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Article de revue

Opportunités et difficultés des transmissions de PME en SCOP : quelles solutions ?

Pages 72 à 82

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’entreprises – sous forme de société anonyme ou de société anonyme à responsabilité limitée- qui fonctionnent selon le principe d’une gouvernance démocratique. Les salariés sont des associés majoritaires détenant au minimum 51 % du capital.
  • [2]
    Chibani-Jacquot, P et E. Larpin, « Créer, transmettre ou reprendre en Scop », Participer, janvier-février-mars, 2008.
  • [3]
  • [4]
  • [5]
  • [6]
    BPCE L’observatoire : quand les PME changent de main. « Les nouveaux visages de la cession-transmission des PME », 9 décembre 2011.
  • [7]
    CRA Cédants et repreneur d’Affaires, Observatoire CRA de la transmission des PME-PMI, édition 2012.
  • [8]
    Altares, « Défaillances et sauvegardes d’entreprises en France », Analyse 3e trimestre 2012.
  • [9]
    CRA, Op cit.
  • [10]
    OSEO (2005), « La transmission des petites et moyennes entreprises – L’expérience d’OSEO BDPME ».
  • [11]
    CRA, Op cit. Étude hors commerce de détail et artisanat avec un effectif de 5 à 100 salariés.
  • [12]
    OSEO, Op cit.
  • [13]
    Cadieux, L. et Brouard F., (2009), La transmission des PME – perspectives et enjeux, Presses de l’Université du Québec.
  • [14]
    M. Haspot, propriétaire dirigeant de Besné Mécanique. Voir encadré 1.
  • [15]
    Cas d’étude réalisé en collaboration avec F. Huntzinger et T. Jolivet (Université du Maine), comprenant notamment les entretiens de M. Haspot et M. Anger.
  • [16]
    OSEO, Op cit.
  • [17]
    Cadieux et Brouard, Op cit.
  • [18]
    Huntzinger F. et T. Jolivet (2010), « Transmission d’entreprises PME saines en Scop au regard de la relève de la direction : une étude exploratoire de faisabilité en France », RECMA, n°316.
  • [19]
    Entretien de M. Le Coq réalisé le 2 novembre 2012.
  • [20]
    Bah, T. (2008), « La transition cédant-repreneur : une approche par la théorie du deuil », Actes de la conférence de l’AIMS, Nice.
  • [21]
    St-Cyr, L. et et R. Inoussa (2000), « La planification de la relève dans les PME », Actes du 5e Congrès International Francophone sur la PME, octobre.
  • [22]
    Liret, P. (2007), « La Scop, une solution pour l’ancrage territorial des PME », Participer, mai-juin, 2007.
  • [23]
    Barbot, M.C, Huntzinger, F et T. Jolivet (2010), « Le rôle des acteurs partenaires dans la réussite d’une transmission de PME saine sous forme de Scop, Société coopérative et participative », Colloque international de management, Gouvernance, Management et Performance des entreprises de l’économie sociale et solidaire, IAE de Lyon, novembre.
  • [24]
  • [25]
    Liret P., Op cit.
  • [26]
    Barbot-Grizzo, M.C (2012), « Gestion et anticipation de la transmission des TPE artisanales : vers une démarche pro-active du dirigeant-propriétaire », Management & Avenir, n°52.
  • [27]
    Colot, O. et C. Dupont (2007), « Évolution du personnel suite au changement de dirigeant : le cas des transmissions de PME belges », Économies et Sociétés, Série Économie de l’entreprise, n°1, janvier.
  • [28]
    Bah (2008), Op cit.
  • [29]
    2 150 000 euros contre 2 500 000 euros avec une vente à des tiers extérieurs.
  • [30]
    « L’économie sociale et solidaire, un modèle ? », Alternatives Économiques, n°310, février 2012, p.63.
  • [31]
    Larpin, E. (2012), « Peut-on encore reprendre des grandes entreprises en Scop ? », Participer, octobre-novembre-décembre 2012.
  • [32]
    Cadieux et Brouard, Op cit.
  • [33]
    Barbot-Grizzo et al., Op cit.
  • [34]
    Source : CGSCOP.
  • [35]
    Lettre d’information de la Recma.
  • [36]
    Rodier, A (2012), « Mr Hamon veut favoriser les Scop », Le monde, 6 septembre.
  • [37]
    « Le potentiel des reprises en Scop est énorme », Alternatives Économiques, n°216, septembre 2012.
  • [38]
    Cas de la SDAB où 15 salariés ont repris leur entreprise de mareyage et qui a été liquidée un peu plus d’un an après. Voir A. Rodier, Le Monde, 15 décembre 2009.
English version

Les points forts

  • Traditionnellement, la reprise d’une entreprise sous forme de Scop est associée aux contextes de conflits et aux entreprises en difficultés.
  • En réalité, la transmission sous forme de SCOP présente des avantages bien spécifiques, à la fois pour le cédant et pour les salariés repreneurs, et ce dans des contextes très variés.
  • Sans être une panacée, la reprise sous forme de Scop représente une opportunité à développer, pour peu que soient levés certains préjugés et certains obstacles.

1Avec la crise économique et financière, l’économie sociale et solidaire a le vent en poupe et connaît un (re)gain d’intérêt. Les Nations Unies ont proclamé 2012 année internationale des coopératives. Parmi les coopératives, les Scop, sociétés coopératives et participatives [1], connaissent une belle progression. Leur mode de management se caractérise par la présence d’un dirigeant salarié élu et par le fait que les salariés sont associés à la stratégie et au développement de l’entreprise [2]. Des règles spécifiques de partage du profit entre les salariés, l’entreprise et les associés complètent le dispositif. À la fin 2011, la Confédération générale des Scop recensait 1 910 Scop dont 198 nouvelles coopératives créées par 1 052 salariés-créateurs [3].

2Contrairement à une idée reçue, ces nouvelles coopératives proviennent principalement de création ex-nihilo (73 %), de transmission d’entreprises saines (11 %) et de transformation d’associations (11 %) puis de reprises d’entreprises en difficulté (5 %) [4]. À côté de quelques cas très médiatiques d’entreprises en dépôt de bilan reprises par les salariés (SeaFrance et dans une moindre mesure Hélio Corbeil), les transmissions sous forme de Scop concernent donc principalement des entreprises saines. De surcroît, à l’image des caractéristiques des entreprises françaises, les Scop sont très majoritairement des très petites entreprises (moins de 10 salariés pour 60,7 %) et des petites entreprises (10 à 49 salariés pour 30,6 %) [5].

3Ce mode de transfert constitue une formidable opportunité pour les acteurs et les régions. Or, le nombre de transmissions d’entreprises sous cette forme demeure très faible comparé aux autres modes de transmission et au potentiel de transmission. Comment expliquer une telle différence ? Comment favoriser les transmissions d’entreprises sous cette forme ? La Confédération générale des Scop a fait des propositions en ce sens au gouvernement. Le ministre de l’économie sociale et solidaire, Benoît Hamon, a annoncé différentes mesures dans le cadre de la loi de l’économie sociale et solidaire présentée en 2013. Quel regard peut-on porter sur ces actions ?

Le contexte de la transmission des PME

4La BPCE [6] a recensé 12 315 cessions-transmissions de PME en 2010 totalisant 1,4 à 1,5 million d’emplois. Le CRA [7] estime, quant à lui, le potentiel d’entreprises susceptible de changer de main chaque année à 17 000. À ces chiffres, s’ajoutent ceux des entreprises défaillantes. Les TPE et PME sont les plus touchées (1 à 49 salariés) avec 7 000 procédures ouvertes, soit une augmentation de 11 %, sur les 12 000 défaillances d’entreprises au troisième trimestre [8].

5Pour les entreprises saines, le principal motif de cession est le souhait des dirigeants de prendre leur retraite (66 %) [9]. L’origine de la cession peut aussi être la redistribution du capital, le changement d’activité ou des événements imprévus [10]. Divers modes de transmission existent. 32 % des entreprises sont cédées en interne prioritairement aux salariés (78 %) contre 22 % pour la famille [11]. OSEO constate qu’une entreprise sur trois est reprise par d’anciens salariés [12].

6En revanche, lorsque l’entreprise est défaillante et fait l’objet d’un dépôt de bilan, les acteurs judiciaires entrent en action et le dirigeant n’est plus maître des décisions prises. La très grande majorité des entreprises est liquidée sans espoir de reprise. Quand un repreneur se manifeste, il s’agit le plus souvent d’une entreprise du même secteur. Les reprises par les salariés demeurent peu nombreuses après un dépôt de bilan.

Les atouts du modèle Scop

7La formule coopérative offre un certain nombre d’avantages pour les régions et les acteurs [13] (cédants et salariés). La pérennisation des entreprises sur leur site de production participe assurément à la dynamisation des territoires.

Du côté du cédant

8En l’absence de solution familiale, le dirigeant attaché à la pérennité de l’entreprise et au sort des salariés trouvera dans cette forme de transmission la suite logique du travail d’une vie. « Donc je me suis dit ça ne va pas aller, je ne peux pas partir contre un chèque, quitter l’entreprise comme ça, ce n’est pas possible. (…) C’était le meilleur moyen de développer l’entreprise ».[14]

Encadré 1 : Transmission d’une moyenne entreprise sous forme de Scop à l’initiative du cédant : le cas Besné Mécanique[15]

Créée en 1980 sous l’impulsion de M. Haspot, Besné Mécaniqueest une entreprise de sous-traitance en mécanique de précision avec une clientèle composée notamment de grands groupes de l’aéronautique (Airbus, Bombardier, Dassaut, Eurocopter). Cette société a connu un développement très régulier pendant vingt-cinq ans. « L’entreprise s’est développée assez rapidement et j’ai toujours eu à cœur de remettre les bénéfices dans l’entreprise (…) J’investissais environ 12 % du chiffre d’affaires, ce qui fait que l’entreprise a monté très très vite ».
Suite à la volonté du dirigeant fondateur, elle a été transmise sous forme de Scop en 2004. L’effectif était alors de 60 salariés et le chiffre d’affaires d’environ 4,75 millions d’euros avec 30 à 35 sociétaires.
Une fois la transmission familiale écartée et après avoir évincé deux candidats à la reprise intéressés par une partie de l’activité, le mandataire contacté parle à M. Haspot des Scop. La première réaction de défiance passée, le cédant décide de faire confiance au mandataire, rencontre les conseillers de l’Union Régionale des SCOP de l’Ouest et choisit cette modalité.
Le nouveau dirigeant (M. Anger), successeur pressenti, est embauché dès 1999 en qualité de responsable de production par M. Haspot qui pensait déjà à sa transmission. En revanche, le futur successeur ne songeait absolument pas à la reprise de l’entreprise. À partir de 2003, M. Haspot parle fréquemment de sa transmission et sollicite M. Anger de manière informelle. Ce dernier commence à envisager le transfert de direction mais n’entrevoit aucune solution au transfert de propriété. Par la suite, le futur cédant et les conseillers du réseau ont convaincu M. Anger : « le projet me semblait cohérent dans sa structuration ». Puis les salariés ont adhéré au projet après un an de sollicitations.

9Certains cédants n’hésitent d’ailleurs pas à faire un crédit vendeur pour boucler le tour de table financier ; comme par exemple, les propriétaires dirigeants de Besné Mécanique et Appaloosa pour finaliser la reprise. Pour Besné Mécanique, le retrait d’une banque la veille de signer a conduit le cédant à consentir un crédit-vendeur sur six ans de 33 % du montant de la vente : « oui il fallait être confiant, (…) mais j’avais confiance à 100 % dans l’entreprise » (M. Haspot).

Des relations privilégiées entre acteurs

10Les circonstances de la transmission, le lien avec le repreneur, la connaissance du secteur influent sur la réussite des transmissions [16]. « Chacun était très autonome dans sa façon de fonctionner. (…) Le cédant travaillait en transparence avec nous ». M. Le Coq rend ainsi hommage à l’ancien dirigeant : « Claude y est pour beaucoup » (pour les raisons du succès). Cette voie offre également la possibilité au cédant d’un désengagement progressif [17] qui participe au processus de « deuil » de son entreprise [18] en particulier lorsqu’il est le fondateur. « On a gardé son bureau et il a travaillé avec nous pendant un an en tant qu’auto-entrepreneur. Il a répondu présent. Il venait régulièrement toutes les semaines pour ne pas rompre les habitudes. Il gérait notre plus gros client. Jusqu’au recrutement de notre nouveau chef de projet, on l’a appelé en pompier. Cela l’a aidé à faire une transition » (M. Le Coq).

Encadré 2 : Transmission d’une très petite entreprise sous forme de Scop à l’initiative de deux salariés : le cas Appaloosa

L’entreprise a été transformée en Scop à l’occasion de la transmission de l’entreprise par son dirigeant fondateur à ses salariés fin 2009. Cette entreprise de communication spécialisée a été créée en 1985 par M. Le Bihan. Elle comptait six salariés, dont M. Le Coq embauché en 2005 qui sera élu à la tête de la Scop, plus son dirigeant. « J’ai tout fait pour rentrer dans cette société… Notre patron souhaitait prendre sa retraite. Il réfléchissait à la transmission depuis pas mal de temps. Il en parlait » [19].
Quatre ans après, deux salariés ont proposé au patron de reprendre son entreprise avec le modèle Scop. Le projet s’est fait à deux avec Olivier son associé, « on a pris les choses en main ». Ils ont commencé à réfléchir en 2008 en contactant l’Union régionale. « Deux ans de réflexion, de négociation ». (…) On a pris la décision de continuer avec ce modèle, on y va à deux et on ouvre le capital. C’était plus simple ». Ils formaient un duo très complémentaire tout en étant moteurs dans les démarches. « Moi le technique et Olivier la partie créatrice ». Mais « tout le monde était partant sur le modèle ».
Aujourd’hui l’entreprise compte sept salariés dont six sociétaires et comptera un nouvel embauché en janvier. Dès 2010, les deux plus anciens ont rejoint le capital. Le chiffre d’affaires est en progression et les résultats sont en hausse.
Par ailleurs, ce gérant souhaite se représenter fin 2013. « Quatre ans c’est trop juste. Il faut continuer le projet ».

11La période de transition [20] est améliorée à condition qu’elle ne s’éternise pas. Deux ans et demi pour Besné Mécanique semble trop long comme l’attestent les propos de M. Haspot qui avait défini son rôle au préalable. « Lui était le dirigeant, moi je ne faisais que la partie commerciale et devis… les six derniers mois, je peux vous dire que ça a été très compliqué, très compliqué, je n’en voulais plus, je n’en pouvais plus parce qu’il m’avait retiré mes clients (…), je me sentais moins utile et c’était normal (…), j’étais dépossédé de mon jouet… ».

12Les relations entre les acteurs sont facilitées [21]. Pour M. Anger : « le succès c’est je pense qu’il y a (…) vraiment une transmission réelle c’est-à-dire qu’on était dans une notion de continuité avec les mêmes personnes avec un nouveau projet de développement ». En ce sens, M. Le Coq souligne qu’« il faut un terreau pour transmettre en Scop et l’adhésion des collègues ». Un rapport de confiance s’établit entre le dirigeant et les salariés. « Tous les matins je passais dire bonjour à tout le monde et je faisais des réunions régulièrement minimum tous les trois mois pour leur expliquer ce qui allait se passer, où on était, où on allait. Je parlais des investissements, je parlais des résultats, de ce qui allait bien et de ce qui allait mal. Donc, et puis ça s’est toujours passé de la façon dont je l’ai dit. Donc le jour où je leur ai dit que la meilleure façon de transmettre l’entreprise c’était de faire une Scop, que les résultats seraient au rendez-vous, la plupart m’ont cru, au moins la moitié. (…) Mais là ils avaient entièrement confiance, je leur ai dit ça va fonctionner » (M. Haspot).

13Les salariés sont parties prenantes pendant le processus. Le partage équitable des résultats de l’entreprise renforce leur motivation et donne un sens à leur engagement. « J’aime bien l’idée de partage des fruits du bénéfice à la fin de l’année. C’était une vraie opportunité pour les salariés de l’époque » (M. Le Coq). M. Anger renforce ce point de vue : « c’est un modèle d’entreprise je considère que tel qu’on le fait fonctionner chez nous qui fonctionne très très bien et où tout le monde s’y retrouve et pour moi ça ressemble à l’avenir des entreprises (…) mais c’est surtout que les salariés retrouvent aussi, aient un retour de la valeur travail plus forte que la notion de salaire en elle-même. (…) Je crois que l’avenir est là-dedans c’est qu’on doit redistribuer de plus en plus ». De plus, M. Anger est satisfait de la manière dont il peut gérer l’entreprise. « Je me retrouve avec une super bonne liberté d’action en fait dans un système de ce type-là avec les gens que je côtoie tous les jours plutôt qu’un conseil d’administration où il y a uniquement des gens qui font de la finance et qui viennent un peu relever les compteurs pour voir ».

Les conseillers du réseau Scop

14Un troisième type d’acteurs est tout aussi incontournable lors de cette transformation ; il s’agit des conseillers qui constituent la force ou la « valeur ajoutée » [22] de ce réseau par leur rôle de conseil à toutes les étapes [23] en veillant aux intérêts des salariés. Leurs missions s’étendent de la constitution de l’équipe et du diagnostic de l’entreprise jusqu’à l’accompagnement des repreneurs [24].

Encadré 3 : Rôle des acteurs du réseau Scop

« Les conseillers de l’Union régionale ont été moteurs. Leur accompagnement est précieux ». Ils sont également très présents pour trouver les différents partenaires financiers du projet de reprise. « Ils nous ont présenté le tableau de financement » (M. Le Coq).
« Et puis les gens des SCOP sont venus, j’ai trouvé ces gens-là très dynamiques, très compétents, et puis ils m’ont convaincu tout de suite et je me suis dit après tout c’est ça que je veux faire (M. Haspot) ».
Le successeur, M. Anger s’est senti soutenu : « C’était pas une volonté (…) j’avais pas cette ambition-là en fait (…) l’idée n’était pas simple, je vais me retrouver seul à piloter ça ; ça commence à faire du monde, il y a la taille du projet (…) et puis j’ai ressenti quand même un appui derrière (…) on sentait que j’étais pas tout seul et que si j’avais besoin d’un coup de main, ils étaient là, ils étaient prêts à m’appuyer donc ça c’était plutôt rassurant ».

15Il n’est donc pas surprenant que ce mode de transmission affiche des taux de survie à cinq ans supérieurs à la moyenne nationale, que l’entreprise soit saine ou en difficulté, avec respectivement 75 et 71 % [25]. Les Unions régionales ont mis en place des formations pour les futurs dirigeants et les coopérateurs. L’Union régionale de Poitou-Charentes a également pris l’initiative de développer une nouvelle forme d’accompagnement, le mentorat, auprès des nouveaux dirigeants de SCOP. En amont, elles procèdent également à des actions de sensibilisation auprès des dirigeants et des salariés.

16Enfin un dernier avantage joue en faveur de cette forme de transmission, à savoir une fiscalité avantageuse pour les cédants, les salariés associés et les entreprises.

17Dans ces conditions, comment expliquer le faible pourcentage de transmission sous cette forme ?

Freins et difficultés

18Les conditions à réunir et les difficultés de mise en œuvre peuvent être nombreuses pour les acteurs et l’entreprise.

Les réticences des acteurs

19La transmission est un processus qui peut durer plusieurs années. La préparation psychologique du dirigeant, cédant potentiel, est primordiale [26]. Son rôle [27] tout comme son profil [28] sont déterminants pour le succès de toute transmission. Il est à l’origine du processus (lorsque l’entreprise est saine). « Avec le cédant, c’était très compliqué. Il était à la fois pressé et pas pressé de céder…Le flambeau est passé mais au fond de lui, c’était dur de transmettre » (M. Le Coq).

20Le modèle Scop demeure peu prisé comparé à la cession à un ou plusieurs salariés. Les dirigeants d’entreprise ne sont pas enclins à céder leur entreprise à la majorité des salariés. Le choix du cédant se porte plus volontiers vers un salarié collaborateur qui est souvent un bon second ou le bras droit du dirigeant. Le cédant potentiel voit rarement les salariés comme des possibles co-entrepreneurs et mésestime leur capacité à reprendre. Pour M. Le Coq, un des freins provient du cédant : « il est convaincu que les salariés ne sont pas capables ». M. Haspot souligne un autre aspect : «il est difficile de transmettre à ses salariés car cela implique de mettre tout sur la table ».

21Les idées reçues sur ce type de transmission ont la vie dure. « Et puis moi alors les Scop tout de suite dans ma tête : Scop égale entreprise en difficulté (…) c’est l’image des Scop sur la France entière (….) parce que le client, il n’a pas l’image d’une entreprise dynamique, (…) même s’il y en a quelques-unes qui fonctionnent très bien aujourd’hui. (…) Les clients au début certains m’ont dit : mais c’est quoi ton truc là, une Scop (…) ça va pas marcher, ce n’est pas possible, tout le monde va commander là-dedans » (M. Haspot).

22Ce mode de transmission n’implique pas systématiquement un sacrifice financier pour le cédant. M. Le Coq « n’a pas le sentiment que le cédant a fait un effort ou sacrifice. La valorisation était bonne. La valorisation faite était la plus économique possible. Les négociations ont été assez âpres ». En revanche, cette possibilité peut être plus fréquente lorsque l’entreprise est de plus grande taille. Cela fut le cas pour M. Haspot qui a consenti une baisse importante du prix de vente [29].

23La peur, le manque de motivation de certains acteurs, un mode de gestion centralisé, un mauvais climat social constituent des freins. Cette voie implique l’adhésion de l’ensemble du personnel au projet, ce qui suppose une cohésion sociale et un engagement collectif. « Un des freins majeurs : les gens ne se voient pas reprendre les risques, ne se voient pas entrepreneurs » (M. Le Coq).

24Il faut une capacité à reprendre ensemble, ce qui suppose assurément de bien s’entendre. Les salariés doivent avoir envie d’investir dans leur entreprise. Payer pour son entreprise alors que l’on fait partie de son capital immatériel ne va pas de soi pour les salariés. « Mon associé a dit : on se rachète, on rachète nos compétences » (M. Le Coq). Plusieurs attitudes des salariés se retrouvent au sein de ces deux entreprises.

25Ces deux cas illustrent bien l’idée que cette voie demande du temps nécessitant une anticipation puis une préparation pour le cédant et les salariés.

Caractéristiques des entreprises (secteur d’activité, taille, situation financière)

26Même si les Scop sont représentées dans tous les secteurs, elles « sont surtout présentes dans les secteurs où les besoins de capitaux sont faibles » [30]. La taille tend à augmenter les difficultés pour réunir l’ensemble des conditions de faisabilité [31]. Les facteurs taille et secteur influencent le profil des repreneurs salariés [32]. « (…) Il me laissait la possibilité de reprendre l’entreprise, maintenant comment la reprendre, les solutions, moi je ne les voyais pas. (…) Je me disais vu la taille de l’entreprise, c’est même pas la peine de l’imaginer, c’est des moyens financiers inabordables pour quelqu’un d’indépendant. (…) Autant je peux peut-être amener une suite à l’entreprise, autant financièrement j’ai pas les moyens en fait de reprendre cette entreprise » (M. Anger).

Cas Appaloosa : « Pour une, elle pensait : la Scop ne m’intéresse pas. Elle ne voulait pas s’engager. Mais elle trouvait bien que les salariés le fassent ». Les deux associés se sont engagés dans le capital car « ils étaient plus mûrs dans la réflexion. C’est tout un parcours, une démarche qui se construit… Pour les autres salariés, cela a permis de voir comment cela fonctionnait. Puis ils ont adhéré au projet » (M. Le Coq).
Cas Besné Mécanique : Tour à tour, le cédant puis le successeur potentiel ont joué un rôle dans l’acceptation du projet par les salariés. « J’ai commencé par ceux dont j’étais à peu près certain qu’ils allaient suivre, (…) Pour certains c’est facile parce qu’ils ont déjà une idée de la gestion, du développement de l’entreprise (…) Et puis il y en a d’autres, ils viennent là, ils font leur journée et puis ils s’en vont. À ceux-là par contre ce n’était pas évident ».
(…) Ça a été compliqué parce que du jour au lendemain, les gens que vous avez employés, qui vous ont fait confiance, déjà vous cédez (…) et puis ils vont être obligés de payer pour travailler parce que c’est la première idée qui vient à l’esprit. Il va falloir expliquer à Madame que maintenant il va falloir racheter un morceau d’entreprise pour continuer à travailler. Ce n’est pas évident parce que eux, ils ont rien demandé, ils ont juste demandé à être salariés de l’entreprise c’est tout » (M. Haspot).
« (…) C’est lui [le cédant] qui effectivement a amené le projet et moi je l’ai validé derrière. Il a été très important pour eux [les salariés] que je le valide bien sûr parce que j’étais le pressenti pour reprendre la direction ». M. Anger

27Par ailleurs, les entreprises saines doivent être distinguées des entreprises en dépôt de bilan puisque les acteurs décisionnels et le cadre judiciaire sont différents. Le cédant contraint n’a plus qu’un avis consultatif et les organes judiciaires décident du sort de l’entreprise. Pour une entreprise saine, le facteur déclenchant est la volonté du cédant alors que pour une entreprise en dépôt de bilan, il s’agit d’évaluer avant tout la viabilité de l’entreprise. Les causes de défaillance sont multiples. L’entreprise doit pouvoir être redressable par les salariés.

28S’il est peut-être plus facile de trouver une cohésion lorsque l’entreprise est en difficulté, en revanche, la recherche de financement et le coût du redressement peuvent s’avérer problématique.

Quelles solutions ?

29Chaque entreprise a son histoire qui tient à l’ensemble des acteurs qui la compose. Différents facteurs clés de succès pour une transmission en Scop ont été soulignés notamment la volonté du cédant, l’influence du mode de management, les salariés rassemblés autour d’un projet commun, le rôle du réseau Scop, un leader identifié [33]. Cette compétence se trouve-t-elle au sein de l’entreprise ou faut-il recruter ? « Pour le cédant, il peut manquer un gérant. Il faut l’idée que l’on peut recruter à l’extérieur » (M. Le Coq). M. Haspot insiste sur le rôle du leader : « (…) une Scop avec 25 personnes autour de la table, moi je n’y crois pas (…) Ils ont souscrit au projet Scop avec lui à la tête parce que de toute façon moi j’avais bien dit aux gars qu’il fallait absolument un leader, que ce n’était pas une confrérie, il fallait un leader. (…) Un collège de repreneurs non, ce n’est pas possible. Il faut quelqu’un, un homme dynamique, il faut quelqu’un qui emmène les gens derrière lui ». À ce propos, M. Le Coq précise « je suis le gérant. La responsabilité est sur mes épaules. Il n’y a pas de co-gérance ».

30Le rôle des acteurs prime donc sur toute considération financière. Même si les obstacles financiers peuvent être nombreux. « On a sollicité quatre banques, on a eu trois non et un oui » (M. Le Coq). Une banque a aussi fait défaut au dernier moment à Besné Mécanique.

31Différentes pistes sont envisagées actuellement par les acteurs de l’ESS et le gouvernement pour augmenter le nombre de transmissions sous cette forme.

Des mesures « coup de pouce »

32La Confédération générale des Scop a fait six propositions au gouvernement pour renforcer la création, reprise-transmission en Scop [34]. Excepté l’établissement d’un droit de préférence pour la transmission/reprise d’entreprise aux salariés souhaitant reprendre l’entreprise en Scop, il s’agit de mesures financières susceptibles de favoriser le rachat du capital. Elles visent à accélérer le processus et à faciliter la mise en œuvre mais elles seront sans effet sur l’intention des acteurs (en particulier le dirigeant, cédant potentiel).

33Benoît Hamon a confirmé au 35e Congrès des Scop l’inscription d’un droit de préférence pour la reprise en Scop lors des cessions d’entreprises et la création d’un statut de Scop provisoire dans le cadre de la loi ESS qui sera présentée au printemps 2013 [35]. Cette première proposition semble plus opportune pour les entreprises défaillantes dans la mesure où ce sont les organes judiciaires qui choisissent le ou les repreneurs parmi les offres déposées. Lorsque les conditions de viabilité sont remplies par l’entreprise, il apparaît équitable que des salariés souhaitant déposer un projet de coopérative, en concurrence éventuelle avec d’autres repreneurs potentiels puissent être choisis par les organes judiciaires pour reprendre « leur » entreprise. Cette voie offre assurément de meilleures perspectives de pérennité pour l’entreprise puisqu’elle évite la liquidation ou la vente à certains groupes « indélicats ». Mais là aussi, il faudra étudier les conditions de faisabilité et agir rapidement compte tenu des difficultés de l’entreprise. Ce contexte impose donc d’agir dans l’urgence créant ainsi une difficulté supplémentaire. Comment préparer les salariés et avoir un leader dans un court laps de temps ?

34En revanche, pour les entreprises saines, le dirigeant doit pouvoir rester maître des modalités de cession de son entreprise.

35La deuxième proposition a pour but de diminuer de façon transitoire la participation au capital des salariés et donc la prise de risque [36]. Or le propre de tout entrepreneur est de prendre des risques. Cette solution pourrait être pertinente dans certains cas d’entreprises défaillantes [37] à condition de remplir des conditions strictes d’éligibilité. Le redressement d’une entreprise en dépôt de bilan demeure toujours difficile en dépit de la motivation et du travail des salariés [38].

36Des nouveaux moyens financiers seront également alloués notamment avec la Banque Publique d’Investissement (BPI).

37Ces propositions constituent un ensemble de conditions « facilitantes » qui sont utiles. Il faudrait néanmoins, en parallèle, une réforme en profondeur destinée à changer les mentalités ainsi que la vision conjointe du dirigeant et des salariés.

D’autres propositions en amont

38Ce mode de transmission implique une préparation très en amont pour le cédant et les salariés. Les mentalités tout comme la culture au sein des entreprises doivent changer. Il convient de sensibiliser les salariés comme les dirigeants, futurs cédants, à ce mode de transmission. M. Le Coq préconise au dirigeant de faire confiance à ses salariés avec un parcours en amont, un projet de formation, pour aider les salariés à monter en compétences. Et pour les salariés de « prendre les choses en main » pour montrer qu’ils sont capables de le faire et de ne pas avoir peur des aspects financiers.

39Pour cette raison, un ensemble de propositions visant à effectuer des actions de sensibilisation en amont apparaît souhaitable :

  • mobiliser davantage les cédants d’entreprise à ce type d’entreprise ;
  • sensibiliser et responsabiliser les salariés ;
  • changer la vision de l’entreprise et de son dirigeant pour les salariés ;
  • changer la vision du dirigeant sur ses salariés ;
  • instituer un pacte moral entre le futur cédant et les salariés ;
  • accentuer les partenariats avec les chambres des métiers, les CCI, les organismes de conseils, les fédérations professionnelles, les experts-comptables afin de sensibiliser tout dirigeant à cette voie.
En définitive, le fonctionnement des Scop reste encore très méconnu. Ce type de transmission ne doit plus être perçu comme l’exception ou uniquement réservé aux entreprises en difficulté. Il convient, pour cela, de changer les mentalités de la société civile et des acteurs de l’entreprise (chefs d’entreprise, salariés, partenaires économiques). Le facteur humain reste prédominant pendant tout le processus. Les plus grandes barrières ne sont pas financières mais psychologiques. Le financement, même s’il est indispensable, vient après.

40Par rapport à la cession à un ou plusieurs salariés, le modèle coopératif offre des avantages spécifiques pour les acteurs (dirigeants et salariés) et le développement de l’entreprise (réserves impartageables). Ce type de dispositif n’est évidemment pas transposable à tous les cas. Il importera toujours de veiller à réunir un ensemble de conditions avant sa mise en œuvre. “Nous sommes sollicités de par notre modèle. Cela n’est pas transposable partout. Il faut un climat propice pour une vraie Scop” (M. Le Coq). Céder son entreprise à ses salariés comme investir dans le capital de son entreprise devra être envisagé comme une perspective « gagnant-gagnant » et une opportunité.


Date de mise en ligne : 02/05/2013

https://doi.org/10.3917/entin.017.0072

Notes

  • [1]
    Il s’agit d’entreprises – sous forme de société anonyme ou de société anonyme à responsabilité limitée- qui fonctionnent selon le principe d’une gouvernance démocratique. Les salariés sont des associés majoritaires détenant au minimum 51 % du capital.
  • [2]
    Chibani-Jacquot, P et E. Larpin, « Créer, transmettre ou reprendre en Scop », Participer, janvier-février-mars, 2008.
  • [3]
  • [4]
  • [5]
  • [6]
    BPCE L’observatoire : quand les PME changent de main. « Les nouveaux visages de la cession-transmission des PME », 9 décembre 2011.
  • [7]
    CRA Cédants et repreneur d’Affaires, Observatoire CRA de la transmission des PME-PMI, édition 2012.
  • [8]
    Altares, « Défaillances et sauvegardes d’entreprises en France », Analyse 3e trimestre 2012.
  • [9]
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  • [10]
    OSEO (2005), « La transmission des petites et moyennes entreprises – L’expérience d’OSEO BDPME ».
  • [11]
    CRA, Op cit. Étude hors commerce de détail et artisanat avec un effectif de 5 à 100 salariés.
  • [12]
    OSEO, Op cit.
  • [13]
    Cadieux, L. et Brouard F., (2009), La transmission des PME – perspectives et enjeux, Presses de l’Université du Québec.
  • [14]
    M. Haspot, propriétaire dirigeant de Besné Mécanique. Voir encadré 1.
  • [15]
    Cas d’étude réalisé en collaboration avec F. Huntzinger et T. Jolivet (Université du Maine), comprenant notamment les entretiens de M. Haspot et M. Anger.
  • [16]
    OSEO, Op cit.
  • [17]
    Cadieux et Brouard, Op cit.
  • [18]
    Huntzinger F. et T. Jolivet (2010), « Transmission d’entreprises PME saines en Scop au regard de la relève de la direction : une étude exploratoire de faisabilité en France », RECMA, n°316.
  • [19]
    Entretien de M. Le Coq réalisé le 2 novembre 2012.
  • [20]
    Bah, T. (2008), « La transition cédant-repreneur : une approche par la théorie du deuil », Actes de la conférence de l’AIMS, Nice.
  • [21]
    St-Cyr, L. et et R. Inoussa (2000), « La planification de la relève dans les PME », Actes du 5e Congrès International Francophone sur la PME, octobre.
  • [22]
    Liret, P. (2007), « La Scop, une solution pour l’ancrage territorial des PME », Participer, mai-juin, 2007.
  • [23]
    Barbot, M.C, Huntzinger, F et T. Jolivet (2010), « Le rôle des acteurs partenaires dans la réussite d’une transmission de PME saine sous forme de Scop, Société coopérative et participative », Colloque international de management, Gouvernance, Management et Performance des entreprises de l’économie sociale et solidaire, IAE de Lyon, novembre.
  • [24]
  • [25]
    Liret P., Op cit.
  • [26]
    Barbot-Grizzo, M.C (2012), « Gestion et anticipation de la transmission des TPE artisanales : vers une démarche pro-active du dirigeant-propriétaire », Management & Avenir, n°52.
  • [27]
    Colot, O. et C. Dupont (2007), « Évolution du personnel suite au changement de dirigeant : le cas des transmissions de PME belges », Économies et Sociétés, Série Économie de l’entreprise, n°1, janvier.
  • [28]
    Bah (2008), Op cit.
  • [29]
    2 150 000 euros contre 2 500 000 euros avec une vente à des tiers extérieurs.
  • [30]
    « L’économie sociale et solidaire, un modèle ? », Alternatives Économiques, n°310, février 2012, p.63.
  • [31]
    Larpin, E. (2012), « Peut-on encore reprendre des grandes entreprises en Scop ? », Participer, octobre-novembre-décembre 2012.
  • [32]
    Cadieux et Brouard, Op cit.
  • [33]
    Barbot-Grizzo et al., Op cit.
  • [34]
    Source : CGSCOP.
  • [35]
    Lettre d’information de la Recma.
  • [36]
    Rodier, A (2012), « Mr Hamon veut favoriser les Scop », Le monde, 6 septembre.
  • [37]
    « Le potentiel des reprises en Scop est énorme », Alternatives Économiques, n°216, septembre 2012.
  • [38]
    Cas de la SDAB où 15 salariés ont repris leur entreprise de mareyage et qui a été liquidée un peu plus d’un an après. Voir A. Rodier, Le Monde, 15 décembre 2009.

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