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Article de revue

Les effets de la centralité sur la restructuration : le cas du passage de la TPE à la PE

Pages 15 à 33

Notes

  • [1]
    En avril 2014, l’Université de Montpellier 1 organisait un colloque intitulé : « La croissance des entreprises : nouvel enjeu pour le management ? ».
  • [2]
    Si différentes mesures de la croissance existent (Blanchot et Meier, 2009 ; Katz et Shapiro, 1985), nous retiendrons ici comme variable de mesure les effectifs au sein de la structure.
  • [3]
    Pour des raisons de confidentialité et de discrétion, les prénoms des médecins ont été changés.
  • [4]
    Évaluation de la Pratique Professionnelle.
  • [5]
    Commission Médicale d’Établissement.
  • [6]
    Nous n’avons pas indiqué ici la catégorie « pas du tout proche » compte tenu du fait qu’aucun médecin ne s’est déclaré « pas du tout proche » d’un ou d’une autre collègue.

Introduction

1« Only executive leadership has the position and potential to initiate and implement strategic change » (Tushman et Romanelli, 1985, p. 209). L’importance du leadership est d’autant plus vraie que l’entreprise est petite. Ainsi, la TPE se caractérise par sa focalisation sur ce concept de leadership bien que souvent restreint au seul dirigeant ou entrepreneur (Covin et Slevin, 1989 ; Becherer et Maurer, 1999 ; Ciavarella, Buchholtz, Riordan, Gatewood et Stokes, 2004). Pourtant, toutes les TPE ne fonctionnent pas sur ce modèle où l’entrepreneur est considéré quasiment comme un « héros », ne serait-ce que parce qu’elle est dirigée par une équipe. Ainsi, dans la lignée de la contribution de Reich (1987) visant à remettre au centre de l’entreprise, l’équipe et non l’entrepreneur, Boncler, Hlady-Rispal et Verstraete (2006) proposent un cadrage théorique sur « l’entreprendre ensemble » et plus précisément l’équipe entrepreneuriale. Une équipe entrepreneuriale s’organise selon trois niveaux (Boncler, Hlady-Rispal et Verstraete, 2006). Premièrement, le niveau cognitif permet aux individus d’entreprendre ensemble de manière réflexive. Deuxièmement, le niveau structural correspond à l’environnement avec lequel l’équipe entrepreneuriale doit composer. Troisièmement, le niveau praxéologique correspond aux actions concrètes décidées et réalisées par l’équipe. Certaines sociétés coopératives et participatives (appelées SCOP jusqu’en 2010 en France) illustrent le fonctionnement en équipe entrepreneuriale. Selon l’Agence pour la création d’entreprises (www.apce.com), les salariés coopérateurs sont une équipe entrepreneuriale qui possède au moins 51 % du capital et où chaque salarié possède une seule voix lors de l’assemblée générale de l’entreprise quel que soit le capital détenu.

2Toutefois, cette notion d’équipe entrepreneuriale trouve ses limites au fur et à mesure que l’entreprise grandit. Le management collectif de l’entreprise devient davantage complexe et le niveau cognitif devient de plus en plus difficile à appréhender pour les décideurs, ce qui, in fine, rend peu efficace le niveau praxéologique mentionné ci-dessus. En d’autres termes, les types de leadership et les modes de gouvernance peuvent être remis en question, voire être appelés à se transformer. En effet, le leadership de l’équipe entrepreneuriale peut être amené à évoluer. Même si l’émergence de leader au sein de l’équipe entrepreneuriale n’est pas vraiment discutée dans la littérature les travaux de Ruef, Aldrich et Carter (2003) et Ben Hafaied-Dridi montrent l’importance des relations sociales dans la constitution des équipes entrepreneuriales. Dans une même optique, Chabaud et Condor (2009) soulignent comment les équipes apparaissent à partir de la cristallisation du réseau social du créateur. Par ailleurs, comme le soulignent Janssen (2006) et Godener (2002), la croissance induit des mutations importantes relatives à la gouvernance. Dans le cas des entreprises de petite taille, ces mutations sont liées à l’incapacité du dirigeant à préserver une centralisation forte. Ainsi, dans le contexte de la TPE, la frontière entre leadership et gouvernance demeure floue. Dans cet article, nous voulons examiner l’évolution du leadership, induit par la croissance de l’entreprise et le changement de gouvernance au sein de la TPE. Cet enjeu est significatif car bon nombre d’entreprises doivent faire face à des crises de croissance liées aux changements organisationnels.

3Dans la lignée des travaux de Chabaud et Condor (2009) et en nous appuyant sur la théorie des réseaux sociaux (Granovetter, 1973, 1983 ; Burt, 1992), nous montrons comment les relations interinviduelles sont essentielles dans le changement organisationnel et notamment dans le choix du futur leader d’une organisation. Les travaux sur la centralité des acteurs (Ibarra, 1993 ; Tsai, 2001 ; Brass, Galaskiewicz, Greve et Tsai, 2004 ; Borgatti, 2005) montrent comment un individu, de par sa position structurale, peut être plus performant que les autres. Les travaux relatifs à l’évolution de l’équipe entrepreneuriale (Kamm et Nurrick, 1993 ; Ucbasaran, Lockett, Wright et Whesthead, 2003) questionnent le changement de rôles au sein de ladite équipe. Dans cette même perspective, et en nous basant sur la théorie des réseaux sociaux, nous formulons la question de recherche suivante : quel est le rôle de la centralité dans la reconfiguration de l’équipe entrepreneuriale en termes de leadership ?

4Le terrain pertinent pour cette question de recherche est la TPE en croissance. En effet, il s’agit d’une configuration dans laquelle les modes de management vont évoluer pour s’adapter aux changements organisationnels. En outre, la croissance des entreprises est devenue un enjeu majeur pour l’ensemble des acteurs politiques, économiques et académiques [1] des pays occidentaux. Au-delà de questionner la nécessité de croître, qui pourrait à elle seule constituer la problématique de notre contribution, nous nous interrogeons également sur la dimension managériale de la croissance. Ainsi, selon Janssen (2006), la croissance des entreprises de petite taille [2] entraîne des difficultés qui sont directement liées aux caractéristiques de l’entreprise. En effet, au-delà d’un certain seuil, les entreprises quittent la « zone de confort » (Perry, 1987) où l’entrepreneur (ou l’équipe entrepreneuriale) peut exercer un contrôle direct.

5Notre recherche se focalise sur le cas d’une TPE de médecins libéraux en phase de changement après l’intégration de deux personnes supplémentaires. Le problème principal rencontré par cette structure est celui du leadership, plus particulièrement dans l’efficience des prises de décision. Notre approche est qualitative, basée sur 11 entretiens semi-directifs avec tous les médecins de l’organisation afin de comprendre ces difficultés organisationnelles et les types de relations entretenues entre les médecins. Valorisant une approche interactionniste des relations humaines au sein de la TPE, nous montrons comment les acteurs en place prennent leur décision de changement de mode de management et de choix du dirigeant sur des dimensions purement relationnelles. Ainsi, notre cas montre que le choix du directeur administratif s’est porté sur la personne qui figure à la fois au centre des réseaux de conseil et d’influence et qui a le plus de liens forts avec les autres membres de la SEP.

6Le plan que nous retenons s’organise en trois parties. Pour répondre à notre problématique, nous allons, dans une première partie, présenter la littérature sur le changement organisationnel lié à l’évolution du leadership, puis l’importance de la centralité dans le choix du leader. Dans une deuxième partie, nous décrirons la méthodologie utilisée dans cette recherche qualitative. Enfin, dans une troisième partie nous analyserons de manière descriptive les relations entre médecins et montrerons que le choix du leader s’est opéré sur des critères de proximité émotionnelle et de centralité d’influence et de conseil.

1 – Littérature

7Cette partie consacrée à la littérature est composée de deux sous-parties. La première a pour objectif de mettre en perspective les mutations que l’entreprise de petite taille subit lorsqu’elle grandit. La seconde sous-partie cherche à relier les notions de changements organisationnels et de centralité des acteurs.

1.1 – De l’équipe entrepreneuriale au besoin de leadership unique dans la TPE en croissance

8L’entreprise de petite taille est centralisée autour de l’entrepreneur (Covin et Slevin, 1989 ; Becherer et Maurer, 1999 ; Ciavarella, Buchholtz, Riordan, Gatewood et Stokes, 2004) ou d’une équipe entrepreneuriale (Boncler, Hlady-Rispal et Verstraete, 2006). Ce type de fonctionnement se trouve automatiquement remis en cause lorsque la structure grossit, dans la mesure où l’entrepreneur ou l’équipe entrepreneuriale se voient confrontés à des limites de temps – qui représente une des ressources rares de la TPE (Gundolf et Jaouen, 2011).

9Par ailleurs, comme le souligne également Janssen (2006), la croissance induit des mutations importantes auprès des entreprises de petite taille, liées à l’incapacité du dirigeant à préserver une centralisation forte. Ces changements peuvent être quantitatifs mais également qualitatifs au sein de l’organisation (Davidsson, Achtenhagen et Naldi, 2010 ; Davidsson, Steffens et Fitzsimmons, 2008 ; Pigé, 2002). À ce titre Blanchot et Meier (2009) relèvent des variables quantitatives de croissance : production, effectifs, capacité de production, nombre de clients, chiffre d’affaires, masse salariale, valeur ajoutée, cash-flow, bénéfice, immobilisations, fonds propres, actifs nets et valeur marchande. Dans une perspective plus qualitative, Katz et Shapiro (1985) soulignent que la croissance procure des externalités positives. En effet, ils montrent que plus il existe de clients qui utilisent un produit, plus ceci attire d’autres clients. Besanko, Dranove et Shanley (2004) montrent quant à eux les avantages liés aux économies d’échelle, tandis que Davidsson, Achtenhagen et Naldi (2010) mettent en avant la création d’emplois liée à la croissance de l’entreprise. Au-delà des changements quantitatifs et qualitatifs (lesquels sont par ailleurs souvent reliés) induits, la croissance, qu’elle soit interne ou externe, est également une source importante de difficultés et de risques de tous ordres pour l’entreprise (Davidsson, Achtenhagen et Naldi, 2010). Selon Godener (2002), elle peut par exemple entraîner des risques commerciaux, financiers, des difficultés liées à la nécessaire mutation du management et la perte potentielle de pouvoir. L’étude de la croissance de la petite entreprise est donc un enjeu économique majeur, tant au niveau théorique que pratique.

10D’une manière générale, l’entreprise se trouve face à une situation de transformation de la structure organisationnelle. En référence aux modèles de stade ou de phase tels que proposés par Greiner (1972, 1998), Churchill et Lewis (1983) ou encore Godener (2002), l’entreprise se trouve confrontée à différents changements concernant sa gestion. Puisque toute TPE n’est pas appelée à croître à l’infini (Marchesnay, 2003 ; Julien et Marchesnay, 1987), nous pouvons estimer qu’elle se situe dans les premiers stades des modèles de phase mentionnés ci-dessus, notamment liés aux fragilités inhérentes à sa taille. Dans cette optique, et sous la condition énoncée, nous relèverons avec Saives, Ebrahimi, Desmarteau et Garnier (2002) plusieurs changements pouvant concerner la TPE en croissance. Ces mutations s’opèrent à différents niveaux : le projet et le profil ou style du dirigeant, la structure organisationnelle et les objectifs stratégiques de l’entreprise (Séville et Wirtz, 2010 ; Teyssier, 2011). De façon plus précise, Saives, Ebrahimi, Desmarteau et Garnier (2002) soulignent également un changement dans le processus de prise de décision. En effet, la prise de décision est au départ très centralisée autour de la personne du dirigeant – dans notre cas autour de l’équipe dirigeante, induisant une structure très informelle. La croissance de l’entreprise induit alors la formalisation de la structure. Ainsi, la seconde phase amènerait une spécialisation des tâches et la centralisation des décisions autour d’une structure plus fonctionnelle pouvant appeler une modification du processus de prise de décision. Nous souhaitons nous focaliser sur ce changement de mode de management induit par cette croissance. Dans notre cas, ceci nous amène à nous focaliser sur les mutations de prise de décision jusque-là collective – en équipe entrepreneuriale – pour amorcer un changement organisationnel qui se manifesterait notamment au niveau de la structure de prise de décision autour d’une/de personne(s) clé(s). Cette réflexion nous amène à nous interroger sur le choix de cette/ces personne(s).

1.2 – Changements organisationnels et centralité des acteurs

11Nous venons d’exposer que la TPE, lorsqu’elle est soumise à une croissance de ses effectifs, peut se trouver confrontée à un besoin de réorganisation interne en termes de direction notamment. Dans cette seconde section, nous montrons le rôle de la centralité dans les dynamiques organisationnelles. Ainsi, nous soulignons qu’un membre de l’équipe entrepreneuriale peut, de par sa position structurale privilégiée, devenir le véritable leader de l’organisation.

12Burt (1992) puis Tsai et Ghoshal (1998) ont souligné l’importance de la position d’un acteur au sein d’un réseau, notamment en termes d’accès à des informations non redondantes et diversifiées. Cette position structurale renvoie aux concepts de trous structuraux dans une perspective de réseaux ouverts ou égocentrés d’une part, et de centralité dans les réseaux dits fermés. Dans une approche orientée sur le changement intra-organisationnel, la centralité des acteurs est donc essentielle pour comprendre les dynamiques relationnelles dans la TPE. Ainsi, Ibarra (1993) montre qu’une forte centralité de réseau implique une haute position dans la hiérarchie sociale et un fort accès à des ressources génératrice de valeur. D’autres auteurs, comme Tsai (2001) et Brass, Galaskiewicz, Greve et Tsai (2004), soulignent les retombées positives d’une forte centralité en termes d’accès à des sources uniques et d’information. Burton, Sorensen et Beckman (2002), s’intéressant à un échantillon de 173 jeunes PME de la Silicon Valley, montrent comment les employés quittant une entreprise « établie » qui possède une forte centralité vont développer des stratégies innovantes. Plus précisément, les auteurs considèrent qu’il y a un transfert de capital social entre la firme et les employés qui essaiment. Burton, Sorensen et Beckman (2002) soulignent ici l’importance de la centralité dans la stratégie d’innovation et les retombées en termes de financement externe.

13En fait, la centralité est un concept aux multiples facettes. Il y a en fait différents types de centralité de réseau (Borgatti, 2005). Nous en retiendrons trois qui nous semblent pertinents dans l’étude du changement organisationnel en TPE : le réseau de conseil, le réseau d’influence et le réseau d’amitié.

14Ainsi, le réseau de conseil est « comprised of relations through which individuals share resources such as information, assistance, and guidance » (Sparrowe, Liden, Wayne et Kraimer, 2001, p. 317). Il peut donc être considéré comme un puits de ressources bénéfiques pour l’individu mais aussi pour l’entreprise. Ainsi, un acteur central du point de vue des conseils peut jouer un rôle d’influence très important et transformer le fonctionnement de l’entreprise (Saint-Charles, 2005). Il serait à même d’occuper une place très importante au sein de la structure, par exemple, celle de gérant ou de dirigeant. Un acteur peut être sollicité pour donner des conseils ou donner spontanément des conseils sans avoir été sollicité. On dira qu’il y a donc une centralité de l’obtention de conseils relative à celui qui est sollicité pour donner des conseils ; ce qui signifie qu’elle ou qu’il est légitime aux yeux des autres. Il existe aussi une centralité du don de conseils relative à celui qui donne des conseils sans avoir été sollicité au préalable : elle ou il est légitime à ses propres yeux.

15Le réseau d’influence renvoie, quant à lui, à la perception relative de « qui est influent dans l’organisation ? ». Dans l’étude de Lazega (2000) réalisée dans le Nord-Est des États-Unis au sein d’un cabinet d’avocats, l’auteur montre l’influence des réseaux sociaux sur la prise de décision dans une structure collégiale. Il analyse le rôle des cliques ou des niches dans le fonctionnement du cabinet. Ainsi, la centralité de certains acteurs a un impact fort sur les comportements et décisions des avocats rivaux contraints à la coopération. Cette dimension de l’influence perçue est très importante car elle est au confluent de la rencontre entre le leadership et le réseau. Celui qui est influent est de facto un leader d’opinion et ce leadership prend tout son sens au sein de la communauté, au sein du réseau. L’acteur central du point de vue de l’influence va également être un acteur clé dans le changement organisationnel. Dans ce sens, Battilana et Casciaro (2013) montrent, au travers de 68 cas d’initiatives de changement organisationnel dans le secteur de la santé, comment la résistance au changement peut être managée par des acteurs centraux aux liens forts. Les auteurs proposent ainsi une vision relationnelle du changement organisationnel dans lequel les réseaux sociaux opèrent comme un outil d’influence politique au travers de mécanismes affectifs. Les réseaux d’influence et de conseil sont ici mêlés.

16Le réseau d’amitié décrit plus particulièrement la proximité émotionnelle qui lie les personnes entre elles (Baldwin, Bedell et Johnson, 1997). Dans ce cas, nous sommes proches de ce que Granovetter (1973, 1983) appelle la force des liens. Au sein de l’entreprise de petite taille, les liens forts sont essentiels à la dynamique de l’organisation et vont donner accès à des ressources diverses comme l’information stratégique ou les effets de recommandation (Jaouen et Torrès, 2008 ; Shaw, 2006 ; Géraudel et Chollet, 2009). La croissance de la TPE, entendue ici comme l’augmentation de son effectif, doit donc s’opérer en tenant compte des relations formelles et informelles de sa structure.

17Dans le cas d’une TPE en croissance, nous souhaitons savoir dans quelles mesures la centralité des acteurs de l’équipe entrepreneuriale va jouer un rôle dans l’identification d’un leader. Nous proposons, au travers d’une étude qualitative, d’explorer cette question.

2 – Méthodologie

18Dans le cadre de cette partie consacrée à la méthodologie, nous présenterons successivement les aspects suivants : le cas retenu, l’échantillonnage, les modalités de collecte des données, le guide d’entretien. Nous finirons par exposer l’analyse des données.

2.1 – Le cas

19Notre cas d’étude est une Société En Participation (SEP) de médecins libéraux, exerçant dans deux cliniques privées du Sud de la France. La SEP a pour caractéristique de ne pas posséder de personnalité morale. Elle se concrétise comme un contrat entre associés où chacun possède des parts. Dans les faits, la prise de décision au sein de cette structure est jusque-là collégiale et implique les voix de tous les partenaires. La direction collégiale de l’entreprise de petite taille, au-delà des enjeux qui lui sont inhérents, génère un fonctionnement organisationnel et décisionnel plus complexe. À ce titre et en adéquation avec les recherches effectuées sur les TPE à dirigeant unique (Marchesnay, 2003 ; Fourcade et Polge, 2006 ; Polge, 2008), les relations informelles qui caractérisent les échanges dans les structures associatives (Lazega, 2000) et le caractère peu structurant des organisations de moins de 10 personnes est remise en cause à mesure que la TPE grossit et devient notamment une « petite » PME (Janssen, 2006).

2.2 – Justification du choix du cas

20Notre cas est particulièrement pertinent par rapport à notre question de recherche puisque, d’une part, il s’agit d’une TPE qui est en phase de devenir une PE, ce qui induit des changements organisationnels divers ; et d’autre part, la prise de décision est partagée entre tous les associés à parts égales. Il n’y avait pas, au moment de notre enquête, de dirigeant dans cette SEP et la prise de décision était entièrement collective. Compte tenu de l’évolution de la structure, induite notamment par un besoin de croissance, l’entreprise s’est interrogée sur l’évolution de son mode de management. Pour ce faire, elle avait également fait appel à un cabinet d’audit interne. En outre, ce cas a été retenu pour son originalité d’une part et le faible nombre de recherches réalisées sur ces structures et en particulier dans le secteur médical. Pourtant, ce secteur est très important en France puisqu’il représente 2,5 millions d’emplois et 143 milliards d’euros de valeur ajoutée en 2005 (http://www.hopital.fr/). Par ailleurs, ce secteur connaît de fortes mutations depuis quelques années et une forte professionnalisation de ses activités hors-médicales (Bose, 2003).

2.3 – Échantillon

21Ci-après sont décrites quelques caractéristiques des médecins de la SEP. La SEP est composée de quatre femmes et sept hommes. L’âge des médecins et l’ancienneté dans la structure sont en moyenne respectivement de 43 ans et de 9 ans. Neuf médecins travaillent à temps plein dans la SEP et deux à temps partiel.

Tableau 1

La description de l’échantillon [3]

Tableau 1
Genre Âge Ancienneté dans la SEP (en années) % activité réalisée dans la SEP Guilaine F 51 12 100 % Yves H 41 6 60 % Katherine F 33 3 100 % Mickael H 32 4 100 % Audrey F 40 6 100 % Anis H 46 5 100 % Jean-Charles H 47 17 100 % Julien H 51 17 30 % Mahmed H 52 9 100 % Annabelle F 34 5 100 % Didier H 52 17 100 %

La description de l’échantillon [3]

22L’ensemble des collaborateurs est structuré en deux équipes tournantes composées des médecins suivants :

  • Équipe 1 : Guilaine, Mhamed, Katherine, Julien, Mickael, Annabelle
  • Équipe 2 : Jean-Charles, Audrey, Yves, Anis, Didier

23Enfin, chaque médecin travaille toujours en binôme avec l’un des médecins de son équipe ou seul. Les binômes sont relativement variables au sein d’une même équipe. Par ailleurs, les contingences personnelles peuvent induire des changements dans l’emploi du temps des médecins, ce qui amène les différentes personnes à se côtoyer, même s’ils ne sont pas de la même équipe.

2.4 – Les modalités de collecte des données

24Notre étude a été menée entre janvier et mars 2012. Le protocole de recherche a consisté en la réalisation d’entretiens semi-directifs avec chacun des 11 acteurs de la structure. Les entrevues se sont appuyées sur un guide d’entretien.

25Les entretiens ont une durée variant entre une heure et deux heures. L’objectif de ces entretiens, en accord avec notre question de recherche et l’angle adopté dans la littérature, a été de relever les problèmes liés à la croissance, les modes de changement, les effets de réseau et la prise de décision. Pour permettre la saturation des données et ainsi assurer une plus grande validité des résultats, les mêmes questions ont été posées à l’ensemble des acteurs.

2.5 – Guide d’entretien

26Le guide d’entretien s’est structuré en cinq grandes phases relatives à notre questionnement de recherche : problématiques managériales liées à la croissance et au mode de management, réseau de centralité et de prestige, réseau de liens forts, évolution du réseau, variables de contrôle. Nous précisons ci-après les principales questions posées.

27Premièrement, nous avons posé des questions relatives aux questionnements managériaux telles que : « Si vous deviez créer une nouvelle structure, avec qui le feriez-vous ? Et pourquoi ? Comment sont prises les décisions importantes ? Y a-t-il des personnes davantage spécialisées que d’autres dans certains domaines ? »

28Deuxièmement, nous avons mesuré les dimensions de centralité de degré ou de prestige (Indegree et Outdegree) dans le réseau comme suit (Baldwin, Bedell et Johnson, 1997 ; Lazega, 2000 ; Klein, Lim, Saltz et Mayer, 2004) :

  • Qui contactez-vous pour obtenir des conseils liés à votre travail ?
  • À qui donnez-vous le plus de conseils ?
  • Qui est influent pour les prises de décision stratégique ?

29Troisièmement, nous avons mesuré la force des liens entre les membres de la SEP comme préconisé par Burt (1992) : « Pour chacun des membres de l’équipe, dites si vous vous en sentez proche en termes d’affinités. » Les modalités de réponse peuvent être représentées sur une échelle de Likert et sont les suivantes : très proche ; proche ; peu proche ; pas du tout proche.

30Quatrièmement, nous avons interrogé les médecins sur les évolutions de leur réseau : « Pensez-vous que vos relations de travail ont fortement évolué avec vos collègues ces derniers temps ? Avec qui ? Pouvez-vous expliquer ? » Les relances ont été les suivantes : « Vous sentez-vous éloigné en termes d’affinités d’un des membres de l’équipe alors que vous étiez proche autrefois ? Expliquez. Est-ce possible de retrouver la relation précédente ? Que faudrait-il faire pour cela ? » « A contrario, vous sentez-vous proche d’un des membres de l’équipe alors que vous étiez éloigné autrefois ? Expliquez. »

31Cinquièmement, nous avons demandé l’âge, l’ancienneté en tant que médecin et l’ancienneté dans la structure, puis le pourcentage d’activité réalisé dans la SEP.

2.6 – L’analyse des données

32Notre recherche se fonde sur des entretiens semi-directifs et une observation du cas selon la méthode de Yin (1989). Nous focalisons notre recherche sur une étude de cas unique, pensant comme Dyer et Wilkins (1991) que c’est la connaissance générée qui est plus importante que le nombre de cas favorisant la comparaison. L’analyse des données a consisté en une analyse de discours basée sur un codage thématique (Miles et Huberman, 2003 ; Fortin, 1996 ; Wacheux, 2003). Nous avons relevé, classé et compté les verbatims relatifs aux critères retenus (cf. supra).

33Les mesures de réseau ont été réalisées via le logiciel UCINET (Borgatti, Everett et Freeman, 2002). Grâce à ce logiciel spécialisé dans l’analyse des réseaux sociaux, il est possible d’étudier, en particulier, les réseaux dits « fermés », c’est-à-dire d’analyser les relations structurales entre les membres d’un groupe.

3 – Résultats

34Nous avons analysé les problèmes de croissance identifiés dans la SEP puis, à l’aide d’une grille de lecture orientée vers l’analyse par les réseaux, nous avons identifié les acteurs centraux de la structure en termes de degré. Plusieurs configurations de réseaux ont été étudiées : les réseaux de conseil (donner et recevoir des conseils) et d’influence d’une part, puis les réseaux de liens forts, d’autre part.

3.1 – Les problématiques managériales liées à la croissance

35Tout d’abord, nous avons mis en évidence les problématiques managériales auxquelles fait face la SEP compte tenu de l’augmentation de la taille de la structure et des changements de management associés. De manière unanime, les interviewés ont identifié un principal problème : la gestion quotidienne des activités hors-médicales.

36Pour ce qui est des décisions stratégiques et de la répartition des activités, tous s’accordent à dire que les décisions sont prises à la majorité.

37

« Ça se passe à la majorité. »
(Didier)

38

« Chacun peut s’exprimer, mais certains ne s’expriment volontairement pas. Chacun a son mot à dire. Si un personne n’est “pas pour” ou n’est pas satisfaite, ça sera respecté. »
(Katherine)

39

« Elles sont prises à l’inverse de la pierre qu’on jette dans l’eau, ça fait des cercles concentriques. Quelqu’un jette une idée et ça se rapproche d’une décision. Ça rebondit dans tous les sens et ça aboutit à une décision. Au final, la décision n’est pas farfelue car tout le monde y a réfléchi en âme et conscience. »
(Audrey)

40Toutefois, ce processus démocratique semble souffrir de certaines lacunes dont celle de la lenteur, comme le relèvent les personnes interrogées.

41

« Ce sont souvent des décisions prises par consensus. C’est un système artisanal, on est une association de 11 médecins, mais ça marche, lentement. »
(Jean-Charles)

42

« La prise de décision est trop lente. On parle beaucoup et on agit peu, trop peu à mon goût. »
(Annabelle)

43En termes d’organisation, la structure est informellement fonctionnelle.

44

« On se réunit et on vote. Un projet est lancé et on décide à la majorité. Il y a une répartition fonctionnelle. »
(Anis)

45

« Sonia et moi s’occupons des activités transversales dont l’EPP [4]. Nicolas s’occupe de la compta et Emeline du CME [5]. »
(Guilaine)

46Même si la prise de décision se veut collégiale, certains médecins souhaiteraient voir apparaître un décideur. D’autres soulignent qu’il existe déjà plusieurs acteurs qui semblent exercer davantage un leadership.

47

« Un décide, il explique et les autres suivent. Pour des décisions importantes, c’est à la majorité. Mais en gros, il n’y a que Guilaine, Audrey, Jean-Charles et moi qui nous posons des questions. Et qui réfléchissons en avance. »
(Yves)

48

« C’est difficile de gérer 11 médecins. Un médecin ne peut pas gérer des urgences, le personnel, etc. À l’hôpital, le chef de service délègue aux autres. Il faut un directeur du groupe qui s’occuperait de ça uniquement : les fonctions organisationnelles, la GRH, l’informatique, la compta, etc. »
(Mhamed)

49

« Il faut avoir un directeur fonctionnel. Laisser la stratégie au groupe. »
(Julien)

50Il ressort des entretiens qu’il semble essentiel pour les médecins de déléguer une partie des décisions quotidiennes auprès d’un directeur à fonction essentiellement administrative. La question se pose alors de savoir s’il faut le nommer en interne ou avoir recours à un recrutement externe. L’approche par les réseaux peut aider le praticien à identifier des acteurs centraux à même d’occuper une position de leader au sein du groupe.

3.2 – Les réseaux de conseil

51À la question : « Qui contactez-vous pour obtenir des conseils liés à votre travail ? », la majorité des médecins a répondu qu’il s’agissait du binôme avec qui ils travaillaient. Toutefois, d’autres maillages existent pour expliquer les échanges de conseils entre les collaborateurs. La figure 1 mentionne les médecins les plus cités par leurs collègues.

Figure 1

L’obtention de conseils

Figure 1

L’obtention de conseils

52Les médecins les plus sollicités pour les conseils sont les fondateurs historiques de l’entreprise et les plus anciens collaborateurs. Il s’agit de : Julien et Jean-Charles ainsi que Guilaine. Leur légitimité en tant que créateur d’entreprise favorise la demande de conseils. Les médecins qui les sollicitent sont les plus jeunes de la structure. Leur manque d’expérience peut les amener à demander conseil à leurs aînés.

53À la question : « À qui donnez-vous le plus de conseils ? », plusieurs médecins ont précisé ne donner aucun conseil à des personnes de l’équipe excepté lors des échanges avec leur binôme. Cependant, certaines configurations apparaissent (figure 2).

Figure 2

Le don de conseils

Figure 2

Le don de conseils

54Katherine, Annabelle et Mickael sont les médecins à qui l’on donne le plus de conseils. Il s’agit des collaborateurs les plus jeunes qui sont par ailleurs les derniers entrés dans la SEP. Ainsi, il est possible d’identifier une relation claire entre médecins jeunes et médecins plus expérimentés sur les variables dons et réception de conseils.

3.3 – Les réseaux d’influence

55Par la question « Qui est influent dans la prise décision ? », le réseau d’influence est mis en valeur (figure 3).

Figure 3

Le réseau d’influence

Figure 3

Le réseau d’influence

56Le triangle Julien/Jean-Charles/Guilaine montre les trois acteurs les plus influents dans la prise de décision de la SEP. Ils font partie des quatre plus anciens collaborateurs. Nous remarquons que c’est le premier réseau dans lequel tous les acteurs apparaissent, qu’ils citent ou qu’ils soient cités par leurs collaborateurs.

3.4 – La force des liens

57La dernière variable de réseau étudiée est celle relative à la force des liens. La question a été la suivante : « Pour chacun des membres de l’équipe, dites si vous vous en sentez proche en termes d’affinités ». Sur le tableau 2 ci-après, nous constatons que les affinités s’opèrent plus facilement entre membres d’une même équipe. Toutefois, une personne en particulier ressort. Il s’agit de Guilaine, l’une des plus anciennes collaboratrices de la SEP.

Tableau 2

Force des liens entre les médecins de la SEP

Tableau 2
Guilaine Yves Katherine Mickael Audrey Anis Jean- Ch Julien Mhamed Annabelle Didier Guilaine 2 2 2 2 1 2 2 2 1 1 Yves 3 3 3 3 3 3 3 3 3 3 Katherine 2 1 3 2 2 2 2 1 1 2 Mickael 3 1 3 2 1 2 3 2 2 2 Audrey 3 2 2 2 1 2 1 2 1 2 Anis 2 1 2 1 2 2 1 2 2 2 Jean-Charles 3 2 2 2 3 2 1 1 1 2 Julien 3 1 1 3 1 1 2 1 2 1 Mahmed 2 1 1 1 1 1 2 1 1 1 Annabelle 2 1 1 3 1 1 1 3 3 1 Didier 3 3 2 2 3 3 3 2 2 2 Totaux 26 15 19 22 20 16 21 19 19 16 17 Classement affectif 1 11 5 2 4 9 3 5 5 9 8

Force des liens entre les médecins de la SEP

Légende : 1 – peu proche [6] ; 2 – proche ; 3 – très proche

3.5 – Les motivations des acteurs centraux

58Comme nous l’avons montré précédemment, trois médecins se retrouvent très centraux compte tenu de leurs statuts de fondateurs ou d’« anciens » : Julien, Jean-Charles et Guilaine. Ainsi, il serait possible d’identifier des directeurs exécutifs légitimes suite à ces analyses de centralité de réseaux. Toutefois, d’autres critères plus individuels entrent en jeu pour le choix définitif du directeur exécutif. En effet, il s’agit notamment de connaître les motivations individuelles de ces acteurs pour relever ce défi managérial et accepter de mettre de côté ses activités de médecin à proprement parler.

59Ainsi, Julien n’est présent qu’à 30 % dans la structure. Par ailleurs, il dirige une clinique qui se situe dans la région parisienne. Son emploi du temps étant très chargé, il ne se voit pas occuper cette fonction en plus. Pour lui, il n’est pas envisageable de s’impliquer davantage dans la SEP. Jean-Charles quant à lui cherche à réduire son activité pour profiter de sa vie et notamment de son temps libre. Il ne se voit donc pas prendre en charge la gestion de la structure collective qui nécessite beaucoup de disponibilité, notamment pour pouvoir suivre les différentes réunions. Enfin, Guilaine qui, dans les réseaux d’obtention de conseils et d’influence comme dans celui analysant les liens forts, est identifiée comme étant un acteur central. Elle reconnaît l’importance d’une reformulation de la manière de gérer et semble comprendre les enjeux inhérents. Par ailleurs, elle se situe avec 12 ans d’ancienneté entre les « plus anciens » et les « très jeunes ». Elle est ouverte à l’idée de coordonner les actions de chaque membre de la SEP.

4 – Discussion

60Notre objectif était de répondre à la question suivante : quel est le rôle de la centralité dans la reconfiguration de l’équipe entrepreneuriale en termes de leadership ?

61Notre recherche a permis d’éclairer les mutations au sein de l’équipe entrepreneuriale dans le cadre d’une TPE en croissance. À l’aide de l’approche par les réseaux sociaux, nous avons examiné le leadership et tenté d’expliquer le choix d’un directeur. Dans la lignée des travaux de Rueff, Aldrich et Carter (2003), Chabaud et Condor (2009) et Ben Hafaiedh-Dridi (2010), nous montrons l’importance des réseaux sociaux et notamment des liens forts dans l’équipe entrepreneuriale. Plus particulièrement, nous soulignons que la centralité joue un rôle primordial dans l’émergence du leader. Celui-ci devient le dirigeant de la structure. En d’autres termes, le leadership informel se formalise par la mise en place d’une structure de gouvernance dans laquelle le leader naturel est nommé dirigeant. Ainsi, notre cas met en évidence une adéquation entre, d’un côté, la force des liens (tableau 1), le réseau de conseil (notamment le don de conseil – figure 1) et le réseau d’influence (figure 3), puis, d’un autre côté, le dirigeant retenu par la SEP. En effet, le choix s’est porté sur la personne qui figure à la fois au centre des réseaux de conseil et d’influence et qui détient le score affectif le plus élevé (tableau 1). Ces résultats confirment, par ailleurs, les recherches de Lazega (2000) montrant que la centralité influence fortement le processus de prise de décision dans une structure collégiale. En outre, nos résultats sont également en accord avec les travaux de Shaw (2006) sur la force des liens forts ainsi que ceux de Persais (2006) sur l’importance de la démarche relationnelle dans la réussite d’une stratégie durable.

62Le suivi de ce cas nous a permis d’observer l’évolution de la structure quelque temps après les entretiens menés. Le choix du dirigeant a été effectué à l’unanimité au sein de la structure. Ce choix a porté sur le médecin Guilaine et peut être expliqué par les variables résiliaires mobilisées d’une part, mais également par les motivations personnelles, d’autre part. En effet, en dehors des dimensions résiliaires, rentrent également en jeu les dispositions et disponibilités individuelles des acteurs. Notre cas souligne que le choix d’un dirigeant au sein d’une structure collective s’explique par la rencontre entre une « désignation » collective et l’accord de l’acteur désigné de s’engager dans cette voie.

63Par ailleurs, notre cas relève que, dans une structure de (très) petite taille à profil démocratique, le choix d’un dirigeant est largement motivé par l’affect. Ce constat confirme les recherches sur la TPE/PE qui soulignent le caractère intuitif et fortement émotif de la gestion de l’entreprise de (très) petite taille (Jaouen et Torrès, 2008). Le transfert du pouvoir discrétionnaire vers une personne affectivement proche peut s’expliquer par la logique de la confiance qui est prédominante dans le cadre de la TPE/PE (Jaouen et Torrès, 2008).

64Dans une même optique, mais amenant des éléments complémentaires sur le processus de sélection d’un dirigeant dans une structure de petite taille caractérisée par une prise de décision collégiale, notre cas montre que la centralité résiliaire peut présenter une variable explicative de ce choix. Il est néanmoins important de souligner que la centralité n’est en soi pas forcément liée aux compétences ou au savoir-faire de la personne, elle met uniquement en valeur des caractéristiques de liens. Dans cette perspective, le réseau d’influence indique un leadership, mais n’en détermine pas la qualité (traditionnelle, charismatique ou rationnelle-légale (Weber, 1922), par exemple). Il n’en demeure cependant pas moins que le réseau de conseil met probablement en valeur des éléments autres que charismatiques.

65Reprenant la réflexion de Bonclerc, Hlady-Rispal et Verstraete (2006), pour lesquels l’équipe entrepreneuriale s’organise autour de trois niveaux : le niveau cognitif (entreprendre ensemble de manière réflexive), le niveau structural (l’environnement avec lequel l’équipe entrepreneuriale doit composer) et le niveau praxéologique (les actions concrètes décidées et réalisées par l’équipe), nous nous rendons compte que la croissance de la TPE engendre des mutations au moins à deux niveaux. Tout d’abord au niveau cognitif, l’équipe doit repenser sa structure avant de se réorganiser. Ceci implique l’accord de tout le monde. Notre étude met en exergue à quel point le consensus devient difficile lorsque la structure augmente, alors que la décision de la structuration s’impose absolument. Ce cap passé, le niveau praxéologique peut s’exprimer différemment. En effet, l’augmentation de la taille de l’équipe appelle à un niveau praxéologique collectif plus simplifié ou épuré. En d’autres termes, la gestion courante – jusque-là collective – se fait par un seul individu. Reste au collectif la gestion des décisions clés.

Conclusion

66Afin de répondre à notre problématique, nous avons adopté une approche par les réseaux sociaux. Elle nous a permis de relever le rôle de la centralité pour expliquer le choix d’un dirigeant qui s’imposait suite à des besoins de changements organisationnels ressentis au sein de l’organisation étudiée. De façon plus précise, notre cas souligne que la centralité informelle entre les associés devient une centralité formelle lors du passage de la TPE à la PE. Cela se traduit par le choix de l’associé le plus central en tant que gestionnaire administratif.

67Nous avons montré tout au long de l’étude de ce cas, les éléments résiliaires qui interviennent lors du passage de la TPE à la PE : force des liens, réseau d’influence, réseau de conseil. De plus, notre cas met également en évidence un besoin de structuration de l’organisation, notamment pour faciliter la prise de décision. Ce processus de prise de décision semble pousser l’organisation vers plus de centralisation de la décision. Quant au choix de la personne qui est censée centraliser, il s’explique par les éléments résiliaires déjà relevés et les motivations de celle-ci.

68Notre recherche apporte donc des éléments de réflexion à la fois sur la croissance, notamment de la TPE, sur la prise de décision en petite structure et sur les réseaux qui y interviennent.

69Cependant, elle possède un certain nombre de limites, dont notamment et surtout sa faible validité externe qui appelle à d’autres études de ce genre. En effet, une recherche portant sur un cas unique ne peut prétendre à un caractère généralisable de ses résultats. Notre travail est donc de nature exploratoire et devra être enrichi par des recherches complémentaires. De surcroît, l’étude de cas porte sur une SEP composée de médecins. Or cette spécificité des acteurs rend difficile le parallèle avec d’autres TPE plus « classiques » dans le sens où la déontologie est très prégnante dans le secteur médical en général, et dans la fonction de médecin plus spécifiquement, au travers, notamment, du serment d’Hippocrate. En outre, nous n’avons pas abordé le rôle des motivations et des capacités des acteurs (Reinholt, Pedersen et Foss, 2011) à prendre le leadership au sein de l’équipe entrepreneuriale. Or ces dimensions individuelles mériteraient d’être approfondies pour améliorer la connaissance sur ce sujet. Par ailleurs, nous mentionnerons également les autres éléments résiliaires qui auraient pu être pris en considération comme l’influence des réseaux externes à l’organisation que sont les autres parties prenantes de la SEP. Enfin, nous ne montrons pas exactement quel est le seuil qui nécessite une réorganisation du mode de l’équipe entrepreneuriale vers un leader unique.

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Mots-clés éditeurs : médecins, TPE, leadership, réseaux, centralité, PE, changement organisationnel

Date de mise en ligne : 12/04/2016.

https://doi.org/10.3917/entre.151.0015

Notes

  • [1]
    En avril 2014, l’Université de Montpellier 1 organisait un colloque intitulé : « La croissance des entreprises : nouvel enjeu pour le management ? ».
  • [2]
    Si différentes mesures de la croissance existent (Blanchot et Meier, 2009 ; Katz et Shapiro, 1985), nous retiendrons ici comme variable de mesure les effectifs au sein de la structure.
  • [3]
    Pour des raisons de confidentialité et de discrétion, les prénoms des médecins ont été changés.
  • [4]
    Évaluation de la Pratique Professionnelle.
  • [5]
    Commission Médicale d’Établissement.
  • [6]
    Nous n’avons pas indiqué ici la catégorie « pas du tout proche » compte tenu du fait qu’aucun médecin ne s’est déclaré « pas du tout proche » d’un ou d’une autre collègue.
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