Notes
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[1]
http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm
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[2]
Bacq.S. et Janssen.F. (2008), « Définition de l’entrepreneuriat social : revue de la littérature selon les critères géographique et thématique », Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME,.hec.ca/airepme.
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[3]
Conférence sur l’entrepreneuriat social, chaire RMS Management associatif et économie solidaire
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[4]
L’entrepreneuriat dans l’économie sociale : pour entreprendre autrement
Synthèse de la table ronde du forum de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire en Champagne-Ardenne - [5]
Les points forts
- L’entrepreneuriat social a pour objectif premier non de faire du profit, mais de créer de la valeur sociale, en adoptant pour ce faire des méthodes de gestion traditionnelles.
- Pour l’entrepreneur social, le profit est un moyen et non une finalité.
- Les nouveaux business models de l’entrepreneuriat social susceptibles de créer un maximum de sens tout en minilisant les risques restent largement à inventer et à expérimenter.
1La commission Stiglitz a rendu son rapport préliminaire le 14 septembre 2009 [1]. Dans ce document, la mission prône un changement complet des méthodes de calcul des richesses des pays. Dans le préambule du rapport, on peut lire : « aujourd’hui l’accent est mis sur le calcul du PIB alors que l’analyse du produit national net – qui prend en compte la dépréciation des moyens de production - ou le revenu net des ménages peuvent être plus pertinents ». Entre autre recommandation, la commission se penche sur l’analyse de la qualité de vie : il ne faut pas prendre en compte uniquement la dimension matérielle de la richesse des ménages mais analyser son environnement. « Des efforts substantiels doivent être accomplis pour développer des instruments de mesure solides et fiables en matière de connexion sociale (...) ». En résumé, ce rapport incite à mettre l’individu au centre de l’économie.
2Cette proposition qui fait l’unanimité est pourtant loin d’être nouvelle. C’est l’un des fondements même de l’économie sociale et solidaire, qui s’est développée autour d’un tryptique associant finalité citoyenne, activité économique et gouvernance démocratique. L’entrepreneuriat social ne peut donc être relégué à un éphémère effet de mode. La défaillance internationale des marchés financiers a donné une crédibilité nouvelle aux projets d’intérêt général. Il est alors inéluctable que l’entrepreneuriat social prenne une place grandissante dans le système actuel.
3Plusieurs interrogations persistent toutefois. Est-ce le signal d’une reconnaissance et d’une prise de conscience collective de cette « autre » économie, jusqu’ici restée assez confidentielle ? Les entreprises de l’économie sociale pourraient-elles devenir les acteurs de la réconciliation entre pouvoirs publics, milieu économique et société civile ou vouloir combiner performance économique et performance sociale reste-il une utopie ? Dans la réalité des affaires, concilier efficacité économique et utilité sociale est sujet à discussion, parfois à polémique.
Définir l’entrepreneuriat social
4D’après Bacq et Janssen (2008) [2], « l’entrepreneur social est un individu visionnaire, dont l’objectif premier n’est pas de faire du profit mais de créer de la valeur sociale, capable à la fois de saisir et d’exploiter les opportunités qui se présentent à lui, de rassembler les ressources nécessaires à la conduite de sa mission sociale, et de trouver des solutions innovantes aux problèmes sociaux de sa communauté non traités par le système en place. Cela l’amènera à adopter un comportement entrepreneurial inscrit dans des pratiques de gestion traditionnelles ». On peut citer, à titre illustratif, le cas d’Hervé Knecht, créateur de la société anonyme coopérative Flandre Ateliers et ancien Président de l’Union Nationale des Entreprises Adaptées [3].
La Société anonyme coopérative Flandre Ateliers
Il commence par des tâches simples : mettre des bouteilles de bière dans des cartons en sous-traitance industrielle pour des brasseurs de la région. Crise oblige, en 2000, la fabrication et la mise en carton des bouteilles sont délocalisées.
Que fait un entrepreneur classique ? Soit il cesse son activité, soit il la délocalise. Généralement la variable d’ajustement, quand arrive ce type de situation, c’est le personnel de l’entreprise. Pour l’entrepreneur social, en revanche, ses 260 salariés ne sont pas des variables d’ajustement. C’est donc l’activité qui doit s’adapter et non l’entreprise. Il se demande donc quelle autre activité il peut trouver pour ses salariés et se lance dans des réponses à des appels d’offres pour trouver un nouveau marché. Deux contrats sont décrochés. Le premier pour France Télécom. Il s’agit de scanner du courrier pour l’intégrer dans le système d’information de France Telecom. Le deuxième marché consiste en un centre d’appels pour la VPC.
En agissant de la sorte, cet entrepreneur social a non seulement sauvé 260 emplois mais a également fait progresser ses employés en termes de compétences. De simples manutentionnaires, ils sont devenus gestionnaires de la relation-client…
Comme le déclare Hervé Knetch : « l’entrepreneuriat social est une véritable aubaine pour la personne exclue d’un système économique qui y trouve la chance d’un emploi lui permettant une insertion durable dans la société. Le créateur y trouve l’immense satisfaction qu’il y a à se battre pour une valeur ajoutée à facturer tout en y ajoutant des valeurs à partager ».
5On comprend bien à travers cette illustration qu’entreprendre autrement, c’est avant tout entreprendre avec une vision différente : il s’agit de mettre l’économie au service de l’homme. Le but est de créer des richesses économiques et des plus-values sociales et de s’interroger pour savoir à quoi la richesse doit servir et dans quel projet durable elle s’inscrit. Dans le cas de la société anonyme coopérative Flandre Ateliers, il s’agit de contribuer à l’accroissement, ou du moins à la préservation de l’emploi et à l’amélioration de la situation des salariés.
Une autre finalité pour l’entreprise
6Dans une société où les problèmes d’exclusion, de pauvreté, d’handicap, d’emploi reviennent sur le devant de la scène, nombreux sont les individus, comme Hervé Knetch, qui ont envie de créer une entreprise pour se saisir de ces problématiques sociales ou sociétales. Si l’entreprise sociale partage avec les expériences classiques l’affirmation d’un projet économique et la nécessité de dégager des excédents, elle s’en distingue très nettement par sa finalité. Traditionnellement, il est établi que les entreprises s’emploient à générer des profits alors que les excédents émanant de l’économie sociale et solidaire ne sont pas une fin en soi mais bien un moyen au service du projet social.
Au service des valeurs
7En d’autres termes, la création de richesse devient un moyen et non pas une finalité. Mais n’y a-t-il pas là au fond contradiction ? Nous pensons que si créer de la valeur reste l’objectif premier des entrepreneurs, il n’en reste pas moins que la philosophie véhiculée chez les entrepreneurs sociaux est par essence différente de celle des entrepreneurs « classiques ». Les entrepreneurs sociaux partagent une même ambition : bâtir un projet entrepreneurial et économique au service de l’Homme et de son territoire. Mais dans leur esprit, créer de la richesse, autrement dit de la valeur, revient à créer des valeurs, autrement dit du sens.
8Cette conception ne remet-elle pas en question le principe même de l’entrepreneuriat ? Il faut sans doute y revenir. Si l’on souhaite s’appuyer sur des réalités observables, il faut bien avouer que la création d’entreprise relève d’une incitation à la création de valeur. Dans une économie de marché, l’entrepreneur est en priorité sensible aux impératifs de profit et de maximisation de la valeur de l’entreprise. La recherche de la rentabilité, quasi-exclusivement centrée sur la génération de marges par la compression des coûts et maximisation des ventes, est au centre de ses préoccupations.
9On est loin de la prise de conscience par rapport aux problématiques auxquelles l’entreprise sociale cherche à répondre. On l’aura compris, l’entrepreneuriat social met le projet entrepreneurial au service des valeurs ; autrement dit, pour faire en sorte que les valeurs aient un impact durable sur la société. « Entreprendre autrement », « entreprendre avec du sens » sont des leitmotivs largement plébiscités. Le poids des valeurs que les entrepreneurs sociaux portent sont essentielles pour donner du sens à l’activité qu’il lance.
Un projet sous contrainte économique
10Réussir un projet dans le domaine de l’entrepreneuriat social nécessite de prendre le temps de bien mûrir son projet économique. La dimension sociale ne peut masquer un manque de préparation, une mauvaise étude de marché, des coûts de fonctionnement trop élevés ou un déficit de moyens financiers. Le projet doit se présenter économiquement viable mais par essence pas nécessairement rentable. L’entrepreneur social apporte, avant tout et au-delà de la plus-value économique, une « prestation de services sociale ».
11Un « nouveau » client est à intégrer quasi-automatiquement dans son business plan : il s’agit de l’État, d’une collectivité territoriale, etc. La « prestation sociale » rendue à la collectivité doit être clairement identifiée, conventionnée, facturée et payée par la collectivité à l’entreprise prestataire. La contractualisation avec ce client peut être longue (conventionnement, agrément, subventionnement,…) mais, si la « proposition de services » est bien cohérente, elle peut être souvent durable. L’Association Emmaüs en est un bel exemple.
12C’est en ce sens que l’entrepreneuriat social est une façon d’entreprendre autrement, en mariant les intérêts sociaux aux mécanismes de marché. L’entreprise sociale cherche à créer une valeur ajoutée sur le plan social tout en générant un gain financier. L’emphase sur l’un ou l’autre peut varier, entendu que la poursuite du gain financier permet de garantir le caractère durable de l’entreprise. Or, on le sait ce gain financier est tributaire des subventions et aides publiques qui alimentent ce type d’entreprise et des délais de paiement des collectivités, pouvant en cas de retard imputer préjudiciablement le nerf de l’entreprise prestataire, à savoir sa trésorerie. Ces organisations mises sur pied pour générer de la valeur sociale sont-elles capables d’atteindre une durabilité financière ?
Des risques et des obstacles à appréhender
13Une autre série d’inquiétudes mérite aussi d’être prise en considération.
14Le premier point de vigilance concerne les contraintes de financement et les risques de fragilisation des structures financières de ce type d’organisation. Les entrepreneurs sociaux sont mis à l’épreuve pour créer des montages performants et attirer des capitaux à long terme afin de transformer leurs initiatives prometteuses en projets d’envergure. Comment attirer des capitaux plus importants dans le secteur de l’entrepreneuriat social pour permettre aux projets de changer d’échelle et d’être dupliqués à différents secteurs ? Comment agencer différents modes de financement – donations, dettes, capital risque – pour permettre à l’entrepreneur d’asseoir durablement son projet et de maintenir sa mission sociale ? Le Codès (collectif pour développer l’entrepreneuriat social) a émis sur ce sujet des propositions intéressantes dans son Livre Blanc comme par exemple de mobiliser l’épargne salariale solidaire, dont l’en-cours représente 1,7 milliards d’euros en 2007, pour financer l’innovation et l’expérimentation sociale.
15D’autres initiatives voient le jour, comme les fonds d’investissement social comme Citizen Capital. Cette entreprise souhaite « donner du sens » au capital et a pour spécificité de chercher les leviers de croissance dans les segments peu financés par le capital investissement, du point de vue du profil ou du parcours du dirigeant ou encore de l’impact positif de l’activité sur la société.
16Un autre type de crainte porte sur le manque d’accompagnement. En effet, les entrepreneurs sociaux sont avant tout des entrepreneurs, qui ont besoin de conseils dans l’élaboration de leur business plan, de mutualiser les expériences et les bonnes pratiques, etc.
17Comme le souligne Mathieu Grosset, chargé de mission programme entrepreneuriat social à l’AVISE, le système de coaching mis en place par l’AVISE est une initiative intéressante : « Qui d’autre qu’un chef d’entreprise expérimenté est à même de conseiller un futur entrepreneur ? L’un et l’autre peuvent s’apprendre des choses et c’est un moyen de décloisonner les deux univers ». [4]
18Excepté quelques initiatives telles que celle-ci et celle du réseau Entreprendre (programme « entreprendre autrement »), les solutions ne sont pas assez nombreuses pour l’instant ; ce qui peut freiner le développement de projets sociaux. Il est impératif de multiplier les occasions de rencontres et d’échanges via les salons, forums internet, conférences, etc.
19Enfin, la troisième inquiétude porte sur l’appréciation du retour sur investissement en matière sociale et non plus en matière financière : combien d’emplois seront créés sur le territoire, combien de personnes sortiront de la pauvreté, combien de personnes handicapées seront réinsérées sur le marché du travail… Ce qui oblige à réfléchir à des outils de mesure de la performance sociale comme le SROI (social return on investment) ou l’index de création de valeur crée par le centre de Cap Gemini Ernst & Young pour l’innovation d’affaires. Cet index mesure le lien entre la performance non financière d’une organisation et son évaluation sur les marchés. La création de cet index part d’un constat : les méthodes traditionnelles d’évaluation de la performance organisationnelle ne sont plus adéquates dans l’économie d’aujourd’hui. La création de valeur est de plus en plus représentée par des facteurs intangibles comme l’innovation, les idées, les relations avec les employés ou les questions environnementales et de communauté. Et ce sont justement ces facteurs intangibles qui fondent la spécificité de l’entrepreneuriat social.
20La prise en compte de la valeur sociale amènerait à repenser la structure même d’un plan d’affaires en tant que modèle générateur de sens partagé. La création des valeurs, versus la création de valeur, serait ainsi mise en perspective pour garantir la seule finalité sociale du projet, fondatrice de l’entrepreneuriat social.
SROI, un indice d’impacts sociaux [5]
21L’idéal à atteindre résiderait in fine dans l’expérimentation pour trouver des nouveaux modèles économiques pertinents capables de maximiser impact social et revenus, d’inventer en quelque sorte de nouveaux business models pour assurer la poursuite simultanée de l’économique et du social. Affaire à suivre pour assurer cette combinaison création de valeur/création de sens…
Notes
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[1]
http://www.stiglitz-sen-fitoussi.fr/fr/index.htm
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[2]
Bacq.S. et Janssen.F. (2008), « Définition de l’entrepreneuriat social : revue de la littérature selon les critères géographique et thématique », Association Internationale de Recherche en Entrepreneuriat et PME,.hec.ca/airepme.
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[3]
Conférence sur l’entrepreneuriat social, chaire RMS Management associatif et économie solidaire
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[4]
L’entrepreneuriat dans l’économie sociale : pour entreprendre autrement
Synthèse de la table ronde du forum de l’emploi dans l’économie sociale et solidaire en Champagne-Ardenne - [5]