Introduction
1La moindre performance des femmes entrepreneures par rapport aux hommes a été largement documentée dans la littérature (Chell et Baines, 1998 ; Cliff, 1998 ; Boden et Nucci, 2000 ; Fairlie et Robb, 2009). Robichaud, Mc Graw et Roger (2005) ont notamment montré que les entreprises canadiennes détenues par les femmes prennent de l’expansion moins rapidement, recrutent moins de salariés et ne poursuivent pas les mêmes objectifs que celles appartenant aux hommes. En matière d’objectifs, les hommes paraissent portés vers la croissance (Cliff, 1998 ; Fairlie et Robb, 2009). La réussite des entrepreneurs est donc traditionnellement associée à la performance des entreprises, laquelle est majoritairement définie à travers la croissance des activités et le taux de survie des firmes. Selon cette définition, les entreprises détenues par les femmes apparaissent moins performantes et le monde des affaires insiste dès lors sur la nécessité de les accompagner afin qu’elles atteignent une croissance et un taux de survie plus élevés. Ces critères normatifs de réussite entrepreneuriale peuvent cependant être remis en question lorsqu’il s’agit de femmes entrepreneures (Buttner et Moore, 1997). Les femmes semblent en effet mobiliser des critères d’appréciation moins normatifs et plus subjectifs pour témoigner de leur réussite professionnelle (Gatticker et Larwood, 1986 ; Gallos, 1989 : Powell et Mainiero, 1992). Malgré cela, la recherche sur l’entrepreneuriat des femmes utilise de façon quasi systématique des cadres normatifs masculins, émettant donc l’hypothèse implicite d’une norme de réussite entrepreneuriale universelle (Brush, 1992 ; Mirchandani, 1999 ; Ahl, 2006 ; De Bruin, Brush et Welter, 2007 ; Jennings et Brush, 2013). Cette approche limite notre capacité à saisir la performance globale des projets entrepreneuriaux initiés par des femmes (Eddleston et Powell, 2008). Lorsque le parcours entrepreneurial féminin est étudié uniquement en fonction de normes objectives, la performance des femmes se révèle moindre que celle des hommes (Gallos, 1989). Il apparaît par conséquent important de mieux comprendre les objectifs propres aux femmes entrepreneures afin de disposer d’un référentiel plus large permettant une appréciation plus fine de la performance de leurs projets entrepreneuriaux.
2Le concept de réussite de carrière constitue un ancrage théorique intéressant pour appréhender de manière plus précise la définition de la réussite selon les femmes entrepreneures. Les recherches sur la réussite de carrière ont observé de nombreuses évolutions durant ces dernières années. Ceci est la conséquence du bouleversement de la notion même de carrière. Pendant longtemps, les carrières étaient majoritairement gérées par les organisations et les étapes de carrière étaient organisées en fonction de l’âge des individus (Super, 1957 ; Levinson, 1986). Mais progressivement, de nouvelles logiques de carrière apparaissent afin de mieux répondre aux transformations économiques et sociales du marché du travail (Hall, 1976 ; Arthur et Rousseau, 1996 ; Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000). L’accent est désormais mis sur le rôle central de l’individu dans la construction de son parcours professionnel. Ainsi, un individu choisira d’évoluer lorsqu’il percevra qu’il n’apprend plus rien dans l’organisation où il se trouve (Sullivan, 1999). Le passage d’une vision traditionnelle de la carrière linéaire à d’autres formes de carrière plus nomades fait évoluer le concept de réussite de carrière (Hall, 1996). Les études vont en effet prendre en compte non seulement les aspects objectifs que sont le salaire et l’évolution hiérarchique, mais également les aspects subjectifs qui renvoient à la perception d’un individu concernant la réalisation de sa carrière (Greenhaus, Parasuraman et Wormley, 1990). À la lumière de cette définition, les recherches tentent d’appréhender plus finement le concept de réussite de carrière en considérant de multiples critères : le salaire, l’évolution, l’autonomie, l’employabilité, la satisfaction vis-à-vis du travail, la perception d’acquisition de compétences et de connaissance, les opportunités de développement personnel, le sentiment d’intégration sociale, la satisfaction dans sa vie en général (Peluchette, 1993 ; Judge et al., 1995 ; Arthur et al., 2005 ; Hall et Chandler, 2005). Le concept de réussite de carrière objective et subjective offre donc une grande richesse dans la multitude des critères retenus pour le définir (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005 ; Hofmans, Dries et Pepermans, 2008 ; Valcour et Ladge, 2008 ; Khapova et Arthur, 2011, Ng et Feldman, 2014). Malgré ces évolutions, les travaux consacrés à la réussite des entrepreneurs n’ont pas considéré les aspects subjectifs (Dyer, 1994 ; De Martino, Barbato, et Jacques, 2006). La plupart des études se focalisent en effet sur les indicateurs de réussite d’une entreprise (taille, croissance, rentabilité et taux de survie) et consacrent très peu d’attention aux critères de réussite individuelle (Parasuraman, Purohit, Godshalk et Beutell, 1996 ; Lau, Shaffer et Au, 2007). Cela a influencé la recherche jusqu’à ce jour, sans doute, faut-il y voir la conséquence du fait que les recherches sur la réussite de carrière bien qu’elles aient été très abondantes dans le champ des sciences sociales (Super, 1957 ; Arthur, Hall et Lawrence, 1989 ; Arthur et Rousseau, 1996 ; Cadin, Bender, Saint Giniez et Pringle, 1999 ; Sullivan, 1999) ont pendant longtemps ignoré le champ de l’entrepreneuriat (Dyer, 1994). Cela limite la compréhension de la carrière entrepreneuriale des femmes, plus particulièrement la façon dont elles évaluent leur réussite.
3La prise en compte du concept de réussite de carrière, en introduisant des dimensions subjectives, modifie la perception de la réussite et pourrait faire évoluer la hiérarchisation des réussites entrepreneuriales entre hommes et femmes. Par ailleurs, une meilleure compréhension des critères de réussite subjective est importante parce que les entrepreneurs qui ne parviennent pas à atteindre leurs objectifs personnels sont plus enclins à fermer leur entreprise même si celle-ci est profitable (Bates, 2005). Notre travail souhaite donc contribuer à enrichir la littérature sur les critères de réussite de la carrière entrepreneuriale des femmes en introduisant des dimensions subjectives alors que le succès a jusqu’ici été principalement défini à partir de mesures objectives.
4La réussite subjective de la carrière a été étudiée principalement à l’aide d’études quantitatives et mesurées à partir d’échelles issues d’autres construits comme la satisfaction au travail ou l’engagement dans la carrière (Pan et Zhou, 2015). Mais ces construits ne représentent pas toute l’étendue de la réussite subjective de la carrière au niveau individuel (Gunz et Heslin, 2005). Gunz et Heslin (2005) aux côtés d’autres auteurs (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005), ont ainsi appelé à mener des études qualitatives visant à interroger les individus sur ce que représente pour eux la réussite de leur carrière. Cette démarche considère ainsi les différences individuelles et permet d’aboutir à une vision plus large de la réussite subjective de la carrière.
5À la suite de cet appel (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005 ; Gunz et Heslin, 2005), mais également de la suggestion de plusieurs chercheurs insistant sur la nécessité de permettre aux femmes entrepreneures de définir elles-mêmes les critères qu’elles mobilisent pour évaluer leur réussite (Anna, Chandler, Jansen et Mero, 2000 ; Powell et Eddleston, 2008), cette étude tente de répondre à la question suivante : quelles sont les principales dimensions de la réussite de carrière entrepreneuriale des femmes ?
6Afin d’y parvenir, nous nous sommes appuyées sur une revue de littérature et sur une étude empirique réalisée auprès de dix entrepreneures sur une période de trois années.
7Cette recherche contribue à la littérature de plusieurs façons. Premièrement, en mobilisant les théories de la carrière pour approcher l’entrepreneuriat des femmes, nous répondons à l’appel des chercheurs d’établir des ponts entre ces deux champs (Sullivan, 1999 ; Greene, Hart, Gatewood, Brush et Carter, 2003). L’application du concept de réussite de la carrière à l’entrepreneuriat est à notre connaissance inédite et permet de positionner les éléments de la réussite entrepreneuriale dans un cadre plus large. Deuxièmement, les nouveaux éclairages sur la réussite entrepreneuriale suggérés dans cette recherche confirment l’intérêt de faire évoluer les questionnements en entrepreneuriat afin de considérer « entrepreneurship as social change » (Calas, Smircich et Bourne, 2009). Troisièmement, cette recherche s’inscrit dans le prolongement des recherches qui mettent en avant l’importance de considérer les variables perceptuelles pour étudier le champ de l’entrepreneuriat féminin (Langowitz et Minniti, 2007).
8Dans une première partie, nous nous intéressons aux théories de la carrière, pour introduire le concept de réussite de carrière puis proposer celui de réussite de carrière entrepreneuriale (RCE). Nous décrirons ensuite le dispositif méthodologique retenu pour enfin exposer et discuter les résultats de la recherche.
1 – La carrière, au confluent de multiples approches
9Boutinet (1995, p. 54) évoquait la perte de repères dans la vie de l’adulte qui est « dorénavant jalonnée de choix, de perspectives sans cesse à redéfinir, d’accidents à conjurer ou à assumer ». Dans cette perspective, la carrière ne peut plus être définie de la même façon. Nous proposons donc de nous intéresser à ce changement de paradigme des carrières avant d’évoquer les spécificités de la carrière entrepreneuriale puis de celle des femmes.
1.1 – De la carrière traditionnelle à la carrière nomade
10Une carrière correspond au déroulement successif d’expériences professionnelles d’un individu dans le temps à travers différents postes, employeurs et responsabilités (Arthur, Hall, et Laurent, 1989). Linéaire, la carrière organisationnelle classique telle qu’elle fut définie dans les années 1960, imputait une responsabilité importante à l’organisation qui régissait alors la vie professionnelle de l’individu (Super, 1957). Toutefois, la carrière a progressivement évolué ; elle relève davantage d’une dynamique individuelle et appréhende l’importance de la sphère non professionnelle. En 1976, Hall évoque le concept de « Protean Career » (carrière protéenne), puis les travaux d’Arthur et Rousseau (1996) initient le concept de « Boundaryless Career » (carrière sans frontières). Ces deux termes métaphoriques renvoient aux paradigmes de la carrière contemporaine, encore appelée carrière nomade par les auteurs français (Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000).
11Par opposition aux modèles des phases linéaires de la vision organisationnelle traditionnelle de la carrière, les approches contemporaines de la carrière développent une conception plus discontinue où prédominent les mouvements, les bifurcations, les arrêts de la vie professionnelle (Briscoe et al., 2006). En s’appuyant sur le concept d’« enactment of careers » et de « sensemaking » de Karl Weick (1996), le courant Boundaryless insiste sur la mise en sens de son propre parcours professionnel et « entend affranchir la théorie des carrières du poids historique des organisations » (Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000, p. 79). Hall (1996, p. 8) souligne que « la carrière du XXIe siècle sera protéenne (du dieu grec Protée qui change de forme selon sa volonté), gérée par l’individu et non par l’organisation et évoluant au fur et à mesure que lui-même et son environnement changent ». La carrière nomade est donc caractérisée par de nombreux changements d’organisations, une grande incertitude quant à l’avenir et une responsabilité importante laissée à l’individu qui doit désormais gérer seul son parcours professionnel.
12Le bouleversement des parcours professionnels encourage les chercheurs du champ de l’entrepreneuriat à établir des ponts avec les théories des carrières. Ainsi, Hernandez (2006) s’appuie sur les approches nomades de la carrière afin d’interroger les frontières entre travail indépendant et salariat. Comme l’acteur d’une carrière nomade, l’entrepreneur est entièrement responsable de sa vie professionnelle et cherchera à atteindre un nouvel équilibre entre la sphère privée et le travail. Du reste, les travaux de Cadin, Bender, Saint Giniez et Pringle (1999) désignent l’entrepreneuriat comme la carrière nomade par excellence. Les carrières entrepreneuriales rappellent les caractéristiques de la carrière protéenne (Hall, 1976) parce que les entrepreneurs ont un sens élevé de l’accomplissement personnel et désirent garder le contrôle de leur destin (Heslin, 2005).
1.2 – La carrière entrepreneuriale
13Le paradigme des nouvelles carrières éclaire le contexte d’émergence dans lequel se déploient la création et la reprise d’entreprises au XXIe siècle. L’essor de l’économie entrepreneuriale dans les années 1990 entraîne des turbulences importantes : de nombreuses entreprises sont créées et dans le même temps, nombre d’entre elles disparaissent (Audretsch, 2009). Dans ce contexte économique incertain où les entreprises ne peuvent plus garantir une stabilité professionnelle aussi forte, les individus doivent davantage compter sur eux-mêmes pour construire leur carrière. Le choix d’une carrière entrepreneuriale est donc à inscrire dans le parcours professionnel dynamique de l’individu (Dyer, 1994).
14La littérature sur la carrière a très peu abordé l’entrepreneuriat comme choix de carrière (Bowen et Hisrich, 1986 ; Dyer, 1994) et il faut noter que les rares recherches menées sur cette question se sont focalisées sur l’entrée dans la carrière entrepreneuriale (Bowen et Hisrich, 1986). C’est donc principalement à Dyer (1994) que l’on doit le développement d’un modèle intégré de la carrière entrepreneuriale. Selon cet auteur, la carrière entrepreneuriale renvoie au choix et à la socialisation de l’individu ainsi qu’à l’orientation et à la progression de la carrière. La carrière doit être analysée à partir des facteurs (démographiques, économiques et sociaux) à l’origine du choix d’entrée de l’individu dans la carrière entrepreneuriale, des effets de sa socialisation (éducation, programme d’accompagnement), des différents types d’orientation de carrière (l’entrepreneur pourra décider de privilégier le rôle de gestionnaire, de créatif ou encore de commercial) et des conflits de rôles engendrés par l’aventure entrepreneuriale (les rôles de l’entrepreneur incluent celui de propriétaire dirigeant mais également celui d’époux/épouse, père/mère, manager, employeur, etc.). Dyer (1994) avance que la nature changeante de ces rôles au cours de la carrière entrepreneuriale provoque des dilemmes personnels, familiaux et professionnels. La progression de la carrière entrepreneuriale et le regard que porte l’entrepreneur sur la satisfaction de sa carrière sont influencés par la façon dont l’individu va gérer la conciliation des rôles personnel, familial et professionnel. Nous reviendrons sur ce point après nous être intéressées aux recherches menées sur la carrière des femmes.
1.3 – La carrière des femmes
15Les nouvelles approches de la carrière sont davantage adaptées à l’exploration des trajectoires professionnelles moins linéaires des femmes (Gattiker et Larwood, 1986 ; Sullivan, 1999 ; Mallon et Cohen, 2001). Les femmes sont plus enclines que les hommes à effectuer des pauses dans leur parcours professionnel, à réduire leur nombre d’heures passées au travail et à changer plus souvent d’organisations (Mainiero et Sullivan, 2005 ; Cocandeau-Bellanger, 2008). Selon Mainiero et Sullivan (2005), bien que le concept de Boundaryless Career ne se soit imposé que depuis dix ans au niveau de la recherche, ce modèle est depuis longtemps utilisé par les femmes, par nécessité. Les recherches montrent que les femmes seraient mieux disposées à réussir des Boundaryless Careers : « Certains traits du caractère féminin relatifs à la coopération, l’ouverture, et au soin particulier porté aux rapports entre les êtres sont certainement les plus utiles dans un contexte exigeant de Boundaryless Career » (Cabrera, 2007, p. 222). Les hommes et les femmes suivent des modèles de carrière différents (Mainiero et Sullivan, 2005). Alors que la carrière des hommes est linéaire, celle des femmes est sinusoïdale et elle est reliée aux autres sphères de leur vie comme la sphère familiale ou personnelle. En effet, comme l’observent Le Loarne-Lemaire, Cupillard, Rahmouni Benhida, Nikina et Shelton (2012, p. 161), « les femmes sont par essence multifacettes : elles se réalisent sur plusieurs fronts – la famille, en tant que mère et épouse, dans leurs loisirs et bien sûr leur vie professionnelle ». La maternité semble jouer un rôle prépondérant dans la carrière des femmes (Bastid, 2007). Les femmes font également face à des barrières culturelles, sociales et sexuées contraignant leur choix de carrière mais plus encore son évolution (Laufer, 1982 ; Levinson, 1996). Sullivan (1999) avance, par ailleurs, que les femmes sont davantage exposées aux discriminations et au harcèlement sexuel sur le lieu de travail. De nombreux facteurs pull et push agissent en tandem pour créer les schémas non linéaires, interrompus, qui caractérisent les carrières des femmes (Cabrera, 2007). Multiples, ces facteurs renvoient aux vies personnelle et familiale (comme le fait d’avoir un troisième enfant ou de déménager pour suivre le conjoint) et à la sphère professionnelle (comme le souhait, pour les femmes, de faire un travail qui ait un sens ou encore de quitter une organisation dans laquelle elles ne pourraient pas exprimer toutes leurs compétences).
16La dimension relationnelle joue également un rôle prépondérant dans les cheminements de carrière des femmes (Spain et Hamel, 1994). Plusieurs auteurs mettent en évidence une orientation relationnelle des femmes qui influe sur leurs décisions et pratiques professionnelles (Gilligan, 1982 ; Gallos, 1989 ; Spain et Hamel, 1994 ; Mainiero et Sullivan, 2005). Là où les hommes tendent à prendre leurs décisions de carrière en fonction de leurs objectifs, indépendamment des autres facteurs (familiaux et personnels), les femmes font entrer le lien relationnel en ligne de compte. Ainsi, elles prennent en considération les besoins de leurs enfants, conjoints, parents, amis, et même ceux de leurs collègues ou de leurs clients pour construire leur trajectoire de carrière. Finalement, si la progression de la carrière a une importance pour les femmes, celles-ci s’intéressent davantage au fait que leur carrière leur corresponde, sans la laisser prendre le pas sur leur vie (Mainiero et Sullivan, 2005).
2 – La réussite de carrière
17Les nouvelles formes de carrière exacerbent les enjeux du choix professionnel et de ses éventuels échecs, l’individu ne pouvant les reporter sur l’organisation, mais uniquement sur lui-même. L’individu se voit donc assigner la responsabilité de conduire sa carrière jusqu’à sa réussite. Mais que signifie au juste la réussite de carrière ? Nous examinerons cette dernière avant de nous pencher plus spécifiquement sur celle des entrepreneures.
2.1 – La définition de la réussite de carrière
18Selon Arthur, Khapova et Wilderom (2005, p. 179) : « La réussite de carrière est le résultat des expériences liées à la carrière d’un individu. La réussite d’une carrière peut se définir comme l’atteinte de résultats désirables en lien avec la carrière, à un moment donné de sa vie professionnelle et tout au long de celle-ci. » Deux approches se partagent les recherches sur la réussite de carrière : la première est qualifiée de « réussite objective de la carrière » et appréhende des éléments objectifs tels que la rémunération, le niveau de poste, la progression hiérarchique. La seconde, qualifiée de « réussite subjective de la carrière », examine les perceptions que les individus ont de leur carrière (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005).
19Si la réussite objective de la carrière est encore très largement observée, les chercheurs insistent désormais sur la nécessité de prendre en compte les aspects subjectifs pour définir la réussite de carrière (Hall, 1996 ; Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000 ; Arthur, Khapova et Wilderom, 2005 ; Hall et Chandler, 2005 ; Dries, 2011). La recherche traditionnelle positiviste qui observait les aspects objectifs n’est en effet plus adaptée pour capturer la réalité complexe et dynamique des carrières postmodernes (Dries, 2011).
20La réussite subjective de la carrière se mesure notamment grâce à la satisfaction au travail, au développement de la connaissance de soi, aux facultés d’adaptation et d’apprentissage (Hall et Chandler, 2005). Les approches contemporaines de la carrière ont participé à la refonte des critères de réussite de carrière, intégrant les aspects subjectifs qu’elles élèvent au premier rang (Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000). Comme l’indiquent Arthur, Khapova et Wilderom (2005), dans le paradigme de la Boundaryless Career, les critères de réussite objective de la carrière tendent à être moins influents que ceux dévolus à la réussite subjective. Il en est de même dans le paradigme de la Protean Career développée par Hall (1996) qui introduit la notion de succès psychologique. Le succès psychologique implique que l’individu choisisse lui-même un challenge, un objectif ayant un sens, fournisse un effort visant à réaliser cet objectif, pour enfin y parvenir (Hall et Chandler, 2005). Parce que le succès psychologique est lié à l’appréciation de chaque individu, il existe « plusieurs façons de l’atteindre, autant qu’il existe de besoins humains différents » (Hall, 1996, p. 8).
21L’enjeu majeur de la carrière du troisième millénaire résiderait dans l’atteinte du succès psychologique plutôt que dans celle des succès objectifs tels qu’un salaire, un titre ou un pouvoir (Hall, 1996, 2002). Dans cette perspective, notons que les recherches intègrent peu à peu les dimensions attachées à la sphère non professionnelle de l’individu pour mesurer la réussite de sa carrière (Hall, 1996 ; Mainiero et Sullivan, 2005 ; Bastid, 2007).
2.2 – Réussite objective versus réussite subjective de la carrière
22Les chercheurs se sont intéressés à la dualité « objective-subjective » dans une perspective d’observation des interrelations entre ces deux aspects de la réussite de carrière (Judge, Cable, Boudreau et Bretz, 1995 ; Arthur, Khapova et Wilderom, 2005 ; Hall et Chandler, 2005). Judge, Cable, Boudreau et Bretz (1995) ont noté l’influence des aspects objectifs (salaire, fonction hiérarchique occupée) sur le degré de satisfaction qu’éprouve l’individu face à sa carrière. La réciproque, à savoir l’influence des éléments subjectifs sur la réussite objective de la carrière, est moins fréquemment analysée. Peluchette (1993) démontre que les individus ayant le sentiment de réussir seront plus efficaces au travail. À l’inverse, les personnes qui pensent ne pas réussir seront moins performantes. Hall et Chandler (2005) évoquent l’idée que la réussite subjective de la carrière conduirait à la réussite objective quand la carrière est perçue comme une vocation, « a calling », c’est-à-dire « un travail perçu par l’individu comme étant ce qu’il était destiné à accomplir » (Hall et Chandler, 2005, p. 160). Selon ces auteurs, la réussite subjective pourrait donc se mesurer en examinant sous quelles conditions la carrière d’un individu a le sens d’une vocation.
23Nous pouvons noter une tendance qui émane des théoriciens des nouvelles approches de la carrière. Alors que les relations positives entre la réussite objective de la carrière et la réussite subjective de la carrière ont été mises en lumière, les chercheurs tentent, désormais, d’explorer les impacts potentiellement négatifs de cette relation. Hall et Chandler (2005) ont montré que la réussite objective de la carrière ne conduit pas de manière inéluctable à la satisfaction des individus. Le cas des cadres qui ont réussi leur ascension professionnelle, mais dont la vie privée en a pâti, illustre cette situation. Par conséquent, il est important de considérer la dualité « objective-subjective » ainsi que ses interrelations afin de définir la réussite de carrière d’un individu.
3 – La réussite de carrière chez les entrepreneures
24La réussite des entrepreneurs est, le plus souvent, évaluée à partir des critères associés à la performance de l’entreprise. Toutefois, les recherches ont intégré peu à peu des éléments d’appréciation plus subjectifs, souhaitant ainsi proposer un cadre d’analyse plus globale de la mesure du succès des entrepreneurs. C’est cette conception que les chercheurs sur l’entrepreneuriat des femmes ont défendue dans leurs travaux (Brush, 1992 ; Buttner et Moore, 1997).
3.1 – Vers une redéfinition de la performance
25L’étude de la réussite des entrepreneurs fait référence à la notion de performance de l’entreprise et intègre les indicateurs économiques de l’efficacité, comme le niveau du chiffre d’affaires, le nombre d’années de vie de l’entreprise et les bénéfices. Les recherches conduites sur la performance entrepreneuriale ont néanmoins progressivement intégré d’autres critères relatifs à la performance sociale et environnementale (Saint-Pierre et Cadieux, 2011). À cet égard, l’apparition des notions telles que « entreprise d’insertion », « responsabilité sociétale des entreprises » ou « économie sociale et solidaire » (Emin et Schieb-Bienfait, 2009) a renforcé la nécessité d’une redéfinition des critères de performance d’une entreprise (Paturel, 2007).
26Bien que les recherches consacrées au succès des entrepreneurs aient pendant longtemps ignoré les aspects subjectifs (Dyer, 1994 ; DeMartino, Barbato, et Jacques, 2006), des travaux apparaissent et évaluent la réussite de l’entrepreneur, non plus à partir de la performance de l’entreprise, mais à partir de la satisfaction éprouvée à la fois par l’entrepreneur (approche subjective de la réussite de carrière) et les parties prenantes de l’entreprise, notamment les clients (Dyer, 1994).
27Comme indiqué précédemment, Dyer (1994) suggère de prendre en compte la satisfaction dans les vies personnelle et familiale de l’individu afin d’évaluer la réussite de l’entrepreneur. Après avoir effectué une étude sur les déterminants de la satisfaction, Cooper et Artz (1995) rapportent trois résultats intéressants. Tout d’abord, ces auteurs observent que les entrepreneurs les plus optimistes au départ sont ceux qui atteignent le niveau de satisfaction le plus élevé. Ils concluent ensuite que les individus dont les attentes seraient les moins hautes en termes économiques sont ceux qui seraient le plus satisfaits après trois années d’exercice. Ils remarquent enfin que les femmes entrepreneures dégagent un indice de satisfaction plus important. En dépit d’un niveau de performance économique plus bas, les femmes témoignent d’une réussite subjective de leur carrière plus élevée que celle des hommes. Selon ces auteurs, ce résultat est dû au fait que les femmes apprécieraient d’autant plus l’entrepreneuriat qu’il leur permettrait de concilier vie professionnelle et vie personnelle. À ce propos, Arthur, Khapova et Wilderom (2005) font état d’une appréciation très différente de la réussite objective et de la réussite subjective de leur carrière, de la part des femmes, lorsqu’elles ont des enfants. En effet, nonobstant les expériences de mobilité interorganisationnelles plus importantes et un niveau plus faible de réussite objective de la carrière chez ces femmes, elles observent toujours un niveau de réussite subjective élevé. Dans cette perspective, Powell et Mainiero (1992, p. 220) soutiennent que « les femmes se focalisent davantage sur une mesure de satisfaction correspondant à leur propre ressenti au sujet de leurs carrières, plutôt que sur l’apparence objective de celles-ci ». Elles intègrent notamment la satisfaction de l’équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle pour évaluer la réussite de leur carrière (Gatticker et Larwood, 1986 ; Gallos, 1989 : Powell et Mainiero, 1992). Bastid (2007) conclut que l’atteinte de l’équilibre entre la sphère professionnelle et la vie privée est prépondérante dans l’évaluation de la réussite de carrière des cadres. Après avoir réalisé une étude auprès de 916 femmes employées, Valcour et Ladge (2008) suggèrent que pour elles, la possibilité de mener de front vie professionnelle et vie familiale, sans avoir à retarder la formation de leur famille, contribue à leur sentiment de réussite professionnelle.
28En ce qui concerne les entrepreneures, Buttner et Moore (1997) rapportent que la mesure du succès des entrepreneures est davantage guidée par des critères subjectifs comme la croissance personnelle, l’accomplissement de soi et l’augmentation de ses compétences, plutôt que par des mesures objectives comme le profit ou la croissance économique. Les entrepreneures intégrant leur entreprise à leur stratégie de vie (Noble, 1986) et à leurs réseaux relationnels (Brush, 1992) évaluent d’abord leur réussite à partir des bénéfices que l’entrepreneuriat a générés dans leur vie, avant de considérer les résultats économiques de l’entité créée (Buttner et Moore, 1997). Ces deux auteures montrent, notamment, que les femmes cherchant à concilier la famille et le travail vont mesurer leur succès en fonction de l’atteinte ou non de cet équilibre souhaité. La réussite de carrière est donc à mettre en corrélation avec les motivations des entrepreneures (Buttner et Moore, 1997 ; Eddleston et Powell, 2008).
3.2 – Vers la réussite de carrière entrepreneuriale (RCE)
29Les études menées sur la réussite des entrepreneures intègrent des éléments objectifs et subjectifs. Bien que porteurs de sens et ouvrant de nouvelles pistes, les résultats des études présentées précédemment sont à inscrire dans la vision que les chercheurs ont de la réussite entrepreneuriale. Ainsi, les chercheurs menant des travaux sur l’entrepreneuriat des femmes ayant identifié que celles-ci accordaient une large place aux éléments d’appréciation plus subjective interrogent les entrepreneures sur cette vision de la réussite. Et dès lors, le risque est important de considérer que la compréhension de la réussite de carrière par les chercheurs renvoie véritablement à l’expérience des individus. Comme le mentionnent Arthur, Khapova et Wilderom (2005), les critères de mesure de réussite de carrière sont propres aux individus. Or la recherche empirique ne leur laisse quasiment jamais la parole – si ce n’est au travers d’un ensemble d’items proposés dans des questionnaires – et ne leur permet donc pas de définir leurs propres critères. C’est ainsi que sur 68 articles concernant la réussite de carrière, parus dans les revues académiques les plus prestigieuses en sciences sociales (voir article d’Arthur, Khapova et Wilderom, 2005), aucun ne propose une approche qui laisserait aux individus la possibilité de définir leurs critères de réussite. Selon Arthur, Khapova et Wilderom (2005), c’est un manque important dans les recherches menées sur la réussite de carrière. Les individus ont en effet des aspirations de carrière singulières et en fonction de leurs valeurs, ils vont s’appuyer sur des standards d’évaluation différents pour évaluer leur réussite subjective de carrière (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005). Aussi ces trois auteurs (2005) insistent-ils sur la nécessité de mener des recherches qualitatives afin d’explorer les critères subjectifs que les individus mobilisent pour évoquer leur propre réussite de carrière. Dans cette perspective, Gunz et Heslin (2005) proposent d’affiner la définition de la réussite de carrière à travers les approches objectivistes et subjectivistes. L’approche objectiviste implique que le chercheur ait préalablement défini les critères de la réussite qu’il soumettra aux personnes interrogées. L’approche subjectiviste suppose que les individus définissent eux-mêmes les critères à partir desquels ils vont évaluer la réussite de leur carrière. Selon cette seconde approche, le chercheur n’identifie pas auparavant les critères de la réussite et pose de la sorte une question ouverte : « Que signifie pour vous réussir votre carrière ? » Notre recherche s’inscrit dans cette perspective et fait ainsi écho à l’appel lancé par Anna, Chandler, Jansen et Mero (2000). Ces chercheurs invitent à explorer la question d’une définition non économique, autoperçue, de la réussite des femmes entrepreneures (Anna, Chandler, Jansen et Mero, 2000).
30Plutôt que de s’intéresser aux aspects objectifs de la réussite entrepreneuriale, cette recherche interroge les perceptions des entrepreneures sur la RCE à partir d’une question ouverte et non d’un cadre prédéfini. En outre, les motivations des femmes pour la création de leurs entreprises ont également été observées car elles influencent leurs perceptions de la RCE (Buttner et Moore, 1997 ; Eddleston et Powell, 2008). Aussi, afin de parvenir à une compréhension fine de la RCE des créatrices, il est important de mettre en perspective les raisons qui poussent les femmes à créer avec les critères qu’elles retiennent pour témoigner de leur réussite.
4 – Le dispositif méthodologique
31Nous présentons à présent le contexte de la recherche ainsi que la collecte et l’analyse des données.
4.1 – Le contexte de la recherche
32Phénomène récemment pris en compte dans les statistiques françaises, le portrait quantitatif de l’entrepreneuriat des femmes reste difficile à dresser, la diversité des formes entrepreneuriales complexifiant le travail des producteurs de statistiques françaises. Nous retenons néanmoins le chiffre de 29 % pour approcher la part des femmes chefs d’entreprises en France, chiffre qui se situe dans la moyenne des pays européens (Conseil économique, social et environnemental, 2009). Depuis les années 2000, le modèle démographique français est atypique : il combine des taux de fécondité élevés – en 2009, il atteint 2,01 enfants par femme alors que la moyenne des pays européens se situe à 1,59 (Minni, 2012) – et une forte implication des femmes dans la vie professionnelle (Méda, 2001). La population active féminine a, en effet, augmenté de plus de 5 millions entre 1971 et 2006 (passant de 7,6 millions en 1971 à 12,8 millions en 2006) et les femmes représentent aujourd’hui en France 46 % de la population active (Conseil économique, social et environnemental, 2009). Alors qu’elles représentaient 9 % des entrepreneurs en 1986, elles comptent aujourd’hui pour 30 % des chefs d’entreprises et si l’on se réfère aux chiffres de la création, elles sont 36 % (Hagège et Masson, 2011). La dernière décennie a donc permis d’observer une multiplication des réseaux et des clubs d’affaires au féminin qui dénote une réelle volonté pour les femmes d’investir l’entrepreneuriat. La création de salons dédiés à l’entrepreneuriat des femmes et l’instauration d’espaces réservés à ce public lors de salons sur l’entrepreneuriat, notamment le salon des entrepreneurs de Paris, tendent à se généraliser sur le territoire français.
33Les recherches menées sur les femmes entrepreneures demeurent rares en France et si les premières études furent quantitatives (Duchéneaut et Ohran, 2000), l’appel lancé par la communauté qui constatait le manque de recherches qualitatives sur le sujet des femmes entrepreneures (Cornet et Constantinidis, 2004 ; Borgues, Simard et Filion, 2005 ; Carrier, Julien et Menvielle, 2006) a eu ses effets, plusieurs recherches adoptant une approche qualitative (Le Loarne-Lemaire, Cupillard, Rahmouni Benhida, Nikina et Shelton, 2012 ; Richomme et d’Andria, 2013 ; Chasserio, Pailot et Poroli, 2014). Cette démarche est en outre cohérente avec le peu de travaux menés sur le sujet en France. C’est donc dans ce contexte que nous avons réalisé une recherche qualitative auprès d’entrepreneures françaises, choix adapté à notre projet d’étudier la RCE à partir des éléments identifiés par les entrepreneures elles-mêmes et non par le chercheur.
4.2 – La collecte des données
34Une stratégie de recherche dont les principes se fondent sur la démarche de la « théorie enracinée » (Strauss et Corbin, 2004) a été mobilisée. Cette démarche vise à accorder une large place au terrain à partir duquel le chercheur fera émerger des concepts et des idées (Strauss et Corbin, 2004). La littérature scientifique est conçue non comme un cadre rigide à l’intérieur duquel les chercheurs seraient contraints d’observer les connaissances issues du terrain, mais plutôt comme une aide non négligeable pour approcher et exploiter au mieux les données (Strauss et Corbin, 2004). Afin de mettre en œuvre une stratégie conforme aux principes de la théorie enracinée, nous avons mené une étude de cas multiples. Le choix d’une étude de cas multiples vise ainsi à dépasser le caractère idiosyncrasique de chaque cas ; il permet à la fois de mieux comprendre la RCE des femmes et de procéder à un examen systématique des différences entre les cas (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1989). Nous avons retenu dix cas, nombre qui semble satisfaisant au regard des recommandations de Eisenhardt (1989) et de Yin (1989). Une présentation des dix cas est proposée en annexe 1. Notre choix s’est porté sur les très petites entreprises qui ne comportaient aucun salarié à leur début. Notons que c’est généralement le cas d’une entreprise en création. En effet, celles qui se créent d’emblée avec des salariés sont plutôt représentatives des reprises d’activité ou de branches préexistantes (Insee, 2014). Nous avons mis en place une collecte des données sur trois années. Il est admis que le nombre de trois années représente un seuil critique pour la pérennisation des entreprises en création. Le fait d’interroger les entrepreneures à plusieurs reprises et sur plusieurs années a permis d’aboutir à une compréhension fine du phénomène observé. Il s’agissait donc de garantir une exhaustivité et de pouvoir identifier, pour les dix entrepreneures interrogées, les motivations pour la création de leurs entreprises et toutes les dimensions et sous-dimensions de la RCE. Les entrepreneures identifiées faisaient toutes partie du même club de femmes entrepreneures [1] que nous avons contribué à créer en 2006. Notre rencontre avec le cas pilote a été déterminante dans la constitution de notre échantillon. Le cas pilote « permet de déterminer la composition et la taille de l’échantillon de cas qui dépendent des conditions de réplications littérales et théoriques et de l’ampleur des différences entre la théorie et l’observation » (Royer et Zarlowski, 2003, p. 219). Ce cas pilote est une multi entrepreneure qui poursuivait le projet de créer un club de femmes entrepreneures. Après plusieurs échanges avec cette créatrice, nous faisons officiellement naître le club en juin 2006. Cette organisation poursuit trois activités majeures que sont la mise en place d’une réunion mensuelle, le développement de voyages d’études afin de découvrir d’autres cultures entrepreneuriales féminines, et la création d’événements autour de l’entrepreneuriat des femmes. Il est très important de retenir que ce club ne pratique pas d’accompagnement, mais ambitionne principalement de promouvoir et soutenir l’entrepreneuriat des femmes.
35Dans le cadre de cette recherche, notre implication dans le club de femmes entrepreneures, a été utile pour construire un rapport intense avec le terrain. En effet, nous avions l’occasion de rencontrer fréquemment les dix créatrices au cours des réunions mensuelles organisées par le réseau de femmes entrepreneures. Il nous était ainsi permis de mener des observations et des entretiens « spontanés », par opposition aux entretiens « formels » que nous avons conduits. Ces entretiens « spontanés » furent très précieux pour la recherche. Les informations recueillies à cette occasion étaient consignées et reprises par la suite, au cours des entretiens « formels ». Les observations et entretiens « spontanés » ont enrichi le matériau de cette recherche. Les échanges informels ont été très nombreux : nous avons en effet mené une vingtaine d’entretiens spontanés avec chaque femme entrepreneure interrogée, ce qui représente approximativement 200 entretiens spontanés. Au côté de ces échanges, nous avons conduit 26 entretiens formels, lesquels ont été enregistrés et ont fait l’objet d’une retranscription intégrale. Dix entretiens de validation avec les entrepreneures ont été proposés lors de la phase finale de l’analyse. Il était demandé aux créatrices de commenter l’analyse et de soumettre des éléments supplémentaires, susceptibles d’éclairer la définition de la RCE. Il faut noter que toutes les entrepreneures ont témoigné de la complétude des résultats, ne procédant à aucun ajout ni à aucune suppression. Au total, nous avons conduit 36 entretiens, lesquels représentent environ 70 heures d’enregistrement [2]. Six femmes ont été interrogées à trois moments différents. Deux autres femmes ont été interrogées à quatre moments différents et deux femmes ont été interrogées à cinq moments différents.
36En cohérence avec notre stratégie de recherche, nous avons conduit des entretiens qui débutaient par une question ouverte sur la réussite, accordant une place prépondérante à l’inattendu, à la nouveauté et à la découverte (Strauss et Corbin, 2004). Nous avons ainsi pu faire émerger les dimensions de la RCE que nous avons validées lors des entretiens suivants, lesquels étaient alors semi-directifs. À travers ce processus, la saturation théorique a pu être obtenue (Glaser et Strauss, 1967). Elle est obtenue à partir du moment où le chercheur ne trouve plus d’informations supplémentaires capables d’enrichir la théorie (Glaser et Strauss, 1967). Il est à noter que le cas pilote a été utilisé à des fins exploratoires et confirmatoires, parachevant ainsi la saturation théorique de la recherche.
4.3 – L’analyse des données
37La stratégie de la théorie enracinée encourage le chercheur à débuter l’analyse dès le premier entretien, ceci afin de faire émerger immédiatement les catégories et par la suite de pouvoir les approfondir en retournant sur le terrain (Glaser et Strauss, 1967). Nous avons ainsi fait émerger les catégories à partir des données issues du terrain (Glaser et Strauss, 1967). Cette démarche rejoint notre positionnement théorique qui est de ne pas inscrire la RCE dans une vision préétablie mais au contraire de laisser aux femmes la possibilité de définir leurs propres critères. La première étape du processus de codage a été de procéder à une lecture flottante afin de pouvoir avoir une idée générale des données et de mettre en évidence les premiers codes pertinents. Nous avons ensuite débuté le codage en rattachant chaque unité de sens à un code. Nous inscrivant dans la méthode de la théorie enracinée, nous avons fait évoluer le codage tout au long de l’analyse (Glaser et Strauss, 1967) : certains codes qui décrivaient la même réalité ont notamment été supprimés tandis que d’autres ont été fragmentés. Cette étape nous a permis de dégager 32 codes (pour exemple, nous avons identifié les codes suivants : garder les vieux métiers, être un modèle, vivre une expérience, apporter du bien-être, reconnaissance du conjoint). Par la suite, nous avons regroupé ces codes de premiers niveaux (appelé également nœuds libres) en un nombre plus restreint de codes, appelés méta codes (ou nœuds hiérarchiques). Nous avons ainsi pu faire émerger les concepts (9 dimensions de la réussite), les propriétés (22 sous-dimensions) et les indicateurs (les verbatim associés) de la réussite de la carrière entrepreneuriale.
38La stratégie de la théorie enracinée encourage le chercheur à débuter l’analyse dès le premier entretien, ceci afin de faire émerger les catégories et de pouvoir ainsi les approfondir et les valider leur intérêt lors des suivants. Une démarche similaire a été menée pour analyser les motivations et les perceptions de la RCE des femmes entrepreneures. Toutefois, si les motivations ont été analysées à partir des dix premiers entretiens, nous avons mobilisé les 36 entretiens pour l’analyse de la RCE. L’utilisation du logiciel d’analyse de données qualitatives, NVivo8, a permis d’automatiser le traitement des données et de gagner en rigueur d’analyse.
5 – Les résultats de la recherche
39L’entrepreneuriat s’inscrit dans la dynamique de la carrière professionnelle des individus. En effet, les créatrices avaient toutes une expérience professionnelle en tant que salariée, plus ou moins conséquente (quatre années pour la créatrice la plus jeune de l’échantillon et vingt-huit années pour la plus âgée). Ainsi le regard que les créatrices portent sur leur situation professionnelle antérieure a une influence sur leur façon de percevoir leur réussite. Aussi et afin de mieux comprendre la réussite telle qu’elle est définie par les entrepreneures interrogées, nous proposons d’appréhender les éléments qui les ont motivées à se lancer dans une carrière entrepreneuriale avant d’exposer les dimensions de la RCE.
5.1 – Le choix d’une carrière entrepreneuriale
40Le choix d’une carrière entrepreneuriale est motivé par une pluralité de mobiles, mêlant les facteurs liés à l’organisation et les éléments inhérents à la sphère personnelle.
5.1.1 – L’influence des facteurs liés à l’organisation
41Ce premier ensemble de motivations se réfère aux facteurs liés à l’organisation dans laquelle les femmes se trouvaient avant leur entrée dans une carrière entrepreneuriale.
5.1.1.1 – Des désaccords importants avec l’organisation
42Des différends avec l’organisation professionnelle dans laquelle évoluent les femmes interrogées peuvent être à l’origine du souhait de se tourner vers l’entrepreneuriat.
43Il peut s’agir de désaccords afférents à la quantité de travail demandée, à la pression trop importante supportée par l’individu ou encore à la rigidité du fonctionnement des entreprises dans lesquelles travaillaient les femmes.
« À l’hôpital, je ne me sentais plus à ma place parce qu’on passait trois heures avec les patients et six ou sept heures avec les papiers […] il faut faire un maximum de soins pour rentabiliser l’entreprise hôpital et il n’y a absolument plus de place pour ce qui ne rapporte pas d’argent c’est-à-dire l’écoute et l’humain ».
45Un conflit de valeurs entre l’organisation professionnelle et l’individu peut également constituer une source de motivation majeure.
5.1.1.2 – Le manque de reconnaissance
46Le manque de reconnaissance professionnelle agit comme un véritable catalyseur de sortie d’une carrière salariale, comme le montre le verbatim ci-dessous :
« À l’époque je me suis dit : “moi c’est fini je ne veux plus m’investir pour des imbéciles qui ne veulent pas reconnaître la professionnelle que je suis” ».
48Cette motivation renvoie également à la discrimination subie par les femmes sur le marché du travail, notamment au moment de la maternité :
« Quand j’ai eu mes enfants je n’ai pas eu d’augmentation de salaire […] j’étais en grossesse avec menace d’accouchement prématuré. Je travaillais quand même alors que j’aurais dû être en arrêt de travail. Donc, il y a vraiment une réalité, il faut se battre quand on a ses enfants ».
5.1.1.3 – La santé en question
50Les ennuis de santé qui apparaissent au cours de l’expérience de travail précédant l’entrée dans l’entrepreneuriat sont perçus par les femmes interrogées comme un signal de malaise professionnel. À la suite d’un souci de santé, une occlusion intestinale, Célia décide de créer son entreprise :
« L’élément déclencheur a été mon occlusion intestinale et sur le lit d’hôpital, j’ai dit “j’arrête tout et je crée ma société” ».
52La créatrice la plus jeune de l’échantillon relate, elle aussi, des ennuis de santé qui la poussent à reconsidérer sa situation professionnelle :
« En fait, je me suis rendu compte que je ne m’épanouissais pas du tout dans le montage. […] J’étais souvent malade ou pas très en forme […] Donc, il y a un moment où c’était, je n’irais pas dire vital, mais il fallait que je change aussi par rapport à ma santé, sans parler de problèmes graves ».
5.1.1.4 – La lassitude professionnelle
54La lassitude professionnelle, éprouvée par les personnes interrogées, constitue également un facteur de motivation ; notons que la lassitude n’est pas réservée aux femmes dont l’expérience professionnelle est la plus conséquente. Qu’elles aient 30 ou 45 ans, les femmes interrogées relatent leur besoin de « mouvement » et de « changement ».
Il est certain que les mobiles liés à l’organisation ne revêtent pas une portée analogue. Nous observons, en effet, que le manque de reconnaissance, les désaccords avec l’organisation, et les problèmes de santé sont évoqués comme des éléments importants, déclencheurs de l’envie de se mettre à son compte alors que la lassitude professionnelle arrive en soutien à d’autres types de motivations, inhérents à l’organisation, mais également aux aspirations personnelles.« J’ai travaillé pendant 6 ans en radio et j’éprouvais vraiment une très grande lassitude ; mon dernier poste était une radio à Brest, je n’en avais pas fait complètement le tour mais malgré tout je m’y ennuyais en fait ».
5.1.2 – L’influence des facteurs liés à l’individu
55Les souhaits d’épanouissement et de liberté professionnels constituent les deux facteurs de motivation liés à l’individu.
5.1.2.1 – L’épanouissement professionnel
56Les velléités d’épanouissement professionnel constituent l’un des attraits majeurs prépondérants de l’entrée dans l’entrepreneuriat. Afin d’affiner la nature de ce facteur motivationnel, nous avons distingué trois sous-groupes : le premier renvoie à la passion et à la créativité, le deuxième se réfère aux besoins personnels de la créatrice tandis que le troisième évoque la recherche de plaisir professionnel.
5.1.2.2 – Passion et créativité
57Plusieurs des femmes ont exprimé le souhait d’investir leur domaine de créativité et de passion dans leur activité indépendante.
« C’est en train de rejoindre, je dirais, une autoroute qui était là depuis beaucoup plus longtemps, celle de l’enfance et de l’envie de devenir architecte d’intérieur ou océanographe ».
59La situation d’Élisabeth est significative. Ancienne secrétaire, elle décide en 1997 d’intégrer une formation de couture afin de faire ce qui lui plaît. Elle est, par la suite, salariée dans ce domaine, mais cela ne suffit pas à combler son besoin de créativité :
« J’étais salariée et quand même assez restreinte sur le plan professionnel. J’ai donc rencontré des personnes qui m’encourageaient à m’installer et finalement, il était grand temps que je travaille dans mon domaine de créativité ».
5.1.2.3 – La concrétisation des besoins personnels de la créatrice
61La création d’entreprises peut également relever d’une dynamique personnelle qui amène les individus à créer une activité en rapport avec leurs besoins propres. À l’image de France qui a imaginé le projet alors qu’elle recherchait des solutions pour l’aménagement de sa maison. Revenue en Bretagne à la suite d’un licenciement, cette ancienne ingénieure débute la rénovation de sa maison secondaire qu’elle souhaite transformer en résidence principale. C’est en recherchant des matériaux originaux pour sa maison qu’elle a l’idée de créer une entreprise autour de la mosaïque d’art. Cette volonté de créer des prestations en réponse à leurs besoins se retrouve chez la plupart des créatrices. Soulignons que cette envie participe du souhait de proposer des biens ou services considérés comme suffisamment rares (selon les femmes interrogées) pour qu’apparaisse la nécessité d’envisager la création d’une activité dans ce domaine.
« Je me suis dit, je vais créer une entreprise qui répond à un besoin auquel on ne répond pas actuellement. Mon travail quotidien, c’est de répondre à des besoins auxquels les autres ne répondent pas ».
5.1.2.4 – La recherche de l’hédonisme
63La recherche de plaisir professionnel est inéluctablement consubstantielle aux deux autres types de motivation que nous venons d’évoquer. Le souhait d’œuvrer dans son domaine de créativité ou de créer des produits ou services en accord avec ses besoins personnels conduira, en effet, les créatrices à intégrer le plaisir dans leur démarche de création. On note même, dans certains cas, que la quête de plaisir professionnel est un facteur déclencheur.
« Les femmes, on va aller vers quelque chose qui nous comble, en se trompant parfois, mais on va plus aller vers l’entrepreneuriat du plaisir d’être. […] Il y a l’entrepreneuriat du 2e millénaire, de la position sociale. Et il y a celui du 3e millénaire, du plaisir, de la conviction, de l’axe d’identité ».
5.1.2.5 – La liberté professionnelle
65La liberté professionnelle (gestion du temps et autonomie professionnelle) constitue également une motivation pour créer une entreprise. La gestion de son temps est le plus souvent citée par les créatrices ayant des enfants.
« Chez les femmes, il y a cette envie de liberté, de maîtriser un emploi du temps ».
67L’entrepreneuriat leur permet d’assurer une flexibilité importante dans les horaires. En revanche, l’autonomie professionnelle qui se réfère au fait d’être son propre chef et de maîtriser tout le processus décisionnel concerne toutes les répondantes.
68Force est de reconnaître que les contraintes sont nombreuses sur le chemin de la création d’entreprises ; toutefois, celles-ci ne sont alors plus imposées par une autorité supérieure, mais sont gérées par la créatrice.
« Pour moi c’est important de pouvoir gérer mon planning […] en tout cas de mettre les contraintes là où j’ai envie de les mettre, dans un maximum de possibilités ».
70L’entrepreneuriat doit donc permettre de disposer d’une plus grande liberté professionnelle que les femmes semblent apprécier et considérer comme l’un des atouts majeurs de la création d’entreprises.
5.1.3 – Conclusion sur les motivations : des facteurs multiples et ancrés dans les sphères personnelle et professionnelle des créatrices
71L’analyse des entretiens fait donc émerger la combinaison de motivations liées à l’organisation professionnelle et aux aspirations plus personnelles. Les facteurs conduisant à la décision sont afférents aux valeurs personnelles, à une passion pour l’activité, à des désaccords sur le plan éthique avec l’organisation dans laquelle elles se trouvaient, à un manque de reconnaissance, à un sentiment de lassitude professionnelle et à un désir de liberté professionnelle. L’expérience du terrain fait apparaître de manière évidente que les femmes créent un projet en rapport avec ce qui les anime profondément comme le souligne justement Gabrielle : « Je décide de faire un travail qui me plaît et que j’aime. On est davantage dans l’accomplissement personnel. » C’est certainement aussi la raison du changement d’activité puisque nous notons que la plupart des créatrices interrogées ont entrepris dans un secteur complètement différent (sept créatrices sur dix) de celui dans lequel elles évoluaient auparavant. Il est à noter qu’une étude de l’APCE de 2007 révèle que la moitié des femmes entrepreneures ont entrepris dans un secteur complètement différent de celui dans lequel elles évoluaient auparavant.
72Selon la créatrice la plus jeune de l’échantillon, les femmes créent dans une autre activité « parce qu’elles écoutent plus leurs propres besoins dans ce qu’elles ont envie d’être et de faire. Moi je verrais plus les choses comme ça, faire les choses en accord avec ce qu’elles sont » (Suzie). À la suite des résultats proposés par Mainiero et Sullivan (2005) et Cabrera (2007), il semblerait que les femmes qui se lancent dans la carrière entrepreneuriale tendent toutes à intégrer la recherche de l’authenticité, quels que soient leur âge et leur expérience professionnelle.
5.2 – Les éléments de la réussite
73Nous rappelons que nous nous intéressons à la réussite de carrière à partir d’une approche subjectiviste ; en ce sens, nous n’avons pas déterminé préalablement les critères de la réussite mais avons laissé à l’entrepreneure le soin de les définir elle-même.
74Les réponses des dix répondantes ont permis d’identifier les dimensions de la RCE. Deux grandes catégories d’éléments inhérents à la question de la RCE ont émergé, avec :
- les éléments de la réussite du point de vue personnel ;
- les éléments de la réussite du point de vue sociétal.
75L’analyse de nos données a permis de proposer un cadre d’analyse multidimensionnel de la RCE des femmes présenté ci-dessous. Nous revenons ensuite sur chacune des dimensions identifiées dans notre recherche.
Les dimensions de la réussite selon les créatrices
Les dimensions de la réussite selon les créatrices
5.2.1 – Les éléments de la réussite du point de vue personnel
76D’un point de vue personnel, la réussite est évaluée à partir de critères purement subjectifs comme le développement de soi, le fait d’être reconnue par son entourage, l’atteinte de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La réussite s’évalue également à la lumière de critères objectifs inhérents au revenu dégagé par l’entreprise.
5.2.1.1 – Atteindre un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle
77Les créatrices ont à cœur de ne pas se laisser piéger par l’amplitude horaire qu’offre l’entrepreneuriat. En effet, si elles peuvent ainsi gérer leur emploi du temps comme elles le souhaitent, le risque de consacrer tout son temps à l’entreprise constitue, en quelque sorte, l’effet « pervers » de cette nouvelle liberté professionnelle. Prise en compte dans les raisons qui poussent les femmes à créer une entreprise, l’atteinte de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est appréhendée comme un élément de la RCE.
« C’est clair, je me suis installée en libérale avec l’idée que ce n’était pas grave si je gagnais moins d’argent, il n’était pas question que je me fasse des plannings pas possibles, il fallait que ce soit confortable. […] L’avantage est que cela a entraîné une sérénité dans la vie de famille. […] Il faut que je trouve l’équilibre entre le professionnel et le personnel ».
79Les créatrices qui ont des enfants remarquent que la charge de travail imputable à leur entreprise est parfois difficile à concilier avec leur souhait de se rendre disponible pour eux.
« Si tu passes ton temps à vouloir être avec tes enfants, ton entreprise elle ne va pas fonctionner non plus. Donc, il faut trouver le juste milieu ».
5.2.1.2 – Être reconnue par l’entourage au cœur du sentiment de réussite
81Pour les entrepreneures, un des éléments de la réussite réside dans la reconnaissance qu’elles vont obtenir de leur entourage. Elles témoignent, en effet, des attentes qu’elles nourrissent à l’égard de leurs relations proches :
« Ma famille me dit “on est fiers de toi, tu es vraiment la seule à avoir mis en place ce projet, à l’avoir fait naître jusqu’à son aboutissement” ».
« Parce que je n’ai pas qu’un besoin de reconnaissance de mon activité sur le marché. Ma plus belle réussite sera que mon mari soit content et fier d’être avec moi […] heureux de ce que j’aurai fait ».
Il peut paraître surprenant de constater que la reconnaissance de l’entourage est plus souvent évoquée que la reconnaissance des clients, pour aborder la réussite entrepreneuriale.« Je sais que j’ai recherché la reconnaissance a posteriori de mon père et mon époux ».
5.2.1.3 – Progresser dans le développement de soi
82L’item inhérent au développement de soi est nettement plus fourni que les trois autres, en ce qui concerne les éléments de la réussite d’un point de vue personnel.
83Les créatrices soulignent l’importance de l’« avoir fait » et ainsi d’avoir concrétisé une envie professionnelle. Le passage à l’acte d’entreprendre constitue donc déjà un premier niveau de réussite. L’entrepreneuriat s’apparente à un véritable « acte de libération » qui permet aux entrepreneures d’exprimer tout ce qu’elles sont, leur nature profonde.
« Pour moi, réussir c’est d’avoir contrôlé et maîtrisé la naissance, la vie et la fin de ce que j’avais à créer. C’est aussi, avoir pu prospérer financièrement. En ce sens, ce serait un deuxième niveau. […] Comme si réussir c’était réussir à s’offrir ce rêve-là ».
« Je suis passée à l’acte, j’ai osé. Cela se résume à ça et c’est énorme. […] Je me suis libérée de ma prison. […] Je pense que je ne me limite plus du tout comme avant ».
« La satisfaction d’avoir fait ce que j’avais envie dans un univers qui me plaît, d’avoir accompli un parcours personnel et professionnel. Ce n’est pas parce qu’on arrête, qu’on est en état d’échec »
87Les créatrices interrogées mettent en avant des éléments d’appréciation subjectifs. Le sentiment de développement de soi semble se situer à la croisée des apprentissages nouveaux développés dans l’entrepreneuriat. Maturité, sagesse et affirmation de soi sont ainsi évoquées par les entrepreneures qui révèlent également avoir vécu une expérience enrichissante à plusieurs niveaux.
« J’ai évolué au niveau maturité et sagesse. Je suis plus zen. Je suis peut-être moins en attente des autres, enfin je sais que je peux me débrouiller toute seule. La confiance en soi s’est élevée ».
« Trois ans après, je m’aperçois que j’ai beaucoup travaillé sur moi et je me suis bien développée. […] Elle [la réussite] est dans le développement de soi-même, dans l’estime de soi, dans l’estime de ses compétences. […] Cela m’a appris à me positionner ; à dire non à des choses qui ne me convenaient plus. Quel chemin ! C’est une réussite dans l’épanouissement de soi. Cette expérience de création me permet de dire que, quelque part, j’ai réussi ma vie ».
« Si demain cela ferme, je ne le vivrai pas comme un échec. J’aurai fait des choses qui m’auront fait progresser, avancer et qui m’auront appris à faire les choses différemment dans ma vie au quotidien ».
91Les entrepreneures recherchent ainsi à faire croître leur employabilité et tentent de tirer au maximum les bénéfices de cette expérience. Celle-ci n’est pas seulement analysée en termes de savoir-faire, mais concerne également les savoir-être : l’épanouissement, la maturité, la sérénité et la sagesse.
5.2.1.4 – Une réussite économique à redéfinir
92Les critères économiques jouent également un rôle dans la définition de la réussite entrepreneuriale. Ceux-ci renvoient au souhait des entrepreneures de développer une clientèle et de dégager un revenu correct de leur travail. Loin d’avoir des ambitions économiques importantes, les femmes interrogées notent vouloir gagner correctement leur vie afin de pouvoir honorer les dépenses de la vie quotidienne sans difficulté.
« Mes points de repère ils sont là, c’est-à-dire que je veux pouvoir payer ma maison sans problème, faire mes travaux sans problème, partir en vacances sans problème et élever mes enfants. Et manger, pas forcément du low cost ».
(France)
« C’est le jour où tu vis de ton activité, que tu vis correctement de ton activité et ce cela va te payer tes factures, ta maison, nourrir tes enfants et partir en vacances, là je serais super fière. Là j’aurais réussi. Pour moi c’est à ça que je veux arriver. »
95Aucune évocation de la croissance et du profit n’est proposée par les entrepreneures. Les ambitions économiques sont donc évaluées du point de vue personnel et de celui de l’entreprise. Par ailleurs, les répondantes témoignent de leur souhait de développer une croissance responsable, comme le souligne Sylvie :
« Pour moi, le chiffre d’affaires d’une entreprise n’est plus un critère d’évaluation des entreprises. Ce n’est pas le critère de santé d’une entreprise. Il y a d’autres critères à prendre en compte et si l’on fait encore des modèles de performance en se basant sur celui qui fait le plus d’argent on est encore dans la compétition. Alors que les femmes ne font pas cela. Elles sont dans la prospérité d’elle, de leurs salariés. […] Pour moi, la réussite elle est dans la joie, la créativité. […] Ce n’est pas le tout d’avoir une entreprise qui fait des millions de bénéfices et qui rechigne à acheter des fauteuils corrects à ses employés. La réussite est à redéfinir. C’est le bien-être au travail, la santé au travail, la créativité, l’innovation, l’absence de stress. Tout ce qui est très coûteux dans la société. »
97La prise de conscience par les FE de la nécessité d’instaurer de nouveaux critères de réussite économique contribue à un changement de paradigme sur le rôle dévolu à l’argent dans le processus entrepreneurial. Les répondantes ne remettent pas en question la nécessité pour l’entreprise d’être rentable, mais dans leur conception, l’argent devient un moyen et non un objectif à atteindre.
5.2.2 – Les éléments de la réussite du point de vue sociétal
98Les créatrices interrogées rapportent d’autres critères pour attester de leur réussite. Ceux-ci font référence à l’impact que les femmes souhaitent avoir sur la société, au travers de leur entreprise. Les entretiens ont, en effet, révélé une grande préoccupation des entrepreneures pour les aspects sociétaux qu’elles entendent intégrer dans leur définition de la réussite de carrière entrepreneuriale.
5.2.2.1 – Apporter un mieux-être à ses clients
99La notion de bien-être pour soi, mais plus encore pour les clients, se révèle d’une grande importance aux yeux des femmes interrogées. Celles-ci témoignent de la satisfaction personnelle qu’elles retirent lorsqu’elles perçoivent que le sens de leur travail est compris et apprécié par leurs clients : « Réussir mon activité, c’est faire en sorte que les gens qui sortent de chez moi soient beaucoup mieux que quand ils y sont entrés » (Suzie).
« Un homme, c’est par le côté financier qu’il trouvera qu’il a réussi. La femme c’est parce qu’elle aura fait quelque chose de beau, qui va plaire, qu’elle va se sentir avoir réussi ».
« Je suis là pour gagner de l’argent mais je ne veux pas le gagner à n’importe quel prix. Je veux le gagner en faisant partager mon enthousiasme du voyage aux gens ».
102Il est intéressant de relever que le souhait d’apporter du bien-être n’est pas exclusivement réservé aux entreprises des secteurs du service à la personne. Ainsi, France qui est mosaïste d’art et décoratrice d’intérieur souligne son envie d’œuvrer pour le développement personnel de ses clients :
« Et quand je vois mes clients, le plaisir qu’ils peuvent avoir avec leurs mosaïques. […] Donc cette démarche d’accomplissement personnel s’accompagne d’une envie de communiquer cet accomplissement à mes clients ».
5.2.2.2 – Mettre en sens sa démarche entrepreneuriale
104Travailler sur le sens de son action semble constituer un critère tout aussi important de réussite. Les entrepreneures interrogées poursuivent le but d’œuvrer pour les générations suivantes qui travailleront dans leur domaine.
« Dans 15 ans ou dans 20 ans, la réussite sera de partager des connaissances et d’avoir fait comprendre au plus grand nombre qu’il existait d’autres possibilités de soin ».
106La préservation des savoir-faire est également un critère d’ancrage de la réussite des entrepreneures. En témoigne Élisabeth :
« C’est une passion, c’est un vieux métier qui devrait continuer à vivre. […] Les vieux métiers gagnent à être reconnus aujourd’hui, il est grand temps parce que nous sommes en train de tout perdre : les tisseurs, les dentellières ».
108Enfin, les créatrices souhaitent respecter une éthique qui se retrouve aussi dans le circuit de fabrication et de distribution des produits qu’elles commercialisent :
« Par rapport à l’éthique de l’entreprise, ce qui est important c’est de ne pas travailler avec des entreprises qui délocalisent en Chine ou des entreprises qui font travailler des petits enfants, même si ça les fait vivre, mais ça je ne veux pas entrer là-dedans. […] Travailler avec l’entreprise Sicis qui est entièrement travaillée par des artisans d’art est important ».
110La réussite c’est donc, non seulement avoir engagé une mise en sens de son action entrepreneuriale, mais également œuvrer afin de préserver les savoir-faire territoriaux et instaurer une démarche éthique à tous les niveaux de l’entreprise.
5.2.2.3 – Donner envie aux autres d’entreprendre
111Dans la lignée de la quête de sens se trouve la volonté d’insuffler l’esprit d’entreprise, prioritairement aux femmes et aux jeunes générations.
« C’est vraiment un de mes objectifs, non seulement de réussir mon entreprise et de prouver qu’à tout âge, c’est possible de recommencer une vie ».
« [Réussir] c’est avoir quelque chose de vivant qui évolue. C’est une entreprise qui se vit dans le bonheur, qui donne envie aux autres de se réaliser à leurs manières et dans leurs domaines. […] Mon objectif n’est pas d’être un modèle mais d’être inspirante plutôt ».
« Ce qu’il faut c’est que cela [mon entreprise] apporte à quelqu’un, à des enfants, à des écoles, à ton entourage, aux clients aussi. […] Oui, il y a une mission derrière ça. Donc est-ce que c’est une continuité de la femme, ou est-ce que c’est une continuité de l’entrepreneur ? ».
5.2.2.4 – Œuvrer pour participer au développement économique des femmes
115Un quatrième aspect constitutif de la réussite d’un point de vue sociétal est la participation au développement économique des femmes. Au regard de cet item, on perçoit le souhait des créatrices de faire vivre leur rôle de citoyenne œuvrant en direction du déploiement économique de leurs consœurs.
« Actuellement, je développe la création d’une association pour venir en aide aux femmes nomades. […] Ce que je veux absolument, c’est leur permettre de subvenir à leurs besoins et qu’elles puissent faire quelque chose de leur vie ».
« Maintenant, si j’ai le choix, je ferai travailler une femme ».
Les créatrices interrogées témoignent d’une sensibilité importante en direction de l’essor des femmes du point de vue économique. Qu’il s’agisse de travailler avec des femmes ou encore de les aider afin qu’elles puissent exploiter leur savoir-faire, les entrepreneures manifestent à ce sujet des ambitions socialement élevées.« C’est important d’œuvrer pour les autres femmes qui suivent derrière ».
5.2.2.5 – Réussir à plusieurs
116En somme, et ce point parachèvera la présentation des éléments de la réussite d’un point de vue sociétal, les résultats de l’analyse mettent en lumière la notion de partage.
« Mon rêve, vraiment, serait d’avoir un lieu assez grand où moi où il y aurait d’autres personnes qui y travailleraient. Voilà, d’avoir vraiment des échanges ».
« La notion de réseau avec les artisans d’art est importante et pour moi. […] Je ne conçois pas ce projet comme le projet d’une personne unique, mais comme le projet d’une personne au milieu d’un univers ».
119Pour l’unique employeure de l’échantillon (France), le management collaboratif qu’elle instaure lui permet de s’assurer d’un profond sentiment de satisfaction personnelle et professionnelle.
« C’est ce que je viens de faire lorsque j’ai dit “ma collaboratrice”. Je n’ai pas dit “mon assistante” mais je dis “ma collaboratrice, mon bras droit”. Je positionne, j’encourage, je fais confiance. […] Pour moi, [le fait d’avoir une salariée] c’est déjà une récompense en soi. J’en ai les larmes qui viennent. […] Au quotidien, quand je viens ici, je suis plus contente de travailler en équipe que de travailler et d’avoir accompli un super truc moi toute seule ».
121La réussite de l’entrepreneure d’un point de vue sociétal se mesure donc à partir de ce qu’elle aura pu apporter non seulement à ses clients, ses partenaires, ses collaborateurs, mais également aux plus jeunes générations ainsi qu’aux femmes.
« Réussir, c’est une entreprise qui se tienne financièrement. Avec une chef d’entreprise qui arrive à mener à terme des projets qu’elle a envie de mener et que ses clients lui demandent de mener. Qu’elle arrive à les mener avec une équipe épanouie […] où chacun participe et se trouve bien à sa place ».
6 – Discussion
123Une définition de la RCE des femmes est présentée avant de discuter les résultats de la recherche.
6.1 – Proposition de définition de la RCE des femmes
124À la suite de Anna, Chandler, Jansen et Mero (2000) qui constatent que les mesures traditionnelles de la performance économique sont inopérantes pour saisir la RCE des femmes entrepreneures, notre étude confirme que celles-ci s’appuient sur des éléments moins tangibles.
125Les résultats montrent que la RCE repose sur l’atteinte d’un équilibre entre les vies personnelle et professionnelle, sur la reconnaissance de l’entourage, sur le développement de soi-même et sur les résultats économiques. La RCE a également été appréciée par les créatrices à travers les critères intrinsèques de la contribution sociétale : la participation au développement économique des femmes, le fait d’offrir du bien-être au client, le travail sur le sens de sa profession, la volonté d’insuffler l’esprit d’entreprise ainsi que la création de stratégies de collaboration en constituent des éléments déterminants.
126L’analyse des entretiens a permis de révéler un lien ténu entre les motivations et les perceptions de la réussite. En effet, l’équilibre de la vie personnelle et de la vie professionnelle est à mettre en corrélation avec la liberté professionnelle. Le manque de reconnaissance professionnelle peut amener les femmes à considérer que l’obtention de la reconnaissance de leur entourage est un élément important dans l’évaluation de la RCE. Les perceptions des femmes quant à la lassitude professionnelle participent à leur souhait de parvenir à un développement de leur compétence. Quant aux critères économiques de la réussite, il semble que ces derniers soient liés à la quête d’épanouissement personnel des femmes. La volonté d’intégrer leur passion et de répondre à un besoin personnel en se faisant plaisir est en effet concomitante du souhait des femmes d’atteindre un seuil économique satisfaisant mais sans pour autant rechercher une croissance élevée. Ces trois éléments de motivations ainsi que les désaccords avec l’organisation sont à mettre en relation avec les critères de réussite concernant le travail sur le sens de sa profession et l’insufflation de l’esprit d’entreprise. Les créatrices qui ont vécu des désaccords importants avec leur ancienne organisation, en termes de valeurs par exemple et qui souhaitent s’épanouir professionnellement vont considérer que la réussite de leur carrière se définit à l’aune d’un travail sur le sens de leurs actions et en parvenant à insuffler l’esprit d’entreprise. Quant à la motivation concernant la santé des femmes, celle-ci influence leur souhait d’apporter du bien-être aux clients. Par ailleurs, la participation au développement économique des femmes considérée comme un critère de la réussite est à rapprocher du manque de reconnaissance professionnelle qu’elles ont perçu dans leur ancienne vie professionnelle. Enfin, la création de stratégies de collaboration doit être associée aux désaccords avec leur ancienne organisation et à leur quête d’épanouissement.
127Force est de constater que la réussite est multidimensionnelle puisqu’elle intègre non seulement le développement de l’entrepreneure, mais également celui de l’entreprise ainsi que le fait d’avoir contribué au développement des autres lesquels sont représentés par les clients, les futur(e)s entrepreneur(e)s, les femmes, les jeunes, les partenaires, les fournisseurs et les salariés. L’analyse des résultats met donc en évidence l’importance de la valeur sociétale créée par les entrepreneures. Une des créatrices témoigne d’ailleurs : « La réussite de l’entreprise est quand tu parviens à jongler avec tes rôles et en même temps tu apportes une contribution sociétale » (Cas A4). Trop souvent omis dans les études qui explorent davantage la mesure objective de la carrière entrepreneuriale, les éléments comme le développement de ses compétences ou encore la contribution sociétale sont d’un intérêt suffisamment important (selon les créatrices) pour pouvoir être intégrés dans la RCE.
128La RCE se présente donc comme une notion complexe, englobante et multidimensionnelle. L’analyse empirique a permis de faire émerger neuf dimensions et vingt-deux sous dimensions que nous proposons de réunir sous quatre grandes sphères. La RCE est le résultat des expériences vécues par l’entrepreneure qui concernent les niveaux personnel, familial, économique et sociétal. Puisque la perception de la RCE est propre à chaque individu, nous admettons que c’est à l’entrepreneure de définir les éléments constitutifs de sa RCE et ce que signifient, pour elle, les contributions de l’entrepreneuriat aux niveaux personnel, familial, économique et sociétal. Pour les dix femmes interrogées, la RCE repose sur les neuf dimensions identifiées mais on peut penser que d’autres dimensions apparaîtront et viendront ainsi enrichir le cadre d’analyse de la RCE des femmes. Notre objectif de recherche est d’identifier les dimensions de la RCE et conformément à l’approche retenue à savoir le fait de laisser les individus définir leurs propres critères de RCE, nous admettons que d’autres recherches sont nécessaires afin d’affiner et de compléter le cadre d’analyse. Ainsi, nous proposons une définition de la RCE sous forme de matrice opérationnelle qui devrait justement permettre de poursuivre les travaux sur ce sujet.
Proposition de matrice opérationnelle pour définir la RCE
Proposition de matrice opérationnelle pour définir la RCE
6.2 – Discussion
129Cette recherche ambitionne de répondre à l’appel lancé par la communauté académique pour développer des travaux visant à définir au mieux la réussite des entrepreneures (Anna, Chandler, Jansen et Mero, 2000 ; Powell et Eddleston, 2008). D’aucuns, à partir d’approches principalement quantitatives, avaient en effet insisté sur la nécessité de considérer d’autres facteurs de réussite (Buttner et Moore, 1997 ; Anna, Chandler, Jansen et Mero, 2000 ; Eddleston et Powell, 2008). Mobilisant le concept de réussite de carrière, nous inscrivons également cette étude dans le prolongement de la suggestion des auteurs qui insistent sur la nécessité de mener des recherches qualitatives afin d’explorer les critères subjectifs que les individus mobilisent pour évoquer leur propre réussite de carrière (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005 ; Gunz et Heslin, 2005). Il demeure en effet un manque important de travaux empiriques sur la façon de mesurer la réussite subjective de la carrière, ce malgré l’appel de la communauté académique (Pan et Zhou, 2015).
130Comme nous l’avons souligné précédemment, peu de recherches ont étudié la réussite subjective des femmes entrepreneures et ces dernières ont mobilisé une méthodologie quantitative. Buttner et Moore (1997) qui interrogent des femmes entrepreneures ayant occupé auparavant des postes à responsabilité étudient la réussite à partir de six critères prédéfinis. Leur étude conclut que les femmes entrepreneures évaluent leur réussite à partir tout d’abord de la réalisation de soi puis de l’atteinte de leurs objectifs. Les indicateurs économiques arrivent en troisième et quatrième position avec le profit et la croissance. L’atteinte d’un équilibre entre les vies professionnelle et personnelle arrive en cinquième position, et enfin le fait d’apporter une contribution sociale est perçu comme le critère le moins important. Notre étude confirme l’importance du développement de soi et clarifie ce que revêt exactement cette notion régulièrement mise en avant dans les recherches consacrées à la réussite des femmes entrepreneures mais rarement étudiée en profondeur. À travers l’identification des cinq sous-dimensions que sont l’affirmation de soi, la sagesse, l’épanouissement, la confiance en soi et l’audace, nous pouvons proposer une compréhension plus fine du développement de soi. En ce qui concerne l’équilibre entre les vies personnelle et professionnelle, ce critère a également été proposé dans notre recherche. En revanche, nous montrons que les indicateurs économiques retenus – le profit et la croissance – ne semblent pas être les plus adaptés à la mesure de RCE de ces femmes entrepreneures. En effet, celles-ci n’y font pas mention, mais retiennent plutôt des éléments d’appréciation plus personnelle comme le fait de pouvoir dégager un revenu suffisant pour vivre correctement. Il est donc notable que les indicateurs retenus pour attester de la réussite économique devraient être modifiés ou du moins complétés. Notre recherche permet également de proposer d’autres critères de réussite. Ainsi, la reconnaissance de l’entourage n’avait jamais été évoquée pour justifier la réussite entrepreneuriale des femmes. De même que le travail sur le sens de sa profession, l’insufflation de l’esprit d’entreprise, la participation au développement économique des femmes et la création de stratégies de collaboration. Le développement d’une contribution sociétale est proposé dans les recherches mais celles-ci ne précisent pas ce qu’elle implique. Or notre étude met en lumière toute la richesse de cette notion considérée comme une dimension importante de la réussite selon les femmes entrepreneures. Nos résultats se distinguent donc de ceux mis en avant par Buttner et Moore (1997), la contribution sociale étant positionnée en dernière position dans leurs travaux. Il faut toutefois souligner que la démarche de recherche consistant à interroger les femmes entrepreneures à partir de critères prédéfinis peut largement biaiser la définition que celles-ci donnent de leur réussite de carrière entrepreneuriale (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005).
131Peu nombreuses, les recherches qui ont étudié la réussite des femmes entrepreneures en tentant d’intégrer des éléments d’appréciation plus subjectifs ont permis de modifier la vision hégémonique de la réussite généralement définie à travers le prisme de la performance économique de l’entreprise. Toutefois, la définition que ces études retiennent de la réussite subjective s’avère limitée. Elle renvoie notamment à la mesure de la satisfaction globale vis-à-vis de la réussite de l’entreprise (Eddleston et Powell, 2008) ou encore la satisfaction vis-à-vis du statut et des relations avec les employés (Powell et Eddleston, 2012). Quant aux éléments objectifs, ceux-ci se réfèrent toujours à l’entreprise, notamment au profit, à la croissance ou encore à la progression du nombre d’employés (Buttner et Moore, 1997 ; Eddleston et Powell, 2008 ; Powell et Eddleston, 2012). Les résultats de notre étude invitent à étendre largement ces critères de réussite afin de proposer un cadre d’analyse multidimensionnel, à même de saisir davantage d’informations pour rendre compte de la nature complexe de la RCE.
132Finalement, les entrepreneures appréhendent les aspects objectifs mais notons que ceux-ci sont à relier aux éléments subjectifs. Comme nous l’avons constaté, la possibilité de dégager un revenu suffisant pour honorer les dépenses de la vie quotidienne ne relève pas d’une démarche ambitieuse en termes de performance économique, mais ce critère est à mettre en relation avec les éléments subjectifs. Nous constatons donc une grande cohérence entre la réussite d’un point de vue objectif et subjectif. Ce résultat permet de proposer de nouvelles voies de compréhension concernant le paradoxe de la femme entrepreneure satisfaite développé par Eddleston et Powell (2008). Ces deux auteurs avaient en effet montré que même si les entreprises qu’elles dirigent atteignent des niveaux de performances inférieurs, les femmes entrepreneures se déclarent aussi satisfaites de la réussite de leurs entreprises que leurs homologues masculins. Ainsi, pour comprendre la réussite entrepreneuriale des femmes et éventuellement mettre fin à ce paradoxe, il faudrait une définition plus inclusive des critères de mesure qui sont particulièrement valorisés par les femmes (Eddleston et Powell, 2008). Notre recherche, qui permet justement aux femmes de définir ce que représente pour elles la réussite de leur carrière entrepreneuriale, fait apparaître une grande cohérence entre les résultats objectifs et la mesure de la satisfaction des femmes entrepreneures.
133Les critères de la RCE considérés par les entrepreneures se rapprochent de ceux qui ont été mis en avant dans les recherches sur les carrières contemporaines. Ainsi, les créatrices que nous avons interrogées cherchent à donner du sens à leur action, qu’elles inscrivent dans un véritable projet de vie. La quête de sens a été largement développée par les sociologues (Ehrenberg, 1998), mais également par les chercheurs en sciences de gestion qui y voient le fondement des nouvelles approches de la carrière (Cadin, Bender et Saint Giniez, 2000) dont l’une des figures de proue serait l’entrepreneur postmoderne (Hernandez et Marco, 2006). Notre recherche montre que les aspects subjectifs sont prépondérants dans la définition de la réussite de carrière proposée par les entrepreneures. Dans leur projet de carrière entrepreneuriale, il ne s’agit plus seulement de gravir les échelons hiérarchiques et de prospérer économiquement, mais d’atteindre un équilibre personnel et professionnel. La recherche du succès psychologique est manifeste dans le sens où le fait d’avoir pu choisir un projet et de l’avoir réalisé constitue déjà un élément de la réussite selon les femmes entrepreneures. L’idée de vivre une expérience contribuant au développement de ses compétences s’inscrit bien dans la démarche de la Boundaryless Career (Arthur, Khapova et Wilderom, 2005). Les liens entre le champ de l’entrepreneuriat des femmes et celui des nouvelles carrières se trouvent donc ici réaffirmés.
134Comme nous l’avons souligné, les théories de la carrière des femmes ont insisté sur l’importance que celles-ci accordent à la préservation du lien, à l’inclusion de l’entourage dans les décisions professionnelles et aux préoccupations à l’égard d’autrui (Gallos, 1989 ; Gilligan, 1982 ; Spain et Hamel, 1994). « Il y a cette notion extrêmement positive de ne pas faire cavalier seul c’est-à-dire d’emmener avec toi tout ton environnement microscopique et macroscopique » déclare Mme LA (Cas A4). Eddleston et Powell (2008) observent que des études examinant la relation entre les motivations des individus pour démarrer leur entreprise et leur définition de la réussite pourraient améliorer la compréhension de la façon dont les entrepreneurs font vivre leur valeur dans l’entreprise. Notre recherche montre en effet que la recherche d’authenticité des femmes entrepreneures influence leur perception de la réussite. Dans le même temps, ces éléments rendent compte de leurs valeurs personnelles qui sont résolument tournées vers les autres. Les recherches mettent en évidence l’importance de considérer les éléments contextuels et relationnels pour analyser la carrière des femmes. Ainsi, la réussite s’évalue à partir de la préservation des relations avec les personnes (Gilligan, 1982 ; Spain et Hamel, 1994). La volonté des femmes de contribuer au bien-être de leurs clients, des femmes et de leurs salariés est manifeste de cette orientation relationnelle, de même que leur souhait d’être reconnues par leur entourage. C’est sans conteste pourquoi les femmes entrepreneures accordent une grande importance au fait de créer des stratégies de collaboration ou de participer au développement économique des femmes. En somme, elles souhaitent apporter une contribution positive à la société. La réussite de la carrière entrepreneuriale implique donc pour les femmes de pouvoir utiliser leur expérience entrepreneuriale afin de faire progresser la société. Il faut noter que la sphère sociétale regroupe quatre dimensions sur les neuf qui ont émergé dans la recherche.
135La conception de la réussite de la carrière entrepreneuriale des femmes s’ancre finalement dans la morale du care (Gilligan, 2008). Habituellement soutenue par les théories de la justice, la morale renvoie à des principes universels que sont notamment la règle et la loi. Toutefois, Gilligan (1982) établit l’existence d’un autre type de morale qui n’est pas fondée sur la prééminence et l’universalité des droits de l’individu, mais sur un sentiment très fort de responsabilité envers le monde. L’entrepreneuriat des femmes doit ainsi être analysé en relation avec le rôle que jouent les entrepreneures en contribuant au développement économique, en générant de l’inclusion sociale et de l’emploi, souvent pour d’autres femmes (Welter, Smallbone et Isakova, 2006). Les interconnexions entre l’entrepreneuriat féminin et l’entrepreneuriat social apparaissent ici ténues. Levie et Hart (2013) ont en effet mis en évidence que les femmes étaient davantage motivées que les hommes pour s’engager dans l’entrepreneuriat social, poussés par le souhait d’améliorer l’environnement socio-économique de la communauté au sein de laquelle elles évoluent. À la suite de Jennings de Brush (2013) qui ont identifié cette thématique comme porteuse de voie nouvelle, il nous semble pertinent d’approfondir cette relation.
6.3 – Implications, limites et perspectives
136Nous proposons à présent de discuter les implications théoriques et managériales de cette étude ainsi que ses limites et perspectives.
137La première contribution théorique de la recherche concerne la mobilisation des théories de la carrière pour approcher l’entrepreneuriat des femmes. En 2003, Greene, Hart, Gatewood, Brush et Carter soutiennent que les théories de la carrière pourraient donner un nouveau souffle aux recherches sur l’entrepreneuriat des femmes. À notre connaissance, aucune recherche n’a exploré cette relation et celle-ci nous semble pourtant pouvoir réellement enrichir les connaissances sur l’entrepreneuriat des femmes. Selon Hall (1996), les individus qui ont une orientation de carrière protéiforme souhaitent se consacrer à un travail qui réponde à leurs valeurs personnelles et contribue à leur épanouissement. Les femmes interrogées s’inscrivent bien dans cette démarche. Ainsi, les recherches sur la carrière nomade qui insistent sur la mise en sens de sa carrière, l’accumulation de compétences dans un objectif d’apprentissage continu et d’adaptation (Arthur et Rousseau, 1996) et dont la vision de la réussite renverrait à sa vision personnelle et à ses valeurs (Hall, 1996) permettent de proposer de nouvelles voies de compréhension de la carrière des femmes entrepreneures. L’application du concept de réussite de la carrière à l’entrepreneuriat est à notre connaissance inédite et permet de positionner les éléments de la réussite dans un cadre plus large que celui généralement proposé dans les recherches en entrepreneuriat. À la suite de Valcour et Ladge (2008) qui observent le besoin de développer des modèles suffisamment flexibles pour appréhender la diversité des trajectoires de carrière et des définitions de la réussite associées, nous avons proposé une définition de la RCE dynamique, suffisamment large et opérationnelle pour approcher la diversité des RCE des femmes.
138La deuxième contribution théorique concerne l’inscription de l’entrepreneuriat des femmes dans les recherches qui considèrent « entrepreneurship as social change » (Calas, Smircich et Bourne, 2009). Alors que l’entrepreneuriat renvoie à une diversité de phénomènes et est donc observé à travers des voies de compréhension multiples, parfois divergentes (Steyaert et Hjorth, 2003 ; Tedmanson, Verduyn, Essers et Gartner, 2012), la majorité des recherches le définissent à travers le prisme de l’activité économique souvent positive (Calas, Smircich et Bourne, 2009). Ainsi, et comme le soulignent Tedmanson, Verduyn, Essers et Gartner (2012), des recherches ont donné à entendre d’autres « histoires entrepreneuriales » que celles généralement mises en avant (Imas, Wilson et Weston, 2012). Ces études ont souvent comme point commun de montrer que l’entrepreneuriat peut participer à une redéfinition des relations de pouvoirs et contribuer à des changements sociétaux. À cet effet, Calas, Smircich et Bourne (2009) proposent de modifier le questionnement et ainsi au lieu de percevoir l’entrepreneuriat comme une activité économique avec de possibles changements sociétaux, ces auteurs invitent à penser l’entrepreneuriat comme moteur de changement sociétal produisant des résultats variés. Les nouveaux éclairages sur la réussite des femmes entrepreneures que propose notre recherche semblent finalement s’inscrire dans cette perspective et nous pensons qu’il serait utile de poursuivre les recherches sur l’entrepreneuriat féminin dans ce sens.
139La troisième contribution théorique renvoie au renouvellement des perspectives engagé dans les recherches sur l’entrepreneuriat des femmes. En ne déterminant pas auparavant de critères de réussite mais en laissant le soin aux entrepreneures de les identifier, nous nous sommes ainsi éloignés des recherches qui apprécient le succès des entrepreneurs à partir d’éléments objectifs. Ce positionnement s’inscrit dans les recherches qui appréhendent l’entrepreneuriat des femmes à partir des variables perceptuelles. Afin d’intégrer de nouvelles approches susceptibles de faire progresser les études, la recherche sur l’entrepreneuriat des femmes semble avoir opéré un véritable tournant paradigmatique. Les travaux descriptifs qui étudient les caractéristiques et les motivations se retrouvent supplantés au profit d’études compréhensives qui analysent en profondeur les effets des variables perceptuelles dont les effets sur le comportement entrepreneurial sont avérés (Langowitz et Minniti, 2007). En examinant les perceptions que les femmes ont de la RCE, cette recherche s’inscrit dans ce renouvellement des perspectives.
140Les implications managériales issues de ce travail concernent les entrepreneures, les organismes d’accompagnement de la création et les pouvoirs publics. Aspirées par le tourbillon entrepreneurial, les créatrices n’ont ni le recul ni le temps de réfléchir à leurs objectifs réels, eux-mêmes liés à la RCE. Or les perceptions que les entrepreneures ont de la RCE influeront sur les décisions et actions prises au cours de leur démarche entrepreneuriale. Aussi, nous encourageons les femmes entrepreneures à mener un travail sur la RCE à partir des quatre sphères et des neuf dimensions identifiées dans la recherche. Cela pourra les aider à mieux définir leurs objectifs et évaluer le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir.
141Cette recherche a aussi des implications pour les organismes de soutien à la création et au développement d’entreprises. Notre recherche montre en effet que les femmes définissent leur RCE à travers les dimensions de la contribution sociétale, familiale et personnelle, et pas seulement économique. Les acteurs de l’accompagnement doivent en être conscients afin de l’intégrer dans leurs dispositifs, et mieux accompagner les entrepreneures par la prise en compte des aspects subjectifs et objectifs. Comme nous l’avons montré, il y a une cohérence entre ces deux types d’aspects. Aussi, si les accompagnateurs aident les entrepreneures à définir leurs perceptions de la RCE, ils pourraient identifier avec elles des actions leur permettant d’atteindre non seulement une satisfaction importante quant à leur carrière entrepreneuriale mais aussi une pérennisation de leur activité. En effet, des entrepreneurs satisfaits travaillent plus efficacement avec leurs clients et employés et leur sentiment de réussite personnelle mène à une réussite plus élevée de l’entreprise (Schmitt-Rodermund, 2004). En mobilisant la définition de la réussite proposée à la suite de notre étude, les accompagnateurs parviendront à adapter leurs dispositifs au regard des objectifs de chacun. La finalité étant de dépasser le cadre des entreprises créées par des femmes afin d’intégrer cette réflexion dans les programmes d’accompagnement à destination de tous : hommes et femmes.
142Cette étude permet d’envisager que la moindre réussite entrepreneuriale des femmes dont font régulièrement écho les mondes des affaires et de la politique renvoie plutôt à une absence de désir de réussite telle qu’elle est généralement entendue. Selon Spain et Hamel (1994, p. 35), « dans un monde où le succès se définit par faire mieux que les autres, les préoccupations relationnelles des femmes iraient en sens inverse de la signification sociale du succès ». Les acteurs étatiques qui appuient les actions soutenant le développement de l’entrepreneuriat doivent avoir à l’esprit que le modèle dominant essentiellement fondé sur la croissance semble peu adapté aux créatrices. La connaissance de la définition que les femmes donnent de la RCE permettrait d’insuffler de nouveaux modèles, aidant les créatrices en sommeil à franchir le pas. Les femmes entrepreneures représentent un potentiel économique et si elles ne créent pas majoritairement des entreprises de croissance et innovantes (une entreprise innovante sur dix est créée par une femme), « la femme entrepreneure génère, au moins, son propre emploi et une activité. Aussi réduite soit-elle, elle compte dans la vie économique » (Le Loarne-Lemaire, Cupillard, Rahmouni Benhida, Nikina et Shelton, 2012, p. 91). À ce titre, il est fondamental que le monde politique et celui de l’accompagnement leur donnent les aides adaptées au respect de leurs valeurs et de leur vision de la RCE.
143Notre étude présente des limites qui sont majoritairement liées à l’approche qualitative. La contextualisation rend difficile la généralisation des résultats. Nous nous sommes intéressées à de très petites entreprises sans salarié, et il paraît donc difficile d’étendre nos résultats à d’autres catégories d’entrepreneures. Toutefois, le croisement de la littérature scientifique avec nos données empiriques amène à penser que nos résultats dépassent le cadre des très petites entreprises. Ce travail ouvre donc des perspectives pour de futures recherches. Il est envisageable d’affiner et de compléter les dimensions de la RCE en procédant à d’autres études qualitatives auprès de femmes entrepreneures afin d’observer notamment si les critères de réussite varient en fonction de la taille ou du secteur des entreprises. Nous pourrions observer si toutes les femmes partagent cette définition de la réussite et si de possibles configurations de perceptions apparaissent. À travers la mobilisation d’un nombre important de cas, il deviendrait envisageable d’esquisser une typologie des femmes entrepreneures au regard de la façon dont elles définissent la réussite de leur carrière entrepreneuriale. Des études longitudinales auprès d’entrepreneures, en suivant leur carrière entrepreneuriale de l’entrée à la sortie pourraient également s’avérer fécondes et permettre de parvenir à accroître les connaissances sur la RCE des femmes.
Conclusion
144En conclusion, notre recherche a permis de mieux comprendre la façon dont les femmes entrepreneures définissent leur réussite de carrière entrepreneuriale. Plus particulièrement, nos résultats montrent que la RCE doit s’inscrire dans un cadre d’analyse multidimensionnel permettant de tenir compte des critères d’appréciation propres aux individus. La RCE peut donc se définir comme le résultat des expériences vécues par l’entrepreneure qui concernent les niveaux personnel, familial, économique et sociétal. Cette présente étude suggère le développement d’une approche plus large intégrant des dimensions subjectives pour comprendre la réussite de carrière entrepreneuriale des femmes. Les implications théoriques et managériales de ce travail sont nombreuses. Les chercheurs et les praticiens qui souhaitent stimuler l’entrepreneuriat des femmes doivent en effet intégrer cette orientation subjective de la RCE afin de proposer une approche entrepreneuriale porteuse de sens pour les créatrices.
Présentation des cas
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Mots-clés éditeurs : carrière entrepreneuriale, réussite de carrière, réussite de carrière entrepreneuriale, entrepreneuriat des femmes
Mise en ligne 05/06/2015
https://doi.org/10.3917/entre.141.0093