Notes
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TEMEX
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Spectracom, Pendulum Instruments, Rapco Electronics : une société américaine, une société suédoise, et une société britannique. Orolia a également racheté les actifs « simulateurs de signaux GPS » de la société finlandaise Space System Finland début 2009.
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Kannad, Mc Murdo, et Sarbe, une entreprise française et deux entreprises britanniques.
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Orolia a acquis en juillet 2012 la société américaine Boatracs.
1Quelle est l’activité d’Orolia ?
2Jean-Yves Courtois : Orolia [1] est une société de haute technologie, dont le métier consiste à fournir des solutions faites d’équipements électroniques et de logiciels. Nos produits permettent aux clients qui opèrent dans des endroits généralement reculés et dans des environnements sévères de maîtriser en temps réel leur situation opérationnelle. Nous équipons par exemple les avions, les bateaux ou les personnes de balises de détresse capables d’envoyer un signal d’alerte en cas de danger ou d’accident depuis n’importe quel endroit du globe. Nous fournissons aussi des moyens de géolocalisation, de reporting et de communication électronique aux navires pour permettre aux armateurs d’optimiser la gestion de leur flotte ou de respecter la réglementation, sur les quotas de pêche par exemple. Orolia a réalisé près 64 millions de chiffre d’affaires en 2011 avec un effectif de 300 personnes réparties dans sept pays. Nous sommes présents dans quatre pays principaux : les États-Unis, l’Angleterre, la France et la Suisse. Cela signifie que la France représente seulement un quart de l’effectif, et donc à l’échelle d’une petite ETI nous combinons la diversité culturelle et la complexité de management de grands groupes !
3Ce qui est intéressant dans le projet Orolia, c’est la manière dont l’entreprise a été constituée. Pourriez-vous nous rappeler les grandes étapes de la construction du groupe ?
4On peut distinguer trois phases dans le développement d’Orolia, les deux premières sont révolues et la troisième a démarré récemment.
5L’aventure a commencé en 2006 par un essaimage d’une société plus grosse que je dirigeais et qui était spécialisée dans l’électronique temps-fréquence [2]. On a extrait le noyau correspondant aux applications techniquement les plus « haut de gamme », c’est-à-dire des équipements et systèmes électroniques tels que les horloges atomiques ou les horloges GPS permettant la génération, la distribution et la synchronisation de signaux de temps ou de fréquence ultra-précis pour des applications spatiales, défense, métrologie et certaines niches du marché télécom. Quand on a créé Orolia, notre vision consistait à dire « on a une petite pépite dans les mains qui est basée en Europe, qui a des positions de marché importantes en France notamment, mais également auprès de l’agence spatiale européenne et en Asie, et on va s’introduire en bourse pour pouvoir rentrer dans une séquence d’acquisitions qui va nous permettre de bâtir un leader mondial dans ce même secteur. »
6Notre idée était de nous hisser à la hauteur des deux sociétés américaines qui dominaient le marché, mais présentaient un tropisme américain assez fort. Nous n’avons pas voulu être européens contre les Américains, nous avons voulu être global d’entrée de jeu. Nous avons aussi choisi de nous spécialiser dans les applications les plus haut de gamme, de type spatial, défense, sécurité, alors que nos concurrents américains étaient aussi largement impliqués dans le marché télécom. Nous avons sollicité le support d’un certain nombre d’acteurs financiers et nous sous sommes introduits en bourse en juillet 2007. Avec les capitaux levés, on a pu mener à bien l’acquisition de trois sociétés [3], ce qui nous a permis de bâtir le n°2 mondial du secteur avec 30 millions d’euros de chiffres d’affaires à fin 2008.
7À ce stade-là, qui constitue la fin de la phase 1, on a fait le constat qu’on avait réussi notre première étape de développement et qu’on avait bâti une position de leader mondial dans un secteur de niche. On se sentait fort, on avait une bonne santé financière, on avait exécuté un plan d’acquisitions et d’intégration conformément à nos engagements de départ. Nous avons constaté que notre marché potentiel était relativement limité en taille, puisqu’il représentait 250 à 300 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial. On s’est dit qu’il fallait étendre notre domaine d’action au-delà de ce domaine ultra-spécialisé. Cela a été l’objectif de la phase 2. On a formulé pour cela une nouvelle stratégie, une vision renouvelée, plus large. On a redéfini notre périmètre cible comme le domaine complet du positionnement, de la navigation et du timing (PNT). L’acronyme PNT est très connu dans le milieu des systèmes de navigation par satellites : GPS, Glonass, Galileo, Compass.
8On a donc redéfini notre stratégie de développement et identifié un domaine dans lequel on pouvait répéter la stratégie de consolidation qu’on avait menée dans le temps-fréquence en rachetant des sociétés spécialisées : le secteur des balises de détresse. On est rentré à nouveau dans une séquence de 3 acquisitions entre la fin 2009 et la mi-2011 [4] et on a bâti à nouveau le numéro 2 mondial des balises de détresse avec une présence internationale, mais dans ce cas précis plus centrée sur l’Europe.
9La phase 3 de notre développement, qui débute aujourd’hui, a été en quelque sorte apportée par nos acquisitions des balises de détresse. Une de ces activités avait dans son portefeuille des balises satellitaires et des systèmes de communication propres aux environnements reculés et extrêmes qui permettaient de suivre le mouvement d’objets. Il y avait également un logiciel qui permettait aux utilisateurs propriétaires de ces infrastructures mobiles de maîtriser en temps réel l’état de leur système et de le piloter. Cela nous a semblé vraiment intéressant parce que c’était plus haut sur la chaîne de valeur, qu’il y avait des possibilités de contact à plus haut niveau avec les clients et aussi de la récurrence de revenus. En fait ces activités-là avaient une connotation système et service qui était absente de notre portefeuille majoritairement orienté produit.
10Nous rentrons maintenant dans la phase 3, et on va procéder comme on a fait précédemment par des acquisitions [5], puisque ce sont des compétences nouvelles, sur différents plans ; technique, commercial et marketing. Notre idée est de créer la glue qui va assembler les différentes briques logicielles et solutions de notre portefeuille pour fournir les éléments qui permettent d’assurer un suivi temps réel d’une situation.
11Cette étape devrait nous amener à doubler à nouveau la taille du groupe. Je vous avais dit que de 12 millions d’euros lors de l’introduction en bourse, nous avions atteint un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros à la fin de la phase 1. Avec le rajout de la brique positionnement/balises de détresse on est passé à 60 millions d’euros (phase 2). Notre objectif avec la phase 3 est d’atteindre 120 ou 150 millions d’euros dans trois-quatre ans avec un développement privilégié dans le domaine des systèmes et des solutions.
12Est-ce que le concept de vision est un concept opératoire pour vous ou juste un vocabulaire que vous employez ?
13C’est vraiment quelque chose d’opératoire. En revanche on a une originalité dans la façon dont on l’utilise. Je suis en fait chercheur de formation et contrairement au monde des ingénieurs qui doivent maîtriser l’incertain, dans le monde de la recherche on cherche à dessein à trouver des choses nouvelles qui n’existent pas ou qui sont mal connues. Notre approche intellectuelle est donc un peu différente. Face à un dilemme ou à un choix à faire entre deux voies, l’ingénieur va chercher la voie la plus proche de ce qui est connu parce qu’il doit délivrer en temps, en heure, de manière maîtrisée, un produit qui va fonctionner et qui sera industriel. Le chercheur, lui, va prendre l’autre voie : celle qui est la plus éloignée du connu pour avoir le plus de chance d’être original. Je développe mon groupe comme ça. Parce que de toute façon on ne se refait pas, c’est ma façon de raisonner et ma source de motivation.
14Quand on a décidé de rentrer en bourse pour lever de l’argent et consolider le secteur du temps/fréquence, c’était parfaitement défini. La vision c’était ça. En revanche je savais déjà à ce moment-là que je serais en butée en termes de croissance au bout d’un moment, et donc il s’agissait déjà de commencer à réfléchir à l’étape d’après. À ce moment-là, j’avais des intuitions. Je savais que le temps faisait partie du monde du GPS, je savais que le monde du GPS était émergent, en croissance et très vaste. Donc je savais que ça allait se jouer là-dedans. Mais je ne savais pas ce que j’allais y faire de manière claire. Mon attitude, c’est chemin faisant, d’explorer des voies, d’expérimenter, de se laisser guider et d’essayer d’être original. Essayer d’être toujours pertinent du point de vue business, et donc tous les business modèles existants sont les bienvenus car ils alimentent la réflexion. Comme pour les chercheurs, on a besoin de tout l’historique théorique, conceptuel, on part des théories bien établies pour en bâtir de nouvelles. C’est pareil dans le business. C’est-à-dire qu’avec tous les réflexes que je peux avoir en regardant ce qui se fait de part et d’autre, j’essaye de me laisser guider dans un univers un peu différent, un peu à l’intuition, d’expérimenter des choses. Et puis je filtre : il y a des choses qui ne marchent pas, il y a des choses qui marchent moins bien, des choses qui excitent mes salariés, d’autres qui ne décollent pas. Je ne peux pas le savoir à l’avance. J’explore et finalement je découvre : on lève le coin d’un voile, et hop on a un concept intéressant, comme en recherche. J’ai fait ça assez tôt, et ça m’a mis sur la voie de ces fameuses balises de détresse. Je ne savais toujours pas exactement ce qui allait venir derrière, parce que je savais aussi que les balises de détresse étaient limitées : c’est 100 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial. Donc il fallait bien creuser autre chose derrière.
15Au Temps, j’avais adjoint les nouveaux domaines du Positionnement (le P) et de la Navigation (le N) mais je cherchais au-delà du PNT, l’ensemble plus vaste qui allait être générateur de croissance et profitable. Cette approche a mis plus de temps à venir, mais on a fini après pratiquement deux ans d’essais-erreurs, de stratégies et de visions plus ou moins ajustées, qui ont été à chaque fois formalisées, par pouvoir dire où on en était. En fait, tout récemment, ça date d’un mois ou deux, je pense qu’on est tombé sur le « bon truc », la bonne vision, comme on tombe sur la bonne explication ou la bonne théorie en recherche. Et c’est assez magique parce qu’il y a un moment, on ne sait pas pourquoi, c’est assez irrationnel, mais où tout tombe au bon endroit. Les morceaux du puzzle s’emboîtent juste pour donner la bonne forme et on peut regarder le résultat sous tous les angles ça devient cohérent. Cette vision peut en fait être résumée par une sorte de tagline qui est : « Beyond the Frontier », au-delà de la frontière. En fait on s’est rendu compte que ça décrivait tout ce qu’on faisait. Parce que d’une part sur le plan business, on fonctionne dans un environnement extrême, donc on est au-delà de la frontière du monde civilisé classique, celui des réseaux de téléphonie ou de l’internet classiques. Nous on va là où ça n’existe pas. Il faut des satellites, il faut des technologies de positionnement particulières, il faut une grosse robustesse environnementale.
16Donc clairement notre métier consiste à fournir des solutions, des équipements électroniques et des logiciels à des gens qui vont au-delà de la frontière. Mais on est un groupe très international. Donc nous allons au-delà des frontières. Et puis technologiquement, comme on est très haut de gamme, on fait des choses au-delà de ce qui existe. Nos horloges atomiques sont les plus stables au monde. Donc on va chercher des performances ultimes. Au-delà de ce qui existait précédemment.
17Donc, je pense que c’est comme ça qu’on va se présenter à l’avenir. Notre métier consiste à permettre aux gens qui vont au-delà des frontières de le faire de manière simple. Tout le monde se reconnaît spontanément en interne dans cette vision. Ca créé de la cohésion et de la motivation. Et j’insiste : c’est un processus qui est comme la recherche : il n’est pas véritablement contrôlé, ni contrôlable complètement. Mais son caractère exploratoire résulte d’une volonté délibérée.
18J’aimerais maintenant revenir sur vous-même. Êtes-vous un manager ou êtes-vous un entrepreneur ? Quand vous dites « on », est-ce qu’il s’agit de « je » ?
19Je me sens entrepreneur, clairement, parce que je suis comme vous l’avez vu dans une logique de construction d’un groupe à grande vitesse et je n’ai pas les moyens de le faire seul. Donc il faut que je sois en permanence en train de convaincre d’autres personnes de m’accompagner. Non seulement des financeurs, mais aussi des managers en interne. J’ai quelque chose qui m’anime : il y a cette exploration du multiculturel, il y a ce désir de leadership technologique, il y a le sentiment de se sentir un des meilleurs mondiaux, il y a ce sentiment que face à un nouveau domaine, un nouveau secteur je peux être un pionnier. Et j’essaye de faire ce qu’il faut pour y arriver, donc j’acquiers des entreprises, je convaincs des investisseurs de me donner les ressources financières pour le faire, je convaincs le management de se remettre en cause en permanence, de réapprendre, de tout chambouler dans leurs pratiques passées pour arriver à le faire. Je pense que ça c’est le propre d’un entrepreneur. Tout tient par sa vision et sa conviction propre, sa capacité d’entraînement. Être toujours positif et toujours avancer, c’est ça qui entraîne les gens dans le sillage. Donc, de ce point de vue-là je me sens bien entrepreneur. En plus, on bâtit quelque chose de nouveau, basé sur une vision. Clairement, quand je suis avec des entrepreneurs, je me sens dans mon monde.
20Mais je détecte aussi des différences avec certains entrepreneurs, je ne serais pas bon pour démarrer de zéro une activité. Parce que tout faire soi-même, être au four et au moulin, être l’homme-orchestre, je trouve que c’est trop inefficace. Moi je suis plutôt un stratège, je suis un physicien théoricien à l’origine. Donc ces aspects ultra-pratiques, « mains dans le cambouis », ce n’est pas mon truc, je ne suis pas bon. Je ne sais pas manager une entreprise avec 10 personnes dedans. Mais, au-delà d’un certain seuil, lorsque la société commence à avoir des process, à fonctionner, à être bien organisée, là j’ai une vraie valeur ajoutée. Parce que j’ai cette capacité à maîtriser la complexité, à formuler une vision, à convaincre, à reformuler une vision, à apprendre sans cesse, à être flexible. Effectivement je ne suis pas un entrepreneur classique qui démarre de zéro. Mais clairement je me sens dans une logique d’entrepreneuriat.
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Spectracom, Pendulum Instruments, Rapco Electronics : une société américaine, une société suédoise, et une société britannique. Orolia a également racheté les actifs « simulateurs de signaux GPS » de la société finlandaise Space System Finland début 2009.
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Kannad, Mc Murdo, et Sarbe, une entreprise française et deux entreprises britanniques.
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Orolia a acquis en juillet 2012 la société américaine Boatracs.