Notes
-
[1]
Selon l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), la population de Ouagadougou est passée de 59 126 habitants en 1960 à 1 475 223 en 2010.
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[2]
Pour Shapero (1975), l’esprit et la propension entrepreneuriale varient selon les ethnies concernées, et surtout avec la nature de la migration. Plus celle-ci provoque un déplacement, plus la propension à entreprendre serait forte. Les réfugiés auraient ainsi une propension entrepreneuriale plus forte que les immigrés économiques. De même, les primo-migrants seraient plus disposés à entreprendre que les immigrés de seconde génération, sauf si ces derniers trouvent des mobiles nouveaux pour entreprendre, notamment une plus forte perception des aspects négatifs de leur situation.
-
[3]
L’assimilation parfaite désigne le fait qu’un individu intègre la totalité des traits culturels (langue, croyances, mœurs) de la culture dominante, tout en abandonnant sa propre identité (référence).
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[4]
La moyenne du TEA des femmes pour les six pays d’Afrique qui ont pris part à l’enquête (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Burkina Faso, Cameroun et Ouganda) est de 25% contre 16% pour la zone Amérique latine et Caraïbes, 5% pour les pays de l’Union européenne, 5% pour les pays européens n’appartenant pas à l’Union européenne et 11% pour l’Amérique du Nord (USA et Canada).
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[5]
L’Afrique de l’Ouest est l’un des premiers importateurs de riz au monde. 40 % de ses besoins sont couverts par du riz importé d’Asie.
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[6]
La pratique de la tontine a également été observée par Blanchard (2011) chez les migrantes sénégalaises en France. Il s’agit d’une sorte de loterie spécifiquement féminine et traditionnellement pratiquée dans la société sénégalaise. Elle est formée d’un nombre établi de personnes qui se réunissent à une échéance fixe chez l’une des membres, à tour de rôle. Lors de chaque rencontre, chaque femme verse sa cotisation, qui va constituer la cagnotte. Celle-ci est gagnée par l’une des femmes présentes, dont le nom est tiré au sort. Les gagnantes précédentes sont exclues du tirage, de sorte à permettre à chaque femme de gagner.
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[7]
Contrairement à des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, la Burkina Faso n’est pas une terre d’immigration. La rareté des ressources naturelles et la faiblesse structurelle de l’économie nationale en sont les raisons.
Introduction
1L’Afrique de l’Ouest est l’une des régions où le taux d’accroissement de la population urbaine est parmi les plus élevés au monde. En effet, en 1960, il n’y avait encore aucune ville de plus d’un million d’habitants dans cette partie du continent africain (Denis et Moriconi-Ebrard, 2009). En 2009, le nombre d’agglomérations de plus de 28 millions d’habitants dépassait 16 et le nombre de villes d’au moins 20 000 habitants était multiplié par 10, passant de 60 en 1950 à 600 en 2010 (ibid.). L’ONU-UNHABITAT (2014) prévoit que la part de la population urbaine de cette partie du continent passe de 44,9 % en 2011 à 49,9 % en 2020, et à 65,7 % en 2050.
2Outre la diversification des régimes alimentaires et l’introduction d’aliments nouveaux présentant une grande commodité d’usage (aliments précuits), cette urbanisation croissante se traduit par le développement de l’alimentation de rue (Bricas, 1993). De nombreux restaurants ciblant les célibataires et les travailleurs contraints de rester sur leurs lieux de travail à midi à cause des longues distances à parcourir pour rejoindre leurs domiciles, ont ainsi vu le jour dans les villes africaines (Bricas et Seck, 2004).
3Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, compte aujourd’hui une population estimée à 1,5 million de personnes [1]. En l’absence de données fiables sur les catégories de restaurants présents dans la ville, nous avons effectué une étude préliminaire qui a permis de distinguer trois types de restaurant. Le premier type regroupe les restaurants haut de gamme, y compris les restaurants des hôtels. Le deuxième comprend les restaurants moyens de gamme. Il s’agit de restaurants implantés dans les quartiers administratifs et d’affaires. Le troisième type est constitué de gargotes servant des repas bas de gamme aux abords des rues.
4Il ressort de l’étude préliminaire qu’un grand nombre de restaurants moyen de gamme sont créés et gérés par des femmes immigrées, principalement des Sénégalaises, dans une moindre mesure des Ivoiriennes et bien d’autres nationalités. Une cinquantaine de restaurants de ce type ont été recensés dans l’un des arrondissements de la ville, en l’occurrence l’Arrondissement de Baskuy. Cet arrondissement concentre un grand nombre de clients potentiels pour les restauratrices en raison de la présence du marché principal de la ville et de l’écrasante majorité des bâtiments administratifs.
5L’article a pour objectif de comprendre le parcours entrepreneurial de ces restauratrices immigrées opérant à Ouagadougou. Il s’agit précisément de voir en quoi le projet migratoire a pu constituer un tremplin dans la carrière entrepreneuriale de ces femmes.
6Cette recherche fait l’objet d’un double ancrage théorique : l’entrepreneuriat féminin et l’entrepreneuriat immigré. Zouiten et Levy-Tadjine (2005) qualifient ces deux courants de pensée de « frères jumeaux », en ce sens qu’ils ont tendance à analyser respectivement les femmes et les immigrés comme des minorités victimes de discriminations sur le marché du travail. L’entrepreneuriat y est appréhendé comme une stratégie de contournement pour ces personnes, face aux difficultés d’accès à un emploi salarié décent. De même, au cours de leur parcours entrepreneurial, les immigrés, tout comme les femmes, ont difficilement accès à des services comme le crédit et la formation. Il en résulte un business model et un style de management singuliers.
7Nous nous appuyons principalement sur les théories de l’entrepreneuriat immigré, car nous cherchons à mettre en exergue le rôle du projet migratoire dans la décision de personnes immigrées à entreprendre. Nous utilisons l’entrepreneuriat féminin comme prisme d’analyse, même si nous ne centrons pas la revue de la littérature sur ce thème.
8L’intérêt de développer notre cadre d’analyse autour de l’entrepreneuriat immigré et de l’entrepreneuriat féminin se justifie dans la mesure où, comme le souligne Tati (2013), il existe très peu de travaux conceptuels et empiriques croisant ces deux courants de pensée :
« There is however little conceptual and empirical insights in the field of migration and development about the experiences of female migrants with entrepreneurship beyond national borders. Literature on the relationship between migration and entrepreneurship tends to focus on male migrants and neglects female experience ».
10Au-delà donc de la curiosité du chercheur face à un phénomène social qui prend de l’ampleur dans les villes ouest-africaines (les restaurants créés par les femmes immigrées), l’objectif de cette étude est de contribuer à la réflexion sur l’entrepreneuriat des femmes immigrées.
11La méthodologie de la recherche se fonde sur l’approche biographique. Pour Pailot (2003), cette approche offre un cadre méthodologique et épistémologique qui permet de cerner l’influence de certains éléments de l’histoire de vie des entrepreneurs sur la construction de leur volonté d’entreprendre. Il s’est agi pour nous de recueillir les récits de vie des restauratrices de nationalité étrangère, non seulement pour donner des informations factuelles sur les événements qui ont jalonné leur parcours de vie biographique, mais aussi et surtout pour mettre en relief les faits majeurs qui ont forgé leur intérêt pour l’entrepreneuriat dans le secteur de la restauration.
12L’article comprend quatre parties. La première fait la synthèse de la littérature sur l’entrepreneuriat immigré et apporte quelques éclairages en rapport avec l’entrepreneuriat féminin. La seconde résume la méthodologie de la recherche de terrain. La troisième présente les résultats de l’étude. La quatrième porte sur la discussion des résultats.
1 – Revue de la littérature
13Comme mentionné précédemment, seuls quelques auteurs (par exemple Tati, 2013 ; Pio, 2007 ; Blisson et Rana, 2001) ont mené des recherches sur l’entrepreneuriat des femmes immigrées. Mais leurs raisonnements reposent principalement sur les théories traditionnelles de l’entrepreneuriat immigré. Notre revue de la littérature s’appuie également sur les théories de l’entrepreneuriat immigré, mais en puisant dans l’entrepreneuriat féminin les éclairages à même de nous aider à circonscrire et à contextualiser notre thème d’étude. Sauf précision explicite, le terme « immigré » ou « entrepreneur immigré » est employé aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
14Dans cette recherche, nous considérons comme immigrée toute personne étrangère ou devenue Burkinabè, née hors du Burkina Faso ou toute personne née au Burkina Faso et ayant au moins un parent de nationalité étrangère.
15Parler d’entrepreneuriat immigré, c’est déjà admettre que l’entrepreneur immigré se distingue de l’entrepreneur autochtone, soit parce que l’entrepreneur immigré rencontre des difficultés spécifiques, soit parce qu’influencé par sa culture, ses traditions ou son histoire, il mobilise des ressources différentes de celles que mobilisent les autres entrepreneurs de sa société d’accueil. On peut même se demander dans quelle mesure le comportement entrepreneurial de l’immigré diffère de celui des entrepreneurs de son pays d’origine. L’entrepreneuriat immigré renvoie également au rôle du réseau social de l’entrepreneur ou encore à l’influence de son statut familial, surtout lorsqu’il s’agit d’une femme. Toutes ces considérations font dire à Lévy-Tadjine (2004) que les dialectiques entreprise/organisation, homme/projet ou d’autres dialectiques de ce type sont insuffisantes pour cerner l’entrepreneuriat sous toutes ses formes. Obrecht (2009) ajoute que le contexte dans lequel se déroule l’action entrepreneuriale n’est pas neutre par rapport à celle-ci. Pour cet auteur, la différentiation des contextes par les structures encastrantes entraîne un certain niveau de variété dans le fonctionnement de l’entrepreneur. Cette assertion semble se vérifier en Afrique (et ailleurs) où certaines activités comme la coiffure, la couture et la restauration sont socialement construites comme féminines.
1.1 – Les facteurs déclencheurs de la carrière entrepreneuriale chez l’immigré
16L’immigration est considérée comme un important facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale. Face aux discriminations diverses vécues dans le pays d’accueil, créer sa propre entreprise s’avère souvent la seule alternative possible d’insertion économique et sociale pour l’immigré.
1.1.1 – L’immigration, un facteur favorable à l’entrepreneuriat
17Outre les explications culturalistes avançant la prédisposition entrepreneuriale de certaines ethnies [2], des cadres d’analyse plus généraux, fondés sur la théorie du déplacement, ont suggéré que par son histoire, l’immigré serait plus enclin que le non-immigré à entreprendre. Les travaux fondateurs de Shapero (1975) soulignent que le principal facteur déclencheur de l’événement entrepreneurial est un déplacement, comme être licencié, quitter l’école ou l’armée, divorcer, changer de pays. En ce qui concerne précisément le changement de pays, de nombreux travaux empiriques (Tati, 2013 ; Dzaka-Kikouta, Makany et Kamavuako-Diwavova, 2005 ; Levy-Tadjine et Nkakleu, 2005 ; Pairault, 2005 ; Piguet, 2000) montrent que ce type de déplacement est un processus d’auto-sélection particulièrement favorable à l’entrepreneuriat, en ce sens que l’immigration constitue en elle-même une entreprise, avec tout ce que ce mouvement comporte comme désagréments : inconfort, dégradation du statut social, discriminations sur le marché du travail et/ou du crédit, etc. Ces événements situationnels négatifs vont pousser l’immigré à vouloir créer sa propre entreprise.
1.1.2 – La création d’entreprise comme réponse aux désagréments subis dans le pays d’accueil
18Dans la plupart des cas, créer sa propre entreprise est considéré par l’immigré comme une réponse compensatoire aux discriminations qu’il subit dans son pays d’accueil en raison de sa race, sa religion, sa langue, son statut socio-économique ou de toute autre variable caractéristique de sa communauté. Ce type de stratégie a été observé par Pairault (2005) dans son étude sur les immigrés chinois en France. Toutefois, Greene, Carter et Reynolds (2003) notent que la perception de désavantages n’est pas un critère suffisant pour expliquer le dynamisme entrepreneurial des minorités ethniques. Pour ces auteurs, le faible taux de création d’activités et d’auto-emplois chez certaines communautés d’immigrés en est un exemple patent. Light et Rosenstein (1995) notent à ce propos que les Asiatiques souffrent aux États-Unis d’Amérique (USA) des mêmes désavantages que les Noirs, mais qu’en réponse à ces désavantages, les premiers ont constitué une puissante classe d’entrepreneurs alors que les seconds n’en ont pas fondé une. Pour ces auteurs, outre les facultés intrinsèques de l’immigré à entreprendre (goût du risque, ténacité, désir d’accomplissement…), l’accès privilégié à des ressources financières, techniques, humaines etc. est indispensable pour réussir en affaires. Ces observations sous-entendent que l’entrepreneur immigré n’agit pas indépendamment de tout contexte mais qu’il a besoin d’un environnement économique et social favorable pour créer son entreprise.
1.2 – Les stratégies d’acculturation et les stratégies entrepreneuriales
19Redfield, Linton et Herskovits (1936) définissent l’acculturation comme un ensemble de phénomènes résultant d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraînent des changements dans les modèles culturels initiaux de l’un ou des deux groupes. Les approches psychosociologiques de l’acculturation (Berry et Sabatier, 2010 ; Berry, 1997) soulignent la multiplicité des formes de compromis et d’arbitrage possibles entre les deux espaces socioculturels de l’immigré, en ce sens que ce dernier peut adopter une infinité de positions par rapport au modèle de l’assimilation parfaite développé par l’école de Chicago [3]. Selon ces approches, l’immigré, pour définir son identité, va faire un arbitrage entre ce qui fonde l’identité culturelle de son pays d’origine et ce qui fonde l’identité culturelle de son pays d’accueil.
20Appliquées au domaine de l’entrepreneuriat, les théories de l’acculturation ont donné lieu à deux courants de pensée : la théorie de l’enclave (enclave theory) (Pio, 2007 ; Paré, 2001 ; Portes, 1987 ; Light et Rosenstein, 1995 ; Light, 1972) et la théorie des minorités intermédiaires (Middlemen Minority Theory) (Greene, Carter et Reynolds, 2003 ; Waldinger, Aldrich et Ward, 1990 ; Bonacich, 1973). Tout en reprochant à ces deux théories d’inspiration anglo-saxonne d’être statiques et de réduire l’entrepreneur immigré à un confinement d’ordre géographique (enclave) et sectoriel (intermédiaire), Zouiten et Levy-Tadjine (2005) proposent un modèle de convergence/divergence des stratégies entrepreneuriales de l’immigré se traduisant en un continuum de postures entre la théorie de l’enclave et la théorie des minorités intermédiaires. Ce modèle illustre le fait que l’individu peut tout aussi bien s’appuyer sur des dynamiques de groupe ethnique que sur des logiques individuelles.
1.2.1 – La théorie de l’enclave
21La théorie de l’enclave correspond à la conduite d’activités entrepreneuriales au sein de communautés d’immigrés (Paré, 2001 ; Portes, 1987 ; Light, 1972). Selon la définition de Portes (1987), une enclave ethnique est une concentration spatiale d’immigrés qui s’organisent localement en développant des entreprises qui répondent à la fois aux besoins de la communauté ethnique, mais qui peuvent également répondre à la demande du reste de la population. Dans une telle configuration, l’entrepreneuriat immigré est évidemment très localisé et circonscrit à une enclave géographique dans laquelle la majorité de la population est de la même ethnie que l’immigré. Waldinger, Aldrich et Ward (1990) parlent de stratégie de « niche ethnique » pour caractériser ce phénomène. Pour ces auteurs, c’est dans le cadre d’une telle niche que se développe l’entrepreneuriat ethnique proprement dit. Et la constitution d’enclaves économiques ethniques, à l’instar des enclaves cubaines de Miami en est la manifestation paroxysmique. En privilégiant la logique ethnique, l’entrepreneur immigré contribue à la création d’une économie ethnique, avec pour but de pallier les désavantages qu’il perçoit sur le marché du travail. La stratégie ethnique devient alors une stratégie d’utilisation de ressources ethniques qui, ce faisant, différencient les entrepreneurs immigrés des entrepreneurs autochtones. Les ressources ethniques peuvent être financières (association rotative d’épargne et de crédit tels que la tontine, crédits intracommunautaires, apports en capital…), économiques (main-d’œuvre moins coûteuse, fournisseurs ethniques, clientèle et marchés ethniques…) ou plus largement socioculturelles (recours au travail familial, prédisposition culturelle à travailler sans compter, loyauté, solidarité…). L’étude de Pio (2007) sur l’entrepreneuriat des Indiennes en Nouvelle Zélande ne montre pas de différence de genre à ce sujet. Aussi bien les femmes que les hommes travaillent à implanter leur entreprise au sein de leur communauté ethnique, quitte à élargir plus tard la base de l’affaire à la société d’accueil.
22La pratique de l’enclave serait également typique de l’insertion des communautés turques dans leurs pays d’accueil. Lévy-Tadjine (2004) montre comment la création d’entreprise par des immigrés turcs dans des secteurs bien précis en France entraîne des effets induits et incite à la création d’autres entreprises. L’auteur relève que des cabinets d’expertise comptable, des cabinets d’avocats, des agences de publicité et des agences de décoration, qui fonctionnent essentiellement avec du personnel turc, ont été créés pour fournir des services exclusivement aux entreprises turques. Des boulangers turcs se sont également installés pour approvisionner les restaurants turcs spécialisés dans la commercialisation des sandwichs turcs (ibid.).
23Les études empiriques d’enclaves tendent à montrer que les communautés d’immigrés peuvent constituer en elles-mêmes des stimulants à l’activité entrepreneuriale, aussi bien en termes de ressources mobilisables (financement, main-d’œuvre, conseils, informations, réseaux de solidarité…) que de débouchés.
1.2.2 – La théorie des minorités intermédiaires
24La théorie des minorités intermédiaires correspond, au contraire de la théorie de l’enclave, à une posture sociologique d’intégration à la société d’accueil, quoique cette intégration soit souvent résignée et contrainte. Elle a été élaborée par Bonacich (1973) pour décrire la situation de communautés d’immigrés entretenant le mythe d’un hypothétique retour au pays d’origine. L’immigration étant vécue comme un exil temporaire mais à l’issue incertaine, ces communautés optent pour des activités intermédiaires, c’est-à-dire des activités où l’entrée et la sortie sont assez aisées (capital de départ modeste, facilité de revente en cas de retour au pays). Mais très souvent, le retour souhaité n’a pas lieu, soit parce que les conditions politiques du pays d’origine ne le permettent pas, soit parce que les entrepreneurs immigrés estiment ne pas disposer encore de suffisamment d’économies pour s’y établir, soit paradoxalement parce qu’ils sont victimes de leur succès dans le pays d’accueil et ont conscience qu’ils ne connaîtraient probablement pas la même réussite dans leur pays d’origine. Dzaka-Kikouta, Makany et Kamavuako-Diwavova (2005) parlent à ce sujet de « minorité intermédiaire durable » pour caractériser les immigrés angolais en République Démocratique du Congo (RDC). Ces auteurs relèvent que ces immigrés font preuve d’une forte intégration dans leur société d’accueil, la majorité ayant même acquis la nationalité congolaise. Ils ajoutent que leur projet de retour en Angola reste compromis par l’instabilité politique qui règne dans ce pays depuis l’indépendance en 1975. Par ailleurs, l’intégration en RDC de ces immigrés originaires du Nord de l’Angola est favorisée par la proximité géographique, relationnelle et culturelle, les Angolais des sous-groupes ethniques dits « Bazombos », « San Salvador » et « Cabindais » appartenant tous à la communauté des Bakongo, largement implantée en RDC.
25Dans d’autres cas, les entrepreneurs immigrés jouent le rôle de « minorités de remplacement » (Waldinger, Aldrich et Ward, 1990) en s’intéressant à des niches d’activité délaissées par les autochtones. Par exemple, dans son étude sur les femmes entrepreneures de la périphérie rurale de Pointe-Noire au Congo, Tati (2013) montre que les activités liées à la pêche et au fumage du poisson n’intéressent pas les Congolais. Un groupe de pêcheurs venant d’Afrique de l’Ouest, principalement du Togo et du Bénin, s’est alors constitué pour occuper ce créneau de marché, les hommes ayant en charge la pêche et leurs épouses, généralement des ressortissantes du même pays que leurs maris, le fumage du poisson.
26La perspective d’un hypothétique retour impose à l’entrepreneur immigré de conserver un lien avec les rites et traits culturels de son pays d’origine ; ce qui passe par un resserrement des liens avec la communauté ethnique, et par conséquent par une accentuation probable de l’ancrage ethnique de l’activité de l’entrepreneur.
1.2.3 – Le modèle de convergence/divergence des stratégies entrepreneuriales de l’immigré
27La modélisation de Zouiten et Levy-Tadjine (2005), qui s’inspire des travaux de Berry (1997) et de Piguet (2000), vise à mesurer le degré de spécificité de l’activité entrepreneuriale immigrée à partir de deux variables, à savoir l’orientation commerciale du projet et le savoir-faire sur lequel repose ledit projet. Il s’agit en fait de voir dans quelle proportion la clientèle est ethnique et dans quelle mesure le savoir-faire se fonde sur les spécificités culturelles de l’entrepreneur. Le croisement de ces deux variables suggère trois stratégies d’acculturation possibles, à savoir l’intégration, l’assimilation et la séparation.
Les stratégies d’acculturation de l’entrepreneur immigré
Les stratégies d’acculturation de l’entrepreneur immigré
28Dans la perspective « assimilationniste », rien ne permet de distinguer l’immigré dans son aventure entrepreneuriale, en ce sens que le savoir-faire est générique et l’orientation commerciale non ethnique. L’assimilation correspond dans ce cas à un désir d’abandonner sa culture d’origine et de s’orienter vers la culture de la société d’accueil.
29Au contraire, dans la perspective « intégrationniste », l’immigré considère que son ancrage ethnique apporte de la valeur ajoutée à son affaire, soit en termes d’orientation commerciale (Intégration I), soit en termes de savoir-faire (Intégration II). Ce positionnement correspond à la théorie des minorités intermédiaires si l’orientation commerciale du projet est non ethnique et le savoir-faire ethnique (Intégration II). L’intégration signifie dans ce contexte que l’identité culturelle spécifique au groupe d’origine est maintenue mais qu’il s’opère en même temps une ouverture pour devenir partie intégrante de la société d’accueil.
30Une stratégie « séparationniste » s’appuiera essentiellement sur un savoir-faire et des réseaux commerciaux ethniques/communautaires, avec une absence de relations avec la société d’accueil et une conservation des valeurs de la culture d’origine. Cette perspective correspond à la théorie de l’enclave.
1.3 – Les réseaux sociaux de l’entrepreneur immigré
31Définir l’entreprise comme projet d’entreprendre conduit à délaisser l’objet « entreprise » pour s’intéresser, du point de vue des acteurs, au processus de l’action collective par lequel un projet se concrétise (Hernandez, 2001). On sait avec les travaux de Granovetter (1985, 1973) que les activités des entrepreneurs sont encastrées (embedded) dans des réseaux de relations sociales. S’appuyant sur les travaux de Pierre Bourdieu, Eloire (2011) qualifie le capital social de l’entrepreneur de « méta capital » dont les effets sont principalement indirects et susceptibles de multiplier les effets des autres formes de capital (capital financier, humain, technologique…). Pour cette auteure, l’ensemble des ressources mobilisées à travers un réseau de relations plus ou moins étendu, procure un avantage compétitif en assurant aux investissements des rendements plus élevés. Labazée (1988) montre comment, dans le contexte du Burkina Faso, l’accès au monde des affaires est conditionné par l’existence de prérequis sociaux et parfois religieux à partir desquels un succès économique et financier peut être envisagé. Pour cet auteur, l’accumulation de relations personnelles auprès de personnes susceptibles de faciliter l’accès aux crédits, de protéger les marchés, bref, d’assurer a priori un environnement favorable à la rentabilisation des investissements, est un préalable à la réussite entrepreneuriale. Obrecht (2009) parle de structures encastrantes générant le capital social en tant que ressource nécessaire à l’action.
32Les réseaux sociaux de l’entrepreneur immigré peuvent être d’ordre ethnique ou non ethnique.
1.3.1 – Les réseaux socioethniques de l’entrepreneur immigré
33De nombreux auteurs associent le dynamisme entrepreneurial des immigrés à l’accès à des réseaux socioethniques en tant que sources de financement, de main-d’œuvre bon marché, d’approvisionnement, d’informations, de conseils et de débouchés. Les travaux de Pairault (1995) montrent qu’en France, les immigrés chinois se fient principalement à leur famille et à leur réseau intra-ethnique pour concrétiser leur projet d’entreprise. Ces entrepreneurs utilisent très rarement le système bancaire classique. En outre, ils emploient d’abord et avant tout une main-d’œuvre chinoise et desservent un marché ethnique. Chand et Ghorbani (2011) mettent également en évidence le rôle central des réseaux socioethniques dans la carrière entrepreneuriale des immigrés indiens et chinois aux USA.
34En dehors de son rôle de tremplin dans le démarrage des entreprises, le réseau est vu comme un moyen de protection de l’entreprise contre la concurrence extérieure et contre les actions hostiles des autres groupes sociaux. Le réseau facilite également la communication avec la société d’accueil, ainsi que l’acquisition de connaissances en gestion.
35Évoquant le cas des femmes indigènes et asiatiques vivant aux Midlands de l’Ouest au Royaume-Uni, Blisson et Rana (2001) avancent la thèse de l’inaccessibilité de ces femmes à des réseaux d’affaires adéquats pour expliquer leur faible dynamisme entrepreneurial. En effet, les réseaux investis par ces femmes impliquent moins d’innovations et moins de contacts externes, notamment avec les financeurs et preneurs de décisions ; ce qui limite l’accès au financement et au conseil, entraînant de ce fait des difficultés accrues durant les phases de démarrage, de survie et de développement des entreprises. Parlant de l’entrepreneuriat féminin de façon générale, Constantinidis (2010) pointe la forte présence des femmes dans des réseaux d’affaires à dominante féminine et à motivations beaucoup plus relationnelles, et leur faible présence dans les réseaux les plus historiquement construits, à motivations plus instrumentales et professionnelles (en fonction des besoins de l’entreprise). Cette observation rejoint la thèse de Granovetter (1985, 1976) sur la force des liens faibles. À la différence du réseau relationnel, qui est considéré avant tout comme un moyen de tisser des liens forts d’entraide et de support mutuel, le réseau instrumental/professionnel (liens faibles) est plus influent et peut s’avérer plus utile pour l’entrepreneur immigré, notamment en matière de recrutement des employés, d’obtention de conseils, d’identification de nouvelles opportunités d’affaires et de recherche de nouveaux partenaires commerciaux.
1.3.2 – Les réseaux sociaux non ethniques de l’entrepreneur immigré
36Si de nombreux auteurs insistent sur le rôle des réseaux d’appui socioethnique dans la réussite des entrepreneurs immigrés (Chand et Ghorbani, 2011 ; Constantinidis, 2010 ; Blisson et Rana, 2001 ; Pairault, 1995), Lévy-Tadjine (2007) note que leurs écrits ignorent en revanche la possibilité pour l’entrepreneur immigré de recourir à des ressources non ethniques, qu’il s’agisse de réseaux d’accompagnement de type public, solidaire et social (associations, coopératives, par exemple) ou même privé (cabinets d’expertise-comptable et de conseils). L’auteur relève que, si ce type de dispositifs d’appui est peu utilisé par les entrepreneurs immigrés aux États-Unis (à cause de la forte présence d’associations ethniques), il semble en aller différemment en France. Sans pour autant nier l’existence de réseaux socioethniques plus ou moins forts, l’auteur souligne que l’entrepreneur immigré en France se trouve confronté à une juxtaposition d’offres d’accompagnement obéissant à des logiques d’action et de justification différentes. Il en veut pour preuve les Boutiques de Gestion dont plus de 25 % du public accompagné est issu de l’immigration (ibid.). Kamavuako-Diwavova (2009) relativise également le rôle du réseau socioethnique dans un contexte de migration Sud-Sud. S’appuyant sur les travaux de Granovetter (1985, 1976), il montre dans son étude sur les communautés d’immigrés ouest-africains, chinois, libanais et indiens en République Démocratique du Congo (RDC) que le réseau ethnique (liens forts) sert de source d’information (repérage des opportunités), de cadre d’apprentissage du métier d’entrepreneur et de source d’approvisionnement à ces immigrés, mais que le réseau non ethnique (liens faibles) reste la source privilégiée de main-d’œuvre, de protection des affaires (réseautage politique) et de débouchés.
1.4 – Statut familial et entrepreneuriat des femmes immigrées en Afrique subsaharienne
37Parler du statut familial de la femme entrepreneure dans un contexte de migration Sud-Sud revient à évoquer le statut matrimonial de la femme entrepreneure, ses motivations à entreprendre, ainsi que le rôle du conjoint dans la concrétisation du projet.
1.4.1 – Statut matrimonial de la femme et motivations entrepreneuriales
38En Afrique subsaharienne, les recherches portant sur l’entrepreneuriat féminin tendent à montrer qu’une grande majorité de femmes entrepreneures sont mariées, avec un ou plusieurs enfants. Onana (2009) souligne que dans le contexte du Cameroun, la volonté d’assister le mari dans la couverture des besoins de la famille est la principale motivation entrepreneuriale chez ces femmes. Cette motivation se manifeste notamment par le souci d’assurer l’avenir des enfants et celui de contribuer au bien-être de la famille. De ce fait, l’essentiel des ressources générées par les activités entrepreneuriales de la femme va venir renforcer la capacité du couple à satisfaire les attentes de la famille rapprochée et même éloignée (parents, belle-famille…) (Ibid.).
39La motivation essentiellement familiale de l’entrepreneuriat des femmes est également mise en évidence par Tchouassi (2009) dans son étude sur les migrantes évoluant dans le commerce transfrontalier entre le Cameroun et le Nigeria. À ce propos, Nordman et Vaillant (2014) expliquent les écarts de performance des entreprises malgaches gérées par les femmes et de celles gérées par les hommes par des situations dans lesquelles les femmes entrepreneures ressentiraient davantage le poids de leur propre communauté, sans doute à cause de normes de solidarité contraignantes, mais aussi de leurs responsabilités domestiques. Ces auteurs expliquent que la nécessité de satisfaire les demandes de la parentèle peut avoir des effets « désincitatifs » sur le développement des activités économiques des femmes. Onana (2009) nuance ces propos en soutenant que la prééminence de l’altruisme communautaire dans les motivations entrepreneuriales des femmes camerounaises est une conséquence des rôles qu’elles doivent jouer au sein de la société, à côté des hommes.
40L’ensemble de ces conclusions met en évidence le caractère flou des frontières entre les motivations de type push (création d’entreprise par nécessité) et celles de type pull (création par opportunité) (Shapero, 1975) chez les femmes entrepreneures. De façon générale, les études consacrées à l’entrepreneuriat féminin montrent que la dialogique Entrepreneur - Entreprise peut s’étendre à une relation circulaire Femme - Entreprise - Famille, avec cette particularité d’une difficile dissociation des préoccupations entrepreneuriales et des obligations familiales (Onana, 2009 ; Carrier, Julien, Menvielle, 2006 ; Cornet, Constantinidis, 2004 ; Ionescu, 2004). Dans le même ordre d’idée, De Bruin, Brush et Welter (2007) soulignent dans leur modèle des 5M (Market, Money, Management, Motherhood, Méso/Macro environnement) l’importance qu’a l’environnement social, notamment la maternité et le Méso/Macro environnement, sur l’entrepreneuriat féminin. Ce modèle suggère que la maternité, au sens de ménage économique, influe plus sur les femmes que sur les hommes et que le méso/macro environnement génère pour les femmes des enjeux et des contraintes qui vont au-delà du marché pour englober les attentes de la société et les normes culturelles.
1.4.2 – Le rôle du conjoint dans la concrétisation du projet d’entreprise
41De nombreux chercheurs se sont interrogés sur le rôle du conjoint dans la concrétisation du projet d’entreprise de son épouse. Les études menées au Cameroun (Tchouassi, 2009 ; Onana, 2009) et au Burkina Faso (Hien, 2002) montrent que le conjoint joue très souvent le rôle de principal financeur, conseiller et soutien moral dans l’aventure entrepreneuriale de son épouse. Dans sa recherche sur les femmes immigrées évoluant dans le secteur informel de la pêche côtière au Congo-Brazzaville, Tati (2013) révèle des situations de co-entreprise (copreneurs) impliquant des femmes et des hommes venant du même pays. Les femmes s’approvisionnent en poisson frais auprès des hommes, très souvent leurs époux, pour leurs activités de fumage de poisson. En retour, elles investissent une partie ou la totalité des recettes dans l’entreprise de pêche de leurs maris. L’auteur souligne que cette interdépendance des moyens d’existence reflète dans une large mesure une reconstruction des rapports de genre qui lient le mariage ou la formation des unions à l’immigration des hommes et des femmes, lorsque cette immigration est considérée comme un moyen d’accumulation de ressources.
42Les formes d’échanges observées entre époux dans l’entrepreneuriat en général, au sein des ménages d’immigrés en particulier, confirment que ces ménages sont capables de mobiliser les ressources dont ils disposent, notamment la force de travail supplémentaire de l’épouse et les capitaux/compétences du conjoint, pour diversifier leurs sources de revenus. Ce partenariat entre époux contribue à une certaine cohésion au sein du ménage et constitue un moyen pour mettre en commun les capitaux, puis partager les risques d’entreprise. De cette manière, le ménage peut être considéré comme un gage de sécurité et l’immigration comme une stratégie à travers laquelle des biens, monétaires notamment, sont acquis.
1.5 – Les femmes entrepreneures au Burkina Faso
43Très peu de recherches ont été conduites sur l’entrepreneuriat féminin au Burkina Faso. Les rares écrits portent essentiellement sur les profils, les secteurs d’activité et les motivations entrepreneuriales des femmes, ainsi que sur les difficultés qu’elles rencontrent.
1.5.1 – Profils et secteurs d’activités des femmes entrepreneures au Burkina Faso
44Sur la base d’un échantillon de 208 entrepreneurs, Ouédraogo (1999) estime à 15 % le nombre de femmes actives dans le milieu des affaires au Burkina Faso. Les secteurs d’activité investis par ces femmes sont à dominante féminine, en l’occurrence la coiffure, la couture, l’industrie agro-alimentaire, le commerce et dans une moindre mesure, le BTP (Bâtiments et Travaux Publics).
45L’étude exploratoire de Hien (2002) porte sur un échantillon de 41 femmes entrepreneures constitué sur la base d’un répertoire établi par la Chambre de Commerce et d’Industrie du Burkina Faso (CCI-BF). L’auteur aboutit à des résultats similaires quant aux secteurs d’activité investis par les femmes. En ce qui concerne les profils sociodémographiques, il souligne que ces femmes ont en moyenne 45 ans. Leurs parents sont rarement entrepreneurs mais beaucoup de personnes dans leur entourage le sont. Elles sont mariées, le plus souvent à des cadres supérieurs ou à des dirigeants d’entreprise. Elles ont peu d’enfants (moins de 4) qui ne sont plus en bas âge. Elles ont généralement un niveau d’éducation élevé, comme leurs maris.
1.5.2 – Les motivations et les difficultés des femmes entrepreneures au Burkina Faso
46Le rapport 2014 du Global Entrepreneurship Monitor (Singer et al., 2015) ne mentionne pas une très grande différence entre la propension des femmes burkinabè à entreprendre et celle des hommes. Le TEA (Total Early-stage Entrepreneurial Activity), l’index qui mesure le nombre d’individus en passe de créer une entreprise ou dont l’entreprise a moins de trois ans et demi d’existence, est de 19 % pour les femmes contre 25 % pour les hommes. Ce taux reflète le dynamisme affirmé des femmes africaines, dont le rapport indique qu’elles sont les plus entreprenantes au monde [4].
47En ce qui concerne la motivation à entreprendre, Hien (2002) note que les femmes de son échantillon démarrent leur entreprise pour soutenir leur famille ou pour se réaliser personnellement. Elles ont franchi le pas à la suite d’une frustration ressentie dans leur emploi précédent ou parce qu’elles ont été licenciées de leur poste dans l’administration publique ou privée. Évoquant les difficultés rencontrées par ces femmes, l’auteur souligne que malgré leur nombre croissant, elles sont toujours confrontées à de multiples obstacles. Il mentionne principalement l’inaccessibilité au financement et la difficile conciliation entre vie de famille et travail.
48Notre recherche a pour objectif de comprendre le rôle que le projet migratoire a pu jouer dans la carrière entrepreneuriale des restauratrices immigrées de Ouagadougou. La revue de la littérature met en évidence le changement de pays comme étant un important facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale, en ce sens que créer sa propre entreprise est souvent considéré par l’immigré comme la réponse idéale à l’inconfort, à la dégradation du statut social et aux diverses discriminations vécues dans le pays d’accueil. La revue de littérature met également en exergue le recours aux ressources ethniques comme une stratégie de différentiation entrepreneuriale chez l’immigré. Ces considérations théoriques et empiriques nous conduisent à orienter nos investigations vers quatre axes :
- L’immigration comme facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale des restauratrices immigrées de Ouagadougou ;
- La culture du pays d’origine comme source de différentiation entrepreneuriale dans le pays d’accueil ;
- la restauration comme activité intermédiaire (niche de marché délaissée par les autochtones mais occupée par les femmes immigrées) ;
- le réseau socioethnique comme principale source de financement, de main-d’œuvre et d’approvisionnement.
2 – Méthodologie de la recherche
49La méthodologie de cette recherche a consisté en une approche biographique portant sur l’étude croisée de la trajectoire migratoire et du parcours entrepreneurial des restauratrices de nationalité étrangère de Ouagadougou. Le recours au récit de vie comme méthode de collecte des données se justifie par le fait que nous cherchons à mettre en évidence les événements majeurs intervenus dans la vie des restauratrices étudiées, et qui ont pu servir de tremplin pour entreprendre dans le secteur de la restauration. Pailot (2003) relève à ce propos que l’approche biographique est une stratégie de recherche qui permet de décrire, comprendre et analyser « l’agir en situation », de saisir les articulations entre les phénomènes objectifs, les déterminations inconscientes et l’expérience subjective dans une forme d’intelligibilité historienne où on examine les rapports entre la vie, dans toute son épaisseur existentielle, et ce qu’un individu peut en dire dans un récit. Wacheux (1996) précise que le recueil des récits de vie des entrepreneurs ouvre un espace qui permet une description précise et fiable - bien qu’évidemment incomplète - des enchaînements de situations, d’interactions et d’actions conduisant à la prise de la décision d’entreprendre.
50Les données de l’étude préliminaire ont permis de distinguer trois types de restaurant. Le premier regroupe les restaurants haut de gamme, y compris les restaurants des hôtels. Les repas y sont facturés à partir de 2 500 FCFA. Ces restaurants sont essentiellement fréquentés par les touristes internationaux et les expatriés (diplomates et fonctionnaires internationaux). Le deuxième type comprend les restaurants moyen de gamme. Ces restaurants sont implantés dans les quartiers administratifs et d’affaires. Ils sont bien aménagés, avec un local (bâtiments et/ou hangars), des tables, des chaises et un service de sécurité veillant sur les moyens de locomotion des clients. La nourriture servie se fonde sur les trois critères définis par Bailly (2002) : la propreté, la temporalité et la diététique. La clientèle est constituée de fonctionnaires locaux, de salariés du secteur privé et de commerçants. Les prix des repas vont de 500 FCFA à 2 500 FCFA. Ces restaurants se caractérisent également par la présence de certaines fonctions de gestion comme le marketing et la comptabilité. Le troisième type est constitué des gargotes. Elles servent des repas bas de gamme aux abords des rues. La clientèle est constituée de la couche la plus défavorisée de la population (chômeurs, familles évoluant en dessous du seuil de pauvreté, petits commerçants du secteur informel). Les repas y sont facturés à partir de 50 FCFA.
51Onze restauratrices immigrées exerçant dans l’Arrondissement de Baskuy, le principal quartier administratif et d’affaires de la capitale burkinabè, ont été étudiées. Leurs restaurants sont tous positionnés dans le moyen de gamme. Il s’agit de restaurants se situant entre l’ensemble diffus des gargotes et celui très restreint des restaurants haut de gamme. Les restauratrices ont été choisies de façon raisonnée. Outre le statut d’immigrée et le métier de restauratrice, les critères de sélection ont porté sur la disponibilité des femmes ciblées à se soumettre à une interview.
Quelques caractéristiques sociodémographiques sur les restauratrices interrogées
Quelques caractéristiques sociodémographiques sur les restauratrices interrogées
52On dénombre parmi les restauratrices interrogées cinq Sénégalaises, deux Ivoiriennes, une Malienne, une Guinéenne, une Éthiopienne et une Ivoirienne d’origine burkinabè. Le nombre relativement élevé de Sénégalaises dans l’échantillon s’explique par la forte présence des restaurants dits sénégalais dans le secteur de la restauration moyen de gamme dans l’arrondissement de Baskuy, comparé aux restaurants tenus par les autres nationalités. Les femmes interrogées présentent également des profils sociodémographiques variés. On trouve dans l’échantillon cinq femmes mariées, quatre célibataires avec ou sans enfant(s) et deux divorcées. On y trouve également dix immigrés de première génération et une de seconde génération. Le très faible nombre d’immigrées de seconde génération s’explique par la faible présence de cette catégorie d’immigrées dans le secteur de la restauration à Ouagadougou. Mieux formés que leurs parents, les immigrés de seconde génération préfèrent des emplois de salariés dans l’administration publique/privée ou choisissent d’entreprendre dans d’autres secteurs d’activités.
53Un rendez-vous préalable a été pris avec chaque restauratrice ciblée. Dans dix cas, les entrevues ont eu lieu au restaurant, au retour de la restauratrice du marché (pour son approvisionnement quotidien en condiments) ou après le service du midi. Un seul entretien s’est déroulé au domicile de la restauratrice, après le service du midi. Les entrevues ont durée en moyenne une heure et demi. Dans six cas, nos interlocutrices ont été contraintes de suspendre les échanges, à cause de l’affluence de la clientèle pour le repas du midi. Une seconde entrevue a été nécessaire pour cerner le parcours migratoire et entrepreneuriale de ces restauratrices.
54Hernandez (2001) attire l’attention sur le fait que la démarche des récits de vie peut aboutir à deux impasses classiques de l’analyse qualitative. La première est l’approche restitutive, qui consiste pour le chercheur à livrer un récit brut et à laisser libre cours à l’interprétation du lecteur. La seconde est l’approche illustrative où le chercheur prélève arbitrairement les extraits d’entretien les plus significatifs pour illustrer son interprétation a priori d’un phénomène. Pour éviter ces impasses, nous optons pour une analyse de contenu thématique (Bardin, 2007). Les thématiques retenues sont celles que nous avons préalablement définies sur la base de la revue de la littérature : 1) l’immigration comme facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale, 2) la culture du pays d’origine comme source de différentiation entrepreneuriale, 3) la restauration comme activité intermédiaire, 4) le réseau socioethnique comme source de financement, de main-d’œuvre et d’approvisionnement.
3 – Résultats de la recherche
55Nos résultats montrent un lien évident entre la trajectoire migratoire et la carrière entrepreneuriale des femmes étudiées. Ces résultats expliquent également le choix par ces femmes de la restauration comme secteur d’activité et identifient les principales ressources qu’elles mobilisent pour s’imposer dans ce secteur.
3.1 – Du projet migratoire au projet entrepreneurial
56Ce point traite des raisons du départ des femmes de leurs pays d’origine et explique comment le projet migratoire s’est transformé en projet entrepreneurial dans le secteur de la restauration dans le pays d’accueil.
3.1.1 – Les raisons du départ du pays d’origine
57En dehors de Latifa, qui est née au Burkina Faso, la quasi-totalité des femmes interrogées ont quitté leurs pays à la demande de leurs conjoints installés à Ouagadougou ou encore d’un frère, cousin, ami, créateur d’un restaurant dans la capitale burkinabè.
Ces témoignages renvoient à une immigration plus ou moins « subie » chez ces femmes, contrairement à ce qui a pu se passer chez les personnes qu’elles ont rejointes. Le motif du départ de ces femmes de leur pays d’origine n’avait pas au départ un fondement économique (se procurer des richesses dans le pays d’accueil, aider financièrement les proches restés dans le pays d’origine). Le motif était plutôt d’ordre matrimonial et familial (rejoindre son conjoint, son frère, son cousin).« Je suis arrivée à Ouagadougou le 1er Janvier 2000, à la demande de mon mari qui y vivait déjà », dit Fatou la Sénégalaise.
« Je suis arrivée à Ouagadougou en Décembre 2012 à la demande de mon cousin. Il est venu ici à la suite de la fermeture de l’agence d’assurance qu’il gérait au Sénégal », raconte Aminata, une autre Sénégalaise.
« C’est mon frère qui m’a fait venir ici pour l’aider à gérer son restaurant », affirme Solange l’Ivoirienne.
3.1.2 – La décision de créer une entreprise
58En ce qui concerne les femmes qui ont rejoint leurs conjoints, la décision d’entreprendre a été motivée par le souci de soutenir ces derniers dans la prise en charge des dépenses du foyer.
« Je ne m’imaginais pas en train de créer un restaurant. Mais trois ans après mon arrivée, mon mari, qui travaillait avec un couturier de la place, a commencé à connaître des difficultés sur son lieu de travail. Il ne gagnait plus autant d’argent qu’avant. Il a fallu donc que je fasse quelque chose pour le soutenir. C’est ainsi que j’ai eu l’idée de créer un restaurant, vu qu’au Sénégal, je menais déjà une activité de ce type », confie Fatou.
60Les mêmes raisons ont poussé Sali, Sénégalaise, à ouvrir son restaurant. Elle a cherché à exploiter commercialement sa maîtrise de l’art culinaire lorsque la bijouterie de son mari a commencé à ne plus générer suffisamment de revenus pour couvrir les dépenses du foyer.
61Pour ce qui est des femmes qui ont rejoint un frère, un cousin ou un ami, propriétaire d’un restaurant à Ouagadougou, nous pouvons citer les cas des Ivoiriennes Solange et Sandrine.
« Mon frère n’avait pas appris à faire la cuisine. Il avait du mal à s’en sortir dans son restaurant. Il m’a demandé de venir l’aider. Mais à un moment donné, on ne s’entendait plus. Je voulais retourner chez moi en Côte d’Ivoire mais mon compagnon ne voulait pas que je parte. C’est là que j’ai eu l’idée de créer mon propre restaurant », relate Solange.
« Je n’ai pas hésité à fermer mon restaurant à Abidjan pour venir aider mon ami à gérer son restaurant à Ouagadougou. Nous nous sommes mariés par la suite et avons eu deux enfants. J’ai ouvert mon propre restaurant quand nous nous sommes quittés. Je ne voulais plus poursuivre la collaboration avec mon ex-compagnon. Il me fallait m’assumer moi-même », raconte Sandrine.
63Le cas de Martha, l’Ethiopienne, rejoint ceux de Solange et Sandrine. Elle a connu son mari (un Français) en Ethiopie et l’a suivi à Ouagadougou, en passant par Niamey au Niger, au gré des expatriations de ce dernier. Après seize ans de vie commune, le couple divorce en 2010, cinq ans après son établissement à Ouagadougou. Martha décide alors de créer un restaurant éthiopien pour, dit-elle, s’occuper et rester auprès de ses deux enfants, qui vivent toujours avec leur père à Ouagadougou.
64Ces récits indiquent que ces femmes ont connu au fil de leur séjour au Burkina Faso une dégradation de leur situation familiale et personnelle. Très peu formées et préparées pour affronter un marché du travail local déjà saturé, elles n’ont eu d’autres choix que de créer leur propre entreprise. L’ouverture du restaurant a été considérée par ces femmes comme la meilleure réponse à apporter au divorce, à la baisse des revenus du conjoint ou à la détérioration des relations avec le frère, le cousin.
3.2 – Le choix de la restauration comme secteur d’activité
65Considéré au départ comme une tâche domestique, le plaisir de faire à manger s’est mué en une compétence distinctive que les femmes immigrées n’ont pas hésité à exploiter pour saisir l’opportunité que représente la restauration moyen de gamme à Ouagadougou.
3.2.1 – De la cuisine domestique à la restauration commerciale
66Le choix de la restauration comme secteur d’activité s’est opéré de façon quasi naturelle chez les femmes étudiées.
« J’ai appris à faire la cuisine à la maison en Côte d’Ivoire, auprès de ma mère. J’adorais faire à manger à mes amis. Un jour, l’un d’eux m’a suggéré d’ouvrir un restaurant, plutôt que de continuer à leur faire à manger gratuitement », raconte Sandrine.
68A la question de savoir pourquoi les femmes immigrées semblent réussir mieux que les femmes burkinabè sur le segment de la restauration moyen de gamme, les réponses convergent vers une différence de rapport à la cuisine selon que l’on considère les immigrées ou les Burkinabè.
« La cuisine est une passion pour moi. J’ai commencé en famille, en Côte d’Ivoire, quand j’avais 6-8 ans. Ce n’est pas comme ici où on trouve de grandes filles ou même des dames qui ne savent pas faire la cuisine. J’en reçois beaucoup, ce genre de personnes qui passent pour chercher du travail », dit Solange.
« Très souvent, je vois des filles ou des familles entières venir manger dans mon restaurant. Chez moi en Guinée, c’est quelque chose d’inimaginable. On a honte d’aller acheter à manger, surtout pour une fille ou une femme. Ici, c’est le contraire. Or, on ne peut pas acheter tout le temps à manger et en même temps apprendre à faire la cuisine », souligne Malika.
« Au Sénégal, on apprend à la jeune fille à faire de bons repas. Elle grandit avec cette idée de faire plaisir à son mari et à sa famille. Si tu apprends à bien faire la cuisine chez toi à la maison, quand tu vas ouvrir ton restaurant, tu mettras autant d’énergie, d’enthousiasme et de plaisir pour satisfaire ta clientèle », relève Sali.
« Il faut de la patience en cuisine. Or, les femmes d’ici sont toujours pressées. Il faut aussi de l’engagement. Or, les femmes burkinabè veulent ouvrir un restaurant et en même temps vaquer à d’autres occupations. On ne peut pas confier la gestion de son restaurant à quelqu’un d’autre. Ça ne marchera pas. À la maison, les gens sont souvent obligés de manger parce qu’ils n’ont pas le choix ; ce qui n’est pas le cas pour les clients », raconte Mariama.
70Ces propos sont certainement à nuancer et à approfondir. Ils semblent néanmoins indiquer qu’à la différence des femmes burkinabè, les restauratrices immigrées possèdent des savoir-faire culinaires fondés sur des spécificités de leur culture d’origine. Il s’agit notamment de la patience en cuisine et du souci constant de faire plaisir à autrui, à travers un repas consommé dans un cadre convivial. Ces traits culturels trouvent un écho particulièrement favorable auprès de la clientèle sur le segment de la restauration moyen de gamme. Ce segment est ainsi devenu une importante source d’opportunités pour les restauratrices immigrées.
3.2.2 – La restauration moyen de gamme, une importante source d’opportunités pour les restauratrices immigrées
71La restauration moyen de gamme à Ouagadougou constitue une importante source d’opportunités pour les restauratrices immigrées en ce sens que les Burkinabè n’ont pas réussi à s’y imposer.
« Quand je suis arrivée à Ouagadougou au début des années 1990, j’ai remarqué que le restaurant de mon ami était l’un des rares restaurants africains de la place. À l’époque, c’était les restaurants européens qui dominaient le marché. Quand j’ai décidé plus tard d’ouvrir mon propre restaurant, je n’ai vraiment pas rencontré de problèmes, tant le marché était loin d’être saturé. Il y a même toujours de la place pour quiconque a l’amour du métier », raconte Sandrine.
73Il y aurait d’autant plus de place que le riz s’impose de plus en plus comme la principale céréale consommée hors domicile en Afrique de l’Ouest. Sa consommation a progressé fortement pour atteindre aujourd’hui, du moins dans les villes, le même niveau que dans les pays asiatiques [5]. Or, les Sénégalaises ont la réputation de maîtriser la cuisson de cette céréale. Le Thiéboudienne (riz au poisson), le mafé (riz avec une sauce onctueuse à la pâte d’arachide) et le Yassa de poulet (accompagné de riz blanc) sont autant de mets parmi les plus prisés à Ouagadougou. Le concept de « Restaurant sénégalais » est même devenu un label commercial. Les stratégies mises en œuvre dans ces restaurants sont les mêmes que celles décrites par Bailly (2002) en ce qui concerne les grandes chaînes de restauration : imposer un produit homogène, standardisé dans sa présentation, à prix attrayant, en valorisant sa modernité. Par un marketing puissant, un modèle de consommation se crée, fondé sur ce produit et la façon de le consommer, et cela dans un contexte que l’auteur qualifie d’« efficacité sociale ». À Ouagadougou, apercevoir devant une concession ou au coin d’une rue une pancarte avec la mention « Restaurant sénégalais » est systématiquement synonyme de local spacieux, bien aménagé, avec des chaises et des tables, des brasseurs d’air, des serveuses bien habillées, un service de sécurité veillant sur les moyens de locomotion des clients, une propreté sans faille, et du riz cuit à la sénégalaise.
74Outre les spécialités sénégalaises, le riz à la sauce feuilles (spécialité malienne et guinéenne), le riz à la sauce tomate (spécialité togolaise) et le riz à la sauce graine ou aubergine, avec ou sans agouti (spécialité ivoirienne), commencent à susciter l’intérêt des clients. Les Ivoiriennes proposent également dans leurs menus des spécialités culinaires typiques de la Côte d’Ivoire, notamment le foutou (pâte de manioc, d’igname et/ou de banane plantain) et l’attiéké (granules à base de pâte de manioc fermentée). Ces mets ont d’autant plus de facilité à entrer dans les habitudes alimentaires locales que les Burkinabè ont la culture de la migration. Les lieux de destination sont essentiellement les pays de la sous-région ouest-africaine, principalement la Côte d’Ivoire. Il y aurait plus de trois millions de Burkinabè de toutes générations dans ce pays. Une fois de retour au Burkina Faso, la nostalgie des mets qu’ils ont appris à déguster dans leurs anciens pays d’accueil les pousse à fréquenter les restaurants servant ces spécialités.
« Quand des Burkinabè qui ont fait la Côte d’Ivoire sont ici, c’est comme s’ils étaient toujours en Côte d’Ivoire. Ils trouvent ici tout ce qu’ils avaient l’habitude de manger là-bas », relève Solange.
76Si l’orientation commerciale des restauratrices demeure principalement non ethnique, il arrive que certaines d’entre elles s’appuient dans un premier temps sur une clientèle ethnique constituée de ressortissants de leurs pays d’origine, pour par la suite élargir la base de leur clientèle vers les Burkinabè.
« Durant les deux premières années, ça ne marchait pas du tout. Les rares clients achetaient à crédit et ne payaient pas. Ce sont des étudiants sénégalais de 2IE (Institut International d’Ingénierie de l’Eau et de l’Environnement) qui sont venus me sauver. Au début, ils étaient quelques-uns à venir manger sur place au restaurant. Par la suite, un groupe de treize étudiants est venu s’abonner. Ces étudiants m’ont permis de tenir jusqu’à ce que la population locale commence à venir. Actuellement, ma clientèle est constituée en grande partie de Burkinabè », raconte Alima.
78Dans tous les cas, l’identité culinaire du pays d’origine est maintenue mais il s’opère en même temps une ouverture commerciale pour intégrer la société d’accueil. Les affaires marchent si bien qu’aucune des femmes interrogées n’envisage de retourner définitivement dans son pays d’origine, du moins à court ou moyen terme.
« Je préfère rester au Burkina Faso. Vraiment, je me sens bien ici », dit Fatou la Sénégalaise.
« Je suis Éthiopienne mais je n’aime pas l’Éthiopie. J’aime plutôt le Burkina Faso. Je n’ai aucun problème ici, alors pourquoi partir ? Je ne sais vraiment pas quand je rentre chez moi. Tant que le restaurant me permettra de vivre, je serais là », souligne Martha.
« J’avais très envie de réaliser quelque chose dans mon pays d’origine. J’ai alors pensé à ouvrir un restaurant à Abidjan. Mais après deux années de fonctionnement, je l’ai fermé. Je n’avais personne de compétent et de sérieux sur place là-bas pour le gérer. Je ne voulais pas aller m’installer là-bas. Je me sens bien ici et ne suis pas prête à rentrer », relate Solange.
80Même si la restauration est une activité intermédiaire, avec un capital de départ modeste et une facilité de sortie, les restauratrices étudiées semblent avoir opté pour un établissement durable dans la capitale burkinabè.
3.3 – Les ressources mobilisées dans le projet entrepreneurial
81Les ressources mobilisées par les femmes immigrées dans le cadre de la création et la gestion de leurs restaurants se résument au capital financier, à la main-d’œuvre et aux condiments.
3.3.1 – Les sources de financement
82En dehors des économies personnelles et/ou de l’aide du conjoint/compagnon, le concours de personnes issues de la communauté ethnique et non ethnique a été décisif pour lancer les restaurants.
« Quand je travaillais dans le restaurant de mon frère, je pouvais avoir plus de 50 000 FCFA de pourboires par mois, en dehors de mon salaire. C’est avec mes économies que j’ai acheté les ustensiles de cuisine et payé le loyer des premiers mois. Mon compagnon d’alors (un Burkinabè) a réalisé un hangar et acheté les couverts. Les clients de mon frère, avec qui j’ai gardé de bonnes relations, m’ont aussi fait des cadeaux en matériels et en numéraire. La femme de l’ambassadeur de notre pays, qui m’aimait bien aussi, m’a fait des cadeaux. C’est avec tous ces concours que j’ai commencés », raconte Solange, l’Ivoirienne.
« Quand je commençais, je n’avais que 20 000 FCFA d’économies. J’ai prélevé 10 000 FCFA pour construire un hangar en paille. Je participais aussi à une tontine communautaire avec d’autres femmes sénégalaises. Lors d’un tirage, j’ai gagné une cagnotte de 100 000 FCFA. J’ai confectionné deux bancs et quatre tables avec cet argent. J’ai aussi acheté des marmites et des couverts. J’ai ouvert un compte d’épargne avec le reste [6] », relate Fatou.
« Moi et mes trois frères sommes nés à Ouagadougou. Mes frères sont des bijoutiers bien installés ici. Ce sont eux qui m’ont aidé à créer le restaurant », nous dit Latifa.
84Ces récits traduisent l’important rôle joué par les réseaux de solidarité socioethniques (compatriotes, tontines communautaires, familles proches) mais aussi par les réseaux de solidarité non ethniques (amis burkinabè) dans la mobilisation des fonds. La modicité des moyens indispensables pour se lancer dans la restauration (des ustensiles de cuisine, un hangar, une table, quelques chaises) n’a pas nécessité pour les restauratrices d’aller au-delà de leur entourage immédiat (liens forts). Les économies personnelles, la famille proche et les amis ont suffi pour réunir la somme nécessaire.
85Dans les cas de Yasmine et de Alima, les conjoints, des salariés de l’administration privée, ont apporté l’essentiel du financement de départ. Le statut de salarié et la faible expertise de ces conjoints en matière de cuisine réduisent fortement leur influence sur la gestion des restaurants. En contrepartie de la participation financière des conjoints, les épouses contribuent aux dépenses du ménage.
3.3.2 – La main-d’œuvre employée dans les restaurants
86Étant donné que les restauratrices immigrées s’appuient principalement sur les spécialités culinaires de leurs pays d’origine, elles s’arrangent toujours pour avoir parmi les cuisinières des compatriotes, généralement des femmes mariées à des Burkinabè.
En fait, le recrutement d’une main-d’œuvre originaire du même pays que la restauratrice s’inscrit dans une stratégie ethnique de différenciation entrepreneuriale. La maîtrise du savoir-faire culinaire du pays d’origine devient alors la principale source d’avantage concurrentiel des restauratrices immigrées.« Je fais tout pour avoir parmi les cuisinières des Ivoiriennes. L’avantage avec elles, c’est qu’elles connaissent déjà la cuisine ivoirienne. Quand je dois recruter des non Ivoiriennes, je consacre deux à trois mois à leur formation. Et puis, les non Ivoiriennes travaillent toujours sous la supervision des Ivoiriennes », souligne Solange.
3.3.3 – Les sources d’approvisionnement en condiments
87Les restauratrices immigrées se procurent les condiments ordinaires localement. Les condiments particuliers proviennent du pays d’origine. Les restauratrices immigrées sont souvent les seules à avoir connaissance de l’existence des condiments particuliers et à savoir s’en servir. Ces condiments permettent de mieux répondre aux attentes de la clientèle.
Comme pour la main-d’œuvre, l’importation de condiments en provenance du pays d’origine s’inscrit dans une stratégie ethnique de différenciation par rapport aux compétitrices autochtones. Le recours à des fournisseurs ethniques participe également de cette stratégie.« J’ai un fournisseur sénégalais qui me livre du poisson séché ou fumé importé du Sénégal. Ce poisson donne une saveur particulière au Thiéboudienne », souligne Fatou.
« L’approvisionnement compte énormément dans notre métier. On trouve de l’attiéké ici mais il n’est pas de bonne qualité. L’attiéké que nous servons vient directement de la Côte d’Ivoire par le train. Nous faisons également venir de la Côte d’Ivoire de la viande de brousse (agouti), du poisson fumé et des graines de palmier à huile. En cas de rupture de stock d’un condiment quelconque, il suffit que je téléphone à Abidjan et on me l’envoie en un temps record », ajoute Solange.
4 – Discussion
88Nos résultats montrent que l’immigration est le facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale des restauratrices d’origine étrangère de Ouagadougou. Ces résultats indiquent également que ces femmes immigrées s’appuient principalement sur des ressources ethniques.
4.1 – L’immigration, facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale des restauratrices immigrées
89L’ensemble des récits de vie recueillis montre que l’immigration est le facteur déclencheur de la carrière entrepreneuriale des femmes étudiées. Toutefois, les différents témoignages tendent à indiquer que la décision d’entreprendre ne se fonde pas sur des discriminations particulières, comme l’ont suggéré les théories traditionnelles de l’entrepreneuriat immigré (Waldinger Aldrich et Ward, 1990 ; Portes, 1987 ; Bonacich, 1973) mais découlent de l’inconfort familial et/ou personnel engendré par la dégradation de la situation professionnelle et financière, soit du conjoint (cas des femmes mariées), soit de la femme elle-même (cas des femmes ayant rejoint un frère, un cousin ou un ami). Ces observations se rapprochent des conclusions de Kamavuako-Diwavova (2009) qui, dans son étude en République Démocratique du Congo (RDC), montre que les facteurs déclencheurs de la carrière entrepreneuriale dans un contexte de migration Sud-Sud diffèrent de ceux observés dans un contexte de migration Sud-Nord. Dans un contexte de migration Sud-Sud, l’immigré se lance en affaires, non pas pour faire face à une discrimination ou des désavantages quelconques sur le marché du travail, mais pour tirer profit des opportunités d’affaires repérées dans le pays d’accueil.
90Les motivations entrepreneuriales des restauratrices étudiées mettent en évidence des facteurs de types push et pull fortement inter-reliés. Les motivations push renvoient à l’altruisme communautaire de la femme africaine (Nordman et Vaillant, 2014 ; Onana, 2009 ; Hien, 2002), notamment « sauver » la famille, aider le mari à assumer les dépenses familiales ou le frère à gérer son entreprise. C’est le cas de Fatou, Sali, Aminata, Solange, Sandrine et Mariama. Les motivations pull portent sur le désir de la femme d’être autonome, de se réaliser personnellement (Tati, 2013 ; Cornet et Constantinidis, 2004 ; Ionescu, 2004). C’est le cas de Solange dont la volonté de s’affranchir de la tutelle de la personne qui l’a fait venir à Ouagadougou s’est traduite par la création de son propre restaurant ou encore de Sandrine et Martha dont le désir de poursuivre l’aventure entrepreneuriale, même après un divorce, a été constant.
4.2 – Le capital culinaire ethnique comme source de différenciation entrepreneuriale et d’avantage concurrentiel
91Le choix par les femmes étudiées de la restauration comme secteur d’activité s’est fondé sur un double critère : d’abord ce qu’Eloire (2011) appelle « capital culinaire » de ces femmes et ensuite l’importante source d’opportunités que représente le segment de la restauration moyen de gamme à Ouagadougou.
92Le capital culinaire résulte de savoir-faire culturels, socialement construits comme féminins en Afrique (Onana, 2009) et transmis aux jeunes filles au sein des familles, de génération en génération. Les restauratrices étudiées ont entrepris d’exploiter ces savoir-faire à des fins commerciales. L’ensemble des propos recueillis tend à souligner la place essentielle qu’occupe la préparation des repas dans la culture et la vie quotidienne de pays comme le Sénégal, le Mali, la Guinée et la Côte d’Ivoire, au contraire du Burkina Faso où seul le côté utilitaire de la cuisine est privilégié. Comme l’a montré Blanchard (2011) dans le cas des commerçantes sénégalaises en France, l’investissement des femmes immigrées dans la restauration se situe en continuité avec des activités qu’elles ont exercées dans leurs pays d’origine. Les restaurants créés profitent ainsi de la mise en valeur de savoir-faire et de compétences déjà éprouvés et testés, même si cela s’est fait dans un cadre non-marchand. La transition entre le cadre familial et le cadre commercial est d’autant plus aisée que la gestion d’un restaurant se situe dans le prolongement de la tradition culinaire de peuples où le souci de faire plaisir à autrui, à travers un repas partagé ensemble, dans un cadre convivial, est prégnant. L’incompétence réelle ou supposée des femmes burkinabè n’a pas permis à ces dernières d’investir très tôt le segment de la restauration moyen de gamme et de s’y imposer. Les restauratrices immigrées n’ont donc pas eu de mal à s’y implanter solidement. Elles y jouent un rôle de « minorité de remplacement durable » (Dzaka-Kikouta, Makany et Kamavuako-Diwavova, 2005 ; Waldinger, Aldrich et Ward, 1990) en s’intéressant à une niche de marché faiblement occupée par les nationaux.
93Dans leur étude comparative sur l’entrepreneuriat des immigrés chinois et indiens aux États-Unis d’Amérique (USA), Chand et Ghorbani (2011) soulignent la complexité de l’interaction entre la culture, le capital social et le management des entreprises créées par les immigrés. Conscientes du rôle que jouent les savoir-faire culinaires de leurs pays d’origine dans la construction de leur avantage concurrentiel, les restauratrices immigrées de Ouagadougou ne manquent pas d’initiatives pour renforcer ce facteur clé de succès. Elles recrutent comme cuisinière de premier plan des ressortissantes de leurs pays d’origine. Ce capital culinaire constitue un avantage concurrentiel d’autant plus facile à défendre dans le pays d’accueil que les plats servis relèvent de l’identité culturelle de peuples vivant à l’étranger. Cette identité est difficilement accessible aux compétitrices locales, sauf pour celles qui ont eu la chance de séjourner pendant longtemps à l’étranger comme Yasmine, l’Ivoirienne d’origine burkinabè.
4.3 – La restauration, une activité intermédiaire durable pour les femmes immigrées
94En référence au modèle de « convergence/divergence des stratégies entrepreneuriales de l’immigré » de Zouiten et Levy-Tadjine (2005), nos constats nous permettent d’affirmer que les restauratrices que nous avons étudiées ont opté pour une stratégie d’« intégration II » (ce qui correspond à la théorie des minorités intermédiaires), même si elles doivent parfois passer dans un premier temps par la stratégie de l’enclave.
Les stratégies d’acculturation des restauratrices immigrées de Ouagadougou
Les stratégies d’acculturation des restauratrices immigrées de Ouagadougou
95Ces femmes s’appuient principalement sur des savoir-faire ethniques, en l’occurrence les spécialités culinaires de leurs pays d’origine. Mais leur orientation commerciale est non ethnique, en ce sens que l’écrasante majorité de leur clientèle est burkinabè.
96Il arrive parfois que les restauratrices immigrées s’appuient dans un premier temps sur une clientèle constituée de ressortissants de leurs pays d’origine, pour par la suite élargir la base de leur clientèle vers les Burkinabè. Le repli ethnique du type de l’enclave (Paré, 2001 ; Waldinger, Aldrich et Ward, 1990 ; Portes, 1987 ; Light, 1972) s’opère à des moments critiques de la vie du restaurant, surtout lors du lancement, période où les compétences et le savoir-faire de la restauratrice ne sont pas encore reconnus par la société d’accueil. Le cas de Alima est typique de cette stratégie. La même approche a été observée par Pio (2007) dans son étude sur les entrepreneures indiennes en Nouvelle Zélande. Ces cas rejoignent la critique de Zouiten et Levy-Tadjine (2005) par rapport au caractère statique des théories de l’enclave et des minorités intermédiaires. En effet, ces femmes sont passées au fil du temps d’une stratégie d’enclave, avec un savoir-faire et une clientèle ethniques, à une stratégie d’intégration où le savoir-faire reste ethnique mais où la clientèle comprend majoritairement des membres de la Société d’accueil.
97Si la restauration constitue une « activité intermédiaire », nécessitant peu d’investissements et dont il est facile de se retirer, les récits recueillis tendent à invalider l’hypothèse d’un désir ardent chez ces femmes de retourner définitivement dans leurs pays d’origine. Outre le fait que le destin des femmes mariées est intimement lié à celui de leurs conjoints, les femmes célibataires et divorcées semblent ne pas entretenir un mythe quelconque de retour dans leurs pays d’origine.
4.4 – Les réseaux socioethniques comme sources de financement, de main-d’œuvre et d’approvisionnement
98Même s’il est relativement facile d’opérer dans le secteur de la restauration à Ouagadougou, au regard notamment de la faiblesse des investissements de départ et aussi des opportunités que représente le secteur pour les restauratrices immigrées, ces dernières ont eu besoin de recourir à des compatriotes pour lancer leurs activités. Nos constats vont dans le sens de ceux déjà faits par d’autres chercheurs au sujet du rôle de catalyseur joué par les réseaux socioethniques dans le parcours entrepreneurial des immigrés (Chand et Ghorbani, 2011 ; Constantinidis, 2010 ; Obrecht, 2009 ; Kamavuako-Diwavova, 2009 ; Blisson et Rana, 2001 ; Pairault, 1995). Trois niveaux d’analyse peuvent être considérés : le financement, la main-d’œuvre et l’approvisionnement en condiments ethniques.
99Pour ce qui est du financement, le concours de personnes issues de la communauté ethnique a été décisif pour lancer certains restaurants. C’est le cas de Solange, Sandrine, Fatou et Latifa. Dans d’autres cas, notamment ceux de Yasmine et Alima, les conjoints ont apporté l’essentiel du financement de départ, confirmant la thèse selon laquelle le mari est très souvent le premier financeur et le premier soutien de son épouse (Tati, 2013 ; Kirkwood, 2009 ; Tchouassi, 2009 ; Onana, 2009 ; Hien, 2002).
100En ce qui concerne la main-d’œuvre, il ressort des différents récits que les restauratrices immigrées n’emploient pas massivement de ressortissants de leurs pays d’origine, à cause de la taille limitée des différentes communautés d’immigrés vivant dans la région de Ouagadougou [7]. Les restauratrices se contentent d’avoir quelques-unes de leurs compatriotes parmi leur personnel. Il appartient à ces proches collaboratrices de la patronne d’encadrer les autres employées et de valoriser le savoir-faire culinaire du pays d’origine.
101Pour ce qui est de l’approvisionnement en condiments propres à la cuisine du pays d’origine, les restauratrices immigrées peuvent s’appuyer sur des réseaux socioethniques transnationaux pour disposer par exemple du poisson fumé ou séché en provenance du Sénégal, de l’attiéké et l’agouti importés de Côte d’Ivoire.
Conclusion
102L’article s’est proposé de comprendre le parcours entrepreneurial des restauratrices immigrées opérant à Ouagadougou.
103Nos résultats montrent un lien évident entre la trajectoire migratoire et le parcours entrepreneurial des femmes étudiées. En effet, ces femmes s’appuient fortement sur des ressources ethniques, notamment en termes de spécialités culinaires, de main-d’œuvre, de sources de financement et d’approvisionnement. Le recours à ces ressources s’inscrit dans le cadre d’une stratégie ethnique de différenciation entrepreneuriale et constitue de ce fait la principale source d’avantage concurrentiel des restauratrices immigrées.
104Si l’influence du projet migratoire sur la carrière entrepreneuriale des femmes étudiées est clairement établie, il ressort des récits de vie recueillis que les facteurs déclencheurs de cette carrière ne se fondent pas sur des discriminations particulières ressenties dans le pays d’accueil, comme l’ont suggéré les théories traditionnelles de l’entrepreneuriat immigré. La décision prise par ces femmes de créer un restaurant découle plutôt de l’inconfort familial engendré par la dégradation de la situation professionnelle et financière, soit du conjoint (cas des femmes ayant rejoint leurs conjoints), soit des femmes elles-mêmes (cas de celles ayant rejoint un frère, un cousin ou un ami, créateur d’un restaurant dans le pays d’accueil). Les motivations entrepreneuriales avancées mettent en exergue des facteurs de types push et pull fortement inter-reliés. Les motivations push renvoient à l’altruisme communautaire de la femme africaine, notamment « sauver » la famille, aider le mari à assumer les dépenses familiales ou le frère à gérer son entreprise. Les motivations pull portent sur le désir de la femme d’être autonome, de se réaliser personnellement, de poursuivre l’aventure entrepreneuriale, même après un divorce.
105Les rares études menées sur l’entrepreneuriat des femmes immigrées s’appuient essentiellement sur les théories traditionnelles de l’entrepreneuriat immigré. Les apports de notre recherche tendent à justifier, sur le plan théorique, la pertinence d’une approche différenciée de l’entrepreneuriat immigré, selon que l’objet d’étude porte sur des hommes ou des femmes. Sur le plan pratique, notre recherche identifie les facteurs clés sur lesquels il convient de s’appuyer pour réussir dans la restauration moyen de gamme dans les villes africaines.
106Les limites de notre étude sont de trois ordres. D’abord, le nombre limité de notre échantillon (11 femmes) ne permet pas une généralisation statistique de nos résultats. Ensuite, notre étude concerne un seul secteur d’activité, en l’occurrence la restauration. Enfin, la dimension genre n’a pas suffisamment été prise en compte.
107Des études ultérieures portant sur des populations de femmes immigrées plus larges et incluant des secteurs d’activité variés pourraient aboutir, à terme, à la construction de modèles d’analyse mieux élaborés, dans un cadre méthodologique plus rigoureux. De même, une analyse comparative de parcours entrepreneurial de femmes et d’hommes immigrés pourrait mettre davantage en exergue les différences de genre ; ce qui contribuerait à l’émergence d’une véritable théorie propre à l’entrepreneuriat de la femme immigrée.
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Mots-clés éditeurs : restauration, Burkina Faso, entrepreneuriat immigré, entrepreneuriat ethnique, entrepreneuriat féminin
Mise en ligne 28/10/2015
https://doi.org/10.3917/entre.142.0139Notes
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[1]
Selon l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), la population de Ouagadougou est passée de 59 126 habitants en 1960 à 1 475 223 en 2010.
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[2]
Pour Shapero (1975), l’esprit et la propension entrepreneuriale varient selon les ethnies concernées, et surtout avec la nature de la migration. Plus celle-ci provoque un déplacement, plus la propension à entreprendre serait forte. Les réfugiés auraient ainsi une propension entrepreneuriale plus forte que les immigrés économiques. De même, les primo-migrants seraient plus disposés à entreprendre que les immigrés de seconde génération, sauf si ces derniers trouvent des mobiles nouveaux pour entreprendre, notamment une plus forte perception des aspects négatifs de leur situation.
-
[3]
L’assimilation parfaite désigne le fait qu’un individu intègre la totalité des traits culturels (langue, croyances, mœurs) de la culture dominante, tout en abandonnant sa propre identité (référence).
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[4]
La moyenne du TEA des femmes pour les six pays d’Afrique qui ont pris part à l’enquête (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Burkina Faso, Cameroun et Ouganda) est de 25% contre 16% pour la zone Amérique latine et Caraïbes, 5% pour les pays de l’Union européenne, 5% pour les pays européens n’appartenant pas à l’Union européenne et 11% pour l’Amérique du Nord (USA et Canada).
-
[5]
L’Afrique de l’Ouest est l’un des premiers importateurs de riz au monde. 40 % de ses besoins sont couverts par du riz importé d’Asie.
-
[6]
La pratique de la tontine a également été observée par Blanchard (2011) chez les migrantes sénégalaises en France. Il s’agit d’une sorte de loterie spécifiquement féminine et traditionnellement pratiquée dans la société sénégalaise. Elle est formée d’un nombre établi de personnes qui se réunissent à une échéance fixe chez l’une des membres, à tour de rôle. Lors de chaque rencontre, chaque femme verse sa cotisation, qui va constituer la cagnotte. Celle-ci est gagnée par l’une des femmes présentes, dont le nom est tiré au sort. Les gagnantes précédentes sont exclues du tirage, de sorte à permettre à chaque femme de gagner.
-
[7]
Contrairement à des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana, la Burkina Faso n’est pas une terre d’immigration. La rareté des ressources naturelles et la faiblesse structurelle de l’économie nationale en sont les raisons.