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Article de revue

La dynamique entrepreneuriale en phase projet : contribution à travers l'analyse d'une équipe de jeunes diplômés

Pages 55 à 76

Notes

  • [1]
    Nous pensons notamment aux travaux de Arlotto, Ayadi, Boidart, Boissin, Bourcieu, Emin, Jourdan sur les concours pédagogiques, sur le lancement d’une start-up, sur l’intention entrepreneuriale des étudiants, articles présentés lors de différentes conférences (CIDEGEF - AIREPME - Académie de l’Entrepreneuriat).
  • [2]
    Terminologie défendue par Robert Paturel (2005 ; 5).
  • [3]
    Il faut comprendre ici notre volonté de quitter la figure de l’entrepreneur solitaire et démiurge.
  • [4]
    Nous limitons volontairement l’analyse de l’interaction aux seuls membres de l’équipe. En effet, l’interaction peut se lire dans une acception plus large, comprenant l’ensemble des autres parties-prenantes au projet.
  • [5]
    La construction de cartes cognitives se prête peu à l’étude conjointe de plusieurs rapports d’études volumineux. Il faudrait alors établir des cartes dites composites (collectives) qui se construisent par superposition de cartes individuelles. Mais cela pose des problèmes lorsqu’on s’intéresse à l’acceptation donnée au concept utilisé ou au langage employé par le locuteur.
  • [6]
    Cette proximité avec le terrain est rendue possible pour trois raisons : un enseignement en salle dispensé à tous les auditeurs du cycle, le tutorat de ce projet tout au long de l’année et une recherche doctorale (Barès, 2007).
  • [7]
    Les consignes proposées aux étudiants ont été respectées : respect du format (nombre de pages), respect des thèmes abordés (démarche, succès, difficultés, explications personnelles).
  • [8]
    Ainsi que le montre cette figure, à ce recueil de données textuelles se sont ajoutées une série d’entretiens semi-directifs (en début du cursus) et une soutenance finale devant un jury de professionnels et d’enseignants-chercheurs. Comme nous l’avons précisé précédemment, ces deux dernières analyses ne sont pas abordées ici.
  • [9]
    Nous retiendrons l’hypothèse de Maingueneau (1987) selon laquelle la répartition des cooccurrences d’un discours n’obéit pas au hasard : les mots utilisés sont représentatifs de perceptions et de comportements. L’examen du contexte d’apparition des formes pertinentes dans les textes et l’exploration du relevé fréquentiel permettent d’identifier un thesaurus de mots pleins et de reconstruire un champ sémantique codifiable. Ainsi, au-delà des termes spécifiques dédiés à la création d’entreprise, nous avons intégré, dans un répertoire d’analyse étendu, les termes associés au management, aux parties-prenantes (banquiers, clients, etc.), aux politiques fonctionnelles (GRH, marketing, finance, etc.), à l’environnement et aux résultats attendus, susceptibles d’être en relation avec les préoccupations d’une démarche entrepreneuriale.
  • [10]
    Deux principes ont guidé nos choix méthodologiques : 1) La non-réduction a priori du champ de l’observable qui amène à considérer l’ensemble des champs sémantiques du langage managérial et de ses pratiques discursives ; 2) L’hypothèse basée sur la théorie de l’apprentissage selon laquelle plus une information est émise fréquemment dans un système donné plus il est probable qu’elle caractérise un phénomène important pour ce système.
  • [11]
    Ces nuances et différences sont susceptibles de caractériser l’implication dans la conduite du projet.
  • [12]
    La frontière établie entre l’approche factuelle et relationnelle retenue dans notre exposé repose avant tout sur une logique de présentation et de mise en évidence de comportements récurrents. En réalité, elles se mêlent, s’enchevêtrent en laissant apparaître l’intérêt d’une approche processuelle.
  • [13]
    L’intitulé des thèmes met en évidence leur contenu lexical. En raison de la taille des textes variables, les fréquences thématiques sont calculées en pourcentage des occurrences des termes retenues (les occurrences totales figurent dans le tableau 1). Dans les tableaux thématiques présentés, les thèmes significatifs pour un locuteur sont mis en évidence (« + » ou « - » lorsque l’écart du poids du thème par rapport à la moyenne du corpus +/- supérieur à 50% ; « ++ » s’il est supérieur à 100%). Les verbatims présentés en sont une illustration.

Introduction

1Les propos récents des pouvoirs publics français insistent sur une culture entrepreneuriale trop peu présente au sein de notre système éducatif, ouvrant essentiellement sur la voie du salariat. Pourtant, la thématique de la création d’entreprises par des étudiants durant leur parcours dans l’enseignement supérieur n’en est encore qu’à ses débuts même si plusieurs auteurs se penchent aujourd’hui sur la question [1]. Ainsi, ce phénomène d’équipreneuriat [2] étudiants devient un véritable objet de recherches dans le contexte francophone avec la volonté d’approcher la dynamique en vigueur dans ces collectifs de nouveaux héros [3]. Autrement dit, si la création d’entreprise est fréquemment le fruit d’un travail collectif, « créée non par "un" entrepreneur mais par une équipe d’entrepreneurs » (Vieira Borges et al., 2003, p.13) il convient de mieux cerner l’interaction [4] pouvant exister entre ces protagonistes investis dans le projet d’entreprendre.

2En effet, si d’aucuns s’accordent volontiers sur l’idée que des étudiants puissent s’associer pour entreprendre ensemble, il ne faudrait pas imaginer que ces projets accompagnés sont exempts de difficultés propres au partage d’une même vision. Celle-ci, entendu comme philosophie d’action et image tangible, occupe désormais une place importante étant donné son impact décisif pour la réalisation d’un effort coordonné (Collins et Porras, 1991), mais aussi, s’agissant de l’entrepreneuriat, en raison du caractère souvent informel de la stratégie dans les petites organisations (Robinson et Pearce Il, 1984).

3Selon une perspective cognitiviste, l’organisation est appréhendée comme une construction réalisée par des êtres humains possédant leur modèle personnel ou « schèmes » qui les guident dans leur perception et interprétations des événements (Cossette, 2004). Selon l’auteur, c’est ce qui détermine avant tout leurs actions et ce que sera l’organisation qui se construit. Ainsi, considérant l’importance des processus cognitifs à l’œuvre en matière de décision stratégique et particulièrement lors de la formation de celle-ci, notre question de recherche peut donc s’envisager de la manière suivante : En quoi les représentations et motivations en vigueur lors de la phase de préparation à la création d’activité contribuent-elles au maintien du lien de l’équipe entrepreneuriale et à l’aboutissement du projet ?

4Peu de travaux empiriques ce sont intéressés à cette problématique entrepreneuriale, en raison certainement du peu de méthodes disponibles. Si la cartographie cognitive a fait ses preuves pour aider le dirigeant à prendre conscience et formuler sa vision et ses motivations (Cossette, 2001, 2003), d’autres techniques peuvent être utilisées pour observer ces processus au sein des différents membres d’une équipe entrepreneuriale [5]. Aussi, l’analyse du langage des acteurs (le vocabulaire véhiculé et les thématiques développées) constitue un moyen privilégié d’appréhension du phénomène de formation du projet stratégique. En effet, tout discours d’entrepreneurs participe à la formation, à la formalisation et à la mise en œuvre du processus de décision stratégique (expression de la vision, formulation des projets et des choix, rationalisation des décisions, argumentation auprès des parties prenantes, etc.).

5Ainsi, à côté des approches conduisant à des stratégies raisonnées plus ou moins formalisées, les approches cognitives et critiques font désormais l’objet d’une attention particulière : la stratégie y est vue avant tout comme des représentations schématiques et des discours acceptables à travers ses processus langagiers (vision, perceptions) et les schémas mentaux des acteurs (Martinet, 1996). La prise en considération de l’aspect discursif de la décision stratégique apparaît essentielle. C’est une « mise en scène » mais c’est aussi un acte (instrument de réflexion et d’action, de justification et de légitimité). Nous considérons que les pratiques discursives des entrepreneurs sont révélatrices de leurs perceptions et comportements. Leur analyse a également un intérêt heuristique : elle constitue un autre regard sur l’organisation, ses processus et contribue à leur connaissance en révélant les représentations et les préoccupations dominantes des acteurs. Michel Ghertman (1981) dissocie deux formes de discours stratégiques applicables aux entrepreneurs : un discours interne, politique et discontinu, tenu au moment où le processus décisionnel se déroule (celui de la formation de la stratégie) et un discours stratégique externe qui est celui de la formulation de la décision et qui participe à sa mise en œuvre (celui de sa communication aux acteurs). Le second reflète la reconstruction ex post de la continuité et la rationalisation a posteriori de choix stratégiques. Compte tenu du contexte de production du discours de nos co-porteurs de projet, ces deux formes sont présentes dans les rapports analysés.

6Par conséquent, il s’agit de pouvoir approcher de façon renouvelée la dynamique collective en vigueur dès la phase projet afin de pouvoir ensuite mieux accompagner une équipe de créateurs et permettre un passage réussi du projet d’entreprendre à l’entreprise effective. En suivant Fayolle (2002), nous pensons qu’il importe « de mettre à profit la période d’accompagnement pour lui [le créateur] proposer des situations d’apprentissage construites à partir de sa propre expérience et autour de son projet ».

7Pour cela, un programme de formation, envisagé ici comme artefact, permet d’envisager dans la durée les relations existantes au sein d’une équipe entrepreneuriale tout au long de la phase projet. Ce suivi d’une phase précise est rendu possible au regard d’une position d’observateur in situ, la réalisation d’entretiens semi-directifs et l’obtention de rapport individuel produit par les porteurs en fin de cursus [6]. Les résultats découlant des interviews et de l’observation confortent l’analyse textuelle présentée ici. Plus largement abordé dans le cadre de cette étude, ces supports écrits retracent la genèse de l’idée, le vécu individuel et traduit les perceptions et préoccupations dominantes de chacun des membres de l’équipe, cœur de la représentation sociale du processus entrepreneurial. Tous ont fait l’objet d’une analyse de contenu qualitative et d’une analyse automatisée des données textuelles en vue d’appréhender l’expérience de chacun sur la base de leurs jugements. Ce choix méthodologique relève d’une perspective originale, non encore envisagée dans la littérature en entrepreneuriat (Barès, 2007).

8Par conséquent, nous avons privilégié la présentation de cette méthodologie et du terrain en première partie. Les résultats issus de l’étude empirique sont quant à eux envisagés en seconde partie avec ouverture sur certaines pistes de recherche liées à l’importance de la gestion des relations entre co-porteurs sous l’angle des "savoirs-faire" et des "savoirs-être". Cette discussion permet de mettre en évidence l’intérêt d’aller au-delà de contenus théoriques et conceptuels pour appréhender les déterminants du passage à l’acte. Elle soulignera également l’importance d’un accompagnement amont du processus (Lévy-Tadjine, Paturel, 2006) lors de l’apprentissage au métier d’entrepreneur dans l’enseignement supérieur.

1 – Une perspective méthodologique originale : l’analyse lexicale et thématique des rapports d’étude de chacun des membres de l’équipe entrepreneuriale

9La première partie, d’ordre méthodologique, nous éclaire sur les rapports d’étude utilisés, entendus comme des supports représentatifs du vécu, a posteriori de la phase de préparation d’un projet (1.1). Ensuite, nous faisons ressortir la base d’enquête, les caractéristiques de l’équipe (1.2). Enfin, nous présentons le traitement scientifique retenu pour les discours, à savoir la combinaison de la statistique lexicale et de l’analyse thématique qualitative (1.3). En suivant Verstraete (2007), nous souhaitons avant tout inscrire cette méthode dans des considérations pragmatiques permettant de suivre au plus près ce terrain d’étude.

1.1 – Les rapports d’étude : un support représentatif du vécu a posteriori de la phase de préparation d’un projet

10Notre regard porte volontairement sur une phase particulière, dite de préparation au projet. Il s’agit d’approfondir le vécu de cette équipe avant la création effective en s’appuyant sur un accompagnement immédiat mais limité dans le temps. La découverte progressive du métier d’entrepreneur au sein de l’enseignement supérieur s’envisage donc plus particulièrement ici.

11Ce type de programme s’entend comme une possibilité de suivre en douceur les difficultés de la création d’entreprise par la mise à disposition d’un dispositif pédagogique dédié à l’amélioration du niveau de réflexivité de l’étudiant entrepreneur.

12A partir de l’analyse approfondie d’un support d’investigation privilégié, le rapport individuel formalisant cette étape (qui constitue une appréciation ex post), nous pouvons appréhender le « portfolio de compétences » ainsi que l’argumentation développés par chacun d’entre eux au cours de cette situation particulière tant au niveau de la séquence que de la nature du projet. La réflexivité de l’étudiant entrepreneur se trouve au cœur du protocole méthodologique mobilisé puisque chaque membre de l’équipe a évoqué avec le tuteur du projet les évolutions d’intentions individuelles et collectives lors de points d’étapes inscrits dans la maquette pédagogique.

13Ces textes s’assimilent donc à des entretiens non directifs dont le contenu est défini par des objectifs spécifiés dans une logique d’incubation, de réflexivité et d’accompagnement tout au long du cycle de formation. Ainsi, ce parcours durant lequel chaque étudiant de l’équipe est soutenu pour aboutir à la maîtrise d’ouvrage se termine par un travail de formalisation sous la forme d’une synthèse écrite. L’objectif consiste à développer les différents aspects liés au processus de création et faire ressortir a posteriori les sentiments de chacun et de tous. Quelle a été la démarche ? Quels ont été les succès ? Quelles ont été les difficultés ? Etc.

14Ce bilan marque l’état d’avancement du projet à l’issue de la période de préparation. Il permet une évaluation de la situation entrepreneuriale avant le possible passage à l’acte.

15Cette construction a posteriori du cheminement de porteurs d’un projet élaboré dans un cadre pédagogique autorise de ce fait les digressions, l’exposé de la réflexion personnelle, des opportunités ainsi que des difficultés rencontrées. Il ne s’agit pas a contrario de documents destinés aux parties prenantes dudit projet dont l’objet serait de persuader sur le bien fondé de l’opération avec ce que cela pourrait comporter de stratégies de valorisation et de mise en confiance. Les destinataires ne sont pas impliqués directement dans le résultat mais seulement dans le cadre d’une expertise pédagogique.

16Le support écrit est homogène [7] et représentatif des perceptions et préoccupations de ces jeunes diplômés, futurs créateurs. Cela constitue une importante source d’informations et d’appréciation concernant leurs motivations mais aussi, puisqu’il s’agit de rapports élaborés a posteriori, l’analyse des raisons de la poursuite ou de l’abandon du projet à l’issue de cette phase de mise en œuvre. De plus, la possibilité de réunir le sentiment distinct des membres d’une même équipe entrepreneuriale produit une autre source de valeur ajoutée significative pour une meilleure compréhension de cette étape du processus de création (Cf. Figure 1).

Figure 1

Calendrier et descriptif du protocole méthodologique [8]

Figure 1

Calendrier et descriptif du protocole méthodologique [8]

1.2 – La base d’enquête : quatre porteurs d’un projet évoluant en binômes distincts au cours de la phase de préparation

17Nous avons choisi d’analyser plus particulièrement les rapports de chacun des membres d’une équipe de quatre élèves ingénieurs en dernière année d’études, suivant tous un programme dédié à l’entrepreneuriat et porteurs d’un même projet. A ce titre, le choix d’étudier un cas unique « constituer une opportunité d’observation d’un phénomène jusqu’alors inaccessible à l’investigation scientifique » (Yin, 1989, p.48). Il s’agit de cerner l’évolution des relations au sein de ce groupe tout au long de ce cycle universitaire. En effet, seulement deux des quatre associés ont poursuivi le projet jusqu’à son terme (c’est-à-dire jusqu’à la création juridique). Ainsi, le premier binôme, composé de GP et de YP, partagent une vision commune du projet et continuent l’aventure. Le second binôme, composé de AnP et de FnP, ont quitté l’équipe sur un constat d’échec personnel, de décalage avec l’engagement initial.

18L’intérêt d’analyser le contenu des rapports de chacun des quatre membres de l’équipe est de pouvoir apprécier d’une part, les représentations et les arguments communs de discours caractérisant l’élaboration du projet (homogénéité intra-groupe) et d’autre part, de comparer les arguments des deux binômes (hétérogénéité inter-groupes).

19Nous faisons l’hypothèse, compte tenu de la nature des destinataires de ces rapports, qu’il n’y a pas de contrainte de confidentialité dans l’information émise et que celle-ci est suffisamment exhaustive et objective. Les auteurs ont pour objectif de traiter les aspects opérationnels, juridiques et financiers de leur projet de façon libre et réaliste.

20D’un point de vue méthodologique, nous avons analysé globalement le corpus de textes afin d’apprécier les perceptions et préoccupations dominantes, puis de manière séparée afin de comprendre les divergences pouvant exister en regard de leurs caractéristiques individuelles (poursuite/abandon, leader/suiveur).

1.3 – Le traitement scientifique des discours : la statistique lexicale et l’analyse thématique qualitative

21L’analyse des rapports d’étude a permis d’aborder les fonctions explicites et implicites du discours relatif à la préparation du projet. L’étude du vocabulaire véhiculé dans ces textes aborde le contenu manifeste de l’information émise et autorise, ensuite, à poursuivre la recherche des conditions de production et l’approfondissement du contenu des discours.

22Si la lexicologie est l’étude scientifique du vocabulaire, la lexicométrie (ou lexicographie) est un ensemble de méthodes de statistique lexicale comparative (Lebart, Salem, 1994). Ces outils exploratoires de connaissance de l’entreprise concernent des logiques de comportements mais aussi de représentations. Menées conjointement, elles permettent d’appréhender les signifiés et non les signifiants des mots prononcés. C’est en portant l’attention sur des mots « pleins » (mots pivots situés dans leur contexte d’apparition), dont la fréquence est l’indice d’un noyau sémique, que l’on peut en apprécier la signification [9].

23Soulignons que cette approche inductive des phénomènes est délicate à mettre en œuvre : elle passe par une phase de repérage et de levée des ambiguïtés sémantiques puis par une phase de sélection et de catégorisation [10]. L’approche nécessite une démarche itérative, des tâtonnements exploratoires associant rigueur et invention.

24Notre étude statistique va de pair avec l’étude qualitative visant à dégager des catégories de sens, autrement dit, les thèmes homogènes des rapports d’étude. En effet, cette opération de « déstructuration » puis de « restructuration » des textes impose un certain nombre de règles faites de prudence capables d’éviter tout risque de biais méthodologique (Jacquot, 2004). Le traitement automatique du vocabulaire engendre un certain nombre de problèmes (polysémie, homographie, équivalence sémantique) et nécessite d’apporter des solutions techniques avant tout traitement quantitatif (levée des ambiguïtés, examen du contexte d’apparition, regroupement, dissociation, sélection). Ainsi, pour pallier ces difficultés relatives au vocabulaire, nous avons également effectué une analyse thématique. Celle-ci ne doit pas être considérée comme un outil méthodologique mais doit être davantage présentée comme un processus (Boyatzis ; 1998). La démarche de thématisation est itérative. La grille d’analyse thématique est construite par regroupements des items de sens sans utilisation d’un modèle théorique a priori. Elle illustre ainsi, au-delà du langage utilisé, une grande diversité de thèmes représentatifs des représentations et comportements des acteurs (Cf. Tableaux 2 à 9). Lévy-Tadjine (2004, p.277), considère également l’association de différentes démarches d’analyse. Dans notre cas, les analyses lexicologiques, thématiques qualitatives et quantitatives sont combinées pour apprécier la perception des pratiques d’accompagnement.

25En définitive, le répertoire dédié à la thématique de la création d’entreprise (composé de 242 mots pivots dans notre étude) ainsi que le tableau de contingence contenant leurs occurrences par texte (5713 occurrences, soit plus de 1400 en moyenne), constituent le matériau de base pour l’analyse de la structure et du contenu de nos « discours ».

2 – Principaux résultats et enseignements

26Dans cette seconde partie empirique, nous proposons d’appréhender les représentations de ces jeunes porteurs de projet ainsi que les compétences entrepreneuriales requises ou mobilisées telles qu’elles sont vécues au terme de cette préparation. Un éclairage des préoccupations générales est d’abord envisagé en s’appuyant sur les champs lexicaux identifiés (i.e. caractéristiques dominantes dans le langage et les thèmes véhiculés) (2.1). Ensuite, nous faisons ressortir leurs compétences entrepreneuriales sous l’angle d’une analyse par les « faits » (savoir-faire) (2.2) puis sous l’angle des « traits » de personnalité (savoir-être) (2.3.). Nous chercherons enfin à relever les éléments d’hétérogénéité selon le statut du créateur (poursuite vs abandon).

272.1. Le langage des porteurs de projets : une diversité de préoccupations, collectives et individuelles

28Le logiciel Tropes a été ici utilisé comme première approche, d’une part parce qu’il permet une bonne appréhension du vocabulaire utilisé (grâce à son dictionnaire et ses possibilités de lemmatisation), et d’autre part, parce qu’il met en évidence une diversité de styles d’expression. De ce fait, on retrouve une différence de rhétorique [11] à travers les champs lexicaux identifiés pour ces quatre locuteurs. De manière générale, les locuteurs élaborent une rhétorique plutôt descriptive ou narrative alors que d’autres s’appuient davantage sur une rhétorique explicative ou argumentative. Notre corpus illustre cette dichotomie.

29Le tableau présenté en annexe décrit les caractéristiques statistiques et de style des quatre rapports analysés (associés par binôme d’appartenance). Ainsi, les textes sont de taille et de richesse variables. On peut remarquer que ceux du binôme AnP-FnP sont plus volumineux (Cf. occurrences totales) alors que ceux du binôme GP-YP apparaissent plus riches en vocabulaire appartenant au champ lexical retenu (Cf. occurrences retenues). En revanche, la structure lexicale des textes montre peu de différences significatives entre les textes. Ainsi, globalement leur structure verbale met clairement en évidence une orientation sur l’action (verbes « factifs ») plutôt que sur des états (« statifs »).

30L’outil effectue un diagnostic du style général du texte et de sa mise en scène, en fonction des indicateurs statistiques issus de l’analyse (e.g. nature des verbes, adjectifs, pronoms). Autrement dit, le style d’AnP et FnP est identifié comme étant argumentatif, c’est-à-dire que le sujet s’engage, argumente, explique ou critique pour essayer de persuader l’interlocuteur. A contrario, le texte de GP présente un style qualifié de narratif, c’est-à-dire que le locuteur expose une succession d’événements, qui se déroulent à un moment donné, en un certain lieu. De manière générale, on peut remarquer que le style des « poursuivants » est plutôt narratif (description des événements et de la situation), alors que celui des « renonçants » est avant tout argumentatif (volonté de justifier les événements). Ce constat semble cohérent avec l’état d’esprit et la posture rhétorique des différents acteurs. La « mise en scène » des textes, lorsqu’elle est identifiée de manière significative, est qualifiée de « dynamique action », confirmant ainsi l’analyse de la structure verbale. Cependant, des différences de style apparaissent à l’intérieur des deux binômes. Ainsi, au sein de chacun des sous-groupes, on peut constater un effet de leadership au regard de la « prise en charge » du discours de YP et AnP (Cf. structure pronominale et prise en charge par le « Je »).

31En ce focalisant à présent sur le contenu (lexical) du discours dédié au champ de l’entrepreneuriat à travers ces dossiers nous pouvons faire ressortir quelques tendances générales notables (Cf. Tableau 1) :

  • Le caractère dominant et la répartition homogène du langage relatif à la vision du projet, à sa faisabilité, qu’elle soit technique, financière ou commerciale ;
  • L’importance des références aux aspects organisationnels et humains, voire psychologiques.
S’agissant d’un discours sur le vécu de chacun des porteurs de projet, il n’est pas étonnant d’observer le poids non négligeable du langage exprimant le ressenti individuel et l’état d’esprit (perception et gestion du risque, de la confiance, des craintes, du volontarisme, etc.).

32Au-delà de ce répertoire, l’analyse qualitative du contenu montre, d’une part, que les éléments factuels sont davantage traités de manière rationnelle et objective avec un point de vue souvent collectif et admis par tous : les « faits » managériaux. D’autre part, les éléments plus relationnels sont souvent vécus d’un point de vue individuel et subjectif faisant intervenir la psychologie des différents porteurs de projet : les « traits » de personnalité.

Tableau 1

Le langage sur le processus de création (5713 occurrences pour 242 formes retenues)

Tableau 1
?formes retenues occur. formes retenues occur. formes retenues occur. formes retenues occur. projet entreprise travail / tâche création collaborateur marché idée étude (dont de marché) client personnes / gens produit interlocuteur entretien objectifs / but / finalité / dir° prix / tarif(icat°,aire) commercial (adj.), commercial° partenaire créateur / concepteur marketing technique (dt adj) apprentissage décision méthode équipe service solution activité besoin groupe outils démarche problème / obstacle situation terrain vision informatique réunion / débat mettre en place réflexion / pensée relation / liens offre financier (adj) sentiment stratégie difficulté / inconvénient système (pdt) exemple succès / réussite comportement, caract, attitude compétences humain, adj humain modèle éco., business plan erreur / confusion expérience conscience raison (pour des…, -nement) résultat(s) formalisation 330 303 194 166 128 116 109 106 94 87 81 71 68 67 61 60 58 57 56 56 53 51 51 50 50 50 47 46 46 45 42 42 42 41 41 40 40 39 39 37 36 35 35 35 34 34 33 33 32 31 31 31 30 30 29 29 29 28 aide / soutien environnement événement moyen politique question / interrogations formation internet programm/e-mation (informq) changement / évolution (du projet) rentab/ilité-ble / Pté volonté aventure concept-ion, invention connaissance efficacité dt adj information réseau argument, argumentaire contexte discussion / dialogue (interne) comptable (expert c., com. aux cptes) recherche test analyse communication (externe) concurrence confiance fournisseurs mode (de fonctiont,…) motivation(s) qualité action avis / opinion / pt vue / jugement ensemble (gpe) force plan, planification porteur (de projet) priorité contact fonctionnement gestion/naire opportunités plan d’affaires réponse accord / compromis, engagements ( capacité / aptitude / don partenariat, rial rôle acteur (du projet) communication (dans le groupe) forum pragmatique, concret (adj) coût, coûteux développement droit, juridique, loi hommes organisation 27 27 27 27 27 25 24 24 24 23 23 23 22 22 22 22 22 22 21 21 21 20 20 20 19 19 19 19 19 19 19 19 17 17 17 17 17 17 17 16 16 16 16 16 16 15 15 15 15 14 14 14 14 13 13 13 13 13 préoccupation / souci réalisation règle,.. d’or ressource adaptation, adapter argumentation conflit, tension conseil perception processus / procédure structure (de l’organ°) agent commercial / vendeur changement / évolution (des individus) choix contrat / convention découverte écoute financement partage / répartition peur possibilité proposition rapport de force remise en question adéquation > conformité banque chance échec effort entrepreneur (..ial) esprit (état d’) faits (les) négociation personnalité pertinence rationnelle (dt adj) responsable (de) technologie valorisation cohérence crise distribution position-nement risque / menace design doute / incertitude finance image, réput°, renommée investissements valeur ajoutée attente challenge, défi > compétit° collaboration crédibilité exigences / partenaires homme de loi (avocat) management nouvelles technologie 13 13 13 13 12 12 12 12 12 12 12 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 11 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 10 9 9 9 9 9 8 8 8 8 8 8 7 7 7 7 7 7 7 7 participation 7 production 7 prospection 7 spécialiste, expert 7 sponsor 7 amitié 6 atouts 6 bilan (<>rés.) 6 cahier des charges 6 charges 6 comptabilité (cpte de rés.), bilan 6 contrainte 6 demande 6 dépense / frais 6 dysfonctionnement (défaillance) 6 enjeu 6 logique 6 nouveauté 6 part de marché 6 responsabilité 6 revenus > paiement 6 start-up 6 valeur 6 vente 6 affaires (hors plan…) 5 associ(er-ation) / projet 5 budget 5 coordination /…eur 5 implication 5 pénétration 5 planning 5 potentiel 5 prescripteur, décideur 5 savoir (faire) 5 segment, segmentat° 5 veille (technol., concur.) 5 achat 4 engagement (collab.) 4 événementiel 4 exigence (être…) 4 occasion 4 raison (avoir), être sûr, certain (certitu 4 réglementation, règles (juridiques) 4 solvabilité 4 ambition / … ieux 3 crédit / prêt 3 émotions 3 enthousiasme 3 initiative 3 logistique 3 mission 3 perspective 3 perte de.. (conf., temps) 3 recette 3 ressources humaines 3 statut 3 …… 2 ou 1 Total des occurrences 5713

Le langage sur le processus de création (5713 occurrences pour 242 formes retenues)

33Ainsi, l’univers des représentations des porteurs du projet met en évidence un contenu illustrant à la fois un processus de rationalisation (Cf. 2.2. savoir–faire) et un processus relationnel (Cf. 2.3. savoir-être).

34Cette diversité de préoccupations / perceptions rappelle les deux approches du processus de création ou plutôt de mode de représentation du projet : l’entrepreneur vu à travers ses faits et l’entrepreneur vu à travers ses traits [12]. Cette distinction est transversale et peut s’apprécier au regard du vécu collectif (pour chaque binôme) et individuel (pour chaque porteur) (Cf. Tableaux 2 et suivants [13]).

2.2 – La création par les « faits » : des compétences illustrant un savoir-faire (processus de rationalisation)

35Les différentes préoccupations et représentations du projet dans le cadre de son processus d’élaboration présentées de manière objective et factuelle peuvent s’articuler autour de cinq logiques : de finalisation (2.2.1), des facteurs (2.2.2), des acteurs (2.2.3), d’action (2.2.4) et d’évaluation (2.2.5).

Figure 2

Les cinq « logiques » d’expression de la création par les « faits »

Figure 2

Les cinq « logiques » d’expression de la création par les « faits »

2.2.1 – La représentation des finalités et de la vision du projet (logique de finalisation)

36Les thématiques présentent à travers le langage peuvent s’articuler autour de trois dimensions : les références, d’une part (et par ordre d’importance), au « projet et à l’idée de création » (12,6% du contenu des documents en moyenne), à « l’entreprise et son offre » (10%) et ensuite à « l’approche stratégique » au regard des objectifs, missions, partenariats, compétences mobilisées et perspectives (7,3%).

37Globalement, la présentation du projet ressort systématiquement avant celle du produit dans ses caractéristiques fonctionnelles. La démarche projet semble prendre l’ascendant sur le concept. Les différents membres de l’équipe s’inscrivent dans une perspective dédiée à l’idée de création d’entreprise en générale et avec le souci d’une formalisation finalisée.

Tableau 2

Le poids des thématiques relatives aux finalités et à la vision du projet

Tableau 2
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total Le projet : l’idée de création 9,2 22,7 14,4 11,4 12,6 Les références au projet + 5,8 Les références à la création (d’entreprise) - + 3,0 L’idée et la vision du projet ++ 2,8 L’aventure et le challenge + 0,6 La conception, le concept ++ - 0,4 L’entreprise et le produit 9,4 10,3 9,5 11,0 10,0 Les références à l’entreprise (et start-up) + 5,4 Les références au produit et à l’offre + 3,7 Les références à l’activité (créée) 0,9 La stratégie : objectifs, ressources et opportunités 8,0 6,8 5,4 8,4 7,3 La logique partenariale + 1,7 La définition des objectifs et des priorités - + 1,6 L’évocation des forces et des moyens + 1,2 Les références à la stratégie et aux choix politiques + - 1,1 L’évocation des compétences managériales et gestion. 0,9 L’identification des opportunités et possibilités - + - + 0,8

Le poids des thématiques relatives aux finalités et à la vision du projet

38Ces thématiques sont fortement liées entre elles et articulées autour des notions de création, d’idée et d’entreprise comme l’illustre ce graphe des relations (e.g. termes associés à celui de vision, de projet).

Figure 3

Les termes associés à l’entreprise créée (les termes les plus proches du mot « entreprise » sont ceux qui lui sont les plus fréquemment associés – en gras les plus fréquents)

Figure 3

Les termes associés à l’entreprise créée (les termes les plus proches du mot « entreprise » sont ceux qui lui sont les plus fréquemment associés – en gras les plus fréquents)

39La première série de verbatims consacrées aux finalités et à la vision du projet illustre les éléments privilégiés par chacun des porteurs (Cf. Tableau 2). FnP est très orienté sur l’entreprise et le produit (« serveur tennis / système de réservation ») créés (11 % de son discours). Il met en avant également les objectifs, le challenge et les opportunités (plutôt personnels) que représente cette « formidable aventure ». Il reste cependant relativement effacé en terme d’engagement comme l’illustrent ses propos et avoue lui même l’erreur de s’intéresser en priorité aux spécificités techniques du produit plutôt qu’aux besoins.

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FnP : « En effet, même si je voulais bénéficier d’un apprentissage de qualité, je n’étais tout de même pas étranger à la volonté de créer et des aventures exaltantes auxquelles nous pourrions faire face dans le cas où la création devait être une réussite. Je ne peux pas dire que la création s’exprimait en moi comme une passion, ni comme une volonté de diriger. Ce qui me porte, c’est le challenge, la volonté d’aller plus loin, d’en savoir toujours plus et pouvoir me dire que j’ai saisi les bonnes opportunités au bon moment. »
« Depuis le début de l’aventure, j’ai constamment gardé le même discours sur les enjeux de la création. Je me suis toujours bien gardé de faire comprendre que je souhaitais prendre le moins de risques possible. Cette création, … est avant tout un apprentissage. Elle ne saurait en aucun cas être un pari sur un avenir déjà tracé qui serait celui d’une création à tout prix. »
(…) « C’est pour cette raison (ne parler que des éléments dont nous avions une bonne connaissance rationnelle) que nous avions initialement commencé par effectuer le produit technique avant d’étudier réellement les besoins et le marché. Nous étions persuadés que la méthode était la bonne et nous avons réellement eu beaucoup de difficultés à comprendre pourquoi il valait mieux acquérir une autre démarche.
(…) Une autre étape qui devait nous permettre de progresser dans notre offre allait être l’étude terrain. Notre client est celui qui va acheter notre produit et il faut donc pouvoir le convaincre de l’utilité de ce produit pour lui. Or notre produit concernait alors les clubs de tennis. Il devait leur permettre de bénéficier d’outils de gestion, d’administration, mais leur offrir la possibilité d’améliorer les services qu’ils proposent à leurs adhérents ».

41AnP aborde la question du langage commun entre les différents porteurs au regard de l’idée d’entreprise créée, du problème de la formalisation du projet et des compétences techniques.

42Par contre, YP présente une vision très volontariste et idéalisée du projet (près de 23%), mettant en avant l’aventure collective (avec GP notamment) que représente la création d’une activité, l’idée originale, la vision et le concept du projet ainsi que les compétences managériales requises.

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AnP : « Précisons ainsi que nous sommes arrivés dans le cycle avec un produit technique bien plus qu’avec un concept formalisé, une étude du marché et de ses réelles opportunités,… Je suis issu d’une formation scientifique qui enseigne surtout des compétences techniques, des compétences de gestion de projet sans nécessairement fournir tous les éléments pour adopter un discours clair face à un public novice. (…) Finalement, il me semble intéressant de préciser qu’une de mes préoccupations… était également que l’équipe adopte un langage commun et cohérent pour présenter le projet de création d’entreprise ».
YP : « Nous sommes des amis qui veulent créer leur société. Nous allons vivre une belle aventure, rien ne nous arrêtera et ne pourra nous arriver ! (…)
(GP) s’est lancé dans cette aventure car il a un goût prononcé pour le défi. Le challenge l’excite, il le fait vivre : c’est sa raison d’être. Et par conséquent, il ne peut imaginer l’échec, la création de la société doit se faire coûte que coûte » (…) « J’imaginais qu’une création était assez simple et qu’il ne nous faudrait pas plus de six mois pour mener notre projet à terme. (…) Nous sommes allés de rebondissement en rebondissement, nous n ‘avons cessé de reformaliser le projet pour qu’il devienne le plus pertinent possible ». (…)
« Il m’arrive également souvent d’imaginer un concept, de me projeter dans le futur et de voir en rêve ce qu’il pourrait donner dans la vie quotidienne. (…) Pourtant, nous sentions la portée extraordinaire du projet. Nous faisions naître des concepts intéressants. (…) Une idée a un concepteur. Il convient d’analyser ses compétences et ses motivations par rapport au contenu de l’idée ».

44La stratégie à long terme est davantage au cœur des explications de GP. Celle-ci doit être en adéquation avec les moyens (Cf. infra logique des facteurs) de l’entreprise. Elle est élaborée, pour ce porteur, selon une logique partenariale au regard des références aux parties prenantes (Cf. infra, la logique d’acteurs) et à travers la notion de réseau.

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GP : L’offre commerciale commence à se profiler grâce à l’étude de besoins… Un grand débat s’installe, il manque des informations sur la politique de prix et les idées de chacun divergent sur l’implication financière des différents acteurs de notre réseau : les clubs, les joueurs et les partenaires. C’est une des difficultés de la création d’entreprise. On ne travaille pas sur du concret, il faut donc imaginer sans oublier les priorités et la vision sur le long terme. Il faut résoudre les problèmes de front sans oublier la stratégie long terme de la future entreprise (…) il faut mettre en adéquation la stratégie de l’entreprise et les moyens dont elle dispose.

2.2.2 – La représentation des contraintes liées aux moyens et à l’environnement (logique des facteurs)

46La rationalisation du processus de création consiste à s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre ainsi que sur les contraintes à gérer. Ces « facteurs » d’influence de l’efficacité du projet peuvent être d’une part, de nature interne à travers les différents champs fonctionnels (« la gestion des moyens » techniques, financiers, commerciaux…), et d’autre part, de nature externe à travers le poids de « l’environnement et des marchés » (le contexte, les évènements, le marché, etc.).

47C’est en quelque sorte un diagnostic de la situation portant sur des faits qui est effectué ici, mais aussi, s’agissant de la mobilisation des moyens internes, aux axes de mise en œuvre.

Tableau 3

Le poids des thématiques relatives aux facteurs internes et externes

Tableau 3
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total La gestion des moyens techniques, financiers, commercia 12,4 8,6 10,6 8,8 10,5 La gestion des moyens techniques et technologiques ++ 3,6 La politique commerciale + - 3,3 Le financement + - 1,0 La contrainte des coûts (rentabilité) ++ - 1,0 L’élaboration du plan d’affaires (budget) La contrainte juridique ++ + + - 0,9 0,4 La politique d’investissement et d’achat + - - 0,3 La contrainte comptable ++ - - - 0,1 Le marché, l’environnement 4,2 2,5 5,4 4,2 4,3 Les références au marché + + 2,3 Les références aux situations et événements - - + ++ 1,2 Les références au contexte environnemental ++ - 0,8

Le poids des thématiques relatives aux facteurs internes et externes

48La première catégorie de thèmes (10,5% du contenu des rapports) renvoie aux politiques fonctionnelles (axes de mise en œuvre du projet portant sur des faits). Si les références aux moyens techniques et technologiques qu’il convient de mobiliser sont dominantes (il s’agit, rappelons le, de l’élaboration et de la mise en place d’un produit technique), la politique commerciale mais aussi les contraintes financières (au regard des préoccupations liées au financement, au business plan, à la contrainte comptable et des coûts), représentent un poids très important quoique inégalement partagé.

49Ainsi, GP met en avant la vision partagée avec YP concernant le plan d’affaires et développe la politique commerciale et financière selon une démarche organisée. Son collègue met l’accent davantage sur les aspects techniques du projet (la notion de pack, la programmation) :

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GP : « Par exemple, deux visions se présentent alors dans l’étude du Plan d’affaires. D’un côté, j’ai produit les documents de synthèse (le compte de résultat et le bilan). Je raisonne de manière globale sur un nombre de clients hypothétique. D’un autre côté, YP a raisonné par client. Il a mis en face de chaque dépense les ressources qui correspondaient, ce qui donne une vision plus précise du modèle. Aucune des deux visions n’est parfaite mais elles sont très complémentaires ». (…)
« Cette première partie se veut avant tout descriptive mais aussi analytique… C’est pourquoi je réaliserai des « fiches méthodes » classées par thème : marketing, commercial, communication, finance, management, juridique… » (suit un journal des actions et moyens mis en œuvre)
« - Lancement de l’étude de marché qualitative auprès de clubs de tennis : le but (est de) connaître le degré d’intéressement de notre service sur le marché utile : quels sont les points forts ? Quels sont les besoins oubliés ? A quel prix vendre le service ?, etc.. Cette étude nous a permis de construire une offre commerciale et d’envisager une politique de prix.
- Validation technique du produit avant d’aborder la stratégie de pénétration et la force commerciale.
- Affiner l’offre par des services de financement : prendre en compte les besoins de trésorerie de ses clients,
- Viser la rentabilité dans chaque service proposé. »
YP : « j’avais effectué une première réalisation technique. (…) Le message fort était… que le projet était techniquement viable et que j’avais su tirer profit des nombreuses erreurs des six mois passés pour mettre au point les méthodes de programmation qui mèneraient au succès.
Le projet a ensuite évolué vers la notion de pack. Cette idée que le produit devait répondre aux besoins du client mais pas les dépasser : il fallait absolument éviter la sur qualité. (…) Puis l’idée nous a été soumise de mettre en place cette notion de pack pour les joueurs utilisant le système à l’extérieur du club (…) C’est aujourd’hui elle (l’idée) qui donne tout le relief et la pertinence de notre modèle économique.
En parallèle, nous continuions à travailler sur les aspects techniques et projet. (…) L’objectif avoué était d’avoir un produit complet, rigoureux, totalement maîtrisé et optimisé pour, d’une part se mettre à l’abri des soucis techniques éventuels, (…) Il s’agissait également de mettre en place des méthodes de programmation optimisées dans la perspective d’éventuelles embauches. »

51La seconde catégorie de thèmes, moins fréquente que la précédente (4,3%), traduit les préoccupations liées à l’environnement et notamment les références au marché. Elles illustrent la volonté d’inscrire le projet dans son champ d’action tout en se positionnant selon une vision dynamique ou réaliste au regard des références aux événements et à la situation actuelle. Ces thématiques peuvent exprimer l’ouverture nécessaire vers l’extérieur ou, a contrario, s’entendre comme une contrainte au déroulement du projet (Cf. les événements subis par FnP). L’importance relative accordée à l’environnement est inégale selon nos individus.

52Les références au marché se retrouvent principalement chez GP. Il met en avant la nécessaire écoute des besoins (Cf. supra les références aux études de marché).

53Par contre, AnP développe plutôt le contexte environnemental général et FnP les événements ponctuant le déroulement du projet. Ce dernier laisse apparaître la séparation des projets.

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GP : « Le marché est la principale contrainte à respecter : (…) Lorsqu’on réalise son plan d’affaires, on souhaite être rentable rapidement …c’est le marché qui guide la politique tarifaire. »
AnP : « J’ai ainsi réalisé un document portant sur l’étude de l’environnement de notre projet à travers ses composantes marché, réglementation,… Pour ce faire, j’ai consacré la majeure partie de mon temps à la recherche documentaire. » (…) « Afin d’être le plus cohérent possible et d’obtenir des résultats fiables, j’ai décidé de cibler notre étude sur des… répondant aux critères de segmentation du marché. J’ai également inclus un club n’appartenant pas au marché utile présumé afin de valider nos choix. » (…). « C’est l’un des Facteurs Clés de Succès - notre excellente connaissance du milieu tennistique - que nous avions d’ailleurs mis en évidence à l’issue de l’étude de l’environnement du projet de création ».
FnP : « Je considère devoir créer uniquement dans le cas où le contexte économique se révèle réellement favorable. (…). Nous avons alors compris que tout au long de la création, les événements s’enchaîneraient très rapidement et qu’ils influenceraient grandement nos idées et décisions. (…)
La semaine qui a suivi ces événements (divergences de vues au sein du groupe) nous a permis de marquer une pause nécessaire dans le projet (…) les événements ont plus fortement dégradés la situation.

55A la lecture du tableau 3 et de ces verbatims, il apparaît que, si GP et parfois aussi YP axent leur présentation sur les moyens de la politique, AnP mais aussi FnP (comparé à la catégorie de thèmes précédents), adoptent une attitude assez déterministe, basée sur le mise en avant des contraintes contextuelles. Une vision déterministe, parfois fataliste, portée par le binôme ayant renoncé au projet semble s’opposer à une vision volontariste représentée avant tout par le binôme ayant poursuivi le projet.

2.2.3 – La représentation des parties prenantes du projet (logique d’acteurs)

56Situer le champ d’action dans les faits selon une vision réaliste c’est aussi faire référence aux différentes parties prenantes directes ou indirectes du projet. Ces acteurs peuvent être classés en trois catégories : les porteurs du projet, les partenaires participants au dispositif d’accompagnement et la constellation des parties prenantes externes liés au projet (clientèle, fournisseurs, banques, concurrents, etc.).

Tableau 4

Le poids des thématiques relatives aux acteurs du projet

Tableau 4
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total Les porteurs du projet 11,8 5,9 6,3 5,0 7,7 Les collaborateurs et acteurs (du projet) ++ - - - 2,5 L’équipe, le groupe de projet + 2,0 Les hommes (du projet) + 1,8 Le créateur, l’entrepreneur + 1,5 Les partenaires et le dispositif d’accompagnement 2,9 2,7 3,8 3,7 3,4 Le réseau de partenaires + 1,5 Les interlocuteurs - + + 1,2 Les experts et spécialistes + + - 0,6 Les parties prenantes externes 5,1 1,1 1,1 2,1 2,8 Les clients + - 1,6 Les fournisseurs + - - - 0,3 La concurrence + - 0,3 Les agents commerciaux + - - - 0,2 Les banques + + - - 0,2 Les prescripteurs, décideurs + - - 0,1

Le poids des thématiques relatives aux acteurs du projet

57Les principaux acteurs sont les porteurs du projet eux-mêmes (7,7%, Cf. Tableau 4). Les quatre jeunes créateurs se mettent en scène et exposent le processus qu’ils élaborent et mettent en œuvre ensemble. Ils se présentent comme créateur, entrepreneur, collaborateur, équipe ou groupe et proposent une vision très humanisée du projet (près de 12% pour GP). L’évocation du réseau de partenaires ainsi que du dispositif d’accompagnement (représenté par les interlocuteurs directs qui apportent leur aide dans le cadre pédagogique et, à un degré moindre, les experts rencontrés) est également significative (3,4% en moyenne mais près de 4% pour le binôme ayant renoncé au projet). Mis à part les clients potentiels, les acteurs externes sont plus faiblement valorisés (exception faite de GP qui s’est déjà signalé comme représentatif de la thématique « stratégie partenariale » dans la logique de finalisation - Cf. supra).

58GP amène davantage dans son propos une illustration de l’importance des relations entre les collaborateurs dans la réussite du projet (6,9%). Il s’inscrit dans une perspective plus humaniste de la gestion des hommes mobilisés autour du projet.

59La vision des quatre porteurs s’oriente suivant trois catégories : référence aux porteurs du projet (GP), référence au réseau de partenaires « internes » (AnP et FnP), référence aux parties prenantes externes (GP). YP fait peu de références aux acteurs même s’il valorise la notion de groupe et d’équipe - principalement pour en souligner les divergences de vue (Cf. infra) – et l’expertise d’accompagnement. Il apparaît, dans le binôme qui a poursuivi le projet, davantage comme suiveur alors que GP semble en être le moteur.

60GP parle de l’importance du management entre les co-porteurs d’un projet et avec les partenaires externes et déroule abondamment le film des relations parfois tumultueuses entre les quatre collaborateurs (Cf. infra) :

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GP : « Je suis convaincu aujourd’hui que la réussite d’une création d’entreprise dépend fortement des relations entre les différents acteurs du projet. J’entends par « acteurs du projet » les porteurs du projet, les prestataires externes (expert comptable, avocat et fournisseur), les prescripteurs et l’environnement privé.
Les porteurs de projet doivent se connaître parfaitement et partager une vision stratégique de l’entreprise commune. Le projet doit être également en harmonie avec soi-même… Une relation de confiance entre les porteurs de projet et les prestataires externes doit obligatoirement s’installer. (…)
« La réussite d’une entreprise dépend fortement des hommes qui la composent et du management de ces derniers ».
AnP : « Tout créateur considère en effet son projet comme un « bébé » mais, quand il n’y a non pas un mais quatre porteurs de projet, il faut partager ce bébé ». (…)
« … nous avons vite compris les portes que pouvaient nous ouvrir les rencontres sur le terrain, la construction d’un réseau relationnel. A posteriori, je regrette que nous n’ayons pas continué … la construction de ce réseau par la suite. En effet, nous nous sommes trop rapidement concentrés sur notre projet… alors que nous aurions pu nous faire connaître plus efficacement auprès de la CCI, de l’incubateur, c’est-à-dire auprès de partenaires institutionnels de la création d’entreprise. (…) Ceci n’a fait que confirmer la notion de réseau que le créateur doit se forger car c’est ce qui lui ouvrira les portes pour mener à bien son projet d’entreprise. Cette notion de réseau, nous l’avons entrevue progressivement avec MM… qui nous ont incité à identifier les acteurs qui pouvaient nous être bénéfiques … et à tirer parti de ces relations ».

2.2.4 – La représentation de la logique d’action et de décision

62L’action est présente dans les rapports des créateurs du projet (5% du contenu des textes) et principalement en référence aux décisions prises, aux solutions apportées aux questions qui se posent ainsi qu’aux propositions et initiatives. Cette rhétorique (particulièrement présente pour (FnP) se veut explicative et justificative. La mise en évidence du processus d’action se manifeste quant à elle à travers la mise en œuvre et l’implémentation des solutions (deux fois plus présente chez GP et YP). Elle traduit aussi la logique de changement (au niveau individuel pour AnP et FnP), d’adaptation et de développement. Cette rhétorique de l’action se veut davantage pragmatique et ancrée dans le réel.

Tableau 5

Le poids des thématiques relatives à la logique d’action et de décision

Tableau 5
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total Le processus de décision et d’action 4,1 4,7 4,5 6,6 5,0 La processus de décision - + + 2,5 Le processus d’implémentation et d’action + ++ - 1,3 La logique de changement 0,6 La logique d’adaptation - + 0,4 La logique de développement 0,2

Le poids des thématiques relatives à la logique d’action et de décision

63GP et surtout YP (avec 2,7%) sont sur une logique finalisée de l’action. A contrario, AnP et surtout FnP (avec 3,8%) adoptent une conception de l’action axée sur sa préparation et sa formalisation (e.g. processus de décision).

64

AnP : « C’est ainsi que des réunions bimensuelles ont été planifiées afin d’y aborder les grandes décisions concernant le projet d’entreprise mais également afin d’y relater les résultats concrets auxquels nous avions pu arriver ».

2.2.5 – La représentation des performances attendues et de la réussite / difficultés du projet (logique d’évaluation)

65Les indicateurs de performances sont variés. Si certains ont été abordés dans la logique des contraintes fonctionnelles (la rentabilité notamment), il s’agit ici plutôt des résultats attendus (voire d’un bilan provisoire).

66Les résultats commerciaux sont mis en avant au détriment, la plupart du temps, des résultats financiers. Il est vrai qu’il s’agit de préoccupations plus sensibles à court terme (la qualité et l’image) ou plus perceptibles (parts de marché, ventes, chiffre d’affaires, pénétration) dont dépendent les seconds (revenus, recettes, liquidités).

Tableau 6

Le poids des thématiques relatives aux résultats attendus et à l’appréciation du projet

Tableau 6
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total L’appréciation négative du projet 2,2 2,2 3,0 4,3 3,0 Les problèmes et difficultés rencontrés - + ++ 1,8 Les erreurs et échecs - + 0,8 Les tensions et les conflits + - - 0,4 Les performances attendues 2,2 0,7 2,4 2,3 2,2 Les résultats et le bilan + + 0,6 La qualité et l’image - + 0,5 La valeur créée - + + 0,4 Les performances commerciales attendues + - - 0,3 Les revenus et recettes attendus - + - 0,3 L’expression du succès et de la réussite du projet 0,3 1,3 0,7 0,5 0,6

Le poids des thématiques relatives aux résultats attendus et à l’appréciation du projet

67L’expression des difficultés rencontrées, des dysfonctionnements, voire des échecs et erreurs, est plus importante (3%) que la valorisation du succès et de la réussite du projet (0,6%). Ce résultat n’a rien d’étonnant puisque les documents étudiés portent sur le déroulement du projet selon un regard critique et n’a pas pour objectif d’argumenter sur une réussite qui n’est que potentielle. De la même manière les conflits et tensions entre les quatre porteurs de projet sont loin d’être occultés.

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AnP : « Aussi, nous percevions de façon très nette l’intérêt des réunions. Il s’agissait, pour nous (AnP et FnP) de partager, certes les résultats de notre travail, mais avant tout les succès et échecs… A l’inverse, GP et YP avaient un discours beaucoup trop synthétique puisque seuls les résultats étaient exposés et non les moyens pour y arriver ». (…) « Nous avons commis l’erreur de séparer ces deux problématiques (l’adéquation de l’offre commerciale avec les besoins du terrain, l’élaboration du modèle économique futur) alors qu’elles étaient étroitement reliées ».
YP : « La mise en test fut un succès. Très peu d’erreurs rencontrées, le système fonctionnait et suscitait beaucoup d’enthousiasme (…). Pourtant, malgré ces succès, je me rappelle avoir pris pour la première fois conscience de nos différences en terme de méthode de travail ».
FnP : « Nous nous sommes d’ailleurs rapidement aperçus que nous avions beaucoup de difficultés à mettre en place une formalisation du projet convenable ».

69De façon non étonnante, les créateurs ayant abandonné le projet (AnP et FnP) sont beaucoup plus pessimistes en terme d’appréciation de celui-ci et font davantage état des difficultés (de formaliser le projet, de percevoir les besoins, dans les relations avec les partenaires économiques, d’être créatif, à se remettre en cause…) ainsi que des échecs et des erreurs (principalement de jugement). A contrario, ceux qui l’ont poursuivi valorisent la notion de réussite (YP) ou bien, plus concrètement ou prudemment, mettent en avant les indicateurs de performances commerciales attendues (GP).

70L’abandon du projet par AnP et Fnp semble résulter d’un double sentiment : celui de ne plus se sentir véritablement « porteur » du projet et celui de se sentir dessaisi des résultats de l’action comme le résume FnP :

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FnP : « Un créateur d’entreprise qui n’a plus la main mise sur son entreprise n’en est pas un. Nous n’étions plus créateurs d’entreprise, AnP et moi, mais de simples collaborateurs… Le projet perdait alors tout son intérêt et la décision de quitter l’entreprise devait se faire rapidement, d’autant plus que ce problème n’était pas unique. L’autre problème soulevé est l’utilisation permanente des réussites passée pour avancer, … GP et YP prennent souvent exemple sur ce qu’ils ont réalisé pour expliquer ce qui devrait se passer pour l’entreprise. (…) Très rapidement, le raisonnement par rapport aux réussites antérieures et le besoin de s’identifier à la création de l’entreprise ont amené un fort problème d’écoute ».

72Par ailleurs, on peut noter que, dans chacun des deux binômes, un des acteurs expliquent ces différences de perception de la réussite du projet par les relations parfois conflictuelles au sein de l’équipe alors que l’autre ne l’intègre pas dans son raisonnement. Ce dernier point souligne une appréciation subjective du projet tel qu’il peut être vécu individuellement - selon la personnalité des créateurs - et fait la transition avec le paragraphe suivant.

73

GP : « Revenons sur la crise qui a touché le groupe : cette dernière peut s’expliquer par la nature même de chacun et de leur relation qu’ils entretiennent avec le travail. D’un côté se trouvent les « T » (Thinkings), de l’autre les « F » (Feelings). La finalité pour les « T », c’est le résultat de la tâche. Les « T » se focalisent sur la tâche. Les « F » mettent en avant les moyens pour parvenir à leur fin et notamment les moyens humains. Ils suivent beaucoup plus leur intuition, ils sont dans le court terme et dans l’action. Les « F » se focalisent sur l’individu. Les causes du conflit se situent, pour l’un, dans les reproches sur son travail, et pour l’autre, sur l’absence de reconnaissance ».

2.3 – La création par les « traits » de personnalité : des compétences illustrant un savoir - être (processus relationnel)

74Après avoir envisagé les différentes préoccupations et représentations du projet de façon objective et factuelle nous proposons de poursuivre l’analyse autour des éléments cognitifs du processus d’élaboration du projet (traits de personnalité, psychologie, etc.) et le ressenti souvent individuel des aspects relationnels à l’intérieur du groupe de créateurs.

75Trois logiques ressortent : d’apprentissage (2.3.1.), relationnelle (2.3.2), émotionnelle et des valeurs (2.3.3).

Figure 3

Les trois « logiques » d’expression de la création par les « traits »

Figure 3

Les trois « logiques » d’expression de la création par les « traits »

76Ainsi, la première (2.3.1.) fait le lien entre les aspects factuels et le vécu relationnel à travers le processus de gestion des connaissances et le processus d’apprentissage dans lequel s’inscrit la démarche de création de ces quatre co-porteurs. Les deux autres concernent le vécu relationnel intra-groupe (2.3.2.) puis le vécu individuel faisant une large part à l’état d’esprit propre à chacun (2.3.3). Ce dernier point permet de constater les divergences de contenu et d’appréciation.

2.3.1 – La représentation du processus d’acquisition des informations et des connaissances (logique d’apprentissage)

77Cette logique se traduit par deux groupes de thématiques : d’une part, la recherche d’informations et les relations externes, d’autre part, la gestion des connaissances (acquisition d’expériences, apprentissage) et le relationnel dans le groupe (réunions, échanges, débats).

Tableau 7

Le poids des thématiques relatives à la gestion de l’information et des connaissances

Tableau 7
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total La gestion de l’information et les contacts externes 10,9 5,4 10,0 10,2 9,9 La recherche d’informations (études, recherches…) E - + 3,3 Les contacts extérieurs (entretiens, communicat°) 2,1 Les références au terrain et aux faits + - - 1,5 L’écoute des besoins du marché - 1,3 L’argumentation et la négociation ++ - 0,9 La recherche d’aide et de conseils - + + 0,7 La gestion de la connaissance et le relationnel interne 3,7 8,3 8,8 8,4 6,9 Les réflexions, le raisonnement et la connaissance - 3,2 Le processus d’apprentissage (expérience, formation) + 1,9 Le relationnel dans le groupe (réunions, échanges…) - + + 1,4 Le souci de la formalisation - ++ - 0,5

Le poids des thématiques relatives à la gestion de l’information et des connaissances

78YP et GP se trouvent dans une approche plus pragmatique que AnP et FnP même s’ils reconnaissent l’importance de la phase de préparation du projet.

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GP : « J’imaginais qu’une création était assez simple et qu’il ne nous faudrait pas plus de six mois pour mener notre projet à terme. Mais presque deux ans après, le projet est seulement sur le point d’aboutir. Nous sommes allés de rebondissement en rebondissement, nous n ‘avons cessé de reformaliser le projet pour qu’il devienne le plus pertinent possible. Aujourd’hui, le projet ne ressemble pas à celui d’origine et cette période de réflexion s’est avérée a posteriori plus que nécessaire ».
YP : « Par ailleurs, GP et moi (YP), résolument tournés vers la concrétisation, ressentions une certaine gêne par rapport au travail de FnP. Nous n’avions plus les mêmes objectifs. Nous recherchions des solutions concrètes pour le projet. Il se satisfaisait d’une situation d’apprentissage sans réel besoin de concrétisation (…) Nous cherchions la concrétisation, FnP et AnP cherchaient l’apprentissage, l’expérience humaine » (…) « Cette différence peut paraître anodine. Je le pensais à cette période. Pourtant, c’est probablement cette différence qui a créé la scission du groupe six mois après ».

80Pour AnP et FnP, il semble plus important de pouvoir vivre le projet comme un processus d’apprentissage, c’est-à-dire comme un moment privilégié d’acquisition d’expérience et de partage d’un même langage.

81

AnP : « J’avais en effet une vision trop technique du projet sans prendre en compte les composantes commerciales. C’est important l’apprentissage du management. Cela manquait totalement dans mon parcours ».
(…) C’est ainsi que dans les premières semaines du Cycle de formation, j’ai été confronté à un problème de formalisation de projet ». (…) « Finalement, il me semble intéressant de préciser qu’une de mes préoccupations face à la formalisation du projet était également que l’équipe adopte un langage commun ».
FnP : « Une réussite significative était aussi pour moi de pouvoir comprendre et prouver pourquoi une entreprise ne peut pas être crée, en ayant abordé tous les points liés à la création. (…) Le principal objectif pour moi était donc l’apprentissage très riche que je pouvais vraisemblablement espérer de ce chemin que nous allions devoir parcourir pour pouvoir, dans le meilleur des cas, parvenir à créer l’entreprise qui nous faisais rêver ».

82La lecture du tableau n°7 montre que le binôme ayant renoncé au projet était au départ davantage sensible à l’apprentissage du groupe et à la gestion des relations internes qu’à la concrétisation du projet de création. Ce binôme est également sensible à la recherche d’informations et la gestion des connaissances (questions, informations, conseils, contacts).

2.3.2 – La représentation du processus relationnel intra-groupe (logique relationnelle)

83Cette logique d’expression illustre l’organisation interne et les principes de travail de l’équipe.

84Les questions de répartition du pouvoir et des tâches sont d’ailleurs largement développées. Le rôle de chacun fait l’objet d’une attention toute particulière (notamment pour GP et YP). Alors que AnP et FnP mettent en avant la nécessité d’une démarche planifiée, les questions d’organisation et les règles de fonctionnement du groupe sont bien plus présentes chez GP et surtout YP. Par ailleurs, nous pouvons souligner que ces derniers sont moins sensibles au partage des responsabilités que AnP et FnP.

Tableau 8

Le poids des thématiques relatives à l’organisation et aux méthodes de travail

Tableau 8
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total L’organisation et les méthodes de travail 8,9 10,6 7,8 8,4 8,6 Le travail du groupe et le rôle de chacun + + 3,7 La démarche et la planification - + + 1,1 Méthode -Processus (procédure) + 1,1 L’organisation et le fonctionnement de la structure + ++ - 0,7 Le mode et les règles de fonctionnement + + 0,6 La / les motivations + + 0,5 Le partage des responsabilités - + 0,5 Les références à la gestion et au management + 0,4

Le poids des thématiques relatives à l’organisation et aux méthodes de travail

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YP : « Pour nous, l’optimisation d’un travail d’équipe réside dans la subtile conjonction entre trois notions que sont l’ambiance, le pouvoir et l’organisation. Dès le début, nous avons cherché à nous organiser, à donner une structure à l’entreprise. Le but recherché était tout naturellement d’optimiser notre fonctionnement et notre travail. La première structure adoptée était une structure linéaire. Nous avions mis en place quatre directions, la direction administrative et financière, la direction production et développement, la direction marketing et stratégie, la direction mise en marché. Chacun d’entre nous était responsable d’une direction correspondant le plus à ses affinités. Cette structure était très rigide. Je ne la trouvais pas pertinente car, dans un contexte de création, le projet évoluait tous les jours ce qui amenait les différentes directions à ne plus travailler en phase (…) Par ailleurs, j’avais l’impression que cette structure ralentissait l’évolution du projet. GP en souffrait également. FnP et AnP en revanche, appréciaient ce mode de fonctionnement. C’est à ce moment que j’ai compris qu’une autre composante nous différenciait fortement. GP et moi (YP) étions des imaginatifs. Une telle structure bornait, étouffait notre capacité de création. FnP et AnP se situaient davantage dans l’exécutif. Une telle structure leur donnait des repères et les stabilisait ». (…)
« Je me rappelle qu’au bout de quelques mois, étouffés, GP et moi (YP) avions souhaité modifier la structure de l’entreprise pour qu’elle fonctionne par projet et non par direction (…) Une longue discussion a donc été entreprise : comment organiser les groupes ? Les groupes se sont finalement constitués par affinité et je suis resté avec GP sur le projet. Je pense que la scission du groupe s’est faite à cet instant. Nous cassions l’ordre établi, nous leur imposions une structure dans laquelle ils ne pouvaient se sentir à l’aise. Nous cassions également l’aspect groupe, affectif, cette aventure humaine qui leur était si chère ».
GP : « Actuellement, aucun d’entre nous n’est capable de définir précisément la fonction de chacun dans l’entreprise et nous pouvons nous apercevoir que cela entraîne des incompréhensions et donc des disfonctionnements au sein du groupe. C‘est pourquoi une réunion à mon initiative aura lieu pour échanger sur les différents postes que chacun d’entre nous occupera et surtout pour définir précisément les rôles et limites de chaque poste, ainsi que les règles et les modes de fonctionnement à respecter par la suite pour envisager le bon fonctionnement de notre entreprise. Cette réunion doit déboucher sur un engagement tacite de chacun ».

2.3.3 – La représentation de l’état d’esprit et des valeurs individuelles (logique émotionnelle et des valeurs)

86Certaines logiques individualistes peuvent apparaître tout au long de la séquence de création, au détriment de l’intérêt collectif. Celles-ci traduisent un enfermement des acteurs dans une logique duelle.

Tableau 9

Le poids des thématiques relatives à l’état d’esprit et aux valeurs des créateurs

Tableau 9
?Thématiques (fréquences relatives) GP YP AnP FnP Total Les rapports humains dans le groupe de projet 1,7 3,1 3,0 1,9 2,2 Les sentiments, les aspects humains + - 1,2 Les comportements et caractères - + 0,9 L’amitié - + 0,1 Les valeurs 2,8 3,1 3,4 2,9 3,0 Le pragmatisme et la rationalité + 0,5 Les craintes et les doutes + - + 0,5 La volonté et l’enthousiasme - ++ 0,5 La pertinence et la cohérence +Pe + - 0,5 L’efficacité - ++ 0,4 La confiance et l’optimisme - 0,4 L’effort - + - 0,2 La certitude + 0,1 L’exigence + 0,1

Le poids des thématiques relatives à l’état d’esprit et aux valeurs des créateurs

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YP : « Pour GP et moi, la priorité était donnée au travail. L’aspect humain passait au second plan. Nous étions conscients que la concrétisation du projet nécessitait un énorme travail. Nous nous sommes refermés, concentrés sur ce travail ». (…) « Peu à peu, FnP et AnP ont perdu leurs repères. Il ne s’agissait plus d’un groupe d’amis mais d’un groupe de travail. L’expérience de la création n’était plus humaine mais labeur ». (…) « Dès cette période deux théories se sont donc opposées. Nous pensions que la création était une histoire de travail et ils pensaient qu’il s’agissait d’une histoire d’hommes ».
AnP : « Je suis chaleureux, loquace, aimé de tous, consciencieux, coopératif. Il en ressort également que j’ai souvent besoin d’harmonie et que j’ai le don de la créer, que je suis toujours en train de rendre service à quelqu’un, que j’ai besoin d’être encouragé et apprécié dans mon travail. Enfin, il apparaît que je m’intéresse principalement à ce qui affecte directement et visiblement la vie des gens ». (…)
« J’ai besoin d’harmonie. J’ai en effet souvent la volonté que tout fonctionne tel que je le souhaite. Ceci fait de moi un entrepreneur dans le sens où je peux savoir diriger au moment opportun, sans occulter le moindre détail et en faisant en sorte que tous ces détails soient cohérents avec une ligne directrice ».
AnP : « GP et YP avaient besoin d’arguments et non d’intuitions, de résultats et non de moyens, vraiment différent de mon profil ».

88GP est véritablement le moins axé, à la lecture des résultats, sur les aspects humains et sur les valeurs partagées. Avec Yp, sa préoccupation constante est relative au besoin d’un ancrage terrain, pragmatique et rationnelle. En effet, AnP se trouve à l’opposé de cet état d’esprit. Il a une grande part d’affectif dans son approche, centré sur l’aspect relationnel. D’ailleurs, rappelons que l’analyse a permis de souligner d’une part, le style argumentatif exprimé par le binôme « AnP et FnP » (abandon) : ces derniers semblent devoir justifier les raisons de l’échec. D’autre part, que les arguments de GP et YP sont quant à eux de style normatif. Ils exposent principalement des faits relatifs à la poursuite du projet en évitant toute justification.

89Finalement, des porteurs peuvent avoir des motivations différentes et cela pose la question primordiale de « l’aventure humaine », prioritaire pour certains et au second plan pour d’autres. Cela nous fait dire à travers la distinction retenue « poursuivants vs. renonçants » que sur les logiques « apprentissage, relationnelle et émotionnelle », peuvent apparaître des divergences importantes au sein du collectif des porteurs et qu’une vigilance s’impose pour éviter tout enfermement ou situation de blocage.

2.4 – La vision et le vécu : des convergences et divergences entre les co-porteurs du projet

90A l’issue de cette étude, un retour sur le contenu des rapports rédigés par nos quatre co-porteurs de projet peut être mené. L’intérêt de cette synthèse, mais aussi sa difficulté, tient à la richesse du matériau textuel analysé. Les résultats, qualitatifs ou quantitatifs, ont permis de mettre en évidence, d’une part, la diversité des profils et des compétences des membres d’une équipe de jeunes entrepreneurs et, d’autre part, leur influence sur la vision et l’aboutissement du projet de création.

91Nous pouvons tenter, sur ce dernier point, d’identifier les convergences et divergences majeures entre le binôme qui a renoncé à la mise en œuvre du projet et celui qui l’a poursuivie et fait aboutir (Cf. Tableau 10). Les chiffres issus d’une analyse automatisée sur de larges textes ne constituent à cet égard que des « signaux » destinés à orienter et à approfondir la recherche, qualitative cette fois pour en faire émerger le contenu latent et en proposer une interprétation. Il ne s’agit ici que d’un bilan provisoire, sans volonté de prétendre à une généralisation.

Tableau 10

Eléments de convergence et de divergence entre binômes

Tableau 10
?Convergences entre les binômes La richesse conceptuelle des rapports d’études La volonté d’exprimer un dynamisme, une motivation La recherche d’une vision stratégique partagée Les compétences techniques et managériales requises L’égocentrisme, la difficulté d’un travail collectif Convergence des binômes mais divergences internes à chaque binôme L’existence d’un "meneur" et d’un "suiveur" L’existence d’un profil rationnel vs. plus idéaliste et affectif L’existence d’un profil intégrant vs. occultant les conflits Divergences Binôme « Poursuite » Binôme « Abandon » Style Plutôt narratif Plutôt argumentatif Thématiques Intérêt porté aux moyens (maîtrise des ressources) Les porteurs eux-mêmes Le processus de mise en œuvre (actions concrètes et finalisées) Appropriation des performances Besoin d’une organisation et de rè-gles Intérêt porté à l’environnement (contraintes contextuelles) Le dispositif d’accompagnement Le processus de décision Expression des difficultés Besoin d’une planification et de par-tage des responsabilités Vision émergente Volontariste et optimiste Pragmatique Déterministe et pessimiste Centrée sur la relation Vécu du projet Comme un objectif Comme un apprentissage

Eléments de convergence et de divergence entre binômes

92L’état d’esprit, la manière dont chacun des membres d’une équipe entrepreneuriale vit le projet, son vécu relationnel, apparaissent comme des éléments de prédétermination majeure à la poursuite ou au renoncement lors de la phase de préparation. Cette synthèse montre également que des sous-groupes se constituent lors de cette étape, en associant des individus au profil distinct. La vision du projet qu’elle met en évidence pour chacun des deux groupes - même exprimée a posteriori - n’en demeure pas moins affectée.

Conclusion

93Utilités et apports du cas

94L’analyse des deux binômes d’étudiants dans la phase projet, à travers la statistique lexicale associée à une analyse qualitative de contenu, a trois utilités.

95La première utilité (ou apport) concerne la mise en évidence, dans les discours des porteurs de projet, de quatre « pôles thématiques » structurants et discriminants.

96Le premier pôle pourrait être intitulé « projet ». Il renvoie vers deux éléments principaux :

  • La représentation du projet par le ou les porteurs,
  • les motivations du ou des porteurs de projets.
Ce pôle thématique couvre notamment des éléments comme la vision, les valeurs, les émotions…

97Le deuxième pôle thématique concerne des éléments de mise en œuvre du projet entrepreneurial. Il pourrait être intitulé « organisation et préoccupations fonctionnelles ». Les thèmes principaux abordés sont généralement relatifs…

  • au développement technologique, à la question de la R&D au cœur des projets sélectionnés,
  • à l’organisation de la relation clientèle et à la gestion commerciale,
  • au financement et à la gestion économique et financière.
Ces trois sous-thématiques peuvent le cas échéant renvoyer les unes vers les autres. Par exemple, la question de la R&D pose une problématique de financement mais aussi une problématique de commercialisation des produits développés.

98Le troisième pôle thématique a trait à la question de la gestion des relations partenariales. Il concerne les relations au sein de l’équipe entrepreneuriale mais aussi la relation avec les autres parties prenantes (réseau d’aide, financeurs…) externes. Il pourrait être intitulé « gestion des relations ».

99Enfin, le quatrième pôle thématique pourrait être intitulé « processus d’apprentissage » ou « dimension apprentissage ». Il a trait à la dynamique d’apprentissage inhérente à toute activité humaine. Il est cependant particulièrement sensible dans le cas de projets entrepreneuriaux. Il renvoie aussi vers des thèmes comme la recherche et l’utilisation d’informations, le développement des connaissances et des compétences, le processus de décision et la question de l’évaluation.

100La mise en exergue de ces quatre pôles thématiques est l’un des apports majeurs de cette étude de cas et servira, pour d’autres travaux, à structurer l’analyse de cette phase projet. Elle a donc une valeur heuristique.

101La seconde utilité de ce cas réside dans la révélation de multiples interrelations entre ces quatre pôles. Par exemple, le développement d’une vision particulière du projet entrepreneurial (dimension projet) va influer sur les politiques fonctionnelles envisagées ou mises en œuvre (dimension fonctionnelle). Le partage de cette vision (dimension projet) va faciliter l’adhésion de l’équipe entrepreneuriale (dimension relationnelle). La qualité des développements technologiques (dimension fonctionnelle) va influencer le support qui va pouvoir être trouvé au sein du système d’aides (dimension relationnelle). A leur tour, de bonnes relations avec le système d’aides, un parrainage de certains acteurs (dimension relationnelle) va permettre d’éviter certaines erreurs, de gagner du temps (dimension apprentissage). Ces illustrations ne sont pas exhaustives et d’autres moins génériques de ces interrelations entre dimensions peuvent encore se retrouver.

102La troisième utilité de cette étude de cas est de mettre en évidence des logiques différentes sur chacun des pôles thématiques. L’interprétation de ces logiques pourrait, lors de l’étude d’autres cas, progressivement être affinée, complétée, approfondie. Ainsi, ce dernier type d’apport peut être lu comme une étape permettant des enrichissements complémentaires par pôle thématique.

103Perspectives

104Cette contribution souligne l’importance de suivre l’évolution de la relation existante entre les membres d’une même équipe et ce, dès la phase projet. La problématique soulevée ici renvoie naturellement à une étape particulière du phénomène mais il importe de prolonger cette voie de recherche pour toutes les autres phases envisageables : création puis démarrage. A l’instar de Torrès (1997, p.19), nous pensons qu’« à chaque période correspond un mode de fonctionnement spécifique qui va engendrer une crise spécifique. Mais ces spécificités ne sont pas mesurables, quantifiables. Elles sont du domaine de l’interprétation d’un phénomène qualitatif. L’intérêt est moins d’identifier précisément des seuils critiques que de mettre en garde sur l’existence probables de crises que l’entreprise devra surmonter au fil de sa croissance ».

105Concernant la méthodologie proposée dans cette contribution, elle peut s’envisager comme un outil novateur et original de suivi tant pour le pédagogue investi dans le champ de l’entrepreneuriat que pour le chercheur en quête d’une compréhension plus fine du phénomène. En effet, face à l’importance des processus cognitifs à l’œuvre et à leur impact, le suivi de la dynamique existante invite à de nouveaux dispositifs permettant des tests empiriques, capables de faciliter le maintien de liens intra-organisationnels. Bien entendu, la possibilité de confronter ces quatre rapports avec les entretiens semi-directifs et l’observation limitent un risque important de biais : celui d’une « commande de professeurs » en vue de l’obtention d’un diplôme.

106Selon nous, ces premiers résultats ouvrent de nouvelles pistes sur les modalités de mise en œuvre d’un projet naissant tant au niveau de la dynamique relationnelle en vigueur au sein de l’équipe d’associés (production d’accords ou de désaccords, maintien d’une vision partagée) qu’au niveau de la future confrontation avec le marché (prémices de la réussite ou de l’échec). De plus, nous avons observé une situation intéressante en regard « du manque de travaux académiques sur les cas d’échec ou de dysfonctionnements lourds » dans le domaine de l’entrepreneuriat collectif (Boncler et al., 2006, p.2).

107Pour conclure, la perspective quelque peu idyllique d’un entrepreneuriat collectif ne doit plus cacher les problèmes auxquels ces entrepreneurs peuvent être confrontés. Les besoins de formation à la gestion en général, dans le champ de l’entrepreneuriat en particulier, sont grandissants dans l’enseignement supérieur. Pour Filion (1997, p.11) « le problème de trop de gens consiste encore à penser qu’on peut s’improviser entrepreneur du jour au lendemain » alors que si le créateur apprend en marchant, selon Sammut (2005, p.50), il a néanmoins besoin de certains savoirs pour faciliter ses avancées.

Bibliographie

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  • YIN R. (1989), Case study research : design and methods, Sage publications.

Notes

  • [1]
    Nous pensons notamment aux travaux de Arlotto, Ayadi, Boidart, Boissin, Bourcieu, Emin, Jourdan sur les concours pédagogiques, sur le lancement d’une start-up, sur l’intention entrepreneuriale des étudiants, articles présentés lors de différentes conférences (CIDEGEF - AIREPME - Académie de l’Entrepreneuriat).
  • [2]
    Terminologie défendue par Robert Paturel (2005 ; 5).
  • [3]
    Il faut comprendre ici notre volonté de quitter la figure de l’entrepreneur solitaire et démiurge.
  • [4]
    Nous limitons volontairement l’analyse de l’interaction aux seuls membres de l’équipe. En effet, l’interaction peut se lire dans une acception plus large, comprenant l’ensemble des autres parties-prenantes au projet.
  • [5]
    La construction de cartes cognitives se prête peu à l’étude conjointe de plusieurs rapports d’études volumineux. Il faudrait alors établir des cartes dites composites (collectives) qui se construisent par superposition de cartes individuelles. Mais cela pose des problèmes lorsqu’on s’intéresse à l’acceptation donnée au concept utilisé ou au langage employé par le locuteur.
  • [6]
    Cette proximité avec le terrain est rendue possible pour trois raisons : un enseignement en salle dispensé à tous les auditeurs du cycle, le tutorat de ce projet tout au long de l’année et une recherche doctorale (Barès, 2007).
  • [7]
    Les consignes proposées aux étudiants ont été respectées : respect du format (nombre de pages), respect des thèmes abordés (démarche, succès, difficultés, explications personnelles).
  • [8]
    Ainsi que le montre cette figure, à ce recueil de données textuelles se sont ajoutées une série d’entretiens semi-directifs (en début du cursus) et une soutenance finale devant un jury de professionnels et d’enseignants-chercheurs. Comme nous l’avons précisé précédemment, ces deux dernières analyses ne sont pas abordées ici.
  • [9]
    Nous retiendrons l’hypothèse de Maingueneau (1987) selon laquelle la répartition des cooccurrences d’un discours n’obéit pas au hasard : les mots utilisés sont représentatifs de perceptions et de comportements. L’examen du contexte d’apparition des formes pertinentes dans les textes et l’exploration du relevé fréquentiel permettent d’identifier un thesaurus de mots pleins et de reconstruire un champ sémantique codifiable. Ainsi, au-delà des termes spécifiques dédiés à la création d’entreprise, nous avons intégré, dans un répertoire d’analyse étendu, les termes associés au management, aux parties-prenantes (banquiers, clients, etc.), aux politiques fonctionnelles (GRH, marketing, finance, etc.), à l’environnement et aux résultats attendus, susceptibles d’être en relation avec les préoccupations d’une démarche entrepreneuriale.
  • [10]
    Deux principes ont guidé nos choix méthodologiques : 1) La non-réduction a priori du champ de l’observable qui amène à considérer l’ensemble des champs sémantiques du langage managérial et de ses pratiques discursives ; 2) L’hypothèse basée sur la théorie de l’apprentissage selon laquelle plus une information est émise fréquemment dans un système donné plus il est probable qu’elle caractérise un phénomène important pour ce système.
  • [11]
    Ces nuances et différences sont susceptibles de caractériser l’implication dans la conduite du projet.
  • [12]
    La frontière établie entre l’approche factuelle et relationnelle retenue dans notre exposé repose avant tout sur une logique de présentation et de mise en évidence de comportements récurrents. En réalité, elles se mêlent, s’enchevêtrent en laissant apparaître l’intérêt d’une approche processuelle.
  • [13]
    L’intitulé des thèmes met en évidence leur contenu lexical. En raison de la taille des textes variables, les fréquences thématiques sont calculées en pourcentage des occurrences des termes retenues (les occurrences totales figurent dans le tableau 1). Dans les tableaux thématiques présentés, les thèmes significatifs pour un locuteur sont mis en évidence (« + » ou « - » lorsque l’écart du poids du thème par rapport à la moyenne du corpus +/- supérieur à 50% ; « ++ » s’il est supérieur à 100%). Les verbatims présentés en sont une illustration.
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