Notes
-
[1]
La compression d’image est une technique d’analyse qui consiste à ne prendre en compte que ce qui change d’une image a l’autre de manière à économiser de la puissance de calcul ou de traitement. Par exemple une caméra de surveillance n’enregistre que si quelqu’un rentre dans le champ visuel. Par analogie, le spécialiste qui lit un business plan ne fait plus attention au cadre et a la signification des lignes et des cases. Il ne traite que le contenu des cases et sait instantanément leur donner un sens.
-
[2]
Inspiré de : Pr Philippe Chanson. Danaei G et al. National, regional, and global trends in fasting plasma glucose and diabetes prevalence since 1980: systematic analysis of health examination surveys and epidemiological studies with 370 country-years and 2.7 million participants. Lancet 2011 ; 378 : 31-40.
-
[3]
Repère ? fig1
-
[4]
Repère ? fig.1
-
[5]
Ibid
-
[6]
Repère ? de la fig.1
-
[7]
MILLIER Paul Stratégie et marketing de l’innovation technologique. 3e édition. Paris, Dunod 2011
-
[8]
DAVIDOW William H. : Marketing High Technology An insider’s view, New York, The Free Press, 1986.
-
[9]
BLANK Steven G; The four steps to the epiphany. Quad/ Graphics, 2007
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[10]
Inspiré de MARTY, MOREAU, WEINBERGER. “Start up? Du mythe médiatique aux réalités sociologiques” L’Harmattan, 2003.
Les points forts
- Pour faire rentrer son projet dans le moule du business plan, l’entrepreneur triche avec la réalité.
- Ce faisant, il se trahit, en quelque sorte, lui-même : il crée un écran de fumée entre son projet et les partenaires susceptibles de le financer ou de le soutenir.
- Toutes les parties prenantes auraient avantage à appliquer quelques bons principes de réalité économique et entrepreneuriale à la rédaction du business plan.
1Lorsqu’il souhaite démarrer son activité, l’entrepreneur a bien souvent besoin de solliciter des financeurs, que ce soient des banquiers pour des prêts où des lignes de crédit, des business angels ou des capitaux risqueurs. Or il appert que l’entrepreneur et ses financeurs, bien qu’embarqués à bord du même bateau, ont parfois du mal à se comprendre. Leurs modèles de représentation financière du projet ou leurs grilles de lecture de la situation ne convergent pas toujours. Pour tenter de sortir de cette impasse, cet article propose de s’engager dans un processus réaliste d’itérations entre la finance et le marketing. En effet, si on réussit à rétablir une approche stratégico-financière plus adaptée à la démarche entrepreneuriale, on aura beaucoup plus de chance que le financier et l’entrepreneur puissent se comprendre et s’aider.
2Après avoir montré en quoi le business plan n’est souvent pas un bon outil de communication entre l’entrepreneur et ses financeurs, cet article développera le sujet en deux points clés qui déboucheront sur des préconisations. Le premier de ces points est que l’entrepreneur déforme son intention pour la faire rentrer dans le moule standardisé du business plan qu’attendent ses financeurs. Le deuxième point est que les chiffres figurant dans les comptes de résultats normalisés ne rendent compte ni de la réalité entrepreneuriale ni de l’origine des pertes ou des profits réalisés par l’entreprise au cours de ses exercices d’exploitation successifs. Les préconisations viseront à concilier la réalité de l’entrepreneur avec le nécessaire formalisme de présentation des résultats chiffrés, de manière à aboutir à un projet à la fois ambitieux, réaliste et cohérent.
Le Business plan, l’entrepreneur et ses financeurs
3Tout le monde a besoin de se représenter le monde qui l’entoure pour le comprendre, l’interpréter, pour se situer par rapport à lui et pour évoluer à l’intérieur. Mais voilà, chacun poursuit des objectifs différents et personne n’a forcément la même grille d’analyse que son voisin. On peut ainsi considérer que l’entrepreneur a besoin d’une grille qui lui permette de comprendre son environnement, de partager sa vision avec ses collaborateurs et de disposer d’indicateurs de pilotage de son activité, pour être sûr que les actions qu’il entreprend soient suivies d’effets qui le rapprochent bien des objectifs qu’il se fixe. Quant au financeur, on peut soupçonner qu’il utilise une grille qui lui donne l’assurance que le projet sur lequel il mise soit suffisamment cohérent, ambitieux et bien géré pour maximiser les chances de voir fructifier son investissement.
4Bien souvent, cette grille est imposée par des financeurs comme les banques par la nécessité d’avoir une procédure standardisée qui permette de traiter un grand nombre de données avec des critères identiques. Or, par définition, la standardisation s’encombre peu des exceptions, dont font partie les entreprises qualifiées d’innovantes (au plan fiscal, elles ne sont que trois mille au niveau national). On notera au passage que la présentation des états de synthèse au travers de la liasse fiscale annuelle des résultats de l’entreprise s’est imposée, non pas par sa pertinence mais par le seul fait qu’elle constitue un standard de référence, en tant que base au calcul de l’impôt.
5En première approche on pourrait objecter qu’il existe bien un document commun qu’utilisent l’entrepreneur et le financeur pour se parler ; c’est le business plan pris tant dans sa dimension stratégique que financière. En réalité, s’il aide l’entrepreneur à formuler sa stratégie, le business plan est surtout un document très formel et très codifié qui permet aux financeurs de s’assurer de la cohérence d’ensemble. Mais plus encore, par son formalisme universel, il devient un cadre, un patron (un template) qui compresse l’image [1] afin que le financier sache dans quelle case trouver rapidement l’information chiffrée qui ait du sens pour lui pour savoir si l’affaire sera bonne, au regard du retour sur investissement minimum qu’il espère ou du niveau de risque qu’il est prêt à prendre.
6Ainsi présenté, on voit que le business plan est sensé être un outil de traduction de l’intention du créateur (qui formalise sa stratégie) vers l’intention du financier (qui cherche à maximiser son retour sur investissement). Le document est supposé leur permettre de se comprendre. Mais dans la réalité, notre expérience nous a montré qu’il y a souvent loin de la coupe aux lèvres car la grille dont a besoin le financier pour comprendre le projet n’est pas la même que celle dont a besoin l’entrepreneur pour piloter son activité.
L’entrepreneur déforme la réalité « à l’insu de son plein gré »
7Selon la théorie de la rationalité limitée, l’individu s’arrange toujours pour sélectionner et interpréter l’information de manière à ce qu’elle aille dans le sens des convictions qu’il avait avant de commencer l’analyse. C’est en quelque sorte un filtre d’auto-accomplissement de la conviction de l’entrepreneur, qui voit bien ce qu’il veut voir et minimise, ou même ignore ce qu’il ne veut pas voir. On trouve ce travers de manière fréquente et caricaturale dans l’évaluation du marché, a fortiori lorsque celui-ci n’existe pas encore. L’observation de centaines de cas d’accompagnement révèle en effet que la description et l’évaluation du marché reposent souvent sur des hypothèses hasardeuses car jamais vraiment validées par le terrain. De la sorte on peut lire des choses surprenantes mais fréquentes telles que :
- Mon marché c’est le marché du diabète et je vais en prendre 10 %
- Mon marché c’est le marché de l’intelligence partagée et je vais en prendre 10 %
- Mon marché c’est le marché du coton et je vais en prendre 10 %
- Mon marché c’est le marché de la CAO et je vais en prendre 10 %
« Le diabète est une cause importante de mortalité à travers le monde. Aussi, une équipe d’épidémiologistes de Harvard a conduit une analyse systématique dans 199 pays. Le nombre de diabétiques est passé de 153 millions en 1980 à 300 millions en 2008. Le diabète augmente de manière globale, essentiellement du fait de la croissance et du vieillissement de la population. Des mesures de prévention efficace sont nécessaires et les systèmes de santé doivent se préparer à dépister le diabète. » [2]
9Où est le piège dans cet énoncé et en quoi l’entrepreneur a-t-il à la fois tort et raison ? Il a raison car c’est bien à des diabétiques que va s’adresser son test. Mais il a tort car en réalité, ce n’est pas parce qu’il y a 300 millions de malades que sa start-up va vendre 300 millions de jeux de test de dépistage. Du coup, ces études ne lui servent à rien car il ne sait pas à quels clients il va vendre.
10Ce phénomène conduit non pas tant l’entrepreneur à surestimer la taille de son marché qu’à le considérer comme homogène et à le servir tout entier de la même manière en priant pour que 10 % des clients viennent lui acheter son produit. Or aucun marché n’est homogène et de ce fait, plus de 80 % des problèmes marketing des entreprises innovantes viennent d’une mauvaise segmentation de leur marché quand il y en a une. Comme on peut s’en douter, cette erreur conduit à des aléas considérables sur la première ligne du business plan : le chiffre d’affaires escompté. Or comme le reste du business plan dépend en grande partie de la justesse de cette prévision, on arrive à des business plan séduisants et cohérents mais qui sont en fait bâtis sur du sable. À partir de là, l’entrepreneur va traduire le business plan dans une grille de chiffres dont le formalisme est imposé par le financeur, lui-même influencé dans son formalisme par les règles comptables et c’est là que les choses se compliquent encore un peu plus.
La grille du financier n’est pas celle de l ’entrepreneur
11Si l’on prend la grille classique du compte de résultats prévisionnels auquel parvient notre entrepreneur, on obtient un tableau qui ressemble, par exemple, à cela.
12L’analyse qui aboutit à ce tableau chiffré conduit à poser des raisonnements qui semblent justes alors qu’ils reposent sur des idées fausses (le gros marché homogène du diabète) et donc, à établir le business plan sur des bases erronées. Trois conventions fondamentales de la rédaction d’un business plan vont enfoncer encore un peu plus l’entrepreneur dans son erreur :
La constance des marges et des ratios d’exploitation comme référence
13Dans le tableau ci-dessus, tout part d’une hypothèse de chiffre d’affaires (vraie ou souvent fausse comme expliqué plus haut avec l’exemple du diabète) et les autres lignes sont plus ou moins déduites de cette hypothèse initiale, par une série de relations linéaires du premier degré du type :
- Pour faire 100 K € de chiffre d’affaires il faut un vendeur qui coûte 30K€ et il faut acheter pour 20 K€ de fournitures, ou bien encore :
- Le standard de la profession est que les coûts commerciaux représentent 30 % du chiffre d’affaires et les achats 20 %.
Compte de résultat normalisé initial
Compte de résultat normalisé initial
14Or, si cette approche peut avoir du sens pour des entreprises établies sur leurs marchés, elle est souvent fausse dans le cadre d’une activité innovante. En effet, s’il est utile et pertinent pour une entreprise installée de se référer à des ratios stables rapportés au chiffre d’affaires, il en va bien différemment dans le cas du développement de nouvelles activités. En ce sens, la comparaison de ratios sectoriels (du type frais de personnel/chiffre d’affaires), avec ceux d’entreprises qui innovent doit être utilisée avec d’extrêmes précautions. Si cette comparaison peut fournir une base de départ, retenir ces ratios comme vrais sans esprit critique amène à des erreurs de raisonnement car :
- le modèle économique mis en place par une entreprise innovante présente souvent des caractéristiques distinctives par rapport au secteur, par le fait même qu’innover implique de changer les règles ;
- les ratios retenus ne sont pas transposables à un démarrage d’activité pour trois raisons propres aux start-ups.
- Le taux de marge sur consommation matières ou de production est très inférieur en période de démarrage à ce qui peut être espéré en période de croisière. D’autre part, le taux de rebut est important du fait des nécessaires réglages des processus de production. Il faut donc attendre un certain temps avant d’arriver aux ratios de la profession.
- Des coûts commerciaux et marketing élevés liés à la nécessité de pénétrer de nouveaux marchés et ceci d’autant plus que les temps d’accès à ces marchés sont longs.
- Des ratios R&D/CA qui peuvent très bien ne pas correspondre à la moyenne constatée dans un secteur d’activité du fait de l’intensité des ressources engagées au cours de la phase de développement d’un produit nouveau.
Une présentation comptable peu adaptée aux entreprises innovantes
15Bien que les comptes prévisionnels utilisés dans le cadre de la gestion des entreprises n’aient pas à répondre à un format de présentation, il n’en reste pas moins que cette présentation reste généralement proche de celles retenues par les entreprises pour présenter leurs comptes de résultat annuels, selon un format fixé par la loi. Cette situation présente toutefois l’avantage d’avoir des points de repère communs dans la lecture des comptes prévisionnels et des données réelles exprimées dans les situations comptables ou les comptes annuels (compte de résultat). Ainsi, les méthodes d’établissement des comptes sont connues et les comparaisons possibles. Mais hélas, cette présentation sous forme comptable ne permet pas de présenter des grilles de lecture sensées, dans le cas inhabituel des projets innovants et ce pour au moins deux raisons.
16? La première tient au fait que le modèle de compte de résultat présente, en France, les charges par nature, c’est-à-dire, en regroupant les charges externes, les charges de personnel, les impôts et taxes, les charges financières, etc., Il se trouve que ce modèle, fréquemment utilisé pour la présentation des comptes prévisionnels, a peu d’intérêt dans le cas de l’innovation car il ne permet pas de mettre en évidence des éléments essentiels comme :
- un classement des charges par fonction qui regroupe des charges de nature différente (frais de personnel et charges externes par exemple) au sein d’une même fonction (R et D, marketing, charges liées aux ventes) permettant ainsi une présentation plus claire du modèle économique
- des niveaux de marge ou de classement analytique des charges (par regroupement géographique, par nature d’activité…) qui permet de mieux cerner la formation du résultat.
17? La seconde de ces raisons tient au fait que les méthodes retenues, souvent par défaut dans l’élaboration des prévisions sont les méthodes comptables habituelles, souvent inadaptées pour présenter l’activité économique des entreprises innovantes. Pour simplifier, ces règles imposent en effet aux entreprises de comptabiliser leurs dépenses en charges sauf exceptions prévues par la loi. Parmi ces exceptions figurent la possibilité d’immobiliser les frais de développement qui sont dès lors considérés comme des investissements dans les comptes des entreprises. En revanche, d’autres dépenses, tels que les investissements marketing, les frais d’amorçage commercial, de promotion … doivent être obligatoirement enregistrés dans les charges. Or, l’ensemble de ces coûts ne représentent pas des charges opérationnelles (charges de fonctionnement) mais participent bel et bien, d’un point de vue économique, aux actifs immatériels de l’entreprise, sans être reconnus comme tels sur un plan comptable. Cette situation crée fréquemment un décalage temporel entre l’engagement des charges et la génération des produits qui leur correspondent puisque ces charges sont prises en considération lorsqu’elles se réalisent et non pas lorsqu’ils produisent leurs effets. Cela signifie que des charges engagées en année N ou N+1 généreront un chiffre d’affaires récurrent en années N+2, N+3…La lecture de comptes prévisionnels est, dans ces conditions, rendue très délicate et il sera nécessaire de distinguer, aux fins d’analyse plus fine, la nature des dépenses engagées (charges opérationnelles ou charges assimilables à un investissement) pour accéder à une meilleure compréhension de la rentabilité d’un projet. En effet, comment est-il possible d’apprécier cette rentabilité en mélangeant des charges qui sont corrélées à des produits d’exploitation (par exemple, achats de matières premières) à des charges d’investissement (investissement marketing ou frais de développement de nouveaux produits).
La convention sur la croissance de l’activité et l’évolution de la rentabilité
18La représentation financière d’une activité naissante suppose d’imaginer l’exploitation et le financement sur une période de trois à cinq ans. Dans les faits, l’entrepreneur part de l’année 0 de son plan et l’étend sur trois à cinq ans en faisant des prévisions de croissance des ventes, sur des bases souvent optimistes, encouragé en cela par le fait que les financeurs aiment bien les courbes qui montent. Cette logique de prévision de l’avenir peut convenir à des situations peu incertaines où l’on vend un produit connu des clients, sur des marchés stables et connus. Mais cette méthode déterministe s’avère d’une utilité toute relative dès lors que l’entrepreneur s’engage dans une activité innovante, incertaine, face à laquelle, le marché étant à créer, on ne peut ni s’appuyer sur des données historiques ni extrapoler une tendance.
19Ceci étant, il ne paraît pas anormal que les premières années du lancement d’un produit constatent une perte, et qu’un bénéfice soit constaté à l’horizon des prévisions (c’est l’objectif d’une entreprise). Ceci explique sans doute pourquoi les comptes de résultats prévisionnels font apparaître de manière systématique et conventionnelle :
- Une perte sur la première année (on démarre !)
- Un équilibre d’exploitation sur la deuxième (on ne perd plus d’argent !)
- Une rentabilité souvent hors normes - sur les années suivantes (c’est rentable !)
Promouvoir un raisonnement bouclé
20De manière consciente ou inconsciente, l’entrepreneur va produire en fin de compte un business plan tellement empreint de fausses certitudes et de conventions financières qu’il finit par être vidé de son sens entrepreneurial. En d’autres termes, ce document va respecter le formalisme financier mais n’aidera pas l’entrepreneur à diriger et à gérer son entreprise. La meilleure preuve est qu’une fois rédigé, le business plan est souvent rangé dans un placard jusqu’au prochain tour de table. Comment concilier la réflexion stratégique entrepreneuriale et le formalisme financier de manière à ce que le résultat final serve aussi efficacement l’entrepreneur que le financier ?
21Le principe de notre raisonnement est un processus bouclé qui a pour point de départ le business plan initial qu’a produit l’entrepreneur, qui est plus ou moins réaliste mais qui a le mérite d’exister et de présenter une certaine cohérence interne, même si les chiffres de départ sont faux.
22Nous allons ensuite soumettre ce « prototype de plan » à une série de tests logiques et de grilles d’analyse pour tester la représentation financière de la stratégie. Pour cela nous proposons de dépolluer les comptes, de prendre en compte la réalité du marché, la réalité entrepreneuriale et les contraintes externes de manière à filtrer, analyser, modifier les chiffres du plan par itérations successives jusqu’à ce que ceux-ci se stabilisent d’une itération à l’autre.
23Les chiffres une fois stabilisés et validés seront réinjectés dans le tableau prévisionnel normalisé de manière à ce que l’entrepreneur comme le financier y trouvent les chiffres pertinents qu’ils sont en droit d’attendre pour prendre des décisions fondées. On peut représenter ce raisonnement de la manière suivante.
Raisonnement bouclé
Raisonnement bouclé
Dépolluer le compte de résultat en reclassant correctement les dépenses [3] (repère ? fig1)
24Les prévisions financières sont souvent trompeuses car les chiffres sont souvent associés à un sentiment d’objectivité. Or, le fait de prévoir un chiffre d’affaires ou un résultat ne conduit pas à le réaliser. Le contexte d’établissement de prévisions en situation d’innovation est en effet très spécifique du fait de l’absence de repères (absence d’activité antérieure, de comparables…) permettant de prévoir une activité et conduit à se focaliser plus sur les paramètres fondamentaux qui vont conditionner la rentabilité de l’exploitation et la formation du résultat que sur les chiffres eux-mêmes. La question importante à se poser à ce stade est de comprendre quels facteurs doivent être maîtrisés sur le plan financier pour que les conditions d’une exploitation rentable soient réunies. L’entrepreneur doit donc se livrer à un travail d’identification de ces variables clefs et valider qu’il a la possibilité de les maîtriser. Par exemple, la maîtrise du coût de production et la capacité à l’optimiser au fil du temps est bien souvent un élément déterminant dans de nombreux modèles économiques. Or, dans bien des cas, l’entrepreneur n’a pas pris conscience que le projet d’innovation repose sur cette capacité à maîtriser cette variable. Dans d’autres cas, il est incapable de mesurer la tolérance qu’il peut admettre par rapport à une valeur cible pour que le projet reste viable. On comprend bien que cette question est au moins aussi importante que l’innovation elle-même puisqu’elle en détermine l’intérêt économique.
25Comment cela se passe-t-il en pratique pour dépolluer les comptes ? Le processus porte essentiellement sur la formation du résultat qui vise à mettre en évidence les fondamentaux du modèle (ou paramètres clefs) tel que présenté dans le tableau ci-dessous, bâti à « chiffres constants ». Ce travail permet de mettre en évidence des éléments qui n’apparaissaient pas dans les documents initiaux. Ainsi dans le tableau ci-dessous, les regroupements ont été réalisés par fonction ou par niveau de marge. On note de ce fait, la constance de la marge sur coûts de production, l’importance des coûts affectés à la recherche et au développement et le niveau des coûts de distribution. Il convient dès lors de s’interroger sur la pertinence de ces différents agrégats. Par exemple ; est-il normal que les frais de R et D progressent alors que la commercialisation a déjà débuté ? Est-il logique que la marge sur coûts de production ne varie pas au fil des années malgré une progression importante des ventes… ? Autant de points qui doivent permettre à l’entrepreneur de s’interroger sur la cohérence des chiffres qu’il présente.
Intégrer la réalité du marché [4]
26Pour illustrer reprenons le compte de résultat prévisionnel initial ou l’on voit que l’entrepreneur est parti d’un chiffre d’affaires décrété de 30000 K Euros à n+4. Il a ensuite rempli le reste tableau en combinant ce chiffre aux ratios de l’industrie (par exemple les charges commerciales représentent 25 % du CA) (repère ? fig.1).
27Les tests logiques ? vont porter sur l’appréhension correcte du marché pour s’assurer que les chiffres sont plausibles et réalistes par rapport aux moyens et ressources de l’entreprise comme nous le montre l’exemple de la start-up qui souhaitait lancer un test de dépistage du diabète. Elle est partie du chiffre de 300 millions de diabétiques dans le monde et s’est fixé de prendre une part de marché de 3,3 % (soit 10 millions de tests) ce qui l’a conduit à inscrire dans la première ligne de son compte de résultat prévisionnel un chiffre d’affaires de 30 millions d’euros sur la base d’un test vendu 3 euros. Ce chiffre est n’importe quoi car l’entrepreneur l’a tout bonnement décrété et parce qu’il l’a décrété il considère que cela va se réaliser ! Or ce n’est rien de plus qu’un pari qu’il fait. Partant de là, il va se doter d’un outil de production capable de fabriquer au moins 15 Millions de test par an (il faut bien se garder une marge de manœuvre au cas où les choses marchent mieux que prévu) qu’il va financer grâce à l’emprunt ou l’aide des financiers qu’il va convaincre qu’il lui faut cet outil pour travailler. Mais à supposer que son produit soit prêt, il y a neuf chances sur dix qu’il perde son pari car le marché ne va pas décoller aussi vite que prévu et qu’il se retrouve avec son outil de production sur les bras, dans l’incapacité de le financer. Ainsi, il aurait bien meilleur compte à partir des ressources qu’il a, ou qu’il trouvera auprès de ses partenaires, et voir ce qu’il peut faire avec. Imaginons tout d’abord qu’il puisse disposer des capacités de production excédentaires du laboratoire qu’il vient de quitter pour créer son entreprise. Imaginons ensuite qu’il ait pu convaincre une société d’assurance proche de chez lui ; les Assurances Mondass. Ce n’est pas un très gros assureur mais il a une position correcte dans la santé et il croit suffisamment à ce projet de test de dépistage du diabète pour le rembourser sur prescription à ses assurés qui sont au nombre de 2,4 millions en France. Comme parmi ceux-ci il y en a un tiers à qui on peut prescrire un test tous les deux ans, ceci représente un marché directement accessible de manière sûre et contrôlable de 400 000 tests par an soit 1200 K euros de chiffre d’affaires. Oh bien sûr, on n’est plus sur un chiffre en millions d’unités par an, en revanche c’est un chiffre qu’on est certain de pouvoir réaliser grâce d’une part aux moyens de laboratoire dont on dispose aujourd’hui chez le partenaire du créateur et de par cet accord passé avec l’assureur qui permet un accès privilégié à une part du marché à coût commercial presque nul.
Compte de résultat reclassé mettant en évidence les incohérences
Compte de résultat reclassé mettant en évidence les incohérences
28On notera que ce « simple » changement dans la manière de voir les choses va transformer complètement la structure des chiffres de l’activité. En effet au lieu d’avoir investi dans une coûteuse installation de production de 15 millions d’unités par an, on n’a plus qu’à payer les coûts d’utilisation du laboratoire du partenaire. De ce fait on n’a plus d’immobilisation, plus d’investissement, plus d’amortissement correspondant à l’outil de production. On a tout transféré en charges de production. Au niveau commercial, compte tenu de l’accès direct au marché, le créateur peut rester seul pour faire le travail de liaison avec les assurances Mondass, donc nul besoin de prévoir d’inutiles charges commerciales. Et en fonction de tout cela on arrive à un chiffre d’affaires de 1200 K euros au lieu des 30 millions du fantasmatique plan initial.
29Voilà une situation cohérente car l’entrepreneur se fixe un chiffre qui n’est plus seulement un vœu pour lequel il va prier mais une réalité, car il va pouvoir avoir un effet sur ce morceau de marché qu’il vise. C’est ce que l’on appelle l’effectuation [5] ; avoir un effet sur son marché et donc sur sa destinée.
30Pour pouvoir appliquer ce principe, il faut que l’entrepreneur se dote au préalable d’une représentation du marché qui ait du sens pour lui et qu’on appelle la segmentation marketing. La segmentation du marché est absolument stratégique dans la démarche de l’entrepreneur au sens où c’est le seul moyen de savoir où aller et quoi faire ; en d’autres termes de fixer les objectifs pour diriger (donner la direction) l’entreprise. Tout le reste n’est que gestion des moyens pour atteindre ces objectifs. La segmentation d’une activité innovante doit être originale et spécifique. Original veut dire que le marché doit être vu pour la première fois ainsi. Spécifique veut dire spécifique au projet et à l’entreprise.
31C’est ainsi que dans l’exemple du test de dépistage de diabète, l’entreprise qui segmente son marché en séparant la part accessible via les assurances Mondass du reste des malades, fait une segmentation qui lui est spécifique car elle a un accord avec les assurances Mondass. Dans la segmentation réside le secret qui permet aux petits d’exister aux côtés des gros car ils ne voient pas le marché avec les mêmes lunettes.
Intégrer la réalité de l’entreprise et du processus entrepreneurial [6]
32En continuant l’exemple précédent, il faut que l’entrepreneur utilise à présent une grille de chiffres qui rende mieux compte de cette intention d’influencer son environnement. Cette grille part de l’entrepreneur et de l’entreprise, de ses moyens, de ses compétences, de ses actifs comme donnée d’entrée. Par la suite, compte tenu des ressources mobilisables, sur quoi peut-on avoir un effet et quelle activité cela peut-il générer ? Cela veut dire concrètement que l’entrepreneur se doit de travailler la propre représentation financière de son activité à partir d’une grille à construire qui soit différente de celle traditionnellement utilisée. Dans la pratique, celle-ci doit pouvoir être utilisée pour tester le modèle économique et comprendre sa sensibilité par rapport à l’incertitude liée à l’innovation (CA, dérive du coût de production (réel/prévisions), temps d’accès au marché)… Une telle grille plus proche de la réalité des faits, pourrait à celle présentée en Tab 3.
33Compte tenu de ce qui a été dit plus haut, il serait logique que, dans ce tableau, le chiffre d’affaires ne soit pas en première ligne mais bien comme la conséquence des investissements engagés (en technique et en marketing), des ressources et des efforts que l’entrepreneur va pouvoir mobiliser (et seulement ceux-ci). En d’autres termes si on n’a que deux vendeurs et 200 K euros à investir, on voit ce qu’il est plausible de faire avec ces moyens-là, ce qui évite de s’embarquer dans un délire qui nécessiterait la fortune de Glaxo SmithKline pour conquérir 10 % du marché mondial des diabétiques. Par exemple, on peut supposer que, fort de sa première expérience avec les assurances Mondass, l’entreprise concentre ses ressources commerciales sur la négociation d’autres contrats avec d’autres assureurs français et étrangers limitrophes de manière à avoir trois contrats la deuxième année de commercialisation et cinq la troisième. Dès lors, la ligne « chiffre d’affaires » contient des chiffres cohérents avec la situation de l’entrepreneur car ils correspondent à ce que l’entreprise va pouvoir contrôler. De ce fait ce sont ces chiffres qu’on pourra reprendre ultérieurement pour les réinjecter en première ligne du compte de résultat prévisionnel normalisé qui figurera au business plan (Repère ? fig. 1). À partir de là non seulement le financier retrouvera ce qu’il cherche mais l’entrepreneur disposera d’un vrai outil de pilotage de son activité. Dans ce tableau il serait logique de faire figurer des lignes supplémentaires par rapport au compte de résultats normalisé comme par exemple la notion d’investissement de recherche et plus encore à la notion d’investissement marketing qui n’existe nulle part ailleurs. On conçoit aisément que l’investissement R&D va servir à développer le produit, support technique du service ou du bénéfice que le client recherche. Cet investissement est nécessaire pour constituer le germe technique à partir duquel on va développer un marché spécifique. Hélas il est insuffisant de ne prendre en compte que cet investissement pour contrôler et donc, assurer le démarrage d’une nouvelle activité. En effet on n’a jamais vu la génération spontanée du marché qui va en face d’une invention [7]. Pour contribuer à l’ouverture de ce marché, il faut consentir, en parallèle des investissements de R&D, des investissements marketing destinés à préparer le marché à accueillir l’innovation. L’effet de ces investissements marketing est de rendre moins aléatoires et moins variables les éléments de l’investissement R&D puisqu’on contrôle l’effet qu’ils ont sur le marché. Cela revient à ce que l’investissement marketing démultiplie l’effet de l’investissement en R&D. On peut donner à titre indicatif un ordre de grandeur de l’investissement marketing à prévoir. Quand le marché existe et qu’on envisage d’en prendre une part au moins égale à 15 % il faut prévoir un investissement marketing égal à 70 % du chiffre d’affaires annuel du leader [8]. Steven Blank [9] base quant à lui son estimation des coûts d’entrée sur le marché sur les coûts marketing et vente des concurrents. Si un leader dominant est sur le marché, il estime qu’il faut prévoir des coûts d’entrée a peu près égaux à trois fois les coûts marketing et vente du leader. Si aucun acteur ne dépasse 25 % de part de marché, il estime les coûts à 1,7 fois les coûts marketing et vente du leader. Si le marché n’existe pas l’investissement nécessaire pour le créer est d’environ 70 % à 100 % des coûts de R&D.
34La prise en considération des éléments de la réalité du marché et de la réalité entrepreneuriale permet donc de corriger un certain nombre d’anomalies pour reconstruire le nouveau plan. Cette nouvelle construction doit aussi distinguer les charges opérationnelles (qui participent à l’exploitation) des charges d’investissement liées au processus d’innovation (qui produisent leur effet à moyen terme). Ainsi, ce retraitement peut aboutir à un tableau, structuré en deux parties, comme ci-dessous :
- La première partie reprend les investissements immatériels engagés, y compris les dépenses généralement classées comme charges d’exploitation sur un plan comptable (investissement marketing). L’identification doit être faite par projet, car on doit pouvoir corréler correctement les dépenses engagées et les produits. Très souvent, comme dans l’exemple ci-dessous, le compte de résultat intègre implicitement des dépenses de R&D sur de nouveaux projets, alors qu’elles ne produiront leurs effets qu’au-delà de l’horizon des prévisions. Le retraitement proposé permet donc de neutraliser l’impact de ces charges dans le compte de résultat et donc de mesurer la rentabilité effective du projet qui donnera lieu à commercialisation en N+2. On notera également que des charges de R&D ont été en partie conservées dans le compte d’exploitation au titre de charges récurrentes visant à des améliorations mineures des produits ou des process. Enfin, des charges d’investissement marketing ont été ajoutées dans ce tableau en considérant que les dépenses mentionnées au compte d’exploitation avaient un caractère opérationnel.
- La seconde partie du tableau reprend les charges résiduelles (après déduction de celles reprises en première partie de tableau) en apportant néanmoins des correctifs après étude. Pour exemple, les coûts de production ont été retravaillés afin de faire apparaître une structure de coûts plus en relation avec les volumes traités et les modalités futures d’industrialisation. De ce fait, la marge progresse sensiblement au fil des exercices, ce qui n’était pas la situation de départ.
Compte de résultat retraité prenant en compte la réalité entrepreneuriale
Compte de résultat retraité prenant en compte la réalité entrepreneuriale
35Ainsi de proche en proche, une nouvelle structure de compte de résultat apparaît et avec elle une meilleure compréhension de la rentabilité liée à l’innovation. Ce processus itératif doit être mené jusqu’à un terme qu’on peut repérer au fait que le discours de l’entrepreneur, est de plus en plus clair et qu’il peut répondre facilement aux interrogations que nous avons suscitées plus haut. Ce travail étant fait, la dernière étape consiste simplement à remettre en forme le compte de résultat dans un format habituel en reprenant les critères attendus et normatifs des investisseurs et banquiers.
Distinguer l’objectif et le chemin pour y arriver
36Comme on le comprend à la lecture comparée des grilles présentées ci-dessus, la grille du financier (le compte prévisionnel normalisé) met en avant un objectif financier à atteindre : combien de profit va-t-on faire à terme et à quelle vitesse va-t-on atteindre l’objectif ? En revanche la grille intermédiaire de l’entrepreneur (le compte de résultat entrepreneurial Tab 3) met beaucoup plus l’emphase sur le « comment on va faire » pour arriver au résultat. Cette différence est fondamentale car, le raisonnement contenu dans la grille de l’entrepreneur postule au contraire que l’entreprise n’est pas, à son démarrage, en petit ce qu’elle sera en grand dans cinq ans. À ce stade, c’est une autre entreprise avec une autre activité, mais une activité intermédiaire qui constitue le chemin qu’elle doit emprunter pour atteindre l’objectif.
37Pour nous convaincre du bien-fondé de cette logique, prenons l’exemple de cette entreprise qui voulait lancer, il y a quelques années, le livre numérique [10]. Son business plan à cinq ans prévoyait que l’entreprise distribuerait ses produits par de grands distributeurs tels que la FNAC ou Virgin. De fait, elle indiquait dans son business plan qu’elle vendrait la première année quelques centaines d’ouvrages par ce canal, quelques milliers par le même canal la deuxième année, quelques dizaines de milliers par le même canal la troisième année jusqu’à atteindre l’objectif ambitieux qu’elle ambitionnait à cinq ans. Mais il y a une différence entre déclarer qu’on va atteindre tel objectif et y arriver. Ça ne se décrète pas. En effet, ni les consommateurs, ni les distributeurs n’étaient spontanément prêts pour ce produit qui ne parvint pas à décoller. L’entreprise dut reprendre sa segmentation pour faire apparaître des segments de marché influençables et accessibles dès la première année avec les moyens dont elle disposait, à savoir un seul commercial qui venait de la bureautique. C’est ainsi qu’elle identifia des segments de marché accessibles en direct et non pas via les distributeurs. Elle visa ainsi, les premières années, le marché des entreprises qui voulaient diffuser des rapports à leurs commerciaux par l’intermédiaire du support matériel électronique dont elle les avait équipés, en l’occurrence le PALM à l’époque. Si tant est que l’entreprise finisse par vendre un jour des livres électroniques à la FNAC, on voit bien par cet exemple que, lors de sa première année d’existence, c’était une autre entreprise qui travaillait sur d’autres marchés que ceux visés à terme, avec une stratégie complètement différente (clientèle industrielle, segmentation sur la base de l’existence d’une population captive équipée du support électronique adapté, approche commerciale directe).
38Ce type de réflexion doit conduire à accorder plus d’importance à la recherche de cohérence entre l’état du marché à l’instant t (segmentation du marché) et les capacités de l’entrepreneur à avoir un effet sur ce marché avec les moyens et la marge de manœuvre dont il dispose. À terme, ce travail en amont doit permettre d’enrichir la vision de l’entrepreneur sur son propre projet. Pour autant, une nouvelle traduction de cette grille de travail sera nécessaire afin de rédiger, in fine, les documents normatifs acceptables qui correspondent aux critères des financeurs.
Quand l’entrepreneur se trahit lui-même…
39Traduttore Traditore. Traduire, c’est trahir comme disent nos amis italiens. Il en va de même pour les textes et pour les chiffres. En effet, le constat empirique fait à l’observation de dizaines de business plan montre que ceux-ci se révèlent de piètres outils de communication entre l’entrepreneur et ses financeurs. Censé rapprocher les deux acteurs sur un terrain commun, il aboutit plus souvent à les écarter l’un de l’autre, si bien que ni l’un ni l’autre n’y trouve son compte. En voulant traduire son intention entrepreneuriale dans le modèle normalisé des financeurs, l’entrepreneur en vient à trahir sa pensée, si bien que le business plan, vidé de son sens, ne lui sert pas plus à diriger et à gérer son entreprise qu’il ne sert le financeur à évaluer la rentabilité de son investissement.
40Pour parvenir à rapprocher ces frères ennemis, la ligne droite n’est pas toujours le plus court chemin. Comme il faut bien un point de départ pour amorcer le processus, le meilleur compromis consiste à partir du mauvais business plan (quick & dirty) tel que l’entrepreneur l’a écrit pour ses financeurs. On fait subir ensuite aux chiffres de ce document imparfait, une série de tests de cohérence en passant par une grille entrepreneuriale jusqu’à ce qu’après un certain nombre d’itérations on dispose enfin des chiffres plausibles et cohérents à réinjecter dans le modèle de business plan. Mais cette fois-ci la «vérité entrepreneuriale» qui ressort vraiment du travail effectué donne ainsi à l’entrepreneur la capacité de défendre ses choix entrepreneuriaux de manière bien plus convaincante.
41Cette phase de tests itératifs vise en fait, essentiellement à sortir de cette espèce de jeu de poker menteur où personne n’est dupe. Il est bien qu’un entrepreneur soit ambitieux, mais il n’y a pas besoin de faire des effets d’annonce mirobolants pour attirer des investisseurs. Si ceux-ci sentent que les chiffres sont lancés en l’air et sans fondement, comme ils ne peuvent pas le prouver, ils vont mettre en place des clauses de rattrapage (clause de ratchet) qui consisteront à diluer la participation de l’entrepreneur s’il n’atteint pas les objectifs annoncés. Le résultat est que tout le monde y perd.
42Autant éviter les faux-semblants et établir dès le début un business plan ambitieux, réaliste et cohérent. Ceci étant, l’observation a prouvé qu’il faut que les financeurs fassent parfois preuve de souplesse avec le plan qui ne demande qu’à évoluer au fur et mesure que l’entrepreneur avance et créé par là même des opportunités. En effet il faut bien un plan pour que l’entrepreneur se fixe un objectif en direction duquel il va se mettre en action pour l’atteindre. Et il est fréquent que le fait de se mettre en action provoque des réactions de la concurrence ou des clients qui fassent émerger des applications ou des besoins qui ne se seraient jamais manifestés si l’entreprise n’avait pas agi. Si, à l’analyse, l’opportunité se révèle sérieuse, pourquoi hésiter à changer d’objectif et à réorienter sa stratégie ? Parce que ce n’est pas ce qu’on avait dit ? Parce qu’on va passer pour quelqu’un incapable de tenir parole et de prévoir l’avenir ? En réalité le risque est souvent plus grand à vouloir s’acharner à tout prix à suivre le plan.
43À bien y regarder, ces changements qui font partie de la vie des start-ups ne sont qu’un moindre mal par rapport à celui qui consiste à partir d’un business plan qui n’a pas de sens. Le pire étant encore que tout le monde sait pertinemment que ce business plan ne tient pas debout mais fait mine d’y croire. En réalité, dans cette farce, tout le monde se tient un peu par la barbichette sans vraiment croire l’autre et en jouant le rôle qui lui est attribué pour que la pièce de ce théâtre entrepreneurial aille à son terme et que le public applaudisse, quand, et seulement quand, l’histoire finit bien. Aussi, pour éviter l’hypocrisie de cette situation nous proposons de réconcilier ces points de vue en appliquant quelques principes de réalité économique et entrepreneuriale à la rédaction du business plan.
Notes
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[1]
La compression d’image est une technique d’analyse qui consiste à ne prendre en compte que ce qui change d’une image a l’autre de manière à économiser de la puissance de calcul ou de traitement. Par exemple une caméra de surveillance n’enregistre que si quelqu’un rentre dans le champ visuel. Par analogie, le spécialiste qui lit un business plan ne fait plus attention au cadre et a la signification des lignes et des cases. Il ne traite que le contenu des cases et sait instantanément leur donner un sens.
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[2]
Inspiré de : Pr Philippe Chanson. Danaei G et al. National, regional, and global trends in fasting plasma glucose and diabetes prevalence since 1980: systematic analysis of health examination surveys and epidemiological studies with 370 country-years and 2.7 million participants. Lancet 2011 ; 378 : 31-40.
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[3]
Repère ? fig1
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[4]
Repère ? fig.1
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[5]
Ibid
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[6]
Repère ? de la fig.1
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[7]
MILLIER Paul Stratégie et marketing de l’innovation technologique. 3e édition. Paris, Dunod 2011
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[8]
DAVIDOW William H. : Marketing High Technology An insider’s view, New York, The Free Press, 1986.
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[9]
BLANK Steven G; The four steps to the epiphany. Quad/ Graphics, 2007
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[10]
Inspiré de MARTY, MOREAU, WEINBERGER. “Start up? Du mythe médiatique aux réalités sociologiques” L’Harmattan, 2003.