèle être une perspective de recherche capitale (Emin, 2003).
49Dans notre étude, 19 porteurs de projet se sont inscrits à une formation « Entrepreneur de petite entreprise ». Néanmoins, seuls quatre d’entre eux se sont réellement lancés dans l’action d’entreprendre. Ainsi existe-t-il une corrélation entre la logique d’action entrepreneuriale et leur motivation ?
3.2 – Différents types de motivation
50Bien que les porteurs de projet de création d’entreprise soient tous en situation de recherche d’emploi, leurs motivations présentent certaines divergences, notamment au niveau de l’importance accordée (alors que certains veulent devenir indépendants et autonomes, d’autres veulent saisir une opportunité d’affaire, ou encore suivre un modèle familial). En ce sens, la classification en deux concepts (nécessité et opportunité) nous semble réductrice de la réalité à laquelle nous avons été confrontés.
51En fonction des motivations observées, nous proposons en plus des deux catégories identifiées par Reynolds (2002) : entrepreneuriat de nécessité et entrepreneuriat d’opportunité, deux situations intermédiaires : l’entrepreneuriat de tradition, motivé par la présence de certaines pressions familiales (motivations « push ») poussant à reprendre l’affaire familiale ou l’influençant à en créer (modèle de rôle) et l’entrepreneuriat de conviction, motivé par un fort attrait à l’entrepreneuriat et/ou un besoin d’accomplissement de soi.
52Bien que l’entrepreneuriat familial, et donc le lien entrepreneuriat/entreprise familiale, présente un grand intérêt dans la recherche en entrepreneuriat (Fayolle et Bégin, 2009), nous constatons que, dans ce domaine de recherche, peu d’efforts ont été accomplis pour tenter de le conceptualiser et/ou de le définir. Seuls Fayolle et Bégin (2009) proposent une conceptualisation de l’entrepreneuriat familial (ou de tradition) : d’une part, ils associent la famille et l’entrepreneuriat dans la dimension individuelle de l’entrepreneuriat ; d’autre part, l’entrepreneuriat et l’entreprise familiale se retrouvent dans une dimension collective (niveau organisationnel).
53Concernant l’entrepreneuriat de conviction, bien qu’on puisse l’associer aux variables de faisabilité et de perception de désirabilité de Shapero et Sokol (ainsi qu’aux variables liées au contrôle comportemental perçu et aux attitudes associées au comportement d’Ajzen), les travaux sur le sujet restent encore embryonnaires. Nous pouvons néanmoins citer les études sur l’esprit d’entreprendre et notamment sa mesure (Bachelet, Verzat, Hannachi et Frugier, 2006).
54Nous avons classé les motivations dans les 4 catégories d’entrepreneuriat :
Formes d’entrepreneuriat selon les motivations chez les porteurs de projet
Formes d’entrepreneuriat selon les motivations chez les porteurs de projet
3.3 – Différents niveaux de motivation
55Lors des entretiens individuels, la majorité des porteurs de projet ont formulé plusieurs types de motivation de création de leur entreprise (familiale, opportunité d’affaire, sortie du chômage…). Nous leur avons demandé de classer par ordre d’importance leurs motivations :
56La présence de motivations de natures différentes chez le même porteur de projet nous pousse à mettre en œuvre, en se basant notamment sur la base conceptuelle du modèle de Shapero et Sokol (1982) (mettant en avant des déplacements positifs et négatifs : « push » et « pull »), un système de notation selon l’importance accordée à chacune des motivations du porteur de projet.
Base de calcul du niveau de motivation
Base de calcul du niveau de motivation
Exemples de calcul du degré d’importance des motivations
Exemples de calcul du degré d’importance des motivations
MP : Motivation principale des porteurs de projetMS : Motivations secondaires des porteurs de projet
57Dans un premier temps, la motivation principale a été classée dans l’un des quatre types d’entrepreneuriat envisagés pour cette étude (nécessité, tradition, conviction ou opportunité).
58Ensuite, nous avons attribué un « scoring » pour la motivation principale :
- 0 : niveau (neutre) accordé à la motivation principale
- Les autres motivations peuvent influencer positivement (+1) ou négativement (–1) la motivation principale, respectivement si la motivation secondaire est de nature « pull » ou « push ». Pour les motivations secondaires « push », nous avons retranché 1 au scoring, et pour les motivations secondaires « pull », nous avons ajouté un scoring de 1.
3.4 – Différents niveaux de contrôle des obstacles
59Identifié comme principe d’évaluation du potentiel de réussite d’un entrepreneur (Brockhaus et Horwitz, 1986), le concept de « locus de contrôle » (Rotter, 1966), concept issu de la psychologie, permet de classer les comportements des entrepreneurs en deux catégories (Gatewood, Shaver et Gartner, 1995) :
- Le contrôle interne :
- Les événements ou obstacles rencontrés par le porteur de projet et qui l’affectent sont le résultat de ses actions.
- La personne contrôle (pense contrôler) son destin.
- Ses actions ont un impact sur son environnement.
- Sa performance (résultat) est attribuée à sa propre responsabilité.
- Le contrôle externe :
- Les événements ou obstacles rencontrés par le porteur de projet et qui l’affectent sont le résultat de facteurs externes sur lesquels il n’a pas ou n’a que peu d’influence.
- Le manque de contrôle est le résultat des facteurs externes (destin, chance, hasard, etc.).
- Il recherche activement un contrôle externe à cause du sentiment d’incompétence qu’il éprouve.
60Partant de ce principe nous avons classé leur comportement face aux différents obstacles (tableau 7).
Obstacles rencontrés et locus de contrôle
Obstacles rencontrés et locus de contrôle
61Exemple de locus de contrôle interne : le sujet 12 a attribué une causalité interne à son manque de connaissance commerciale (« Ma performance commerciale », « je dois renforcer… »). Le locus interne est confirmé par la solution apportée à ce manque de connaissance : « réorientation du projet pour revoir la stratégie commerciale », « choix du secteur en fonction des compétences », « acquérir et gagner une aisance relationnelle », « aller chez les clients et développer mon sens commercial ».
62Exemple de locus de contrôle externe : Le sujet 13 a attribué une causalité externe à son abandon (« ma famille ne m’a pas appuyée », « les banques ne prêtent pas », « il faut trop d’investissement pour se lancer », « on m’a dit que la création est risquée »). Le locus externe est confirmé par la solution apportée à cet abandon : « manque d’appui de la famille, manque de soutien des banques, aversion au risque : le projet n’a pas été mené jusqu’au bout », « j’ai été contraint de reprendre une activité salariale pour une stabilité financière et pour vivre ».
63Ce tableau met en évidence les locus des différents porteurs de projet :
- les uns avec un « contrôle » sur leur environnement et leurs actions :
- changer de secteurs d’activité pour une meilleure implication et motivation personnelle comme le numéro 1 ;
- persévérance dans leurs objectifs fixés comme les numéros 2 et 3, devant des lourdeurs juridiques ou administratives.
Une analyse des verbatim est révélateur du locus interne : « J’avais pris les mauvaises décisions, j’ai dû me réorienter » ou encore « Je me suis entouré des bonnes personnes afin d’avancer sur mon projet ».
- À l’inverse, les autres ont eu un mécanisme de « report » sur des éléments externes. Là encore, l’analyse des verbatim met en exergue des formes de locus externe : « En France, les lourdeurs administratives ne m’ont pas permis d’aboutir » ou encore « C’est de la faute de mes partenaires ».
64Sur les 19 porteurs de projets, 4 ont créé leur entreprise, 4 autres sont en cours de création. Il est intéressant de noter que ces 8 porteurs de projet ont eu un mécanisme de locus interne, se remettant eux-mêmes en cause et dépassant les contraintes rencontrées sur leur parcours. Quatre ont reporté leur projet et 7 ont abandonné l’idée de créer leur entreprise. À noter que ces 11 personnes ont avancé des arguments qualifiés de locus externe.
3.5 – Évolution des projets de création selon le type d’entrepreneuriat et le type de contrôle
65Sur la base des différentes classifications, nous avons schématisé les résultats pour mettre en lumière les liens existant entre trois principales variables (figure 4) :
- le type de motivation,
- le type de contrôle,
- le niveau de réalisation du projet.
Présentation des résultats
Présentation des résultats
66La motivation est présente dans les différents projets identifiés. Cependant, nous constatons un nombre relativement important d’abandons de projet dans le cadre de l’entrepreneuriat de nécessité (cas 13, 15, 16, 17, 18, 19). Ceci est notamment associé à une propension de contrôle externe, ce qui peut s’expliquer par le nombre important des entrepreneurs de nécessité dans notre échantillon composé de personnes en recherche d’un nouvel emploi.
67Sur les quatre cas de projet reportés (cas 11 et 12 : entrepreneuriat de nécessité ; cas 9 et 10 : entrepreneuriat de conviction), aucun ne fait partie de l’entrepreneuriat d’opportunité. Ceci peut s’expliquer par le caractère urgent lié à la saisie de l’opportunité du marché perçu. Toutefois, la présence de l’entrepreneuriat de nécessité dans les quatre différentes situations d’évolution des projets nous pousse à orienter notre analyse vers l’exploration des freins et obstacles rencontrés dans leurs processus de création.
68L’analyse des principaux obstacles rencontrés par les porteurs de projet de création d’entreprise sur le terrain nous conforte dans le choix des types d’entrepreneuriat que nous avons réalisé, notamment en ce qui concerne la catégorie des entrepreneurs de nécessité. En effet, à défaut de trouver les ressources financières nécessaires à la poursuite de leur projet de création, ils sont contraints de l’abandonner. Cette décision est motivée principalement par la nécessité de retrouver une stabilité financière.
69Deux des cas d’entrepreneurs de conviction ont lancé leur activité (cas 4 : création ; cas 8 : en cours de création). Les deux autres sont restés dans une perspective d’entrepreneuriat à moyen ou long terme (cas 9 : recherche d’une opportunité ; cas 10 : poursuit sa réflexion de création tout en reprenant une activité salariale dans le même secteur d’activité). Le porteur de projet 14, cas d’entrepreneuriat d’opportunité, a retrouvé une activité salariale sans difficulté suite à un désaccord avec son principal investisseur.
70Le cas 1, identifié comme entrepreneur de tradition, nous renseigne sur l’importance de l’impact des motivations liées à ce type d’entrepreneuriat (Présence d’une figure entrepreneuriale : modèle de réussite familial ; Reprendre l’entreprise familiale). En effet, suite à l’abandon du projet développé initialement, l’entrepreneur de tradition s’est associé à son conjoint qui représente la figure entrepreneuriale qui l’a influencé.
3.6 – Résultats : la posture du porteur de projet
71Le désir de se lancer dans l’entrepreneuriat est conditionné par une décision d’entreprendre. Pour E.M. Hernandez (2006), cela relève d’un processus rationnel : « La décision est une maximisation d’utilité. » Pour cet auteur, ces maximisations d’utilité peuvent être :
- l’espérance de rémunération, la richesse accumulée,
- les conditions de travail dans le secteur salarié,
- le risque de chômage.
72Pour Amblard et al. (1994), c’est plutôt une logique d’action : « La décision est l’association d’un acteur et d’une situation d’action. » Pour lui, le désir d’entreprendre se révèle :
- dans un pôle personnel (expérience vécue et ses ressources),
- dans un pôle relationnel (réseau et relations),
- dans un pôle professionnel (connaissance de l’entreprise et de son vécue professionnel).
73Pour C. Bruyat (1993), il s’agit d’une construction de sens : « La décision est l’addition d’un projet économique et d’un projet de vie. »
74Enfin, pour Bourguiba (2007), il y va d’un processus d’intention : « La décision provient d’une intention soumise à la volonté et à la situation. »
75Quels types de contrôle (locus interne ou externe) sont mis en avant par des porteurs de projet en situation de chômage qui suivent une formation en entrepreneuriat ?
76Deux approches permettent d’expliquer la motivation pour entreprendre :
- L’approche par les comportements : le déclenchement est mû par des forces internes et externes, et débouche sur un comportement, une direction, une intensité et une persistance. Le comportement de l’individu peut alors être analysé selon 6 schémas cognitifs :
- Le behaviorisme : comportementalisme, stimuli environnementaux.
- L’hédonisme : quête du bonheur et rejet de la souffrance.
- L’associationnisme : conséquences de son comportement.
- Le rationalisme : logique, relationnel, volonté.
- La psychanalyse : forces, pulsions, sentiments, motifs inconscients.
- Le cognitivisme : traitement de l’information.
- L’approche par les déplacements : pour Shapero et Sokol (1982), deux concepts opposés motivent les entrepreneurs, un concept dit « push » qui est un entrepreneuriat de nécessité motivé par des déplacements négatifs (sortir du chômage, ne plus avoir de patron, ne pas avoir d’autre choix), et un concept dit « pull » qui est un entrepreneuriat d’opportunité motivé par des déplacements positifs (développer de nouveaux procédés de fabrication, développer de nouveaux produits, augmenter ses revenus).
77Notre étude s’inscrit dans l’approche par les déplacements.
78Dans la littérature spécialisée, le concept de l’entrepreneuriat de nécessité est quasi automatiquement assimilé à une solution par défaut pour sortir du chômage.
79Cette recherche a permis de mettre en évidence les motivations des entrepreneurs et de les affiner en intégrant des éléments comme la pression familiale, l’accomplissement de soi ou la conviction profonde de se lancer.
80Cette recherche a permis de comprendre si les motivations des demandeurs d’emploi étaient liées uniquement à leur situation d’inactivité professionnelle (sont-ils mus uniquement par l’entrepreneuriat de nécessité ?), d’identifier les différents obstacles rencontrés influençant le démarrage ou non de leurs activités (quel est leur niveau de motivation et quel est le type de contrôle ?), et de connaître l’évolution de la réalisation de leurs projets (quel est le niveau de réalisation ?).
81Les locus et les typologies des porteurs de projet sont à corréler au paradigme de rationalité. De ce point de vue, l’approche jungienne caractérise le mode de fonctionnement psychologique d’une personne. Selon Jung, tout est une question de préférence. Nous orientons tous notre énergie de manière différente, nous recueillons l’information et percevons le monde de diverses manières, nous prenons des décisions différentes et enfin notre mode d’organisation est différent.
82Nous nous intéressons ici à ce mode d’organisation : on a tous une relation au temps et à l’espace dans notre relation au monde. Certains aiment une relation très ordonnée : neuf heures c’est neuf heures, ou treize heures trente c’est treize heures trente. Pour d’autres personnes, le temps est beaucoup plus lâche et plus souple : treize heures trente, cela peut être treize heures quarante-cinq ou quatorze heures.
- Certains des porteurs de projet ont un besoin de structuration et de jugement avec des logiques d’actions causales : « je mets de côté depuis trois ans pour créer mon entreprise », « mettre en pratique un projet mûrement réfléchi », « valoriser mes compétences professionnelles », « associer travail et passion », « transformer ma passion en business ».
- D’autres porteurs de projet ont un besoin de perception et d’adaptation avec des logiques d’actions effectuales : « mon projet est flou, je veux juste saisir une opportunité d’affaire », « je lance mon entreprise, les questions viendront après », « je veux gagner en autonomie et en confort financier : il faut que je trouve une idée adaptée ».
3.7 – L’influence de l’entourage
83Plusieurs études valident le rôle important de la famille et des parents en particulier dans la désirabilité et la faisabilité des individus, ainsi que dans leur choix de carrière entrepreneuriale.
84Parmi les premières études à s’intéresser à l’influence des modèles de rôle, l’étude menée par Scherer, Adams, Carley et Wiebe (1989) sur la base de la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1982) met en évidence l’existence d’un parent entrepreneur en tant que modèle. Le rôle est associé à un renforcement des aspirations, à une auto-efficacité dans l’exécution des tâches et à un intérêt pour une carrière d’entrepreneur.
85Van Auken, Stephens, Fry et Silva (2005) démontrent que les individus avec des modèles de parents entrepreneurs se perçoivent comme étant plus performants, contrairement aux individus n’ayant pas de modèle. Leur étude montre également que le modèle le plus significatif est le « modèle du père », suivi des parents proches et de la famille.
86L’exposition précoce à une entreprise familiale semble influencer les attitudes et les intentions envers l’esprit d’entreprise (Krueger, 1993). Cependant, pour Brockhaus et Horwitz (1986) et pour Carsrud, Gaglio et Olm (1987), l’existence de modèles n’est pas nécessairement associée à des intentions entrepreneuriales. En effet, les enfants d’entrepreneurs ne deviennent pas de manière disproportionnée des entrepreneurs.
87Sur les 19 cas étudiés, 11 déclarent avoir un modèle de réussite entrepreneuriale dans leur entourage proche. Il s’agit, pour Shapero et Sokol (1982), d’un facteur social influant : « Les facteurs sociaux et culturels qui entrent dans la formation des événements d’entreprise sont plus ressentis par le biais de la formation de systèmes de valeurs individuelles. Un système social qui attache une grande importance à l’innovation, à la prise de risque et à l’indépendance est plus susceptible de produire des événements entrepreneuriaux » (traduction libre, Shapero et Sokol, 1982, p. 83). Selon ces derniers, ce facteur amorce la perception de désirabilité et de faisabilité (« s’il peut le faire, je le peux moi aussi ! »).
Conclusion et prolongement
88En partant du modèle de Shapero et Sokol (1982), nous avons construit un modèle mettant en évidence quatre formes de motivation entrepreneuriale chez les porteurs de projet en situation de chômage :
- l’entrepreneuriat de nécessité,
- l’entrepreneuriat de tradition,
- l’entrepreneuriat de conviction,
- l’entrepreneuriat d’opportunité.
89Pour cette étude exploratoire, nous avons construit un guide d’entretien sur la base de ces auteurs permettant d’analyser les changements importants dans la vie, notamment le type de déplacement. Nous avons mobilisé la théorie du locus de contrôle pour expliquer la réussite ou non de la formation d’entreprise.
90Nous avons constaté différentes trajectoires : un décalage entre les logiques d’intention et d’action (l’engagement dans la perspective entrepreneuriale semble indépendant du sexe, de l’âge, du niveau du diplôme ou de la nature du projet). Toutefois, leurs niveaux de motivation semblent corrélés au type de contrôle (locus interne ou externe).
91En croisant le niveau de contrôle, la logique d’intention et la logique d’action (création effective, en cours de création, projet reporté, projet abandonné), nous avons constaté :
- différentes trajectoires à la fin de leur formation (créations, reports et abandons) ;
- certaines divergences avec la dichotomie classique (entrepreneuriat de nécessité versus entrepreneuriat d’opportunité) ;
- d’autres catégories d’entrepreneurs intermédiaires (un entrepreneuriat de tradition et un entrepreneuriat de conviction), qui nous semblent plus adaptées à la réalité de notre terrain, comme le montre le tableau 8.
92Ces résultats soulignent que toute pratique en entrepreneuriat se ramène toujours in fine à l’agir de l’individu. Mais ce n’est pas parce que cet agir semble directement observable, interrogeable, « enquêtable », qu’il constitue pour autant l’atome de l’entrepreneuriat. Ce serait au contraire un dangereux contresens que de penser qu’en découvrant les caractéristiques de cet agir, on puisse progresser du simple au complexe, du particulier au général pour aboutir à des approches purement instrumentales que les structures d’accompagnement affectionnent pour leur caractère prescriptif.
93Cette proposition trompeuse a été amplement critiquée, notamment parce qu’elle réduit une question ontologique (sur la nature du phénomène) à une question de méthode (sur la manière d’investiguer). Elle pose de plain-pied la question d’une méthode nouvelle, non plus centrée seulement sur l’individu, mais aussi sur le fait social en ce qu’il a précisément de non individuel en termes de « catégorisation ». Pour des chercheurs comme du Gay (1996), Ogbor (2000) ou Armstrong (2005), la façon dont les gens sont actuellement « confectionnés » en entrepreneurs relève fortement d’un discours qui émerge dans un contexte historique spécifique.
Formes de motivation entrepreneuriale
Formes de motivation entrepreneuriale
94Partant de ces différents résultats nous avons mis en place une étude empirique d’envergure nationale, nous permettant d’approfondir notre questionnement qui se décline selon trois critères :
- approfondissement de la typologie,
- comprendre les variables de création et d’abandon,
- les motivations de création, du passage à l’action (concrétisation de création).
95Cette étude a mis en évidence que les pratiques de formation et d’accompagnement actuelles prennent en compte un grand nombre de facteurs essentiels (niveau de compétence et de connaissance, finalité, objectifs, indicateurs, plan d’action, niveau de recul, ressources, territoire…) mais ne se distinguent pas en fonction du profil motivationnel des entrepreneurs.
96Il serait intéressant d’ouvrir la démarche à la typologie des figures d’accompagnement. Certains porteurs de projet auront besoin d’un mentor, d’autres d’un coach ou d’un expert, d’autres encore d’un conseiller. Quelle figure d’accompagnement et quel paradigme de rationalité (méthodes causales ou effectuales) conviendraient le mieux aux styles d’entrepreneurs et à leurs profils motivationnels ?
Guide d’entretien téléphonique
97Bonjour Mme / M. (Nom de l’auditeur), je vous appelle de la part du (Nom de l’établissement) concernant la formation que vous avez effectuée en (Année et Mois de la formation).
98Avez-vous quelque temps à m’accorder ?
99Les données seront bien évidemment anonymisées par la suite.
Évolution des projets de création
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Mots-clés éditeurs : tradition, opportunité, entrepreneuriat, nécessité, conviction
Mise en ligne 20/12/2016
https://doi.org/10.3917/entre.153.0205