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Article de revue

Les pratiques d'essaimage, leviers de responsabilité sociétale et de développement du capital humain. Étude exploratoire d'un groupe industriel français

Pages 59 à 83

Introduction

1La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) comme thème de recherche des sciences de gestion a amené le monde académique comme celui des praticiens à s’interroger sur son intégration dans les organisations, sur sa légitimité ou encore sur les pratiques traduisant sa mise en œuvre. En effet, le niveau praxéologique de la RSE constitue l’un des pans principaux de la recherche dans le domaine, qu’il s’agisse des pratiques de gouvernance (Naro, Noguera, 2008), des pratiques sur la supply chain (Lavastre, Spalanzani, 2008), ou bien encore des pratiques de gestion des ressources humaines (Poissonnier, Drillon, 2008). Toutes ces études ont pour objectif, soit de déterminer le caractère sociétalement responsable des pratiques, soit d’envisager des démarches sociétalement responsables dans les différents niveaux des organisations.

2Nous retenons comme définition de la RSE celle de l’ISO 26000 qui s’appuie sur la théorie des parties prenantes : « responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui : contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ; prend en compte les attentes des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement ; est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations » (NF ISO 26 000, 2010). Nous percevons également la RSE comme étant un ensemble de pratiques mises en place par une organisation dans le but de répondre aux attentes de ses parties prenantes (Helfrich, 2010).

3L’approche de cette étude exploratoire se veut originale, en se focalisant sur les pratiques d’essaimage, comme faisant partie des démarches de responsabilité des entreprises. En effet, l’essaimage reste un sujet peu traité dans la littérature (Daval, 1998 ; Laviolette, 2005). Même s’il permet à des salariés d’envisager leur avenir en dehors de l’entreprise, cette pratique est souvent abordée dans des contextes de restructurations, comme l’une des solutions lors du déploiement de plans de sauvegarde de l’emploi. Cela étant dit, nous partons du principe que si l’essaimage répond aux attentes de certaines parties prenantes de l’entreprise, minimisant ainsi ses externalités négatives ou au contraire valorisant ses externalités positives (Crouch, 2006), alors les pratiques d’essaimage sont peut-être sociétalement responsables.

4Notre problématique est donc de savoir quelles sont les conditions (selon les différentes formes d’essaimage pratiquées) pour que l’essaimage participe à la responsabilité sociétale de l’entreprise. À l’aune des lignes directrices de la norme ISO 26000 et de ses questions centrales, qui ont le mérite de faire consensus au milieu des débats sur la RSE, nous proposons, dans une première partie, un modèle théorique des pratiques d’essaimage comme porteuses de responsabilité sociétale. Notre modèle s’appuie à la fois sur la prise en considération des attentes des salariés envers l’entreprise, et sur le volet territorial de la RSE, c’est-à-dire sur les actions que peut faire une entreprise en direction des communautés locales en œuvrant au développement local. Dans une deuxième partie, nous testons la fiabilité de notre modèle selon quatre critères : (1) la légitimité de l’essaimage comme démarche RSE d’une entreprise, (2) la capacité de l’essaimage à valoriser le capital humain, (3) la capacité de l’essaimage à participer au développement local et (4) les indicateurs validant l’efficacité des pratiques d’essaimage. Ce test a été réalisé au travers des pratiques observées au sein d’une cellule d’essaimage d’un groupe industriel français. L’exploration empirique de ces pratiques s’est faite selon un couplage méthodologique quantitatif et qualitatif (Thiétart, 2007), dans le but d’évaluer leur efficacité et leur fonctionnement. Nous nous appuyons à la fois sur le témoignage d’experts internes et externes à la cellule d’essaimage et sur la perception qu’ont de cette dernière d’anciens salariés qui ont été accompagnés dans leur projet de création d’entreprises.

1 – Cadre théorique

5Dans cette première partie, nous passons en revue les principaux travaux théoriques portant sur les pratiques d’essaimage de manière à en établir les différentes caractéristiques et typologies (1.1). Nous rappelons également les théories sur lesquelles s’appuie le concept de RSE, et les principaux débats qu’il engendre (1.2). L’étude de ces deux champs de recherche nous permet de proposer un modèle théorique des pratiques d’essaimage dans le cadre de la RSE (1.3).

1.1 – L’essaimage

6Nous présentons ici les principaux travaux de recherche traitant des pratiques d’essaimage en termes de fondements théoriques et culturels, en faisant notamment la distinction entre spin off et essaimage. Nous évoquons ensuite les différentes typologies d’essaimage afin de mobiliser une typologie cohérente dans le cadre de cette étude.

1.1.1 – Définition des pratiques d’essaimage et mise en œuvre

7Le concept d’essaimage renvoie à une pratique à la fois simple et compliquée. Simple si l’on s’en tient à la définition de Daval (1999, p. 13) « une entreprise essaime lorsqu’elle engendre une nouvelle société […] qui a pour vocation de développer une idée – une activité – dont la nouveauté serait difficilement exploitable au sein de la maison mère, ou irait à l’encontre de la stratégie adoptée ». Et en même temps compliquée si l’on suit les évolutions de la pratique de sa genèse à aujourd’hui et de ses déterminants.

8L’idée de faire de l’essaimage est née aux États-Unis dans les années 1970, où plusieurs grandes entreprises commencent à pratiquer le spin-off. Il existe dans ce contexte, des liens forts entre l’entreprise mère et l’entreprise essaimée. En effet, la plupart des projets voient le jour dans le domaine des hautes technologies, et se traduisent par la mise en commun d’avantages financiers et techniques. Daval (1998) explique que le spin-off est alors une nouvelle pratique pour les entreprises en quête d’adaptabilité face aux évolutions de plus en plus rapides des marchés.

9Peu de temps après les débuts du spin-off, plusieurs entreprises européennes en général et françaises en particulier ont commencé à pratiquer leur forme d’essaimage. Bien que s’inspirant du spin-off, l’essaimage s’en distingue au moins à deux niveaux. D’une part, l’essaimage implique la création d’une entreprise juridiquement indépendante de l’entreprise mère (Brenet, 2000 ; Daval, 2001). D’autre part, l’essaimage se traduit par la mise à disposition du porteur de projet d’un accompagnement pouvant prendre plusieurs formes (Daval, 2002). Classiquement, les grandes entreprises proposent aux porteurs de projet un accompagnement suivant une méthodologie en trois étapes : « une première phase de prise de contact où le projet est évalué, une deuxième phase où le projet est approfondi avec un accompagnateur attitré et enfin une dernière phase où le projet est soumis à un jury d’évaluateurs » (Laviolette, 2005, p. 61). La deuxième étape qui constitue le cœur de la phase d’accompagnement est qualifiée par Daval (2002, p. 165) de phase d’incubation dans la mesure où elle apporte aux salariés « les compétences et/ou les ressources, […] nécessaires pour accéder à l’entrepreneuriat ». Cette phase se traduit par un soutien méthodologique, notamment dans la réalisation d’un business-plan, une aide technique, un appui psychologique, et même dans certains cas un apport financier sous forme de subvention (Laviolette, 2005). En plus de ces soutiens techniques et financiers, l’entreprise mère va participer à la légitimation du nouvel entrepreneur dans son environnement. Comme l’explique Cullière (2005), la jeune entreprise manque de ressources externes, son institutionnalisation par une autre institution (comme l’entreprise mère) amoindrit le scepticisme dont elle est l’objet et facilite son acceptation sociale.

10Par ailleurs, les premières pratiques d’essaimage en Europe se sont développées dans un contexte bien différent de celui du spin-off d’outre-Atlantique. En effet, l’essaimage a commencé à se pratiquer en France dans l’urgence au début des années 1980, pour régler des problèmes de sureffectifs liés à la désindustrialisation. Face à une situation inédite depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les entreprises n’ont d’autre choix que de se séparer de pans entiers de leurs industries. Une des solutions choisies à l’époque fut d’aider une partie de leurs salariés à créer leurs propres entreprises, il s’agit de l’essaimage dit à chaud. Depuis les pratiques ont évolué, en 2000, six entreprises du CAC 40 créent l’association pour le développement de l’entrepreneuriat chez les salariés, baptisée DIESE (Développement de l’Initiative et de l’Entrepreneuriat chez les Salariés des Entreprises). Cette association regroupe aujourd’hui une quinzaine de membres (Ben Abdallah, Daly, 2008). Au niveau institutionnel, l’esprit entrepreneurial des salariés est encouragé dans ce qui est qualifié par opposition, d’essaimage à froid, en atteste la loi n° 2003-721 proposée par Renaud Dutreil (Ben Abdallah, Daly, 2008). Aujourd’hui, les cellules d’essaimage des grands groupes pratiquent indifféremment ces deux types d’essaimage. Descamps (2000) évoque à ce titre un essaimage « tiède ». Cela dit, déterminer la pratique en fonction de l’acteur qui en est à l’initiative reste un critère privilégié dans les typologies de différenciation des formes d’essaimage comme nous allons le voir.

1.1.2 – Les différentes approches de l’essaimage

11Les pratiques d’essaimage en se démocratisant vont devenir un objet d’étude pour les chercheurs dès les années 1980-1990. Une partie de ces travaux de recherche vont mettre en évidence l’existence de plusieurs typologies d’essaimage dans le contexte français, et différentes approches de l’essaimage s’y référant. Citons les travaux de Daval (1998) qui détermine quatre approches de l’essaimage en fonction de leur vocation finale et du niveau d’accompagnement par l’entreprise mère ; il s’agit des essaimages économique, stratégique, de gestion des ressources humaines, et entrepreneurial. Par la suite, Daval (2002) clarifiera le concept d’essaimage et ses différentes acceptations selon deux critères : l’acteur qui est à l’initiative du projet, et la proximité entre l’activité de l’entreprise et celle de l’entreprise essaimée. Il distinguera alors quatre types d’essaimage : l’essaimage de projet, l’essaimage de reconversion, l’essaimage par externalisation, et l’essaimage d’extraprises. Citons également les travaux de Vallet et Fattoum (2007) qui envisagent l’essaimage en fonction des trois principaux facteurs de motivation qui amènent une entreprise à mettre en place une cellule d’essaimage : la gestion des ressources humaines, la gestion de l’innovation et enfin, les facteurs liés au développement durable et la responsabilité sociale. Pour cette étude, nous retiendrons la typologie développée par Brenet (2000) qui s’articule principalement autour de trois critères : l’initiateur du processus d’essaimage, le mobile de l’essaimage, la connectivité avec l’entreprise mère une fois la nouvelle entreprise créée. Il résulte de cette approche des pratiques d’essaimage une typologie en quatre catégories : l’essaimage naturel, l’essaimage social, l’essaimage industriel, l’essaimage technologique (tableau 1).

Tableau 1

Typologie de l’essaimage (Brenet, 2000)

Tableau 1
Essaimage naturel Essaimage social Essaimage industriel Essaimage technologique Initiative Volonté isolée d’un salarié-entrepreneur Incitation de l’entreprise essaimante Mobile Projet personnel de l’entrepreneur Contribution à la création d’emplois Désinvestissement et impartition Désinvestissement et veille Relation engendrée A priori aucune, mais relation possible Relation d’aide Relation verticale à +/- LT Relation d’aide possible Relation de veille ou de coopération technologique Relation d’aide possible Formes des liens ou aides possibles Expertise projet Montage projet Appui financier Conseils divers Réseautage Engagement de commandes Lien financier Appui au management Participation financière Coopération technologique Accord/propriété industrielle Connectivité avec l’activité de l’entreprise essaimante Variable (peut être nulle) Variable (peut être nulle) Forte Forte Stratégie de l’entreprise essaimante Gestion de l’emploi Gestion de l’image Stratégie industrielle Stratégie d’innovation

Typologie de l’essaimage (Brenet, 2000)

12Nous mobilisons cette typologie en particulier pour deux raisons. D’une part, elle a le mérite d’avoir un spectre suffisamment large pour englober la plupart des pratiques d’essaimage définies dans les autres approches. Notons cependant l’absence du cas particulier de l’essaimage d’extraprises défini par Daval (2002, p. 163) comme une « activité envisagée par l’essaimé proche de son ancien employeur ». En raison du partage de deux critères principaux que sont l’initiative et le mobile avec l’essaimage naturel, nous faisons le choix d’intégrer l’essaimage d’extraprises à ce dernier. D’autre part, la typologie de Brenet (2000) adopte une posture pertinente en s’attachant à définir à la fois le mobile du processus d’essaimage et les relations entre l’entreprise mère et l’essaimé, ce qui laisse entrevoir les premiers liens pouvant exister entre pratiques d’essaimage et démarches de responsabilité sociétale des entreprises.

1.2 – La RSE : des fondements théoriques à la mise en œuvre

13Dans cette section, nous revenons sur les fondements historiques et théoriques de la RSE, avant d’évoquer les débats soulevés par sa mise en œuvre dans les entreprises et un relatif consensus autour de la norme ISO 26000.

1.2.1 – Les fondements de la RSE

14La question de la responsabilité des entreprises envers la société et réciproquement de la société envers les entreprises s’appuie sur des valeurs anciennes. Lépineux, Rosé, Bonnanni et Hudson (2010) font ainsi le lien avec l’encadrement des activités économiques dans les civilisations antiques d’Athènes et de Rome, ainsi qu’au précepte médiéval de « noblesse oblige ». L’industrialisation de l’Europe et des États-Unis au XIXe siècle amène les dirigeants des nouvelles grandes organisations à se poser la question de leur responsabilité envers la société. À cette époque encore, les mauvaises conditions de travail, les bas salaires, peuvent être imputés à la responsabilité des patrons. Mais c’est au début du XXe siècle, avec l’apparition nouvelle du dirigeant non propriétaire, que l’on voit peu à peu la responsabilité se transférer de l’individu à l’organisation, du chef d’entreprise aux actionnaires (Acquier, Gond, Igalens, 2005). Sur le plan académique, en 1953, Bowen publie ce qui aujourd’hui est considéré comme le premier ouvrage de référence traitant de la RSE : Social Responsibility of the Businessman. En cherchant à définir ce qu’est la responsabilité des hommes d’affaires, Bowen donne le premier cadre théorique de la RSE, et ouvre par la même occasion de nouveaux champs de recherche. Depuis, les publications sur la RSE se multiplient, devenant un thème de recherche à part entière au cours des années 1980. Par ailleurs, des associations académiques se sont créées, notamment en France (l’ADERSE : Association pour le Développement de l’Enseignement et de la Recherche sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise en 2002 et le RIODD : Réseau International de Recherche sur les Organisations et le Développement Durable en 2005).

1.2.2 – Intégration de la RSE et principes de l’ISO 26000

15Cette présence académique de la RSE est à remettre dans son contexte socio-économique. En effet, la période post-guerre froide voit l’hégémonie du paradigme libéral, et d’un certain nombre de problèmes que le modèle ne parvient pas à résoudre : délocalisations, crise financière, désastres environnementaux. Cette situation donne lieu symétriquement à une perte de légitimité des entreprises et à l’émergence du paradigme du développement durable (Combes, 2005). Les entreprises pour regagner leur légitimité et pour se montrer responsables doivent élargir leurs pratiques aux questions sociales et environnementales. Autour des démarches de RSE, trois débats mobilisent entreprises et chercheurs (Alberola, Richez-Battesti, 2005).

16La pensée de Bowen et les travaux de recherches associés sont tous empreints du contexte socio-culturel américain : le moralisme, la démocratie pluraliste, l’utilitarisme, mais surtout l’individualisme (Pasquero, 2004). Hommes d’affaires et chercheurs académiques américains ne peuvent envisager la responsabilité sociétale comme un ensemble de règles obligatoires et contraignantes pour les entreprises, lorsque pour eux l’échelon ultime de la RSE est l’entrepreneur-philanthrope (Caroll, 1979). Cette approche volontariste et culturelle de la RSE donne lieu à un premier débat. En effet, dans le cas de l’Europe, la possibilité pour les entreprises de s’inscrire volontairement dans une démarche RSE est limitée par les obligations légales déjà existantes. Dans le même temps, cette implication des gouvernements donne la possibilité aux entreprises d’ouvrir la RSE à de nouveaux champs d’actions, avec le soutien de plusieurs parties prenantes : ONG, partenaires sociaux (Lepineux, Rosé, Bonanni, Hudson, 2010). Ceci étant, le souhait d’un modèle de RSE contrainte reste minoritaire et, jusqu’à ce jour, n’a pas fait écho au sein des instances politiques (Hommel, 2006).

17Le deuxième champ théorique de la RSE est celui de la prise en compte des parties prenantes définie par Freeman (1984, p. 48) « The stakeholder approach is about groups and individuals who can affect the organization, and is about managerial behavior taken in response to those groups and individuals. » Cette théorie a ouvert plusieurs débats sur les difficultés de recensement des parties prenantes, la qualification de leurs attentes, leur hiérarchisation et des actions mises en œuvre pour y répondre. Derrière ce débat se pose la question des limites de la responsabilité de l’entreprise.

18Le dernier aspect de la démarche de la RSE qui se voit opposer une résistance réside dans la capacité que peut avoir une entreprise à concilier performance sociale et performance financière. Cette objection est l’un des aspects les plus controversés par les entreprises, car cela s’oppose au paradigme libéral, selon lequel la seule responsabilité des entreprises est de faire du profit (Friedman, 1970). Face à la position assurée par un cadre théorique fort de l’école de Chicago, plusieurs chercheurs ont essayé depuis de démontrer le lien entre performance sociétale et performance financière de l’entreprise. À titre d’illustration, nous pouvons citer les travaux de Caroll (1979) et son modèle tridimensionnel de la performance ; ceux de Orlitsky, Schmidt et Rynes (2003) pour leur méta-analyse sur la performance financière et la responsabilité sociétale ; ou encore Oliver (1991) qui s’appuie sur la théorie de la dépendance aux ressources, pour faire le lien entre la prise en compte des attentes des parties prenantes, et l’accès aux ressources dont l’entreprise a besoin pour être performante financièrement. L’une des approches les plus abouties pour faire le lien entre la logique financière de l’entreprise et les avantages que peuvent procurer les démarches RSE est celle du business case. Ben Yedder et Slimane (2010) mettent en avant deux raisons qui, selon eux, doivent inciter les entreprises à s’inscrire dans une démarche RSE. D’une part, en intégrant des démarches RSE, une entreprise peut améliorer son image et limiter les risques de mauvaise gouvernance, ce qui présente un avantage non négligeable à la fois pour les clients, mais aussi pour les actionnaires. D’autre part, sur le plan environnemental, l’entreprise en cherchant à compresser ses coûts énergétiques, peut contribuer à une meilleure rentabilité, ce à quoi les actionnaires sont sensibles. La problématique qui se pose alors dans le cas du business case est de savoir en combien de temps l’entreprise peut espérer bénéficier d’une réduction de ses coûts et d’un renforcement de son image (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2010).

19Afin d’opérationnaliser ces débats, plusieurs outils et guides ont été élaborés dans le but de faciliter l’intégration de démarches RSE au sein des entreprises. Les initiatives durant les années 2000 n’ont pas manqué : AS8000, SD21000, AA1000, Q-RES, GRI, (Delchet, 2006), mais elles ne répondent que partiellement aux dimensions couvertes par la RSE et/ou elles restent trop marquées par telle ou telle influence théorique. L’organisme international de standardisation (ISO) a élaboré, via la participation de dizaines de groupes de travaux venant de plus de 80 pays, la norme ISO 26000 portant sur la responsabilité sociétale des organisations. L’ISO 26000 présente au moins deux avantages, d’une part la norme fait consensus, d’autre part le guide n’est pas procédural. C’est-à-dire que la norme indique ce qui relève de la responsabilité sociétale, mais elle n’indique pas les actions menées pour le devenir, laissant cette liberté de pratique aux entreprises. L’objectif de cette recherche étant de comprendre de quelle manière les pratiques d’essaimage peuvent être qualifiées de pratiques sociétalement responsables, nous nous appuierons sur l’ISO 26000 et sur ses questions centrales, à savoir : les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local.

1.3 – Proposition d’un modèle de recherche articulant essaimage et RSE

20Pour l’élaboration de ce modèle, nous garderons à l’esprit que, pour être sociétalement responsable, une pratique se doit de répondre aux attentes des parties prenantes impactées, de minimiser les externalités négatives et si possible de valoriser les externalités positives, et nous conviendrons qu’elle s’inscrit dans les domaines d’action présentés dans l’ISO 26000.

21Les théories traitant de l’essaimage et de la RSE montrent que ces deux notions appartiennent à des réalités diverses, tant sur un plan strictement sémantique que dans leur mise en œuvre opérationnelle. Il semble donc hasardeux de comprendre l’essaimage comme étant une réalité appartenant strictement au champ d’action de la RSE, ou à l’inverse de rejeter tout lien existant entre les deux. Une approche plus nuancée permet en revanche de rechercher les points de contact selon les approches multiples de l’essaimage, et de déterminer les conditions requises pour que l’essaimage entre dans le cadre d’une démarche RSE.

22La littérature académique abordant les théories de la RSE et celles de l’essaimage met en évidence qu’une partie de leurs champs théoriques se croisent. C’est ce qu’Argot et Daval (2008) avancent en soulignant le fait que des pratiques d’essaimage peuvent être considérées comme étant les vecteurs de la RSE, et cela à deux niveaux : (1) une réponse aux attentes des salariés et (2) une participation au développement local. S’agissant des attentes des salariés, ces auteurs rappellent que l’essaimage peut s’avérer être un levier de motivation pour les salariés, que la mise en place d’une cellule d’essaimage peut offrir des perspectives aux salariés qui ne voient pas uniquement leurs carrières s’arrêter dans les murs de l’entreprise. Au niveau du développement local, les entreprises essaimées participent à la valorisation de l’esprit entrepreneurial sur le territoire, à la création de nouvelles entreprises, mais également à de nouveaux emplois et à de nouvelles richesses. Dans l’optique d’Argot et Daval, reprenons ces deux propositions point par point.

1.3.1 – L’essaimage et la RSE vis-à-vis des salariés

23Depuis le début de la révolution industrielle, le sort des salariés est intimement lié à celui des manufactures dans lesquelles ils travaillent. Leurs conditions de vie sont tributaires de leurs conditions de travail, et leur schéma de vie petit à petit devient durant le XXe siècle, un triptyque « étude (ou apprentissage/formation) – carrière – retraite ». Dans ce cadre, les perspectives d’avenir des salariés sont inéluctablement soumises à celles de l’entreprise. Le contexte postfordiste d’aujourd’hui a mis à mal ce modèle. Deux théories peuvent expliquer l’essor d’un autre modèle : le contrat psychologique et le basculement du contrat social. Le contrat psychologique est défini par Le Berre et Parez-Cloarec (2006) comme étant les attentes mutuelles qui existent entre les salariés et l’entreprise. Le contrat psychologique dépasse le contrat de travail. Dans l’organisation fordiste, il se traduit par la demande des salariés d’obtenir l’assurance d’une progression salariale (Le Berre, Parez-Cloarec, 2006). Aujourd’hui, en même temps que le modèle des organisations a évolué, les attentes des salariés ont changé. C’est ce qu’explique la théorie du basculement du contrat social. Ce basculement fait écho à la théorie des carrières nomades (Cadin, Bender, Saint Giniez, 2003) selon laquelle les carrières ne sont plus uniquement structurées par l’organisation, mais ceux sont aussi les carrières et l’aspiration des salariés à vouloir valoriser leurs compétences traditionnelles (savoir et savoir-faire), relationnelles et identitaires (Bender, Dejoux, Wechtler, 2009) qui vont participer à la structuration de l’organisation (Brenet, 2000). Ce changement de modèle se traduit par une « individualisation des carrières, une mobilité croissante, une différenciation des parcours professionnels » (Lépineux, 2006, p. 320). Dans ce modèle, le parcours du salarié est fractionné, il va chercher à orienter sa carrière en fonction des opportunités, que ce soit dans l’entreprise ou à l’extérieur ; l’essaimage rentre alors dans le champ des solutions possibles. Au constat de ce modèle, Le Berre et Parez-Cloarec (2006, p. 275) précisent que « l’individualisme participe et contribue à la structuration mentale des salariés et aux attentes implicites et explicites de leur vie professionnelle ». Il semble qu’il y ait donc deux théories qui à la fois s’opposent et peuvent se compléter. D’un côté, le salarié ne va plus attendre de l’entreprise qu’elle lui offre des opportunités de carrière et, en même temps, il maintient des attentes concernant sa vie professionnelle. Il semble donc intéressant de remarquer que l’essaimage se trouve justement être l’une des formes de réponse à cette double attente.

24L’essaimage semble être une réponse aux attentes des salariés au sujet de l’évolution de leur carrière, mais qu’en est-il de la RSE à ce propos ? Les théories de la RSE relatives à la gestion des ressources humaines confirment qu’il est du ressort de l’entreprise d’accompagner le salarié tout au long de son parcours dans l’entreprise. Précisément, la question centrale de l’ISO 26000 portant sur les relations et les conditions de travail donne deux domaines d’actions auxquels la pratique de l’essaimage peut faire référence. Il s’agit du domaine d’action 6.4.3 sur le dialogue social et du domaine d’action 6.4.5 sur le développement du capital humain (ISO, 2010). Le développement du capital humain qui, selon les lignes directrices de la norme susmentionnée, passe par la mise en œuvre de moyens permettant aux salariés de se développer sur les plans professionnels et personnels. Nous retrouvons ce discours auprès des praticiens de l’essaimage. Les professionnels de l’association DIESE déclarent qu’une bonne pratique de l’essaimage ne doit pas être discriminante, et qu’elle doit se traduire par un soutien à tous les salariés-porteurs de projets, que ce soient les « meilleurs éléments », comme ceux qui ne s’épanouissent pas au sein de l’entreprise (DIESE, 2005).

1.3.2 – L’essaimage et la RSE vis-à-vis des communautés locales

25Le deuxième niveau d’analyse sur lequel le rapprochement entre pratique d’essaimage et démarches RSE porte sur la participation au développement local. En effet, la communauté locale dans laquelle est implantée une entreprise est l’une des parties prenantes externes les plus importantes. Par communauté locale nous nous référons ici à sa définition par l’ISO 26000 (2010, p. 73) comme étant « la zone géographique où se situe une implantation résidentielle ou toute autre implantation humaine, à proximité physique des sites ou des zones d’impacts de l’organisation. La zone et les membres de la communauté affectés par les impacts induits par une organisation dépendront du contexte et notamment de l’importance et de la nature de ces impacts. » Plus largement, le terme de communauté renvoie à un groupe de personnes qui partagent des caractéristiques et un référentiel commun, comme c’est le cas des communautés de pratiques, par exemple (Wenger, 1998). Si nous nous concentrons sur le contexte industriel français, les attentes des communautés locales envers les entreprises sont conséquentes : souhait d’ancrage territorial, participation aux projets, soutien au développement économique (IMS, ORSE, 2006). La mise en œuvre de pratiques d’essaimage au sein d’une entreprise peut être analysée comme un moyen de répondre aux attentes des communautés locales sur le plan économique. Ce présupposé que l’essaimage participe au développement local est notamment avancé par l’association DIESE (2002). Atitallah et Paturel (2010, p. 1) corroborent la position de DIESE : « Dans le cas de l’essaimage à froid, ce phénomène peut concourir au développement économique de l’entreprise essaimante. Il permet alors de créer un tissu de TPE et PME-PMI qui participent au développement de nouveaux marchés ou de nouvelles technologies dans les meilleures conditions. En plus, il facilite l’ouverture de l’entreprise sur le monde en favorisant le développement local, en créant de l’emploi et en encourageant l’esprit d’entreprise. »

26Pour comprendre les liens qui existent entre une entreprise essaimée et le développement économique local, deux arguments peuvent être apportés à l’analyse. D’une part, d’après la mission d’étude sur l’essaimage (Mission interministérielle sur les mutations économiques, 2004), les pratiques d’essaimage sont de fait en relation avec les acteurs locaux : chambres consulaires, institutions régionales, départementales… Cette proximité entre l’accompagnement de l’entreprise essaimeuse et le soutien des acteurs locaux dans la création d’entreprises témoigne de l’intérêt commun porté au développement économique local. D’autre part, Gasse (2003), au travers de son étude sur l’influence de la proximité dans la création d’entreprises, apporte le deuxième argument. Selon cet auteur, la création de nouvelles entreprises sur un territoire va participer au développement local en valorisant les ressources et les talents qui y sont présents et en créant de nouveaux emplois. Ces éléments valident les liens entre essaimage et développement local, mais sont soumis à la condition que les projets portés par les salariés s’inscrivent dans le territoire. Ainsi, le lieu d’implantation de l’entreprise mère peut conditionner la localisation de l’entreprise essaimée. Ce comportement de l’entrepreneur s’explique par un effet de proximité, ce dernier va en effet trouver du soutien grâce à ses réseaux, à la connaissance du marché… De même que pour la réponse aux attentes des salariés, l’ISO 26000 nous permet de confronter la pratique de l’essaimage et les réponses qu’elle apporte avec le cadre de la RSE. Le domaine d’action 6.8.1 portant sur l’implication auprès des communautés, et le domaine d’action 6.8.5 portant sur la création de richesses et de revenus, ce qui passe par la création d’entreprises (ISO, 2010), couvrent bien les pratiques d’essaimage telles que décrites précédemment.

27Les éléments théoriques qui viennent d’être apportés à l’étude se sont limités au cadre de l’essaimage naturel et technologique. Il semble pertinent d’élargir le spectre de l’analyse au contexte plus délicat de l’essaimage industriel et de l’essaimage social. L’essaimage industriel et social fait référence aux projets de création d’entreprises portées par des salariés dans le cadre de reclassement, en vue de la suppression de leurs postes, souvent dans un contexte de restructuration ou de délocalisation. Pour bien comprendre quels peuvent être les impacts de ces suppressions d’emplois, et comment l’essaimage peut s’inscrire dans une démarche sociétalement responsable, il semble pertinent de définir ce qu’est une restructuration. Le downsizing ou réduction d’effectifs peut être défini comme étant les moyens dont dispose une entreprise pour réduire volontairement et de manière conséquente le nombre de ses salariés, dans le but de rendre l’organisation plus efficiente (Noël, 2005). Si les critères de cette efficience (productivité, rentabilité, etc.) peuvent être discutés, cette approche de la restructuration renvoie la relation salarié/entreprise à sa définition la plus simple, à savoir l’échange d’une force de travail contre une rémunération sans autre considération sociale. Noël précise que le type de downsizing dont il est fait mention dans son étude est le cas de restructurations où les seules parties prenantes prises en considération sont les actionnaires. Or Noël montre que les restructurations en plus d’impacter les salariés qui voient leurs postes supprimés, vont également générer des externalités négatives pour les communautés locales (baisse du pouvoir d’achat et des revenus imposables), mais également pour les salariés dont le poste est maintenu, qui continuent de travailler dans des conditions stressantes. Dans un contexte de restructurations qui affectent tant certaines parties prenantes, l’essaimage peut-il être un moyen pour rendre une réduction d’effectifs plus responsable sociétalement ?

28Faire un parallèle théorique entre une situation de restructuration et des démarches RSE implique que les concepts peuvent être compatibles sur certains de leurs aspects, et qu’ils ne s’opposent pas systématiquement. Pour Ben Yedder et Slimane (2010), il n’y a pas une opposition constante et cela pour deux raisons. D’une part, le choix de la restructuration peut être une solution difficile qui s’impose à l’entreprise. D’autre part, l’entreprise peut se préoccuper de la carrière et du devenir des salariés victimes du plan de restructuration. Jounot (2010) montre qu’il peut y avoir une compatibilité entre la réduction d’effectifs et les démarches sociétalement responsables d’une entreprise. Cela peut être imposé dans un cadre légal, lorsqu’il s’agit de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), mais ces démarches peuvent également être à l’initiative des entreprises. Il prend pour exemple le code de conduite dont se sont dotés les industriels du sucre, et qui tient en huit grands principes RSE, dont les restructurations responsables. Ces restructurations responsables passent par la prise en compte des parties prenantes et de leurs intérêts, dans le cas présent il s’agit des salariés (IMS, 2006). Noël (2005, p. 65) traduit cette nécessité par ce qu’il appelle une restructuration efficace, qui ne peut fonctionner « si et seulement si, elle est mise en œuvre de façon à minimiser les effets pervers, au travers notamment du respect des contrats psychologiques et sociaux conclus plus ou moins tacitement entre l’entreprise et ses parties prenantes ». Par ailleurs, l’essaimage même lorsqu’il a lieu dans un contexte particulier de downsizing participe plus que les autres projets de création d’entreprises au développement local. Brenet (2000) précise que les entreprises essaimées, en plus d’avoir un taux de survie supérieur à la moyenne, contribuent en moyenne à la création de cinq nouveaux emplois au cours de leurs trois premières années d’activité contre trois nouveaux emplois en moyenne pour la globalité des entreprises créées.

1.3.3 – Proposition d’un modèle de pratiques d’essaimage leviers de RSE

29Le rapprochement théorique entre l’essaimage et les démarches RSE a permis de mettre l’essaimage en perspective d’au moins deux des débats centraux de la RSE. En effet, les pratiques d’essaimage pouvant être tout à la fois une réponse aux obligations légales dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, ou un choix délibéré de l’entreprise et d’un salarié. Autrement dit, ces pratiques couvrent tant les approches volontaristes qu’interventionnistes de la RSE. Ces différentes pratiques d’essaimage apportent également un cadre au périmètre de prise en compte par l’entreprise des attentes des parties prenantes. Finalement, cette exploration théorique nous permet d’avancer que l’essaimage naturel peut être qualifié de pratique RSE l’essaimage technologique à l’inverse semble davantage éloigné d’une prise en compte du capital humain du salarié porteur de projet, et du développement local. L’essaimage industriel s’inscrit dans une prise en considération du territoire en amont du retrait de l’entreprise mère. Enfin, la qualification de l’essaimage social comme pratique sociétalement responsable est complexe. En effet, l’essaimage social comprend les situations de PSE au cours desquelles les accords légaux soumettent l’entreprise mère à être sociétalement responsable, selon une approche contrainte de la RSE (hard-law). Hors PSE, c’est une approche de l’essaimage qui peut donner lieu à un véritable engagement volontaire de l’entreprise, lorsqu’elle ne prend pas uniquement en considération les actionnaires, mais qu’elle élargit l’étude de l’impact de ses actions à d’autres parties prenantes, notamment la communauté locale. Néanmoins, c’est aussi sous cette approche de l’essaimage que l’on retrouve les pratiques critiquées durant les années 1980, comme étant un moyen rapide de réduire le nombre d’effectif avec un accompagnement limité (tableau 2).

Tableau 2

Typologie des pratiques d’essaimage sociétalement responsables

Tableau 2
Développement du capital humain du salarié Implication dans les communautés et développement local Pratique pouvant être qualifiée de sociétalement responsable Essaimage technologique Variable Variable (peut être nulle, concentration vers des territoires spécifiques type clusters) L’essaimage technologique ne présente pas en l’état les caractéristiques d’une pratique qualifiable de RSE. Essaimage naturel Oui Éventuellement L’essaimage naturel en accompagnant le salarié dans son projet et dans le développement et la valorisation de ses compétences peut être perçu comme une pratique RSE. Essaimage industriel Variable Oui La prise en compte de son désengagement d’un territoire en amont par l’entreprise témoigne d’une pratique RSE. Essaimage social (PSE) Oui Oui Dans un cadre particulier que l’on peut qualifier de régulationniste, l’essaimage social peut être considéré comme RSE contrainte (hard-law). Essaimage social (Hors PSE) Variable Variable L’essaimage social hors plan de sauvegarde est la pratique la plus discutable en termes de responsabilité sociétale. Elle s’étend des pratiques RSE volontaires, à un essaimage outil de réduction des effectifs sans autre prise en compte.

Typologie des pratiques d’essaimage sociétalement responsables

30Sur la base de ce modèle théorique, la seconde partie de l’article aura comme objectif d’en tester la validité empirique au travers d’un jeu de quatre propositions :

31Proposition 1 : Les facteurs de motivation de la création d’une cellule d’essaimage peuvent relever de valeurs RSE.

32Proposition 2 : Dans sa forme actuelle, la cellule d’essaimage participe au développement local.

33Proposition 3 : Les pratiques d’essaimage participent au développement du capital humain.

34Proposition 4 : Il existe un contrôle et un suivi des créations d’entreprises permettant de mesurer l’efficacité de l’essaimage.

2 – Une étude empirique sur le terrain français

35Dans cette deuxième partie de l’article, nous présentons la méthodologie de recherche utilisée pour tester notre modèle (2.1). Nous développons ensuite les résultats des études qualitative et quantitative (2.2). Enfin les quatre critères de test de notre modèle font l’objet d’une discussion, visant à éprouver la fiabilité de ce dernier (2.3).

2.1 – Méthodologie de recherche

36L’objet de recherche de cet article est de proposer un modèle théorique des pratiques d’essaimage comme leviers de responsabilité sociétale, puis de tester la fiabilité de ce modèle en le confrontant à une étude empirique. La méthodologie déployée pour valider ce modèle est une exploration couplant une étude qualitative et une étude quantitative. Du fait de notre démarche exploratoire et de la particularité de notre sujet qui associe essaimage et RSE, une monographie axée autour de la cellule d’essaimage d’une entreprise industrielle française et ouverte sur des sources multiples est appropriée (Yin, 1994). L’étude qualitative nous permet de recueillir des informations sur le fonctionnement de la cellule d’essaimage au travers du discours de trois acteurs clés. L’étude quantitative a comme objectif de nous apporter des données nous permettant d’évaluer l’efficacité des pratiques d’essaimage d’après la perception qu’en ont les salariés porteurs de projets. Nous nous appuierons également sur plusieurs données secondaires collectées auprès de l’entreprise étudiée : rapport d’activité, rapport développement durable, documents de communication de la cellule d’essaimage. Ces documents nous permettront de mettre en perspective les discours relevés lors de l’étude qualitative et la manière dont la cellule d’essaimage est présentée par l’entreprise. Cette triangulation des informations (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, Jolibert, 2008) nous permet d’observer et d’analyser la pratique de l’essaimage, à la fois au travers de la perception des acteurs, et de la communication qui est faite par l’entreprise, et à la fois en croisant des données internes et externes à la structure d’essaimage. Cette méthodologie a été choisie, car elle nous permet de confronter notre modèle sur les quatre propositions précédemment énoncées, aux données empiriques. Nous présenterons ici, le cas étudié, et la méthode de collecte de données pour les deux études.

37Pour des raisons de confidentialité, le nom de l’entreprise ne sera pas cité, nous le rendons anonyme par l’appellation « INDUS » dans la suite de l’article. Nous pouvons cependant préciser qu’il s’agit d’une entreprise industrielle française historique, faisant partie du CAC 40 et présente sur les marchés européens, nord-américains et asiatiques. L’entreprise a débuté la pratique de l’essaimage durant les années 1980 dans le cadre de restructuration et de manière non institutionnalisée. Aujourd’hui, l’entreprise continue de pratiquer l’essaimage, mais elle a mis en place une cellule destinée à l’accompagnement des salariés, qui est ouverte à tous les travailleurs français du groupe ayant plus de trois ans d’ancienneté au sein d’INDUS. La cellule d’essaimage se compose d’une direction située au siège social du groupe en région parisienne, et de deux antennes régionales afin d’être le plus près possible des salariés désireux de s’orienter vers un projet entrepreneurial. Chaque antenne comprend un directeur et des chargés de mission. L’accompagnement se divise en quatre étapes : l’aide à l’élaboration du business plan, des conseils (commerciaux, juridiques, financiers…), l’attribution d’une subvention après examen du projet devant un jury, et un suivi post-création pendant trois ans. Parallèlement à cette institutionnalisation de l’essaimage, l’entreprise s’est dotée d’une direction du développement durable. Depuis peu, la cellule d’essaimage y est d’ailleurs rattachée.

38L’étude qualitative nous a permis de collecter des informations au cours de trois entretiens semi-directifs, permettant ainsi aux interviewés de développer leurs idées librement (Fenneteau, 2007), sur la base des thèmes de l’exploration théorique, à savoir : les liens entre l’essaimage et les attentes des salariés et des communautés, l’essaimage dans le cadre d’une application légale, les facteurs de motivation de la mise en place de la cellule d’essaimage, la légitimité de la place de la cellule d’essaimage au sein de la direction du développement durable, les indicateurs de performance. La première personne interviewée est le directeur de la cellule d’essaimage. Il est le plus à même d’apporter des informations concernant le processus d’institutionnalisation de l’essaimage, des choix de la direction concernant ses pratiques. Nous avons recueilli le témoignage de deux experts externes à la structure d’essaimage, qui portent un regard global sur les pratiques d’essaimage des grands groupes français et qui du fait de leurs relations connaissent précisément les particularités de la cellule d’essaimage d’INDUS. D’abord, nous avons rencontré le président de l’association DIESE qui porte un regard global sur les pratiques d’essaimage des grands groupes français. Puis, nous avons consulté la directrice des partenariats entreprises et territoire de l’Institut du Mécénat de Solidarité (IMS), qui accompagne régulièrement des entreprises souhaitant s’impliquer dans le volet territorial de la RSE. En préalable de l’analyse des discours, un codage thématique a été utilisé à l’échelle du mot, permettant ainsi une analyse qualitative de façon descriptive et comparative dans le but de comprendre la perception que les acteurs ont du phénomène étudié (Fenneteau, 2007), notamment sur les facteurs de motivation qui ont amené à la création d’une structure d’essaimage et sur l’impact de ces pratiques pour les communautés locales.

39Le recueil des données de l’étude quantitative a été réalisé auprès d’un échantillon de 93 anciens salariés d’INDUS, accompagnés au cours de leurs créations d’entreprises par la cellule d’essaimage. Les informations portent sur l’efficacité des pratiques d’essaimage, ainsi que sur la pérennité des entreprises créées. L’évaluation de cette efficacité passe par la prise en considération autant des facteurs clés de succès des projets, que de la compréhension des freins à la réussite et des raisons des échecs. Le choix des sondés s’est fait de manière aléatoire parmi la base de données de la cellule d’essaimage, mais nous avons volontairement choisi 50 anciens salariés dont l’entreprise créée est encore en activité et 43 porteurs de projets qui ont subi un échec dans les trois ans qui ont suivi le lancement de leur création. Notre enquête s’appuyant sur deux panels relativement différents, nous avons diffusé deux questionnaires composés chacun de 10 et 12 questions majoritairement à choix simple portant sur les facteurs clés de succès, les difficultés rencontrées, ou encore sur le jugement porté sur l’accompagnement par la cellule d’essaimage. Cette étude quantitative a également permis de dresser une typologie des créateurs en fonction de leur âge, de leur catégorie professionnelle en tant que salariés d’INDUS, et par secteur d’activité de l’entreprise créée. Les données ont enfin été analysées à l’aide du logiciel Ethnos 3.5, nous permettant d’étudier les variables statistiques (De Singly, 2008).

2.2 – Présentation des résultats

40Nous présentons tour à tour les résultats les plus pertinents issus de l’étude qualitative, puis de l’étude quantitative. Ces éléments sont ensuite discutés et mis en perspective avec notre modèle théorique.

2.2.1 – Résultats de l’étude qualitative

41Les résultats de l’étude qualitative permettent de mettre en évidence trois éléments caractéristiques et cruciaux de la cellule d’essaimage d’INDUS. La compréhension des facteurs de motivation nous apprend que l’essaimage d’INDUS comprend une double vocation. De plus, la cellule d’essaimage est indépendante de la direction générale, ce qui en fait un cas atypique. Enfin, les résultats mettent en relief le niveau de prise en compte des salariés et des communautés locales lors du processus d’essaimage.

42Les résultats de l’étude détaillent les facteurs de motivation qui ont amené INDUS à pratiquer l’essaimage et à institutionnaliser ses pratiques au sein d’une cellule d’essaimage. Les informations collectées auprès du directeur de la cellule d’essaimage précisent que l’essaimage a ici une double vocation : il est utilisé dans le but d’ouvrir aux salariés leurs perspectives de carrière, mais également d’anticiper sur un éventuel plan de sauvegarde de l’emploi. Cette double vocation est la résultante de la mise en œuvre des premières pratiques d’essaimage du groupe, dans l’urgence, dans une situation de restructuration importante. Depuis, l’essaimage a perduré, mais dans le but de répondre aux attentes des salariés, et de conserver un effet d’expérience sur ces pratiques de sorte qu’en cas d’essaimage social, l’entreprise puisse être exemplaire. Cet échange apporte aussi des éléments d’explication du rattachement de la cellule d’essaimage à la direction du développement durable. De son propre aveu, le directeur de la cellule d’essaimage estime que les raisons qui expliquent cette situation sont essentiellement à imputer à la personnalité des dirigeants : « Les raisons qui ont amené INDUS à inclure l’essaimage au développement durable sont à la fois le fait que l’essaimage est tourné vers l’extérieur, mais également le fait que c’est lié à la personnalité des présidents d’INDUS. » Cela dit, il reconnaît aussi qu’il y a une indépendance souhaitable avec les autres directions, et que la cellule d’essaimage ne pourrait être utilisée pour faciliter le départ un peu forcé d’un salarié. Enfin, le directeur évoque la perception qu’il a de l’efficacité de la cellule d’essaimage. On peut l’aborder selon lui de deux manières. D’une part, l’efficacité se mesure en observant les apports de l’essaimage pour les communautés. Cette observation se limite aux indicateurs de survie des entreprises, et de créations d’emplois. D’autre part, l’efficacité peut aussi se mesurer du côté de l’entreprise essaimeuse. À ce propos il déclare : « Il n’y a pas de retour sur cet investissement qui économiquement serait profitable à INDUS. » Cette déclaration nous apprend qu’INDUS ne soutient pas de projet d’essaimage dont elle serait l’instigatrice, comme c’est le cas lors d’un essaimage classique. Néanmoins, et même si l’entreprise étudiée ne pratique pas d’essaimage technologique, elle sensibilise les salariés-porteurs de projet à évoluer dans la même filière qu’elle, créant ainsi un réseau sur les territoires.

43Quant au directeur de DIESE, le rattachement de la cellule d’essaimage à la direction du développement durable est un cas tout à fait unique. Mais de sa propre observation, il y voit le même intérêt que le directeur de la cellule, à savoir une certaine indépendance, mais aussi un modèle culturel que l’on ne peut ignorer : « L’avantage d’avoir intégré à la direction du développement durable la cellule d’essaimage, c’est que cela permet d’être neutre et indépendant. A contrario, ce cas est franco-français et difficilement exportable, car il répond au modèle social français (subventions des projets, licenciements primés). » Cela dit, il n’exclut pas le transfert de cette organisation à d’autres entreprises, il encourage d’ailleurs les autres groupes à suivre cet exemple atypique. Comme le directeur de la cellule d’essaimage d’INDUS, il avance que les indicateurs en dehors de la survie de l’entreprise restent faibles, et que le principal travail d’amélioration, mais aussi le plus délicat est celui du suivi. Le plus délicat techniquement, mais aussi sur le plan humain puisqu’il s’agit d’anciens salariés avec qui les liens vont s’amoindrir au fil du temps.

44Enfin, selon la directrice des partenariats entreprises-territoires de l’IMS, la place de la cellule permet d’éviter une confusion des genres en la séparant de la partie « business », et témoigne ainsi de la responsabilité dont l’entreprise fait preuve vis-à-vis de ses salariés. De la même manière, elle souligne en connaissance de cause que les pratiques d’essaimage d’INDUS répondent aux attentes des communautés locales, qui reconnaissent les démarches de l’entreprise : « On se rend compte que les pouvoirs publics ont une pression de plus en plus forte lors de l’implantation d’une entreprise sur leur territoire, et que leurs attentes sont grandissantes. Pour autant, l’efficacité de l’ancrage territorial se décline des salariés, aux pouvoirs publics jusqu’à la communauté locale où l’entreprise a de fait le moins de prise. L’un concourant à l’autre, le fait de répondre aux attentes des salariés permet de réduire la pression des pouvoirs publics et par là même de satisfaire également aux attentes des communautés. En ce sens, une entreprise comme INDUS prend la problématique de l’ancrage territorial par le bon bout, en se préoccupant avant tout des salariés et notamment via l’essaimage, qui rejaillit sur les pouvoirs publics et sur les communautés locales. » Enfin, elle fait le constat que dans le cas de départ des territoires et en réponse aux obligations légales, les entreprises évitent des situations compliquées lorsqu’elles mettent en place en amont un certain nombre d’outils nécessaires, l’essaimage en faisant partie.

2.2.2 – Résultats de l’étude quantitative

45Les résultats de l’étude qualitative nous apportent des éléments de compréhension sur l’organisation des pratiques d’essaimage de l’entreprise étudiée. Dans leurs prolongements, les résultats des enquêtes quantitatives nous permettent d’observer l’efficacité de la cellule d’essaimage au travers des facteurs de réussite des entreprises essaimées et de l’importance de l’accompagnement. Les résultats font également état des situations d’échecs des entreprises essaimées et de la responsabilité relative de la cellule d’essaimage. Enfin, l’étude quantitative témoigne de la perception positive qu’ont les anciens salariés de la cellule d’essaimage.

46Les résultats des deux enquêtes quantitatives nous permettent d’apprécier l’efficacité perçue de la cellule d’essaimage par les anciens salariés d’INDUS. De leur point de vue, cette efficacité se mesure au niveau de l’aide qui leur a été apportée. D’après les créateurs encore en activité, un des facteurs qui a le plus contribué à leur réussite est l’accompagnement de leur projet de création par les chargés de mission de la cellule d’essaimage (cité à 68 %). Cette tendance forte souligne l’importance de la cellule d’essaimage dans la réalisation des projets, elle exprime l’efficacité de l’accompagnement au moins pour cet échantillon. Pour ce même échantillon, le facteur de réussite le plus cité, c’est la connaissance du marché et des clients, pour 72 % des répondants. Sachant que la quasi-totalité des porteurs de projets ne changent pas de territoire pour leur création d’entreprises, la perception qu’ils ont de leur propre réussite, corrobore la thèse de Bouba-Olga et Grossetti (2006) sur les liens entre proximité et entrepreneuriat. Les capacités d’investissement ainsi que les compétences techniques ne viennent qu’après la connaissance du marché et l’accompagnement parmi les facteurs de réussite. En effet, ils ne sont cités que par un entrepreneur sur deux.

47En parallèle, l’étude quantitative apporte des éléments de compréhension sur les raisons des échecs de certains créateurs. Seuls deux créateurs sur trois ont dû arrêter leur activité à cause de difficultés trop importantes. Cela vient relativiser un potentiel manque d’efficacité de la cellule d’essaimage, puisqu’un créateur sur trois a mis fin à son projet pour des raisons personnelles. S’agissant de ceux qui ont rencontré des difficultés dans leur activité, les principales causes d’échec sont communes à celles que peut rencontrer tout type d’entrepreneur, à savoir une faible progression de l’activité commerciale, et des problèmes de trésorerie (Mc Grath, 1999 ; Singh, Corner et Pavlovich, 2007). De manière plus marginale, les difficultés qui ont poussé les entrepreneurs à mettre fin à leur activité relèvent selon eux d’un mauvais choix pour leur zone d’implantation (11 % des répondants), ainsi que des problèmes de ressources humaines (7,4 %), et enfin des difficultés d’ordre technique (3,7 %). Malgré ces situations d’échecs, plus de 60 % des entrepreneurs ayant mis fin à leur activité n’estiment pas que l’accompagnement dont ils ont bénéficié n’était pas suffisamment complet.

48Enfin, les résultats de l’étude font état du jugement porté sur les moyens mis en œuvre par la cellule d’essaimage dans le déploiement de l’accompagnement. L’étude montre que indifféremment de leur situation, et pour les deux populations sondées, les anciens salariés estiment que c’est la subvention qui a le plus apporté à la réalisation de leur projet, suivi de l’accompagnement par le chargé de mission sur l’élaboration du business plan et enfin les conseils (tableau 3). Les actions de la cellule d’essaimage ne se jugent pas uniquement sur la qualité de l’accompagnement durant la phase de création, mais également sur le suivi post-création. À ce sujet, les salariés-porteurs de projets (les deux populations de sondés confondues) affirment que le suivi post création était tout à fait positif (70 % des sondés), et moins de 10 % d’entre eux le jugent comme étant insuffisant. Enfin, un peu plus de 20 % des individus de l’échantillon auraient souhaité un accompagnement plus important par la cellule d’essaimage durant cette phase post-création.

Tableau 3

Utilité perçue des moyens mis en œuvre de la cellule d’essaimage pour les créateurs encore en activité et pour les créateurs ayant arrêté leur activité

Tableau 3
Créateurs encore en activité Cité en 1 Cité en 2 Cité en 3 Les conseils L’accompagnement business plan La subvention Créateurs ayant arrêté leur activité 8 % 22 % 70 % 28 % 64 % 8 % 64 % 14 % 22 % Les conseils L’accompagnement business plan La subvention 4,65 % 18,6 % 76,7 % 27,91 % 55,81 % 16,28 % 67,44 % 25,58 % 6,98 %

Utilité perçue des moyens mis en œuvre de la cellule d’essaimage pour les créateurs encore en activité et pour les créateurs ayant arrêté leur activité

2.3 – Analyse et discussion des résultats

49Notre modèle a été testé selon les quatre propositions définies précédemment : les facteurs de motivation de la mise en place d’une cellule d’essaimage peuvent relever d’un sentiment de responsabilité sociétale (P1), la prise en compte et la réponse aux attentes des communautés locales (P2) d’une part, et des salariés (P3) d’autre part, et enfin l’efficacité des pratiques d’essaimage (P4).

2.3.1 – Place et légitimité de la cellule d’essaimage dans l’organisation

50Nous observons au travers des témoignages recueillis que la cellule d’essaimage de l’entreprise étudiée s’est bien approprié des valeurs de responsabilité sociétale, et c’est ce qui justifie son intégration à la direction du développement durable d’INDUS.

51La mise en place d’une structure d’essaimage au sein d’INDUS, et son institutionnalisation sont portées par des facteurs de motivation relevant de valeurs RSE. En effet, les verbatim issus de l’étude qualitative le montrent, ce qui abonde dans le sens de notre première proposition. Le directeur de la cellule d’essaimage l’exprime dans son témoignage, la direction d’INDUS souhaite prendre en compte ses externalités négatives. Les restructurations des années 1980, et leurs impacts pour les salariés et les territoires en font partie. Cette prise en compte par la direction d’INDUS, participe à la mise en œuvre des démarches RSE de l’entreprise (Crouch, 2006). Le regard neutre que porte l’IMS sur les pratiques de l’entreprise étudiée le montre également, l’entreprise est attentive aux attentes de ses salariés, et elle cherche simultanément à répondre aux attentes des territoires, ou tout au moins à maîtriser ses externalités. « L’analyse que nous avons faite depuis des années sur le fonctionnement d’INDUS, c’est qu’il est vraiment très atypique en matière de développement durable. Ce n’est pas qu’une chambre d’enregistrement des bonnes pratiques pour le rapport développement durable. L’intérêt, c’est d’avoir une direction du développement durable qui touche à tout. » Le rapport annuel du développement durable de l’entreprise témoigne de l’étendue de ses démarches RSE. Il y est notamment indiqué que la structure d’essaimage fait partie des moyens dont l’entreprise dispose pour mettre en œuvre ces missions de développement économique régional. Bien que l’évocation de la cellule d’essaimage au sein du rapport développement durable relève de la communication, il n’en demeure pas moins que l’entreprise affiche tant pour ses parties prenantes internes, qu’externes qu’elle s’engage pour le territoire au travers de l’essaimage (Argot, Daval, 2008), s’exposant ainsi aux jugements de l’efficacité de ses pratiques. Par ailleurs, cette communication sur les pratiques d’essaimage n’est pas anodine. D’abord parce qu’elle n’est pas détachée de la réalité puisque la cellule d’essaimage est dans les faits sous l’égide de la direction du développement durable d’INDUS. De plus, la diffusion de ce type de pratiques d’essaimage au sein du rapport développement durable participe à l’institutionnalisation de la RSE au sein de l’entreprise (Quairel, 2007). Enfin, cette situation procure à la cellule d’essaimage une indépendance tout à fait remarquable, car en étant séparée de la direction des business units, elle n’est pas soumise aux choix stratégiques de l’entreprise comme en attestent les témoignages recueillis au cours de notre étude.

52Le choix qui a été fait de rattacher la cellule d’essaimage à la direction du développement durable par la direction d’INDUS semble cohérent à la lecture des trois témoignages, il n’en demeure pas moins que cette situation reste spécifique à l’entreprise étudiée. La directrice des partenariats entreprises & territoires de l’IMS voit dans la construction de la direction du développement durable d’INDUS une vraie volonté politique de la direction, permettant d’appuyer des projets comme celui de l’essaimage, et de le rendre cohérent avec d’autres projets de l’entreprise (favoriser l’embauche des apprentis de l’entreprise dans les entreprises essaimées, ou faire le relais entre ces dernières et les jeunes en difficulté sur ses territoires d’implantation). La pratique de l’essaimage et sa place dans l’organisation ne sont pas une initiative isolée, elle fait partie d’un ensemble de programmes destinés aux salariés et au développement économique des territoires. Par ailleurs, cette situation d’indépendance vis-à-vis des business unit de l’entreprise, permet à la cellule d’essaimage d’accompagner les salariés en toute confidentialité, et quel que soit leur « niveau d’importance » dans l’entreprise. Pour autant, ce mode d’organisation n’est pas la règle générale, et même si l’essaimage trouve sa place au sein du développement durable, il ne semble pas que ce modèle puisse facilement se diffuser, comme le souligne le directeur de l’association DIESE : « INDUS est le seul groupe de DIESE à avoir intégré sa cellule d’essaimage à la direction du développement durable. La plupart des autres membres de DIESE trouvent cette démarche cohérente et tout à fait intéressante. Cependant, il reste peu probable qu’un changement dans ce sens s’opère dans les autres groupes, car la décision de déplacer le système d’essaimage est très politique. » Même si nous observons ici un cas atypique, nous postulons que la pratique de l’essaimage peut relever de valeurs RSE. La suite du test de la fiabilité de notre modèle aura comme objectif de mettre en relief la capacité de la cellule d’essaimage à traduire ces valeurs RSE de la prise en compte des attentes des salariés et des territoires, en pratiques.

2.3.2 – Essaimage et développement local

53L’analyse qui suit l’exploration empirique nous permet de tester notre deuxième proposition en faisant le lien entre l’essaimage et le développement local (P2), et cela à deux niveaux : (1) comment l’essaimage peut être vecteur d’ancrage territorial et (2) son impact sur le territoire, à savoir la création d’emplois.

54Notre modèle théorique met en avant le fait que les pratiques d’essaimage permettent aux entreprises de prendre en compte une partie des attentes de leurs salariés et des communautés locales. Nous observons dans cette partie comment l’essaimage peut être un vecteur d’ancrage territorial au travers des témoignages recueillis. Le directeur de la cellule d’essaimage rappelle qu’au moment de sa création, le directeur d’INDUS, souhaitait mettre en place des outils permettant à l’entreprise d’assurer sa responsabilité dans ses bassins d’emplois, en soutenant les PME-PMI au travers du développement local, et aussi en maîtrisant les externalités négatives causées lors du départ d’un territoire. Cette vision de l’essaimage est partagée par le président de l’association DIESE, qui déclare : « L’ancrage territorial est pour DIESE l’un des points les plus mis en avant auprès des parties prenantes. Le but est de montrer que l’essaimage peut être un moyen de casser la dynamique de désindustrialisation, non en la stoppant, mais en mettant en place des moyens de maintenir les bassins d’emplois. » Pour le directeur de DIESE, l’essaimage est un vecteur d’ancrage territorial pour deux raisons ; il renforce le dialogue avec les acteurs locaux et il participe à la gestion des mutations économiques du territoire. La directrice des partenariats entreprises & territoires de l’IMS porte un regard d’expert sur les pratiques d’essaimage dès lors qu’elles relèvent de l’ancrage territorial, puisqu’elle a pour fonction de les accompagner. Le jugement qu’elle porte va dans le sens de notre proposition : « Dans ce cadre se trouvent toutes les démarches qui vont générer de la richesse sur le territoire notamment en matière d’emplois, et l’essaimage en est l’une des composantes. Les collaborateurs qui vont créer leurs entreprises vont participer à la création de richesses sur le territoire, et en même temps, ils vont concourir à l’acceptabilité de l’entreprise sur le territoire. L’essaimage rentre totalement dans cette logique d’ancrage local. » Selon l’ORSE (2011), l’ancrage territorial se définit comme étant l’ensemble des actions qu’une entreprise peut mener pour favoriser : le développement économique et social d’un territoire, le dialogue avec les parties prenantes locales, participer à la gestion des mutations économiques. Les témoignages abondent dans le sens de notre proposition, au moins pour le cas étudié, l’essaimage comme outil de l’ancrage territorial participe à la prise en compte des attentes des communautés locales envers l’entreprise.

55Les résultats de l’étude quantitative nous permettent d’affiner ce lien entre développement local et pratiques d’essaimage. Nous observerons ici uniquement l’échantillon des salariés-porteurs de projets dont l’activité est pérenne à plus de trois ans. Il semble en effet peu pertinent de prendre en compte les activités qui n’ont pas réussi à se maintenir et qui par conséquent ne peuvent participer au développement local. D’un point de vue quantitatif, les 50 entreprises qui composent notre échantillon ont permis la création de 124 emplois. Sur l’échantillon, le nombre d’emplois créés varie de 1 à 12, portant la moyenne à 2,48 emplois par entreprises essaimées. Selon le rapport développement durable d’INDUS, 90 % des entreprises accompagnées sont pérennes sur au moins trois ans. Cette donnée nous permet d’extrapoler que pour 100 entreprises essaimées, 10 emplois vont être détruits, et qu’environ 248 emplois vont être créés. Si l’on soustrait les emplois des anciens salariés, cela fait un solde de 148 nouveaux emplois créés majoritairement sur les bassins d’emplois, et qui participent au développement local. D’un point de vue qualitatif, les secteurs les plus créateurs d’emplois sont l’industrie (3,6 emplois/entreprises en moyenne) suivie de l’artisanat, du commerce et des activités de conseil. Des écarts sont également notables selon les postes occupés par les créateurs : les cadres et les ingénieurs créent en moyenne deux nouveaux emplois en plus du leur, contre un pour les ouvriers et les employés. Finalement, l’enquête menée auprès des entreprises essaimées met en relief l’impact qu’elles peuvent avoir sur le développement local, au moins en termes de création d’emplois, ce qui, selon Gasse (2003), est l’un des facteurs les plus importants.

2.3.3 – Essaimage et capital humain

56Notre modèle présente l’essaimage comme étant un vecteur de la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de ses salariés, à la fois en se souciant de la trajectoire de leurs carrières et en contribuant au développement de leur capital humain. Nous confrontons cette troisième proposition (P3) à l’analyse de l’enquête réalisée auprès des salariés-porteurs de projets. Nous pourrons observer d’une part que le développement du capital humain se traduit par une ouverture de l’accompagnement à toutes les typologies de salariés, au travers d’un essaimage entrepreneurial, soit la forme la plus aboutie de l’essaimage selon Daval (1998), comme en atteste l’organisation de la cellule d’essaimage. D’autre part nous verrons que l’accompagnement joue un rôle clé dans la réussite en amenant justement ses salariés porteurs de projets à se développer.

57La pratique de l’essaimage que nous observons se caractérise par son ouverture à tous les salariés. En effet, la typologie des salariés ainsi que la diversité des secteurs d’activité des projets en témoignent. Indépendamment des deux échantillons, les anciens salariés interrogés ont pour 10 % d’entre eux moins de 30 ans, pour 30 % entre 31 et 40 ans, pour 35 % entre 41 et 50 ans, et pour 25 % d’entre eux plus de 51 ans. Les porteurs de projets sont pour les deux tiers des hommes, et un tiers des femmes. Il y a autant de cadres et d’ingénieurs que d’ouvriers qui se lancent dans un projet entrepreneurial, même s’il y a une surreprésentation des ouvriers dans les situations d’échecs. Les créations d’entreprises portent sur tous les secteurs d’activité (le conseil, l’industrie, l’artisanat, l’agriculture, le commerce, l’économie sociale et solidaire, ou encore le tourisme et la restauration). Ces quelques données soulignent l’ouverture de l’essaimage à tous les types de projets et à tous les salariés de l’entreprise sans distinction, ce qui corrobore le témoignage du directeur de la cellule d’essaimage. En faisant adopter cette ouverture à sa cellule d’essaimage, l’entreprise étudiée démontre qu’elle veut en faire une structure attentive aux demandes des salariés, et qui participe ainsi au développement du capital humain.

58Les pratiques d’essaimage reposent essentiellement sur l’accompagnement des salariés dans leurs projets de création. On l’a vu, cet accompagnement peut prendre plusieurs formes, conseils, subventions, aide à la réalisation du business-plan. Dans son ensemble, la cellule d’essaimage étudiée apporte des éléments d’analyse pertinents. Pour les créateurs d’entreprises, les facteurs qui ont le plus contribué à la réussite de leurs projets sont la connaissance des clients et du marché, les compétences techniques, et les capacités d’investissement. En dehors des compétences techniques, la cellule d’essaimage participe aux capacités d’investissement et accompagne les salariés dans la construction de leur connaissance du marché. L’importance de la cellule d’essaimage dans la réussite des créations d’entreprises se vérifie par le jugement que portent les créateurs d’entreprises eux-mêmes puisqu’ils sont 68 % à estimer que le soutien de la structure d’essaimage est l’une des conditions de leur réussite. Les salariés porteurs de projets n’ont pas tous les mêmes dispositions pour devenir entrepreneurs. L’expérience de la cellule d’essaimage dans l’accompagnement et l’aide à la réflexion sur la préparation juridique, commerciale, et financière de la création d’entreprises permettent aux salariés porteurs de projets de toucher à des domaines qui, pour certains, étaient jusqu’alors inconnus. Cet apprentissage de l’entrepreneuriat les amène à développer leur capital humain, à intégrer de nouvelles connaissances et à développer de nouvelles compétences.

59En accompagnant des salariés aux compétences et profils variés, la cellule d’essaimage d’INDUS participe de fait à la valorisation du capital humain (Bessieux-Ollier, Lacroix, Walliser, 2006). Il s’agit, il est vrai, de salariés en voie de quitter l’entreprise, mais selon le témoignage du directeur de la structure d’essaimage, cette possibilité offerte aux salariés, insuffle également chez les salariés qui restent dans l’entreprise des envies d’intrapreneuriat, d’autonomie, de création de nouvelles idées.

2.3.4 – Indicateurs et contrôle de la performance

60La quatrième proposition nous permettant de tester notre modèle est celle de l’efficacité des pratiques d’essaimage (P4). Pour l’évaluer, nous observons d’abord au travers de l’enquête qualitative si les pratiques d’essaimage sont soumises à des indicateurs. L’efficacité et les indicateurs pouvant la mesurer se divisent en deux approches, soit il s’agit de l’efficacité de la cellule d’essaimage, c’est-à-dire de sa capacité à accompagner les salariés porteurs de projets vers une situation de réussite et à répondre aux attentes des communautés, soit il s’agit de l’efficacité de l’essaimage pour INDUS, c’est-à-dire des avantages que l’entreprise peut retirer à avoir accompagné ses salariés vers l’entrepreneuriat. S’agissant de cette deuxième perspective, le directeur de la cellule d’essaimage est très clair, « L’impact de l’activité économique sur les bassins d’emplois impacte très indirectement INDUS, cela n’est pas significatif. Il n’y a pas de retour sur cet investissement qui économiquement serait profitable à INDUS. » La première approche, en revanche, possède quelques indicateurs permettant d’évaluer son efficacité. Le principal indicateur de performance de l’accompagnement des salariés reste le temps de survie de l’entreprise durant les trois premières années qui suivent la création. Pour le président de l’association DIESE, c’est même l’indicateur qui est commun à toutes les entreprises qui ont institutionnalisé leurs pratiques d’essaimage. S’agissant des attentes des communautés, l’efficacité des pratiques d’essaimage peut être évaluée comme nous l’avons déjà souligné par le nombre d’emplois créés au travers des entreprises essaimées. Cependant, la directrice des partenariats de l’IMS rappelle que ce seul indicateur ne suffit pas, qu’une évaluation complète pourrait être faite grâce au dialogue de l’entreprise avec les communautés locales afin de développer des indicateurs d’efficacité d’essaimage qui soient à la fois quantitatifs et qualitatifs et correspondant aux attentes particulières de ces communautés. Dans le cas de l’entreprise étudiée, il n’y a pas d’autres indicateurs utilisés que la durée de vie de l’entreprise ainsi que le nombre d’emplois créés. Ce faible nombre d’indicateurs remet en question la qualité de l’évaluation. Même si ces indicateurs nous permettent d’appréhender partiellement l’efficacité de la cellule d’essaimage, il ne semble pas aisé pour l’entreprise de les inclure dans une évaluation de sa performance sociétale (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2010). Les résultats de l’étude quantitative corroborent l’analyse de l’enquête qualitative.

61En effet, les données issues de l’enquête quantitative s’appuient principalement sur les mêmes indicateurs que ceux évoqués dans les témoignages recueillis. L’efficacité de l’essaimage s’évalue principalement sur la pérennité des entreprises essaimées et sur le nombre d’emplois créés. Ces deux variables quantitatives sont pertinentes et peuvent facilement être mises en avant par la cellule d’essaimage, et par l’entreprise essaimeuse dans son rapport développement durable. Cela dit, elles ne suffisent pas à évaluer et à comprendre pourquoi une pratique d’essaimage peut être jugée comme efficace ou non. Notre étude se base sur un cas unique et des témoignages, nous ne pouvons donc pas généraliser notre analyse à toutes les cellules d’essaimage, mais la pratique que nous avons observée nous permet de mettre en évidence les lacunes existantes. C’est notre étude qui a permis à la cellule d’essaimage d’INDUS de faire un travail de compréhension justement sur les facteurs de réussite, sur les freins et les difficultés rencontrées par les entrepreneurs, ou encore d’établir une typologie des salariés qui se tournent vers l’essaimage.

62En résumé, la quatrième proposition que nous avons exposée ne semble pas entièrement vérifiée. S’il existe bien des indicateurs permettant de mesurer l’efficacité des pratiques d’essaimage, ces dernières sont incomplètes et ne prennent pas en compte leur impact sur la performance de l’entreprise.

Conclusion

63Cet article repose sur le cas d’une cellule d’essaimage d’un groupe industriel français. Son ambition est de proposer un modèle permettant d’appréhender les pratiques d’essaimage sous l’angle de la responsabilité sociétale. Pour ce faire, nous avons repris les typologies d’essaimage existantes, et les avons mises en perspective avec les lignes directrices de la norme ISO 26000. Ce modèle présente les pratiques d’essaimage en fonction des différentes approches comme pouvant faire partie des démarches RSE d’une entreprise, selon plusieurs conditions. En effet, il faut que l’entreprise montre bien qu’il y a une prise en considération des attentes des parties prenantes notamment des salariés et des communautés locales lors de la mise en œuvre d’une cellule d’essaimage. C’est sur ces propositions (légitimité et facteurs de motivations, prise en compte des attentes des salariés et des communautés, et efficacité) que nous avons testé notre modèle.

64Au travers du cas de l’entreprise INDUS, il est effectivement possible de considérer les pratiques d’essaimage comme participant aux démarches RSE, de manière plus ou moins conforme avec les éléments théoriques que nous avions avancés dans notre modèle. En effet, au-delà de la prise en compte de certaines des attentes des salariés, il n’en est pas moins vrai que la prise en considération des attentes des communautés locales semble davantage être une conséquence positive des pratiques, plutôt que la résultante d’un dialogue réel et systématique avec les acteurs locaux. Nous avons observé que les pratiques d’essaimage ont un impact positif sur les territoires, cela étant, il n’y a pas réellement de réflexion en amont pour chercher à satisfaire les communautés locales comme le suggèrent les lignes directrices de la norme ISO 26000 (ISO, 2010). Cette absence de vision se traduit aussi par le manque d’indicateurs, notamment ceux visant à évaluer l’efficacité de l’essaimage. Si certains indicateurs quantitatifs (nombre d’emplois créés, longévité des entreprises) existent, c’est au travers de notre étude que la cellule d’essaimage que nous avons observée a, pour la première fois, pu bénéficier de données qualitatives. Cette expérience pourrait vraisemblablement être éclairante pour d’autres entreprises tentées par l’essaimage envisagé comme une pratique sociétalement responsable, ouvrant la perspective de travaux complémentaires portant sur l’évaluation de la performance sociétale de l’essaimage. Par ailleurs, pour réellement s’inscrire dans la durée, l’essaimage nécessite un accompagnement des salariés essaimés au-delà de la phase de création de leur activité. Autrement dit, une coopération avec les organismes publics en charge de l’accompagnement des entrepreneurs semble digne d’intérêt pour garantir la pérennité des entreprises issues de l’essaimage, le suivi post-création étant souvent un point de vigilance à prendre en considération.

65Cela dit, notre étude souffre également de limites. Il aurait été pertinent pour affiner l’approche qualitative de recueillir un plus grand nombre de témoignages d’acteurs parties prenantes de la cellule d’essaimage, notamment l’ancien directeur du groupe, fondateur de la cellule d’essaimage. Le contexte particulier du groupe et l’ancienneté de la cellule d’essaimage ne nous ont pas permis de pousser plus avant notre démarche. Par ailleurs, la validité de ce modèle pose également d’autres questions. D’une part, notre test s’appuie sur le cas d’une cellule d’essaimage présente uniquement dans le pays d’implantation du siège social de l’entreprise essaimante. Cet état de fait interroge la transférabilité à d’autres contextes culturels d’une utilisation de l’essaimage comme levier de la RSE. Dans le cas d’INDUS, l’entreprise est présente dans plusieurs pays en Europe et dans le monde, elle ne cherche pas pour autant à développer sa cellule d’essaimage ailleurs qu’en France. Cette situation soulève la problématique des démarches RSE du global au local (IMS, ORSE, 2006) dans une logique inversée. Il n’est pas ici question de savoir comment l’entreprise peut articuler à chaque niveau local sa responsabilité globale. Il s’agit de comprendre comment une entreprise peut diffuser les bonnes pratiques mises en place à un niveau local, dans d’autres territoires d’implantation. D’autre part, l’entreprise observée dans cette étude exploratoire nous permet d’identifier des pratiques d’essaimage responsables. Néanmoins, il serait pertinent de tester ce modèle statistiquement auprès d’un plus grand nombre de cellules d’essaimage.

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Mots-clés éditeurs : ISO 26000, développement local, responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE), essaimage, capital humain

Date de mise en ligne : 13/11/2014

https://doi.org/10.3917/entre.123.0059

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