Notes
-
[1]
Selon le rapport d’évaluation de la Cour des Comptes sur les dispositifs de soutien à la création d’entreprises rendu en décembre 2012.
-
[2]
Service d’appui à la création et reprise d’entreprises et Centre de contacts clients.
-
[3]
Jacquemin, A. et Janssen F. (2013), « The Role of Regulation in Facilitating Entrepreneurship: A Study of Incubation in Belgium », International Journal of Entrepreneurship and Small Business, vol. 20, n° 4, 497-519 ; Parker, S. (2007), “Law and the Economics of Entrepreneurship”, Comparative Labor Law & Policy Journal, 28:4 ; Mayer-Schönberger V. (2010), The Law as Stimulus:The Role of Law in Fostering Innovative Entrepreneurship, I/S A Journal Of Law And Policy, vol. 6:2.
-
[4]
Cornu G. (2007), Introduction au droit, Domat droit privé, p. 106 N° 190.
-
[5]
La 8e édition du Vocabulaire Juridique (2000) contient plus de 10 000 mots. Plusieurs éditions la suivent dans la collection Quadrige (8e éd. 2007).
-
[6]
Dondero B., professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris I), Le droit est aussi au service de l’économie, Semaine Juridique, N° 8, 18/2/2013.
-
[7]
Rebeyrol V. et Schonberg E., Managers, maîtrisez vos risques juridiques !, Pearson, p. 1.
-
[8]
Mompert L. membre et porte-parole du Bureau du Conseil supérieur du notariat, La SemaineJuridique, N° 3, 14/1/2013.
-
[9]
Molfessis N., Autojuridication. Comment et pourquoi les justiciables se passent de plus en plus des professionnels du Droit, JCP G 2012, doct. 1292.
-
[10]
Synthèse du Rapport de la Cour des Comptes à l’État et aux régions sur l’évaluation des dispositifs de soutien à la création d’entreprise, recommandation n° 21.
-
[11]
Croyance entretenue par un acteur que ses projets se réaliseront, grâce au degré d’influence qu’il exerce sur des personnes pour que les choses se produisent dans le sens de ce qu’il préconise.
-
[12]
Entrepreneuriat et TPE : la problématique de l’accompagnement, Management & Avenir, 2010, n° 40, 116-140.
-
[13]
Voir les représentations caricaturales du monde judiciaire et des avocats en particulier par Daumier (Les Gens de Justices, 38 lithographies publiées dans Le Charivari, entre 1845 et 1848), dont deux exemples dans ce texte.
-
[14]
Un barreau (du nom de la barre du tribunal) regroupe l’ensemble des avocats relevant d’un tribunal de grande instance. Il devrait y avoir 160 barreaux en France, après la mise en œuvre des dernières réformes. Vincent Rebeyrol, Eve Schonberg, ouv. préc.
-
[15]
Une recherche menée sur les relations de « mentorat » montre que l’engagement du professionnel est une composante essentielle de l’efficacité de la relation (St Jean, Audet, Le mentorat d’affaires : existe-t-il un style d’intervention idéal ?, CIFEPME, Bordeaux, 2010). Des similitudes pourraient être étudiées dans le cadre des styles d’intervention développés par les accompagnateurs spécialisés comme les juristes.
-
[16]
Exemples : C.Cass. Chbre com. 13/10/2009 N° Jurisdata 00810430 : « L’avocat doit s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération » ; autre exemple, C.Cass. 1 ère Cbre civile 25/2/ 2010, N° Juridata 000886, au sujet d’un manquement au devoir de conseil lors de la rédaction d’un acte.
-
[17]
William FEUGERE et Catherine PEULVE, avocats au barreau de Paris, respectivement Président national de l’association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE) et présidente de l’ACE- PARIS. Semaine Juridique, édition générale, N° 42, 15/10/2012.
-
[18]
L.MARLIER, le marketing du cabinet d’avocats. Communication, relations publiques, publicité, Éditions d’Organisation, 1999.
-
[19]
Elle privilégie les lois de l’économie de marché sur la singularité des professions réglementées : CJUE, 5/4/2011, C-119/09 : JCP G 2011, doct. 1098, n° 8, obs. S. BORTOLUZZI.
-
[20]
Laurent MOMPERT, membre et porte-parole du Bureau du Conseil supérieur du notariat : Semaine Juridique – Édition générale-N° 3.14/1/2013.
-
[21]
Ibidem note N° 18.
-
[22]
Le CAVEJ réunit six universités de la région parisienne : Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Panthéon -Assas, Paris Descartes, Paris Sud, Paris Nord et Versailles Saint Quentin.
-
[23]
HEC, ESSEC, ESCP Europe, EM Lyon, ESCE et Télécom Ecole de management.
-
[24]
Hugues BOUTHINON-DUMAS, Gaelle DEHARO, Xavier STRUBEL, « Les universités et les grandes écoles ne doivent pas se concurrencer mais au contraire unir leurs efforts » Semaine Juridique – Edition générale N° 5 - 28/1/2013.
-
[25]
Mayer-Schönberger V. (2010), The Law as Stimulus : The Role of Law in Fostering Innovative Entrepreneurship.
Points clés
- Les entrepreneurs sont réticents face au droit, ce qui s’explique par des facteurs à la fois liés au métier juridique et aux caractéristiques des entrepreneurs.
- Une question se pose aujourd’hui : comment inciter plus de juristes à dépasser leur rôle d’expert ponctuel pour revêtir celui d’accompagnant sur les réflexions stratégiques des entrepreneurs ?
- Le droit questionne chacune des pièces de la matrice du business model : des spécialistes du droit ayant une vision pluridisciplinaire de l’entreprise apporteraient un éclairage intéressant à la conception ou au questionnement du business model.
1 Un projet entrepreneurial accompagné augmente significativement ses chances de réussite. Cette idée est généralement admise, aussi bien du point de vue des acteurs de l’accompagnement qui peuvent s’en prévaloir que de celui des chercheurs en entrepreneuriat. Être accompagné permet par exemple de construire ou d’élargir son réseau, d’améliorer ses capacités cognitives (élaboration de sa vision, stimulation de ses capacités réflexives) ou de construire une forme de légitimité qui favorise l’accès aux ressources stratégiques. Cependant la difficulté, en France, réside dans le fait que très peu d’entrepreneurs se font aider pour créer leur entreprise : ce ne fut le cas que de 28 % [1] des entreprises créées en 2010. L’enjeu, depuis longtemps identifié, reste donc de trouver les moyens de convaincre un plus grand nombre d’entrepreneurs de recourir aux sources d’accompagnement existantes... Mais peut-être également de persuader certains professionnels de type experts intervenant ponctuellement dans le processus entrepreneurial de s’impliquer plus fortement ? La réflexion que nous partageons ici est centrée sur l’un de ces acteurs sans doute trop peu sollicité, l’avocat.
2 Elle a été initiée en janvier 2013 à l’occasion des 2e Rencontres de la Recherche et de l’Action ayant porté sur la formation et l’accompagnement dans le champ de l’Entrepreneuriat. Suite à ce workshop nous avons entamé un dialogue interdisciplinaire Droit/Entrepreneuriat. Nous nous sommes demandées pourquoi le chef d’entreprise demeure en général si réticent à recourir aux services d’un avocat alors qu’il est confronté à une évolution exponentielle du droit ? Comment l’amener à changer ce regard ? Au-delà de cette modification de représentation, comment mettre en place une relation entrepreneur/avocat fructueuse, qui puisse transformer le juriste en réel acteur de l’accompagnement de l’entreprise ? Nos réponses s’appuient sur de nombreux échanges concernant à la fois notre pratique de l’accompagnement de porteurs de projet et d’entrepreneurs et nos lectures académiques. Elles ont ensuite été discutées avec deux responsables de services [2] dans des Chambres de commerce (Toulouse et Chambéry) et d’une avocate parisienne spécialisée en droit des affaires auprès d’une clientèle de PME et TPE que nous avons interviewée.
3 Nous les présenterons ci-après en commençant par analyser les raisons de la représentation souvent négative du juriste, liées autant à la nature du droit et de la profession juridique, qu’aux caractéristiques des entrepreneurs. Puis nous montrerons en quoi l’avocat peut devenir un accompagnant de l’entrepreneur, en identifiant les points clés d’une relation fructueuse pour les deux parties. La formation juridique doit également évoluer, comme le suggèrent des initiatives que nous citerons et nous conclurons avec le rôle du droit dans le Business Canvas.
Une représentation négative du droit chez les entrepreneurs
4 De nombreuses recherches, en particulier depuis les années 2000, étudient les relations complexes droit/entrepreneuriat au plan national [3], dans l’objectif de proposer des voies pour soutenir l’entrepreneuriat et donc l’activité économique. Cependant peu abordent la question des représentations sociales du droit et de la façon de les faire évoluer : sans doute la formation juridique est à revoir à la fois dans les cursus généraux et spécialisés, mais également l’approche qu’ont les juristes des entrepreneurs.
Un service jugé coûteux
5 Évidemment un des premiers freins exprimés porte sur le coût : les managers ou futurs managers craignent que le recours à un conseil juridique ne soit d’un coût trop élevé et/ou non maîtrisable. Cette question se pose de manière accrue pour les petites entreprises et la récession économique ne fait que renforcer cette question. De plus les chefs d’entreprises redoutent d’appeler un expert et de se voir ensuite facturer des conseils alors qu’ils pensaient s’informer gratuitement. Nous proposons plus loin quelques pistes pour réduire et surtout mieux maîtriser le coût, mais également pour comprendre de quelle manière il pourrait être considéré comme un investissement.
6 L’aspect financier rebute mais également le fait que le droit est difficile d’accès.
Un domaine « opaque »
7 Les entrepreneurs expriment leur malaise face à des interlocuteurs qui utilisent un vocabulaire et un raisonnement spécifiques. Le droit a en effet un langage « ésotérique, technique, parfois archaïque et souvent compliqué » relève le Professeur de droit Gérard Cornu [4]. Cette opacité s’explique par la profusion des langages juridiques en fonction des spécialités [5]. Le « droit interdit et sanctionne, et sa technicité peut être rebutante, surtout dans un contexte d’un empilement et d’une surproduction des normes » [6]. L’interdisciplinarité complexifie encore la tâche, par exemple entre le droit pénal, le droit fiscal, le droit du travail etc. L’entrepreneur doit affronter un nombre croissant de textes législatifs et règlementaires, qui ne sont généralement pas compris mais interprétés comme des entraves à la dynamique entrepreneuriale.
Trop de contraintes chronophages
8 Lorsque l’on interroge des managers sur leur vision du droit, il est usuel d’entendre ce type de propos : « Les managers n’ont pas de temps à perdre avec le droit…c’est aux juristes de s’en occuper, (…) des empêcheurs de tourner en rond, qui inventent toujours de mauvais prétextes pour s’opposer aux bonnes idées que nous avons eues pour faire gagner de l’argent à l’entreprise » [7]?
Internet et la banalisation du droit
9 Comment font les entrepreneurs pour créer avec des ressources très souvent limitées ? Baker et Nelson (2005) ont montré qu’ils y parviennent en « bricolant ». Partant d’un refus conscient de prendre acte des limitations communément admises, ils cherchent à combiner des ressources pour d’autres buts et à utiliser des ressources « à portée de main », c’est-à-dire disponibles à coût très réduit (souvent parce que les autres les jugent inutiles). Étant donné le foisonnement des sites internet traitant du droit, ils sont donc tentés de se passer des experts : « face à une difficulté juridique, il suffirait de consulter des forums participatifs ou de recourir à des modèles d’actes préétablis dont on ignore l’auteur… » [8]. Cette banalisation du droit, récemment mise en lumière par le professeur Nicolas Molfessis [9] présente le droit sous forme de questions-réponses, comme s’il était une science exacte ou plutôt une discipline située quelque part entre la mécanique automobile et la science culinaire. Avec internet, l’entrepreneur ne se trouve plus en face d’un professionnel dont la connaissance et l’expérience lui permettent une analyse précise de sa situation, mais à « une substitution pernicieuse de l’information au savoir » (N. Molfessis, art.préc.).
10 Cette tentation de « bricoler » seul avec le support d’internet est renforcée par le fait qu’ils sont peu formés au droit et en général peu réceptifs aux conseils des accompagnateurs.
Des entrepreneurs peu formés et peu réceptifs
11 Même si le niveau de formation des créateurs d’entreprises est plutôt élevé en France (en 2010, 43 % possèdent au moins un diplôme universitaire du premier cycle), peu d’entre eux ont reçu une formation juridique. D’une manière générale la Cour des Comptes [10] en est consciente et recommande (2012, p. 25) d’« améliorer la formation économique et managériale des porteurs de projet ». Or l’enseignement juridique en France souffre à la fois du fait qu’il n’intervient pas avant le lycée et que ses pratiques pédagogiques ont peu évolué dans l’enseignement supérieur.
12 De plus les entrepreneurs se trouvent dans une situation d’urgence et de stress qui ne les rend pas ouverts aux conseils donnés, en particulier aux idées qui ne vont pas dans leur sens (« centre de contrôle interne » [11]). D’une manière générale, les TPE et PME sont peu réceptives aux propositions des structures d’accompagnement. Comme le montrent Bayad, Gallais, Marlin et Schmitt [12] ces réticences tiennent à la fois aux barrières psychologiques du recours au soutien extérieur et au peu de légitimité accordée aux professionnels de l’accompagnement quels qu’ils soient. Face aux problèmes complexes rencontrés, leurs dirigeants préfèrent mettre en place des solutions de court terme, basées sur une stratégie peu formalisée, voire intuitive. La question de la confiance à bâtir entre l’entrepreneur et son accompagnateur s’avère donc fondamentale.
13 Se pose alors la question du choix de l’avocat.
Une confusion entre les métiers juridiques
14 Il convient tout d’abord de lever une confusion fréquente : le juriste est un terme générique qui embrasse les professions de « juriste d’entreprise » et « d’avocat conseil ». Avant la loi du 31 décembre 1991, les « conseils juridiques » exerçaient uniquement cette mission et ne plaidaient donc pas. Quand le dossier traité aboutissait à un procès, ils passaient le relais à un avocat. Mais depuis la fusion de ces conseils juridiques avec les avocats, une seule profession existe, celle des avocats. Nous avons donc depuis 20 ans maintenant une profession unique qui permet à chaque avocat d’exercer comme il l’entend : certains ne font que du « conseil » et d’autres « conseillent et plaident ».
15 De plus il existe un autre malentendu dans la représentation de la profession d’avocat. Celui-ci est avant tout perçu comme un plaideur. [13] Selon l’étymologie ad vocare signifie en effet « parler » pour quelqu’un. La fonction « contentieuse » qui est mise en avant est la plus connue, car publique et médiatisée. En revanche, la fonction « juridique », plus discrète, s’exerce dans les cabinets, les entreprises et consiste principalement à conseiller, assister un client ou rédiger, négocier un contrat. Le conseil qu’il peut apporter à l’entrepreneur comporte de nombreuses facettes : il peut s’agir d’une expertise, d’un diagnostic, d’une rédaction de documents juridiques. De plus, l’avocat peut auditer les contrats proposés par des partenaires afin d’éviter les risques potentiels qu’ils revêtent.
16 Le porteur de projet, comme le chef d’entreprise doit donc savoir quel interlocuteur contacter. Chaque « barreau » [14] tient à la disposition des clients une liste par spécialité des avocats inscrits au tribunal.
L’avocat pourrait participer utilement à l’accompagnement des entrepreneurs
17 Cette relation ne peut fonctionner que si le cadre, les attendus réciproques, sont bien définis. Conformément à l’étymologie du terme advocatus, « appelé auprès », les qualités de l’avocat doivent être principalement l’écoute, la proximité et l’engagement. Les qualités personnelles, relationnelles en plus des inévitables qualités professionnelles, de l’avocat sont primordiales. Établir une relation d’accompagnement implique un effort réel des deux parties : du chef d’entreprise qui doit éclaircir ses motivations et accepter de « jouer » le jeu, et de l’accompagnateur juridique qui doit expliciter le contrat passé et sa posture professionnelle.
18 Maela Paul définit en effet l’accompagnement comme étant une relation asymétrique, contractualisée, liée à un contexte particulier, temporaire, et co-mobilisatrice. Nous insistons sur ce dernier point : l’implication des deux interlocuteurs compte pour beaucoup dans l’efficacité de la relation. [15] L’engagement du professionnel du droit envers son client est donc très important, que ce soit dans le montage d’un projet ou dans la préparation d’une audience en vue d’un procès. Il doit faire preuve de rigueur tout en respectant les droits et choix du chef d’entreprise. La jurisprudence de la Cour de cassation [16] est d’ailleurs sévère quant à l’application de l’obligation d’information et de conseil des professionnels en général et donc des avocats envers leurs clients.
19 Dans ce cadre les honoraires doivent bien évidemment être démystifiés. Le client doit pouvoir demander un devis estimatif et recevoir des explications quant au coût -horaire, aux modalités de règlement, mensuelles, par exemple. Il peut aussi utiliser l’abonnement qui permet de lisser sur l’année des heures d’intervention, en fonction des besoins du moment. Des honoraires liés au résultat peuvent également être pratiqués, mais il est impératif qu’ils comprennent une partie fixe et un complément versé en fonction du résultat obtenu.
20 Enfin il est peu connu que l’entrepreneur peut avoir recours, en matière contentieuse, à l’Aide juridictionnelle totale ou partielle, en fonction de ses revenus. Cela lui permet de ne pas avoir à régler les honoraires (ou une partie seulement). L’avocat reçoit alors une simple indemnité et non pas le solde par l’État (contrairement à une idée reçue).
La dimension juridique des questions stratégiques
21 Dans un monde de droit, l’avocat peut accompagner le créateur dès la naissance du projet quant aux choix stratégiques. Ainsi le droit appliqué au marketing se développe considérablement de nos jours : le créateur aborde alors le droit à travers des prismes différents comme le prix du produit ou l’emballage, la marque ou encore la publicité. La question du partage éventuel de la propriété intellectuelle, comme celle des réseaux de distribution (franchise, concession) ou au contraire d’une liberté d’exploitation se pose.
22 Puis, à la création de l’entreprise, une des questions juridiques majeures qui surgit est celle de la structure juridique. Pourquoi créer une société plutôt qu’une entreprise individuelle ? Les motivations peuvent être d’ordre financier, patrimonial, fiscal et social. Un porteur de projet accompagné sera beaucoup plus acteur de ses choix, d’autant plus qu’il ne s’agit pas uniquement de conseils techniques. Une réflexion approfondie est nécessaire sur le projet de vie (dimension existentielle de l’entrepreneuriat) et le projet d’entreprise. L’accompagnement juridique peut être compris comme l’occasion pour l’entrepreneur de réfléchir aux conséquences personnelles et familiales de ses choix (place du conjoint, des enfants dans le projet…). Certes, il est difficile d’envisager les difficultés (décès, faillite, désaccord avec les associés) et de dévoiler des situations privées (nature juridique du mariage, etc.). Cependant si ces questions ne sont pas traitées à ce moment-là, elles peuvent mettre en danger l’entreprise plus tard.
23 Pendant la vie de l’entreprise, appréhender l’univers administratif et réglementaire apparaît aujourd’hui incontournable, qu’il s’agisse de s’organiser ou d’agir sur le marché. La conclusion d’un contrat illustre parfaitement l’intérêt d’être accompagné par un juriste lors de la négociation, la signature et l’exécution. Combien d’affaires commerciales échouent en effet, faute d’avoir respecté les normes légales ! Il est regrettable que des efforts commerciaux, des talents professionnels soient annihilés du fait d’erreurs juridiques. De plus, la rédaction des actes sur ordinateur facilite les falsifications des contractants peu délicats, par exemple en insérant une clause a posteriori. Nous voyons donc combien il faut être vigilant au moment de sceller un accord.
24 En outre, la réglementation propre à chaque secteur d’activités constitue souvent une autre source de soucis pour les chefs d’entreprise. Un entrepreneur sans aide juridique encourt de grands risques à traiter seul ces questions techniques souvent complexes.
25 Enfin, en cas de difficultés, l’accompagnement juridique peut sauver l’entreprise. Le dépôt de bilan arrive généralement à un moment où la situation est tellement dégradée que la poursuite de l’activité s’avère très aléatoire. Le législateur a pris un maximum de mesures pour aider les entreprises en difficulté, faut-il encore que les dirigeants les connaissent. La loi du 1/03/1984 avait créé une procédure destinée à alerter le chef d’entreprise sur les difficultés de son exploitation et à prévenir leur aggravation, selon un mode non contentieux. La loi du 26/7/2005 ne rompt pas avec cette logique mais renforce les instruments de prévention. Par exemple le dirigeant peut se faire aider en demandant la nomination d’un mandataire ad hoc qui pourra l’aider à trouver un accord avec ses principaux créanciers. Contrairement à ce que peut penser un dirigeant en difficulté, les services du tribunal peuvent le sortir de son isolement, dans une phase où il lui est difficile d’en parler, même à sa famille.
26 Ces mesures sont malheureusement largement méconnues des non-spécialistes. L’accompagnement par un avocat permettra donc au chef d’entreprise d’être réactif face aux premiers signes de difficulté et de prendre les mesures adaptées afin d’éviter la faillite.
Une évolution « entrepreneuriale » de la profession juridique
27 De son côté, l’avocat peut d’autant mieux comprendre le chef d’entreprise qu’il en est lui-même un : « Nous sommes des entrepreneurs, assumons-le et raisonnons comme tels ! » [17]. Certains cabinets utilisent désormais les techniques du marketing afin de promouvoir leurs services, sous l’influence du droit européen [18]. Cela constitue une forme de « révolution » dans le monde juridique. La Cour de justice de l’Union européenne considère qu’une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée d’effectuer des actes de démarchage contrevient à l’article 24 de la directive « Services » (dir. N° 2006/123/CE) [19]. La Commission européenne, de son côté, a annoncé le 6/6/2012 qu’elle exigeait du Gouvernement français la suppression du décret interdisant le démarchage et la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques. Certains professionnels regrettent cette libéralisation du marché juridique et déplorent « l’abaissement du droit au rang de marchandise » ! [20]
Des initiatives en matière de formation
28 L’association des avocats conseils d’entreprises, (ACE) œuvre quant à elle pour la dimension entrepreneuriale du cabinet, seule profession réunissant les compétences de conseil et du contentieux (à la différence des experts comptables par exemple). Elle a ainsi participé à la création d’un diplôme de juriste conseil d’entreprise [21]. qui ouvre sur la comptabilité, la gestion, le management et même le marketing, c’est-à-dire tout ce qui fait le quotidien de leurs futurs clients mais aussi le leur, au sein du cabinet. Ces futurs diplômés devraient ainsi mieux comprendre leurs clients.
29 Dans cette même idée, soulignons les initiatives de certaines écoles et universités qui proposent un double cursus, comme le Centre Audiovisuel d’Études Juridiques des Universités de Paris (CAVEJ) qui permet à des étudiants de suivre en parallèle à leurs études de droit, les cours d’une école de commerce. [22] Le diplôme obtenu est national, de la capacité au master. Dans le même sens, des professeurs de droit de six grandes écoles de management ont créé l’association des professeurs de droit des grandes écoles en 2012 [23], avec « une volonté de promouvoir une approche du droit ouverte aux attentes des acteurs économiques, à l’écoute des besoins des entreprises, de leurs dirigeants, de leurs actionnaires et de leurs salariés » [24]?
30 En conclusion, compte tenu de la concurrence des autres professionnels qui pratiquent de plus en plus le droit et de la concurrence des droits européens, le métier d’avocat a tout à gagner à devenir le « juriste de proximité » de l’entrepreneur. Quant à l’entrepreneur, outre qu’il ne peut échapper à la sphère juridique, le dialogue avec le juriste peut lui donner l’opportunité de partager ses préoccupations avec un interlocuteur externe, de questionner son projet régulièrement, et d’« allumer des clignotants », comme le dit l’avocate interrogée.
31 Nous proposons de synthétiser cette proposition en nous référant au « business model canvas » (Osterwalder, Pigneur, 2011) qui propose une vision systémique de la façon dont l’entrepreneur peut créer de la valeur. Si l’on parcourt les éléments de la matrice, il apparaît que l’accompagnement juridique peut participer à la réflexion sur chaque élément.
L’accompagnement
L’accompagnement
32 L’entrepreneur est réputé pour son agilité, sa capacité à transformer des contraintes ou menaces en opportunité. Pourquoi ne ferait-il pas de même avec le droit ? Comme le propose Mayer-Schönberger (2010) [25], une autre voie est possible si l’on envisage la sphère légale comme un des composants d’une dynamique sociale d’innovation.
Notes
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[1]
Selon le rapport d’évaluation de la Cour des Comptes sur les dispositifs de soutien à la création d’entreprises rendu en décembre 2012.
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[2]
Service d’appui à la création et reprise d’entreprises et Centre de contacts clients.
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[3]
Jacquemin, A. et Janssen F. (2013), « The Role of Regulation in Facilitating Entrepreneurship: A Study of Incubation in Belgium », International Journal of Entrepreneurship and Small Business, vol. 20, n° 4, 497-519 ; Parker, S. (2007), “Law and the Economics of Entrepreneurship”, Comparative Labor Law & Policy Journal, 28:4 ; Mayer-Schönberger V. (2010), The Law as Stimulus:The Role of Law in Fostering Innovative Entrepreneurship, I/S A Journal Of Law And Policy, vol. 6:2.
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[4]
Cornu G. (2007), Introduction au droit, Domat droit privé, p. 106 N° 190.
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[5]
La 8e édition du Vocabulaire Juridique (2000) contient plus de 10 000 mots. Plusieurs éditions la suivent dans la collection Quadrige (8e éd. 2007).
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[6]
Dondero B., professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris I), Le droit est aussi au service de l’économie, Semaine Juridique, N° 8, 18/2/2013.
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[7]
Rebeyrol V. et Schonberg E., Managers, maîtrisez vos risques juridiques !, Pearson, p. 1.
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[8]
Mompert L. membre et porte-parole du Bureau du Conseil supérieur du notariat, La SemaineJuridique, N° 3, 14/1/2013.
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[9]
Molfessis N., Autojuridication. Comment et pourquoi les justiciables se passent de plus en plus des professionnels du Droit, JCP G 2012, doct. 1292.
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[10]
Synthèse du Rapport de la Cour des Comptes à l’État et aux régions sur l’évaluation des dispositifs de soutien à la création d’entreprise, recommandation n° 21.
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[11]
Croyance entretenue par un acteur que ses projets se réaliseront, grâce au degré d’influence qu’il exerce sur des personnes pour que les choses se produisent dans le sens de ce qu’il préconise.
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[12]
Entrepreneuriat et TPE : la problématique de l’accompagnement, Management & Avenir, 2010, n° 40, 116-140.
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[13]
Voir les représentations caricaturales du monde judiciaire et des avocats en particulier par Daumier (Les Gens de Justices, 38 lithographies publiées dans Le Charivari, entre 1845 et 1848), dont deux exemples dans ce texte.
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[14]
Un barreau (du nom de la barre du tribunal) regroupe l’ensemble des avocats relevant d’un tribunal de grande instance. Il devrait y avoir 160 barreaux en France, après la mise en œuvre des dernières réformes. Vincent Rebeyrol, Eve Schonberg, ouv. préc.
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[15]
Une recherche menée sur les relations de « mentorat » montre que l’engagement du professionnel est une composante essentielle de l’efficacité de la relation (St Jean, Audet, Le mentorat d’affaires : existe-t-il un style d’intervention idéal ?, CIFEPME, Bordeaux, 2010). Des similitudes pourraient être étudiées dans le cadre des styles d’intervention développés par les accompagnateurs spécialisés comme les juristes.
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[16]
Exemples : C.Cass. Chbre com. 13/10/2009 N° Jurisdata 00810430 : « L’avocat doit s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération » ; autre exemple, C.Cass. 1 ère Cbre civile 25/2/ 2010, N° Juridata 000886, au sujet d’un manquement au devoir de conseil lors de la rédaction d’un acte.
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[17]
William FEUGERE et Catherine PEULVE, avocats au barreau de Paris, respectivement Président national de l’association des Avocats Conseils d’Entreprises (ACE) et présidente de l’ACE- PARIS. Semaine Juridique, édition générale, N° 42, 15/10/2012.
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[18]
L.MARLIER, le marketing du cabinet d’avocats. Communication, relations publiques, publicité, Éditions d’Organisation, 1999.
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[19]
Elle privilégie les lois de l’économie de marché sur la singularité des professions réglementées : CJUE, 5/4/2011, C-119/09 : JCP G 2011, doct. 1098, n° 8, obs. S. BORTOLUZZI.
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[20]
Laurent MOMPERT, membre et porte-parole du Bureau du Conseil supérieur du notariat : Semaine Juridique – Édition générale-N° 3.14/1/2013.
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[21]
Ibidem note N° 18.
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[22]
Le CAVEJ réunit six universités de la région parisienne : Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Panthéon -Assas, Paris Descartes, Paris Sud, Paris Nord et Versailles Saint Quentin.
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[23]
HEC, ESSEC, ESCP Europe, EM Lyon, ESCE et Télécom Ecole de management.
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[24]
Hugues BOUTHINON-DUMAS, Gaelle DEHARO, Xavier STRUBEL, « Les universités et les grandes écoles ne doivent pas se concurrencer mais au contraire unir leurs efforts » Semaine Juridique – Edition générale N° 5 - 28/1/2013.
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[25]
Mayer-Schönberger V. (2010), The Law as Stimulus : The Role of Law in Fostering Innovative Entrepreneurship.