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Article de revue

Transmission non familiale des PME allemandes : les enjeux de la transparence

Pages 86 à 96

Notes

  • [1]
    Austrian Institute for SME Research, Business Transfers and Successions in Austria [Internet]. Available from: http://www.kmuforschung.ac.at/de/Forschungsberichte/Vortr%C3%A4ge/Business%20Transfers%20and%20Successions%20in%20Austria.pdf, 2008.
  • [2]
    Pasanen (Mika) et Laukkanen (Tommi), Team-managed growing SMEs: a distinct species?, Management Research News, 2006, Vol. 29 No. 11, p. 684-700.
  • [3]
    Commission of the European Communities, Transfer of Businesses – Continuity through a new beginning, Brussels, 14.03.2006.
  • [4]
    Hauser (Hans-Eduard), Kay (Rosemarie) et Boerger (Sven), Unternehmensnachfolgen in Deutschland 2010 bis 2014 – Schätzung mit weiterentwickelten Verfahren. Bonn, IfM Bonn: IfM-Materialien Nr. 198, 2010.
  • [5]
    Commission of the European Communities, Transfer of Businesses – Continuity through a new beginning, Brussels, 14.03.2006.
  • [6]
    Marous (Patrick) et Rehn (Daniela), Risken abwägen und Chancen nutzen, in Goebel (Lutz) (Ed.), Mittelstandsfinanzierung. Würzburg, Vogel, 2005, p. 74-80.
  • [7]
    Kesner (Idalene F.) et Sebora (Terrence C.), Executive Succession: Past, Present & Future, Journal of Management, 1994, Vol. 20 No. 2, p. 327-372.
  • [8]
    Ballarini (Klaus) et Keese (Detlef), Unternehmensnachfolge, in Pfohl (Hans-Christian) (Ed.), Betriebswirtschaftslehre der Mittel- und Kleinbetriebe, Berlin, Erich Schmidt, 2006, p. 439-464.
  • [9]
    Morris (Michael H.), Williams (Roy O.), Allen (Jeffrey A.) et Avila (Ramon A.), Correlates of success in family business transitions, Journal of Business Venturing, 1997, Vol. 12, p. 385-401.
  • [10]
    Scarborough (Norman M.) et Zimmerer (Thomas W.), Effective Small Business Management. Beijing, Tsinghua University Press, 2001, p. 141.
  • [11]
    Berg (Holger) et Koch (Lambert T.), Nachfolge in eigentümergeführten Unternehmungen aus strategischer Perspektive – eine ressourcenökonomische Analyse, in Brost (Heike), Faust (Martin) et Thedens (Cathrin) (Eds.), Unternehmensnachfolge im Mittelstand. Frankfurt a. M., Bankakademie Verlag, 2006, p. 25-42.
  • [12]
    Meis (Thorsten), Existenzgründung durch Kauf eines kleinen oder mittleren Unternehmens, Ph.D. thesis, Cologne University, Cologne, 2000.
  • [13]
    Dans le cas 3, la franchise est représentée par un type de succession qui se situe entre la fondation originale et la fondation dérivée. À la différence d’une fondation dérivée, une fondation originale constitue une création entièrement nouvelle sans accès aux ressources et structures présentes dans une entreprise déjà établie (Szyperski et Nathusius, Probleme der Unternehmensgründung: eine betriebswirtschaftliche Analyse unternehmerischer Startbedingungen, 2nd ed. Lohmar, Cologne, Josef Eul Verlag, 1999)
  • [14]
    Szyperski (Nobert) et Nathusius (Klaus), Probleme der Unternehmensgründung: eine betriebswirtschaftliche Analyse unternehmerischer Startbedingungen, 2nd ed. Lohmar, Cologne, Josef Eul Verlag, 1999.
  • [15]
    Scarborough (Norman M.) et Zimmerer (Thomas W.), Effective Small Business Management. Beijing, Tsinghua University Press, 2001.
  • [16]
    Mintzberg (Henry) et Westley (Frances), It’s not what you think, MIT Sloan Management Review, 2001, Spring, p. 89-93.
English version

Les points forts

  • Avant de reprendre une entreprise, les repreneurs ont besoin que le cédant leur fournisse toutes les informations qui vont permettre d’évaluer leur « cible ». En Allemagne comme ailleurs, la bonne volonté du cédant est un élément clef.
  • Au-delà de la fourniture des bilans financiers, les cédants sont souvent réticents à donner des informations plus stratégiques.
  • Le risque, pour eux, même si leur entreprise est saine, est que le repreneur choisisse une entreprise plus transparente.

1Tandis que les start ups sont au centre de l’attention publique et académique, la transmission des entreprises, présentée comme une alternative pour relancer les actions entrepreneuriales, a été ignorée pendant des années. Cette réalité est d’autant plus surprenante que le taux de survie des entreprises rachetées et/ou reprises est plus élevé que celui d’entreprises récemment créées? [1]. Tout en reconnaissant l’importance de la création d’entreprise en termes de génération d’emplois, l’essentiel des emplois est créé par des entreprises déjà établies et non pas par de nouvelles PME? [2]. On constate donc une contradiction entre d’une part la tendance démographique, qui tend à faire diminuer le nombre de successeurs potentiels, du fait entre autres du travail autonome, et d’autre part la croissance du nombre de PME en attente d’être cédées.

2Selon les estimations de la Commission des Communautés Européennes (2006)? [3], un tiers des dirigeants de l’Union Européenne (UE) partira à la retraite dans les dix prochaines années. En termes absolus, cela signifie qu’environ 690.000 PME seront transmises chaque année, représentant 2,8 millions d’emplois. En Allemagne, il est prévu que dans la période entre 2010 et 2014 environ 110.000 entreprises familiales fassent l’objet d’une succession? [4]. Étant donné la situation du marché telle que décrite précédemment, il est attendu que les repreneurs non familiaux soient en position de choisir l’entreprise qui correspond au mieux à leurs attentes.

3Concernant les transmissions non familiales, l’attention des gouvernements porte sur la relève du PDG dans les grandes entreprises. Cette situation révèle une lacune, car la majorité des entreprises sont reprises par des personnes ne faisant pas partie de la famille, ou venant de l’extérieur de l’entreprise.

4Notre étude propose une analyse du profil de repreneur non familial allemand. La reprise d’entreprise est un processus comportant plusieurs étapes. Dans cette étude, nous mettons l’accent sur la phase de préparation. Cette étape implique pour le candidat repreneur la recherche et l’analyse de cibles potentielles. L’analyse de l’entreprise joue un rôle essentiel, car elle aide les repreneurs à évaluer si l’entreprise mérite ou non l’investissement.

Les enjeux de la transmission des PME en Allemagne

5Nous pouvons distinguer la succession familiale et la transmission non familiale. Dans ce dernier cas, nous séparons encore deux situations de reprise : (1) l’entreprise est rachetée par quelqu’un venant de l’extérieur de l’entreprise, il s’agit d’une succession du type buy-in ; (2) l’entreprise est rachetée par quelqu’un venant de l’intérieur l’entreprise, il s’agit d’une succession du type buy-out.

6Un tiers des entrepreneurs européens (notamment les créateurs-fondateurs d’entreprise) quitteront leurs entreprises au cours des dix prochaines années. En face, le nombre de repreneurs potentiels n’est pas suffisant ; et ce pour deux raisons :

  • la majorité des actifs européens préfère être salarié qu’employeur ;
  • le vieillissement de la population réduira le groupe des repreneurs potentiels dans les prochaines décennies? [5].
Nous observons par ailleurs une réduction des successions familiales des entreprises en Allemagne? [6], ce qui explique l’augmentation de l’intérêt pour les reprises externes.

7Puisque la transmission est moins fréquente dans les PME que dans les grandes entreprises, l’expérience pratique reste relativement faible? [7]. Dans les pires scénarios, soit l’entreprise ferme, soit le propriétaire continue à la diriger même après la retraite. L’échec des transmissions d’entreprise implique une réduction du nombre d’emplois qui n’est pas compensée par le démarrage de nouvelles affaires, car la taille des entreprises récemment créées reste en moyenne inférieure à la taille des entreprises déjà établies? [8]. Ce fait peut avoir une influence significative sur la prospérité socioéconomique d’un pays. De plus, les données démontrent que les PME ont un taux de survie faible sur le long terme, ce qui souligne le rôle stratégique de la transmission de l’entreprise? [9].

Les étapes de la transmission

8Parmi les différents modèles de processus de transmission existant dans la littérature, nous retenons celui de Ballarini et Keese (2006). (Cf. figure 1).

Figure 1

Le processus de succession de l’entreprise

Figure 1

Le processus de succession de l’entreprise

(Ballarini et Keese, 2006, p. 442)

La phase de préparation et l’analyse de l’entreprise

9Nous nous concentrons ici sur la phase de préparation.

La détection

10Cette phase débute quand les repreneurs potentiels partent à la recherche des entreprises les plus adaptées à leur projet. Cette recherche peut être réalisée par le candidat repreneur seul ou avec l’aide d’organismes d’accompagnement à la transmission, comme l’organisation allemande de transmission d’affaires en ligne, ‘nexxt-change’. Il peut également contacter des entreprises de conseil spécialisées dans ce domaine ou récolter des journaux commerciaux. Notons cependant que les réseaux personnels restent les meilleures sources de détection.

11Le premier contact avec la firme choisie peut être effectué directement ou avec l’appui d’un médiateur et d’un courtier d’affaires. Il est recommandé que les successeurs potentiels recrutent des experts pour les accompagner dans la procédure. Si l’intérêt entre les deux parties est réciproque, les négociations peuvent alors commencer.

L’analyse de la cible

12L’analyse de l’entreprise représente une partie cruciale de cette phase. Elle consiste à « étudier, à examiner et à vérifier toutes les informations pertinentes » de l’entreprise en question? [10]. Ainsi, cette étape aide à réduire l’incertitude liée à l’investissement. Au cours du processus d’analyse, les forces et les faiblesses de l’entreprise sont étudiées et hiérarchisées selon les objectifs (stratégiques) des repreneurs potentiels. Cette analyse doit prendre en compte l’évaluation des ressources tangibles (les actifs physiques et financiers) et intangibles de l’entreprise. Dans ce contexte, Berg et Koch (2006)? [11] recommandent l’identification et l’analyse des ressources cruciales de l’entreprise, pour évaluer si ces ressources vont conserver de la valeur dans le long terme, justifiant ou pas l’investissement du repreneur dans cette nouvelle affaire. Les objectifs à long terme deviennent plus importants lorsque l’entreprise représente la principale source de revenus pour les acquéreurs et leurs familles. L’analyse de l’entreprise doit principalement identifier à quel point les avantages concurrentiels de l’entreprise sont liés au dirigeant actuel.

13Différents modèles d’analyse d’entreprise sont disponibles (par exemple, ceux fournis par les associations allemandes d’appui au commerce et à l’industrie). Ces modèles intègrent, entre autres, des aspects tels que la gamme de produits, les clients, l’emplacement, les locaux industriels, la qualité et l’âge de l’installation, les employés, le chiffre d’affaires et les bénéfices. Ces modèles ont en commun le suivi d’une checklist. L’examen du plan d’affaires de l’entreprise concernée s’avère une autre pratique utile puisque dans ce document, les cédants démontrent que leurs entreprises sont bien administrées et ont des perspectives de développement dans l’avenir. Dans le cas des reprises externes, les repreneurs potentiels s’appuient beaucoup sur la coopération des actuels dirigeants et leur volonté de fournir les données. Les cédants ont souvent besoin de temps et se montrent parfois réticents à parler des faiblesses de l’entreprise. C’est pourquoi certains auteurs, tels que Meis (2000)? [12], considèrent l’analyse minutieuse de l’entreprise comme plus importante que l’application d’une méthode d’évaluation adaptée.

Dix cas de transmissions non familiales allemandes

14En Allemagne, les documents juridiques concernant les transmissions sont enregistrés, mais ce n’est pas le cas du processus de transmission lui-même. Par conséquent, nous avons pris contact avec des personnes ou des institutions impliquées [13]dans les transmissions (associations allemandes d’appui au commerce et à l’industrie). Les caractéristiques des entreprises sont résumées dans le Tableau 1.

Tableau 1

Caractéristiques des entreprises concernées

Tableau 1
Cas 1 Cas 2 Cas 3 Cas 4 Cas 5 Année de la reprise Août 2003 Janvier 2007 Décembre 2006 Janvier 2003 Août 1998 Activité Technologie Salon de coiffure Opticien Emballage Usine Effectifs 20 3 8 20 7 Localisation Bavière Bade-Wurtemberg Bade-Wurtemberg Bade-Wurtemberg Bade-Wurtemberg Type de reprise Buy-in Buy-out Franchise 13 Buy-in Buy-in Gestion Seul Seul Seul Seul Seul Cas 6 Cas 7 Cas 8 Cas 9 Cas 10 Année de la reprise Octobre 1995 Mars 2003 Juillet 2006 Juillet 2003 Juillet 2003 Activité Extension d’intérieurs Galvano technologie Boutique de chapeaux Bâtiment Imprimerie Effectifs 40 20 5 22 80 Localisation Bade-Wurtemberg Bade-Wurtemberg Bavière Bavière Bavière Type de reprise Buy-out Buy-in Buy-in Buy-out Buy-out Gestion Équipe Seul Seul Équipe Équipe

Caractéristiques des entreprises concernées

15Pour explorer le processus d’analyse des entreprises nous avons posé différentes questions aux repreneurs. Par exemple, sur quel type d’information ou de données reposait leur analyse (Cf. Encadré 1).

Encadré 1 : Données utilisées pour l’analyse de l’entreprise cible

RépondantDéclarations
1J’avais obtenu les bilans financiers dès la deuxième rencontre ( ) D’autres documents n’étaient pas disponibles. J’ai analysé les données statistiques publiées par le département de recherche de mon ancien patron. D’ailleurs, j’ai parlé avec le dirigeant précédent des fabricants, des collègues, mais aussi avec des clients.
2Après avoir insisté à plusieurs reprises (même avec l’intervention de la banque), on m’a fourni les deux derniers bilans. Pas plus.
3Dès le début, on m’a fourni les bilans. Mais je n’ai pas eu de documents supplémentaires. J’ai voulu parler aux salariés, mais le dirigeant précédent ne l’a pas permis. Comme je connais le dirigeant antérieur, je l’ai contacté.
4À la fin, j’ai eu accès aux trois derniers bilans et au rapport d’un expert. D’ailleurs, j’ai beaucoup parlé avec le prédécesseur.
5Tous les bilans étaient disponibles.
6J’avais l’accès total aux bilans financiers, aux documents ( ) Tout était ouvert.
7Le patron précédent a mis à disposition tous les bilans. J’ai regardé le portefeuille client, la base de données sur les commandes, la gamme de produits ( ) Je pouvais analyser les dettes de la société et les créances des clients ( ) ainsi que les dossiers personnels.
8Après avoir beaucoup insisté, j’ai pu accéder aux chiffres des cinq précédentes années. Même si je travaille dans le magasin, le prédécesseur ne m’a pas permis d’entrer dans son bureau.
9Puisque l’entreprise appartenait au portefeuille client d’une société d’investissement, j’ai pu consulter toutes les informations pertinentes mises à disposition.
10Tous les documents étaient disponibles parce que la nouvelle direction était déjà impliquée dans les décisions stratégiques pendant la période de dépôt de bilan.

16Ces déclarations montrent que les documents fournis par les cédants étaient limités aux bilans financiers. Les documents supplémentaires, comme le plan d’affaires, semblent être plus rares. Cette procédure contraste clairement avec les méthodes des investisseurs professionnels, tels que les investisseurs en capital-risque, pour lesquels les plans d’affaires constituent un moyen de présélection de l’investissement.

17L’analyse a pour objectif de déterminer les forces et les faiblesses de l’entreprise. Il est donc recommandé que les repreneurs étudient les différents aspects de l’organisation, comme le domaine d’activité, les facteurs stratégiques de succès, la politique adoptée, la culture, l’historique du marché, la clientèle, les ressources humaines et ainsi de suite. Les informations obtenues par de simples bilans financiers ne donnent que des réponses très limitées sur ces aspects. En théorie, les repreneurs potentiels devraient ensuite recueillir plus d’informations. Compte tenu des réponses, nous pouvons conclure que les repreneurs n’ont pu dresser qu’une vague image des entreprises analysées.

18Ces constats corroborent l’idée que les propriétaires de PME hésitent à communiquer les données de l’entreprise. Par exemple, d’après le répondant 8 : Le prédécesseur considérait que son nom et celui du magasin devaient être suffisants pour acheter [l’affaire]. Les déclarations des répondants 3 et 8 indiquent, toutefois, que cette réticence à divulguer des rapports précis, n’était pas une raison pour recommencer les négociations. L’hésitation du propriétaire à livrer ces informations indique que les successeurs doivent prendre l’initiative dans la démarche.

19Comme le montrent les réponses de l’encadré 1, les sources consultées peuvent être divisées en sources internes et externes à l’entreprise.

  1. En ce qui concerne les sources internes, les cédants jouent un rôle décisif. Par conséquent, les repreneurs intéressés à utiliser cette source cherchent le dialogue. Cela suppose la volonté des cédants à coopérer. Dans ce sens, le répondant 1 apprécie que les deux côtés soient disposés à trouver une solution commune. Dans le cas du répondant 2, l’échange avec le cédant n’était pas aisé. Ce n’est que vers la fin de la négociation qu’il fut acquis que le cédant allait vraiment quitter l’entreprise. Au départ, il se montrait très indécis, hésitant entre l’envie de partir ou de rester dans l’entreprise. Le fait que le successeur ait travaillé pour l’entreprise, et donc sa familiarité avec celle-ci, a évité d’interminables négociations. Le personnel peut être considéré comme une source interne supplémentaire pour obtenir des informations sur l’entreprise. Toutefois, selon le répondant 3, l’accord pour communiquer avec eux dépend de l’avis des cédants et de leur manière de traiter la transmission.
  2. D’après les données externes, les résultats suggèrent une distinction entre les conversations et les données secondaires. Les conversations peuvent ensuite être divisées entre les échanges avec les personnes qui sont familiarisées avec l’entreprise (les clients, les fournisseurs, …) et celles qui ne le sont pas (les collègues). Les données secondaires comprennent les indicateurs statistiques, les tendances et d’autres données supplémentaires provenant du secteur.
Cela dit, c’est le type de transmission / succession qui va déterminer si l’analyse de l’entreprise demandera des informations plus détaillées. Dans le cas des buy-outs (2, 6, 9, 10), les bilans financiers, parmi d’autres éléments, ont donné un aperçu de la situation financière de l’entreprise. Il manque cependant des éléments non financiers, comme par exemple les relations avec la clientèle. Dans le cas des buy-ins – lorsque le repreneur n’est pas familiarisé avec l’entreprise – il a besoin d’un volume important d’informations pour se faire une idée de l’organisation, comme l’indiquent les cas 1 et 7. Cela pourrait équilibrer l’asymétrie d’information entre les parties. Ces personnes dépendent plus de la disposition des cédants à préparer les informations pour connaître l’entreprise. Le cas 8 représente une exception, car il décrit le métier comme un « tas de potins », en cohérence avec le milieu de la petite entreprise, dans lequel les collègues de profession sont connus les uns des autres. Toutefois, pour le répondant 4, les renseignements obtenus auprès de son vendeur ont constitué la principale source d’information sur l’entreprise.

20Les déclarations présentées dans l’encadré 1 montrent les efforts déployés par chaque repreneur dans le but d’en savoir plus sur l’activité de l’entreprise. Plus précisément, les répondants 1 et 7 ont révélé avoir des problèmes avec des informations divergentes, ce qui illustre les difficultés liées à l’asymétrie d’information, plus élevée dans les buy-ins. « Le cédant était assez ouvert et à la fin, après une analyse très détaillée, j’ai connu l’entreprise que j’avais achetée. Je n’ai pas eu de surprises, car je n’ai rien négligé pendant les six mois d’analyse. Je savais exactement comment les choses allaient se passer » [répondant 1].

21La transparence est un point apprécié par les répondants, car elle permet aux repreneurs d’évaluer la situation et d’agir en conséquence. Pour certains successeurs l’intention d’acquérir l’entreprise était plus instinctive, plus intuitive (cas des buy-out 2 et 6). En outre, l’implication personnelle est particulièrement forte dans les successions buy-outs, que dans les successions buy-in.

22La mise en œuvre de l’analyse de l’entreprise peut s’avérer très complexe. L’encadré 2 affiche les déclarations en lien avec cet aspect.

Encadré 2 : Déclarations - Accompagnement durant le processus de succession

RépondantDéclarations
1Je n’ai pas eu besoin de comptable. Je n’ai pas eu besoin d’avocat, ni de consultant. J’ai travaillé pendant 19 ans dans cette activité, je connais tout. J’étais complètement immergé dedans. J’ai même rédigé le contrat tout seul.
2Sans doute, c’est mon associé qui m’a le plus aidé. Il m’a soutenu… il m’a aidé en écrivant le plan d’affaires, nécessaire pour le financement. (…) En complément, nous avons été assistés par un comptable et un conseiller d’un cabinet privé. Avec mon parrain j’ai parlé des questions générales sur le travail autonome. D’abord, il m’a conseillé de ne pas prendre cette voie, mais cela a renforcé davantage mon intention. Mon père a aimé mon idée, mais en regardant sa propre expérience de travailleur autonome, il m’a conseillé de bien y réfléchir.
3Tout le projet a été préparé soigneusement avec l’appui du banquier et du comptable (…) Puisque mon projet avait le soutien de l’État, j’étais obligé de rédiger un plan d’affaires qui a été révisé par un cabinet de conseil en entreprise. Au départ, mon père voulait que je suive une autre carrière. C’était dans une période dans laquelle mon père avait des difficultés dans son propre magasin. Mais maintenant il est content.
4J’étais accompagné par un comptable.
5Je n’ai pas eu d’accompagnement dans le démarrage de mon affaire. La seule personne qui m’a soutenu était mon ancien maître d’apprentissage. Il me disait que j’étais capable de le faire. ( ) Je lui ai demandé des conseils pour trouver ma voie ce qui pourrait être bien pour moi.
6Nous avons été accompagnés par un consultant spécialisé dans la succession. D’ailleurs, nous avions un assistant pour les questions fiscales et juridiques. À la fin, des spécialistes en finances nous ont rejoints. (…) J’avais aussi un comptable personnel pour avoir quelqu’un de neutre.
7Non, comme j’ai travaillé dans le conseil en succession, je connais bien cette démarche. Ainsi, en ayant mes propres idées (…) j’en ai discuté une fois avec un collègue. En outre, j’en ai discuté avec mon banquier ainsi qu’avec le conseiller de la Banque d’Affaires Baden-Württemberg.
8J’ai coopéré avec mon père qui est un consultant indépendant. Basé sur ses conseils, j’ai pu inclure quelques clauses utiles dans le contrat. De plus, grâce son expérience, j’ai pu réduire le prix d’achat. D’ailleurs, un comptable m’a aidé pendant le processus de succession.
9À l’exception d’un comptable qui m’a aidé dans la partie fiscale, je n’ai pas fait appel à d’autres supports. Comme j’avais travaillé pour une société d’investissement, j’étais familiarisé avec les démarches à suivre.
10L’entreprise avait été analysée par un consultant qui a préparé la succession. Ce consultant a travaillé pendant deux ans comme administrateur de l’entreprise [à l’époque du dépôt de bilan]. Ainsi, il était plus familiarisé avec la société.

23Les déclarations démontrent que l’accompagnement par un comptable semble être un élément classique, mais important dans le processus de transmission. Cela s’explique par la complexité de la politique fiscale allemande dont la charge fiscale varie selon le type de transmission/succession. Par ailleurs, les personnes impliquées ou sollicitées dans ce processus sont déterminantes, à savoir les parents, d’autres membres de la famille ou les partenaires. D’après les résultats, les personnes travaillant comme consultants autonomes sont particulièrement influentes dans l’analyse de l’entreprise. Elles ont une meilleure compréhension des questions relatives à l’entrepreneuriat en comparaison avec les personnes n’ayant pas eu cette expérience. De plus, des personnes ayant l’expertise manquante au repreneur, comme le conseiller de la banque, ont été consultées pour les questions financières. Le repreneur 6 a fait appel à des personnes n’étant pas impliquées dans la succession pour obtenir un regard impartial sur l’affaire.

24Les répondants 1 et 7 représentent des situations exceptionnelles. Tous les deux ont réalisé seuls l’analyse de l’entreprise. Ils justifient ce comportement par leur parcours professionnel. Cela peut éclairer les raisons pour lesquelles ces deux repreneurs se sont consacrés davantage à chercher des informations sur l’entreprise et ont pris en considération les différents types de sources par rapport aux autres répondants qui ont été pris en charge par des cabinets spécialisés et ont pu ainsi transférer une partie de l’analyse. Dans le cas 9, le répondant a procédé de la même façon. Il a travaillé pour la société d’investissement qui se séparait de l’entreprise qu’il a fini par racheter. Cependant, il s’agit d’un buy-out, car il était à l’époque le manageur responsable de l’entreprise. À ce propos, il a déclaré : « J’avais une meilleure image de l’entreprise que le vendeur (de la société d’investissement) lui-même ».

L’importance cruciale de la qualité de l’information

25L’objectif de cette étude consiste à mieux comprendre comment l’analyse de l’entreprise cible est réalisée par les potentiels repreneurs non familiaux en Allemagne. Il est important de savoir comment ils conduisent cette partie cruciale du processus de transmission, car le résultat peut avoir des conséquences assez importantes sur la pérennité de l’entreprise.

26Le processus d’analyse de la société est principalement guidé par les actions des repreneurs et démontrent que les cédants semblent réticents à fournir les données de l’entreprise, autres que les bilans financiers. D’après les résultats de notre étude, la volonté du prédécesseur à coopérer dans les négociations a une forte influence sur la densité de l’information recueillie, plus précisément dans les transmissions buy-in. Étant donné le nombre croissant d’entreprises en attente d’être reprises, le comportement imprudent des cédants peut réduire davantage les chances d’une reprise réussie. À l’égard des évolutions démographiques, un changement d’attitude du côté des cédants est fortement recommandé.

27Les résultats démontrent également que la densité de l’information nécessaire va dépendre du type de transmission. Dans le cas d’une transmission buy-out, le repreneur a un meilleur aperçu de l’entreprise sur une longue période de temps, car il est plus familiarisé avec son environnement. Cela n’est pas le cas des transmissions buy-in. Dans les cas où il y a une asymétrie d’information plus élevée, comme dans les buy-in, la collecte d’informations demande plus d’efforts? [14]. Le parcours professionnel du repreneur (par exemple, dans le secteur bancaire) a une forte influence sur la manière de mener l’analyse de la société. Ce type de repreneur ira chercher des informations plus détaillées. Les autres vont se procurer de l’aide extérieure. Les premiers ont tendance à se contenter d’une analyse moins rigoureuse (peut-être par excès de confiance en leurs propres capacités). Ainsi, l’expérience professionnelle ainsi que l’expertise managériale perçues peuvent amener le repreneurs à surestimer ses connaissances dans le domaine de la transmission, engendrant, de ce fait, une sous-estimation, voire une négligence de certains aspects déterminants.

28Notre recherche empirique montre également que l’analyse de l’entreprise ne suit pas une démarche en profondeur comme le recommandent certains auteurs? [15]. Au contraire, seulement quelques repreneurs ont fait ou ont pu faire une analyse plus profonde. Ceci peut avoir une conséquence pragmatique liée au manque d’informations disponibles et à l’accès aux données disponibles pendant la transmission, risquée. Toutefois, cette situation d’asymétrie d’information n’a pas découragé les repreneurs ayant participé à notre étude. Ce comportement peut correspondre à un style de prise de décision plus intuitif? [16], assumé et revendiqué.

29D’un point de vue théorique, l’étude fournit de nouvelles contributions sur comment les potentiels repreneurs non familiaux mènent l’analyse de l’entreprise, la considérant comme une partie déterminante de leurs intentions de rachat. Ces éclairages sont importants dans la mesure où ils exposent les difficultés liées à l’analyse de l’entreprise. Cela nous aide également à approfondir notre compréhension sur la manière d’agir du repreneur non familial, nous permettant d’avoir une vision plus complète de la dynamique de la transmission de l’entreprise. La littérature sur l’entrepreneuriat pourrait ainsi bénéficier de plus de recherches dans ce domaine d’étude.

30D’un point de vue pratique, l’étude souligne la nécessité pour les repreneurs potentiels de ne pas négliger l’importance d’une analyse approfondie de l’entreprise. Certes, la disponibilité des données est déterminante ; toutefois, une analyse trop légère pourrait entraîner des conséquences lourdes, une fois l’entreprise rachetée. Afin d’augmenter les chances de réussite des transmissions, les cédants devraient reconsidérer leur comportement lors des négociations et se montrer plus disposés à préparer soigneusement les informations sur leur entreprise. Dans le cas contraire, le risque est élevé, considérant la situation actuelle du marché, pour que le repreneur potentiel choisisse de reprendre une autre affaire attractive.

31La compréhension de la pratique de l’analyse de l’entreprise ne sert pas seulement aux principaux acteurs impliqués dans la transmission, mais elle aide aussi les dirigeants politiques lors de la spécification des brochures, des programmes ainsi que dans les formations sur les transmissions non familiales ou sur la reprise par des personnes extérieures à l’entreprise. L’étude montre le besoin d’un regard plus profond sur les repreneurs potentiels externes et leurs exigences. Par exemple, à partir des éléments présentés dans cet article, nous pouvons discuter la nécessité de la mise en place d’un support spécialisé pour les potentiels repreneurs non familiaux afin de faciliter le processus d’analyse des PME, de manière à réduire les risques qu’une acquisition basée sur des informations incomplètes.

Notes

  • [1]
    Austrian Institute for SME Research, Business Transfers and Successions in Austria [Internet]. Available from: http://www.kmuforschung.ac.at/de/Forschungsberichte/Vortr%C3%A4ge/Business%20Transfers%20and%20Successions%20in%20Austria.pdf, 2008.
  • [2]
    Pasanen (Mika) et Laukkanen (Tommi), Team-managed growing SMEs: a distinct species?, Management Research News, 2006, Vol. 29 No. 11, p. 684-700.
  • [3]
    Commission of the European Communities, Transfer of Businesses – Continuity through a new beginning, Brussels, 14.03.2006.
  • [4]
    Hauser (Hans-Eduard), Kay (Rosemarie) et Boerger (Sven), Unternehmensnachfolgen in Deutschland 2010 bis 2014 – Schätzung mit weiterentwickelten Verfahren. Bonn, IfM Bonn: IfM-Materialien Nr. 198, 2010.
  • [5]
    Commission of the European Communities, Transfer of Businesses – Continuity through a new beginning, Brussels, 14.03.2006.
  • [6]
    Marous (Patrick) et Rehn (Daniela), Risken abwägen und Chancen nutzen, in Goebel (Lutz) (Ed.), Mittelstandsfinanzierung. Würzburg, Vogel, 2005, p. 74-80.
  • [7]
    Kesner (Idalene F.) et Sebora (Terrence C.), Executive Succession: Past, Present & Future, Journal of Management, 1994, Vol. 20 No. 2, p. 327-372.
  • [8]
    Ballarini (Klaus) et Keese (Detlef), Unternehmensnachfolge, in Pfohl (Hans-Christian) (Ed.), Betriebswirtschaftslehre der Mittel- und Kleinbetriebe, Berlin, Erich Schmidt, 2006, p. 439-464.
  • [9]
    Morris (Michael H.), Williams (Roy O.), Allen (Jeffrey A.) et Avila (Ramon A.), Correlates of success in family business transitions, Journal of Business Venturing, 1997, Vol. 12, p. 385-401.
  • [10]
    Scarborough (Norman M.) et Zimmerer (Thomas W.), Effective Small Business Management. Beijing, Tsinghua University Press, 2001, p. 141.
  • [11]
    Berg (Holger) et Koch (Lambert T.), Nachfolge in eigentümergeführten Unternehmungen aus strategischer Perspektive – eine ressourcenökonomische Analyse, in Brost (Heike), Faust (Martin) et Thedens (Cathrin) (Eds.), Unternehmensnachfolge im Mittelstand. Frankfurt a. M., Bankakademie Verlag, 2006, p. 25-42.
  • [12]
    Meis (Thorsten), Existenzgründung durch Kauf eines kleinen oder mittleren Unternehmens, Ph.D. thesis, Cologne University, Cologne, 2000.
  • [13]
    Dans le cas 3, la franchise est représentée par un type de succession qui se situe entre la fondation originale et la fondation dérivée. À la différence d’une fondation dérivée, une fondation originale constitue une création entièrement nouvelle sans accès aux ressources et structures présentes dans une entreprise déjà établie (Szyperski et Nathusius, Probleme der Unternehmensgründung: eine betriebswirtschaftliche Analyse unternehmerischer Startbedingungen, 2nd ed. Lohmar, Cologne, Josef Eul Verlag, 1999)
  • [14]
    Szyperski (Nobert) et Nathusius (Klaus), Probleme der Unternehmensgründung: eine betriebswirtschaftliche Analyse unternehmerischer Startbedingungen, 2nd ed. Lohmar, Cologne, Josef Eul Verlag, 1999.
  • [15]
    Scarborough (Norman M.) et Zimmerer (Thomas W.), Effective Small Business Management. Beijing, Tsinghua University Press, 2001.
  • [16]
    Mintzberg (Henry) et Westley (Frances), It’s not what you think, MIT Sloan Management Review, 2001, Spring, p. 89-93.
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