Couverture de ENJE_015

Article de revue

Rencontres manquées avec le sexe

Clinique du partenaire manquant

Pages 113 à 128

Notes

  • [*]
    Conférence faite à l’icles de Naples, le 26 juin 2010.
  • [1]
    C’est avec une immense joie et pleine d’enthousiasme que je reviens dans cette ville merveilleuse de Naples, toujours aussi étonnante et ensoleillée. J’ai beaucoup de plaisir à vous revoir et je remercie Fulvio Marone de son invitation.
    Aujourd’hui, je vais vous parler d’un sujet que nous connaissons tous et qui me tient particulièrement à cœur : la rencontre manquée avec le sexe. On parle bien souvent de rencontre en donnant à ce mot une connotation positive : on a fait une belle rencontre !
    Mais dans rencontre il y a l’idée de heurt, d’aller au-devant d’un obstacle, à l’encontre de quelque chose. Le mot italien incontro le fait bien entendre. Il y a du contro dans l’incontro !
    On peut être contre quelque chose, contre quelqu’un, c’est-à-dire à côté de lui, tout près de lui. On peut être aussi contre quelqu’un, c’est-à-dire contre lui, opposé à lui.
    À ce propos, Sacha Guitry, qui n’en ratait pas une pour dire une pointe à propos des femmes, déclarait ceci : « Je ne suis pas contre les femmes, je suis tout contre ! » Le problème, c’est que, quand on est tout contre, on n’arrive plus à peser le pour et le contre !
  • [2]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975.
  • [3]
    J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 526-527.

1Ècon immensa gioia e piena d’entusiasmo che ritorno in questa meravigliosa città di Napoli, sempre egualmente stupefacente e solare. Sono molto felice di rivedervi e ringrazio Fulvio Marone per il suo invito.

2Oggi vi parlerò di un argomento che tutti conosciamo e che ho particolarmente a cuore : l’incontro mancato con il sesso. Si parla spesso di incontro, dando a questa parola una connotazione positiva : si è fatto un bell’incontro !

3Ma nell’incontro c’è l’idea dell’urto, di andare davanti a un ostacolo, contro qualcosa. La parola italiana « incontro » lo fa bene intendere : c’è del contro nell’incontro !

4Si può stare contro qualcosa, contro qualcuno, cioè accostato a lui, vicinissimo a lui. Ma si può anche essere contro qualcuno, cioè contro di lui, opposto a lui.

5A questo proposito Sacha Guitry, che non perdeva mai l’occasione di lanciare una frecciata sulle donne, diceva : « Io non sono contro le donne, io sto contro di loro ! » Il problema è che quando si sta contro non si riesce più a valutare i pro e i contro[1] !

6Maintenant, je vais continuer en français et Fulvio vous traduira au fur et à mesure.

7La rencontre. Ah ! la rencontre ! Ça intéresse au plus haut point le névrosé ! À quand la rencontre ? Ça l’obsède. À quand la rencontre qui changera sa vie ? Il s’y intéresse d’autant plus que c’est pour la manquer ! La rencontre, il ne pense qu’à ça. Il en rêve, il l’imagine, il l’espère, il la provoque ; il la répète, la répète, la répète encore ; il la redoute, il la diffère, il la fuit ; et surtout, il la rate, parce qu’il ne peut que la faire manquer.

8Si la rencontre est manquée, c’est parce que manque le partenaire avec lequel il aurait pu y avoir rapport sexuel : il manque le partenaire qui, d’être L’homme pour elle et La femme pour lui, ferait ne pas rater la rencontre. Cette rencontre-là, celle qui ne rate pas, ne se fait que dans la psychose. Chez le paranoïaque, le partenaire ne manque pas à l’appel, il est là, comme haut lieu de la jouissance. Alors que la rencontre dans la névrose est rencontre avec ce que Lacan appelle, page 58 d’Encore[2], « le partenaire manquant », ou plutôt avec « ce qui vient à sa place ». Et ce qui vient à sa place, communément, c’est le fantasme, l’objet a jouant le rôle de ce qui vient à cette place du partenaire manquant dans la rencontre. C’est ce qui se passe du côté homme, alors que, comme l’explique Lacan dans Encore, les femmes ont plus directement affaire au partenaire manquant. Mais il peut arriver aussi, comme c’est le cas de Kierkegaard dont je vais vous parler, qu’un homme fasse rater la rencontre pour ne faire que mieux exister le partenaire manquant.

9Le partenaire manquant est donc ce qui fait manquer la rencontre en même temps qu’il est ce qui la soutient par-delà l’objet. Le partenaire manquant, c’est l’Autre, avec un grand A, en tant qu’il manque, l’Autre en tant qu’il est barré, l’Autre en tant qu’il est impossible, c’est-à-dire réel. Le partenaire manquant, c’est ce que Lacan écrit S(A), le signifiant d’un manque dans l’Autre. De sorte que le sexe comme Autre radical, le sexe comme Hétéros, est, comme tel, le partenaire manquant aussi bien de l’homme que de la femme, du fait que l’homme aussi bien que la femme ont forcément à faire avec ce manque qui fait du lieu de l’Autre un abîme.
La différence entre les deux est que l’homme ne peut que boucher ce manque avec l’objet de son fantasme, alors que la femme, elle, n’est pas toute tributaire de son fantasme : elle peut aussi avoir un accès plus direct à ce S(A) que lui ouvre la jouissance féminine dite supplémentaire. Elle peut donc en quelque sorte « jouir » du partenaire manquant. Elle peut en jouir sans que l’homme qui lui sert de partenaire sexuel y soit pour quelque chose. Mais qu’elle soit, comme nous l’indique le mythe de Tirésias, « la seule à ce que sa jouissance dépasse, celle qui se fait du coït », dit Lacan dans « L’étourdit », est aussi ce qui fait que « la jouissance qu’on a d’elle lui fait de sa solitude partenaire ». Cette jouissance qui la rend de sa solitude partenaire n’est pourtant pas celle du plaisir solitaire onaniste. C’est plutôt une jouissance du délaissement, de l’abandon à l’Autre qui manque. C’est jouir de se laisser dévaler dans l’abîme de l’Autre barré. Notons aussi que certains hommes peuvent, comme Jean de la Croix, y accéder, le choix de la jouissance toute ou pastoute étant chez l’être parlant déconnecté de l’anatomie.

La seule au rendez-vous avec l’(a) : le fantasme féminin

10La rencontre, chez les stoïciens, c’est le tunchanon, qui veut dire « ce qui arrive ». On peut aussi l’entendre comme ce qui a-rive, comme ce qui rive le sujet au petit a du fantasme. Pour le faire sentir, Lacan donne, dans le séminaire Problèmes cruciaux pour la psychanalyse (le 7 avril 1965), un exemple par lequel un linguiste explique le signe. Il s’agit d’une jeune fille qui, pour faire savoir à son amant qu’il peut venir la retrouver, a établi un code dont seul l’amant connaît la signification. Quand l’amant passant et repassant sous sa fenêtre verra le rideau tiré à gauche, cela voudra dire qu’elle sera seule et qu’il pourra venir à autant d’heures qu’il y a de pots de fleurs au bord de sa fenêtre ! Ainsi, cinq pots de fleurs diront : viens à 5 heures. Mais, souligne Lacan, ce « seule à 5 heures » va beaucoup plus loin que de dire : « Feu vert ! Tu peux venir. »
Voici le dessin avec le rideau tiré et les cinq pots de fleurs qui, dans le langage des signes de cet amour secret, semble vouloir dire : « Seule à cinq heures », à moins que ça ne dise : « À cinq heures seulement. »

figure im1

11Quel est donc le sens de ce « seule » qui est à mettre à la place du rideau tiré ? Qu’est-ce que « seule » ici veut dire ? On peut dire, bien sûr, que « seule » est le S1 qui représente le sujet pour « à cinq heures », le S2. Mais qu’est-ce que ça veut dire pour un sujet être seul, alors que sa constitution de sujet est d’être couvert d’objets ? Qu’il soit seul veut dire qu’il manque de un, qu’il manque du Un qui le désignerait en propre. L’amante se dit « seule » pour autant que n’est pas là Un, cet Un dont l’amant fait fonction : il est, pour elle seule, pour elle comme étant seule, ce Un seul. L’amant est expressément appelé, par ce message de son amante qu’il est seul à pouvoir lire, à être le seul à pouvoir combler sa solitude d’elle comme seule. Mais comment le pourrait-il, comment pourrait-il la combler, si ce n’est en tant qu’objet a de son fantasme à elle ?

12Il y a donc, caché derrière le rideau du rendez-vous avec elle comme « seule », un fantasme, son fantasme à elle, qui est fantasme d’être, non pas seule, mais la seule, ce qui est tout autre chose ! Car ce que met en scène ce code secret entre cette jeune femme et son amant, c’est un fantasme féminin. Elle s’annonce seule, mais cette annonce cache le désir fantasmé d’être la seule ! « Seule à cinq heures » n’est en quelque sorte que le mot de passe qui ouvre le verrou de son fantasme, lequel fantasme la fait jouir d’être la seule, la seule à savoir qu’à cinq heures il sera là, à la prendre dans ses bras.

13Mais si le fantasme, pour un homme, c’est le tout de sa jouissance, il n’en va pas de même pour une femme. Le fantasme, chez une femme, ce n’est pas tout. Il y a, dans la jouissance féminine, un au-delà du fantasme, au-delà qui laisse l’amant au seuil, au pied du lit, au bas de l’escalier. Et c’est cela qu’indique aussi « seule ». « Seule » désigne sa jouissance à elle, celle qui la fait de sa solitude partenaire. Seule, elle jouit du partenaire manquant, du partenaire en tant qu’il manque. Elle en jouit dans la solitude de ses champs de coton, et c’est à la place de ces champs de coton de l’Autre manquant qu’à cinq heures son amant est appelé à venir, en tant qu’il fait fonction de l’objet a de son fantasme – et qu’à ce titre d’objet, dirais-je même, il ne compte pas plus que les pots de fleurs qu’elle a mis sur sa fenêtre !

14En fait, l’amant est cet objet qui à la fois la divise en tant que sujet et la complémente. Car telle est la fonction de l’objet petit a du fantasme : il divise le sujet en même temps qu’il lui apporte son complément de jouissance, par rapport à la soustraction, au « en moins » qu’implique la jouissance qui la fait de sa solitude partenaire. Car la jouissance féminine implique une soustraction dans l’Autre qui le décomplète – ce qu’écrit S(A) – et c’est cette soustraction que le fantasme a pour fonction de positiver, de boucher. L’amant sous sa fenêtre remplit ici cette fonction d’objet du fantasme qui peut faire croire qu’avec le partenaire sexuel il y a une certaine harmonie, qu’on est sur la même longue d’onde, que, comme on dit, « ça le fait ». D’ailleurs, Lacan a corrélé ce rapport auquel fait croire l’objet a du fantasme avec le fameux nombre d’or de la divine proportion découverte par les géomètres grecs. Et vous savez qu’Alain Bernardin, le fondateur du célèbre Crazy Horse à Paris, tenait absolument à retrouver, dans les mensurations des danseuses qu’il sélectionnait, ce nombre d’or au niveau du triangle formé par leurs deux mamelons et leur nombril !

15Lacan s’est saisi de ce rapport harmonique dans le séminaire La logique du fantasme pour expliquer l’acte sexuel. Dans l’acte sexuel, dit-il, nous avons rapport à ce petit a qui est « ce qui manque pour faire deux ». Dans l’acte sexuel, nous n’avons rapport au Un unifiant de la jouissance sexuelle que de façon approchée, à travers l’objet a du fantasme. Il n’y a pas de commune mesure entre le sujet comme objet a et l’Un de l’union sexuelle. Le sexe ne se rencontre dans l’acte sexuel que de façon approchée, disons perversement approchée à travers la lorgnette, comme le dit Lacan, de l’objet a du fantasme, qui comme tel est pervers. Ce petit a, c’est ce qu’est le sujet comme produit, comme rejeton, comme fausse couche de la prétendue union sexuelle de ses parents, telle que la met en scène la fameuse scène dite primitive.

16De l’acte sexuel, Lacan dit à la fois qu’il y en a et qu’il n’y en a pas. Dire il n’y a pas d’acte sexuel veut dire qu’il n’y en a pas qui fasse le poids à affirmer dans le dire du sujet la certitude de ce qu’il soit d’un sexe ou de l’autre. Mais on peut aussi bien dire qu’il n’y a que l’acte sexuel, pour autant que nous sommes agis par la perversion généralisée qu’implique cet objet qui tient les commandes du fantasme.
Qu’il n’y a que l’acte sexuel, c’est aussi ce que dit Freud quand il dit que tout est sexuel. Mais, comme le déclare Lacan à la fin de La logique du fantasme, ça veut dire aussi que la chose se passe ailleurs que là où on l’attendrait, dans la chambre à coucher ou, comme au xviiie siècle, dans le boudoir. Car pour la phobie ça peut se passer dans l’armoire à vêtements, dans le couloir, dans la cuisine, alors que pour l’hystérie ça se passe dans le parloir des nonnes et pour l’obsession dans les chiottes !

Une histoire de trou

17De là, je viens à Une sale histoire, un film extraordinaire de Jean Eustache, qui est sorti en 1977. L’histoire est un monologue écrit par un ami d’Eustache, Jean-Noël Picq, qui est psychanalyste à Rouen. Eustache le filme racontant une histoire de voyeurisme à quatre femmes éberluées, comme s’il l’avait vécue, alors qu’il l’a inventée. Il le filme dans le style du cinéma direct, en 16 mm, sans que les femmes aient lu l’histoire au préalable, donc pour créer la surprise et un certain malaise. Le slogan de lancement du film à sa sortie était : « Un film que les femmes n’aiment pas. » Eustache cherche non pas à séduire mais à déplaire, à interloquer. Ensuite, il filme en 35 mm, dans le style d’une fiction théâtrale, la même histoire racontée, jouée cette fois-ci par un acteur, Michael Lonsdale, qui la raconte à un metteur en scène, avec en arrière-plan un auditoire fait d’un homme et de trois femmes qui ont eu connaissance de l’histoire. On a donc un diptyque, un film qui répète deux fois la même histoire, avec une certaine différence entre les deux versions. Dans le montage du film, Eustache va inverser l’ordre, en présentant la version avec Lonsdale avant celle avec Picq. Ainsi, la copie précède le modèle, tant et si bien qu’elle semble même plus vraie que l’original.

18Voyons de quelle histoire il s’agit. Jean-Noël Picq raconte avoir découvert un trou au bas de la porte des toilettes d’un bistrot de la Motte-Picquet Grenelle, sans qu’on puisse vraiment dire s’il l’a réellement découvert. Est-ce de bout en bout une fiction ou est-ce une fiction inventée à partir de quelque chose de vécu, on ne saurait trancher. Quoi qu’il en soit, l’auteur de cette histoire un peu salace, à la Bataille, de voyeurs qui observent le sexe des femmes va se gagner ainsi un succès de scandale en racontant cette histoire dans les soirées. Il raconte à ses amis comment, installé dans un café où il profitait souvent de la cabine téléphonique du sous-sol, il entendit un jour un habitué dire : « Et pourtant il est jeune celui-là », et un autre dire : « Et tout ça pour un trou ! » Il comprit alors que ce café était le théâtre du rituel voyeuriste de quelques obsédés qui descendaient aux toilettes pour dames où il y avait un trou au bas de la porte d’où ils avaient une vision directe sur le sexe des femmes.

19Jean-Noël Picq raconte comment il descendit inspecter les lieux, chercher ce trou, et qu’il n’en trouva pas. Il s’en confia alors à un ami, « un pervers professionnel, un pervers magistral, qui faisait profession de perversion comme tous les pervers, qui avait un air de maître d’école dans sa perversion », et qui lui dit : « Mais oui, mon cher, il y a un trou, mais il est à ras du sol ! » Et il lui montra comment il fallait s’y prendre. Il fallait se mettre à genou, « appuyé sur les avant-bras, les fesses en l’air, dans la position de la prière musulmane, la joue collée au sol » ! Alors, il redescendit aux toilettes, se mit dans cette position et vit le trou. En effet, la porte avait été rabotée en bas, dans l’angle où ça ouvre, et repeinte par-dessus, si bien qu’on avait l’impression que ça faisait partie de la conception de l’architecture même du café. C’était comme si « on avait construit le trou d’abord, puis la porte au dessus, puis le café. Comme si tout n’avait été construit que pour le trou. Comme si tout ne pouvait plus être vu que dans la perspective de ce trou, ce trou bizarre qui n’avait pas été fait par quelqu’un ».

20Vous voyez donc que ce trou à partir duquel on pouvait avoir une visée, un accès, « un angle absolument direct » sur le sexe n’est pas un vulgaire trou de voyeur ! Ce n’est pas un trou créé par un voyeur, c’est un défaut du bas de la porte, c’est un vice de construction ! En fait, disons-le, ce n’est pas le café, c’est la structure du parlêtre qui comporte un vice de construction, d’être construite autour d’un trou qui n’est autre que le trou de la jouissance de l’Autre barré, où donc il n’y a rien à voir… rien d’autre qu’un trou !

21Dans la version interprétée par Michael Lonsdale, les trois femmes sont subjuguées, et même séduites. Il leur dit bien que ça ne l’intéresse pas de raconter son histoire aux hommes, qui la comprennent trop vite, mais aux femmes, et que ce qui l’embête c’est qu’elles la rejettent. Ce dont essayent de le dissuader ses trois auditrices, qui sont fascinées par la façon très crue et précise avec laquelle il n’omet aucun détail choquant. Il leur avoue la jouissance qu’il éprouve quand il est derrière le trou à regarder cette foule de sexes : ce n’est pas sûr qu’il bande, ce serait plutôt qu’il « mouille » comme une femme. On pourrait donc dire que ce trou le féminise !

22Il leur explique aussi comment il s’est mis à comparer ces sexes, ceux qui l’excitaient et ceux qui le dégoûtaient, comment il a cherché, à partir des souliers, à voir à qui appartenait tel sexe, et s’est aperçu qu’à un sexe qu’il trouvait beau correspondait une femme qui était horrible, et vice versa. Car pour jouir du trou du sexe, il faut bien y introduire de la différence ! Il y a dans ce récit une véritable clinique différentielle des femmes en tant que « regardées directement par leur sexe » ! C’est même une clinique de la disparité et du désassortiment qu’introduit le réel du sexe féminin dans la parure, dans la cosmétique du corps féminin comme lieu des canons du désir. Le réel des femmes y est en quelque sorte, comme l’a écrit Jean-Marc Lalanne dans le numéro 523 des Cahiers du cinéma, « mis à poil ». Je dirai même que c’est la fêlure du sexe, sa béance ouverte sur la castration de l’Autre qui y est mise à poil.

23Le génie d’Eustache, comme je le disais, est d’avoir voulu ne montrer la version où c’est l’auteur de l’histoire qui parle qu’après en avoir d’abord montré l’interprétation par le jeu d’acteur, tout à fait génial lui aussi, de Michael Lonsdale. En lui faisant répéter, à la virgule près, le récit de l’auteur, Eustache en rend la prétendue vérité encore plus menteuse ! Au début, le spectateur est amusé, il ricane du scabreux de l’histoire. Quand vient la seconde version en 16 mm, le malaise et le doute commencent à s’installer. Que faut-il croire ? Est-ce une confession ou une fiction ? On ne peut trancher sur la question qui alors se pose de savoir s’il a été ou non le protagoniste de cette histoire, c’est-à-dire s’il a été ou non le voyeur. Le spectateur est divisé, refendu jusque dans son regard de par l’effet de cette redite ! D’ailleurs, il faut noter que, de l’une à l’autre des deux versions, les opérateurs de prise de vue et les ingénieurs du son ont changé, alors que la monteuse du film, Chantal Colomer, reste la même.
Ainsi, par cette inversion du montage qui rétroagit sur le regard du spectateur, l’expérience de perversion dont est supposé témoigner Jean-Noël Picq se retourne en perversion du récit cinématographique, comme le dit fort justement René Prédal dans le numéro 153-155 des Études cinématographiques. Je dirai que, par sa structure de redoublement inversé, le film d’Eustache est une interprétation du désir de voir propre au cinéaste. C’est une interprétation, au sens lacanien de l’interprétation comme produisant une coupure, de ce que le voyeur ne voit pas parce que ça ne peut pas se voir. Le voyeur cherche à faire apparaître au champ de l’Autre, pour en jouir, ce qui ne peut se voir, le regard. Il ne peut se voir, le regard, parce qu’il n’est que coupure. Et c’est cette coupure que réalise le film d’Eustache. Eustache nous montre en acte la coupure de son désir de cinéaste. Il met en acte le fait que le cinéma est toujours une rencontre manquée avec le regard !
Avec Une sale histoire, Eustache traite le point de butée de la représentation et de la fiction qui fait l’impasse du cinéma, également traité par Marguerite Duras quand elle met à mort l’image par le son dans ses films, et c’est ce qui va d’ailleurs mener Eustache jusqu’au suicide (en 1981, il se tire une balle dans le cœur qui réveille la photographe Alix Cléo Roubaud endormie, depuis des heures au bout du fil avec lui). Car, dans cette histoire de voyeurisme, Eustache et Picq renversent le voyeurisme en exhibitionnisme de celui qui se raconte en substituant le dire au montrer. Picq le dit, évoquant Sade pour qui l’ouïe est l’organe privilégié de la jouissance : c’est l’ouïe qui prime sur la vue dans la jouissance. La jouissance dans Une sale histoire est avant tout une jouissance de se faire ouïr de la part de ces femmes tout ouïe que la parole de Picq et de Lonsdale captive, fascine. Car il s’agit pour celui qui raconte cette sale histoire de tirer jouissance de l’écoute, par le trou de l’écoute. Encore un autre trou, encore plus infilmable que le trou du voyeur, l’ouïe ! Car ce que sait parfaitement le pervers, c’est que les femmes s’attrapent comme les lapins : par les oreilles (en leur parlant) ! Mais, même à vouloir attraper le désir de l’autre par les oreilles, c’est un lapin qui est posé au rendez-vous de chacun avec le partenaire manquant (je signale à Fulvio, pour la traduction, que poser un lapin est une expression française qui veut dire se faire manquant à un rendez-vous) !
Le hasard a voulu qu’au bas de cette porte des toilettes pour dames il y ait ce trou, pour que le sujet de cette sale histoire, qu’ici j’appellerai l’homme au trou, se mette à chercher à reproduire une rencontre avec l’objet impossible à saisir. De sorte que l’automaton de sa compulsion de répétition voyeuriste s’articule à cette tuché, à cette rencontre de pur hasard avec le trou autour duquel tout semble avoir été construit. C’est donc bien la contingence de ce trou accidentel au bas de la porte qui, en ouvrant une brèche dans la ségrégation urinaire des sexes, précipite le sujet de cette sale histoire à chercher si compulsivement à avoir, comme il le dit, « un angle absolument direct » sur le gouffre qui s’ouvre à lui à la vue du sexe féminin. C’est alors que l’homme au trou est emporté par « la foule des sexes ». Car le sexe des femmes est incompatible avec l’Un dont s’érige le phallus. Le sexe qu’on dit faible a la puissance logique d’une Multiplicité inconsistante ! C’est ce que Platon appelle Hétéros et Lacan Hétérité. Or cette Hétérité, cet Hétéros est ce dont jouissent les femmes en tant qu’elles ne sont pas toutes prises dans l’Un de la jouissance sexuelle phallique. Et c’est le réel de cet Hétéros que la poésie de Dante va faire ex-sister dans son paradis.

Le cas Béatrice

24Mais pour y arriver, à ce paradis où l’élue de sa vie jouit, il lui a d’abord fallu passer par l’enfer. Son entrée d’ailleurs se trouverait tout près d’ici. Les Romains, selon Virgile, la situaient au sombre lac d’Averno, près de Pozzuoli, à une vingtaine de kilomètres d’ici. Et c’est avec Virgile que Dante dit l’avoir franchie à 35 ans, le vendredi saint 1300. Il faut bien dire que jusqu’alors sa vie amoureuse avait plutôt été un enfer. Au cœur de celle-ci, il y a aussi l’objet regard. Il s’agit de la rencontre manquée avec Béatrice, dont Dante ne s’est jamais remis et qui a décidé de toute son œuvre de poète. Cette rencontre amoureuse, Dante la fait remonter à sa prime enfance.

25Né à Florence en 1265, Dante a 11 ans quand il rencontre dans une rue de Florence une fillette de 9 ans à peine, 8 ans et 4 mois, Bice di Folco Portinari, qui va bouleverser son existence. Quand il le raconte en 1291, dans la Vita Nuova, elle est déjà morte précocement, à l’âge de 24 ans. Neuf ans après cette première rencontre de l’enfance, en 1285, à 9 heures du jour – elle a alors 18 ans –, Dante rencontre de nouveau Béatrice qui, cette fois-là, tourne vers lui son regard, lui adresse un si doux salut (salut que plus tard elle lui refusera) qu’il lui « semble voir les confins de la béatitude ». La nuit même, Dante fait un rêve d’angoisse : dans sa chambre il voit, dans un nuage couleur de feu, Béatrice qui dort, nue sous un voile couleur de sang, dans les bras de l’Amour. Celui-ci la réveille et la contraint à manger le cœur de Dante, en feu dans sa main. Puis, en pleurs, Amour s’envole avec elle vers le ciel ! Béatrice se marie en 1287 avec Simone de Bardi et Dante ne la revoit plus avant sa mort, en 1290, alors qu’il a 26 ans. Celle-ci le plonge dans une profonde mélancolie, dont il sort en écrivant la Vita Nuova. On sait aussi que Dante fut marié par sa famille dès ses 12 ans à Gemma, avec laquelle il eut plusieurs enfants, dont Antonia qui entrera dans les ordres sous le nom de sœur Béatrice !

26Avec ce rêve de dévoration de son propre cœur, comme offert en plat de résistance à l’Autre de la jouissance, l’ombre de l’objet perdu était tombée sur Dante, qui n’eut dès lors de cesse de partir retrouver Béatrice au paradis. Dante, qui en 1302 fut banni de Florence, qui fut même condamné au bûcher pour insoumission au pape et qui fut obligé de s’exiler, va en effet passer plus de quinze ans de sa vie, de 1306 jusqu’à sa mort en 1321, à écrire sa Divine comédie, où il rencontre les ombres de l’enfer et traverse le purgatoire pour enfin la retrouver, trente ans après ce doux salut, toute rayonnante, le rire dans ses yeux. Mais ce sera encore pour la perdre à tout jamais : il la voit disparaître dans un océan de lumière. La rencontre finale est encore manquée.

27Voyons comment Lacan en parle dans « Télévision [3] ». Béatrice a accordé à Dante trois fois rien, « un battement de paupières et le déchet exquis qui en résulte : et voilà surgi l’Autre que nous ne devons identifier qu’à sa jouissance à elle, celle que lui, Dante, ne peut satisfaire, puisque d’elle il ne peut avoir que ce regard, mais dont il nous annonce que Dieu la comble ».

28La rencontre de Dante avec Béatrice est manquée parce que, si le partenaire d’amour de Béatrice, celui auquel elle accorde son regard, est bien Dante, son partenaire de jouissance, ce n’est pas lui. C’est Dieu. Lacan dit que c’est l’Autre qui prend ex-sistence, avec un tiret. Il ne s’agit pas de l’Autre symbolique : il s’agit de l’Autre réel de la jouissance féminine. Cet Autre réel, impossible, de la jouissance a pour lieu, dans La divine comédie, le dixième ciel de l’Empyrée. C’est dans la fontaine éternelle de cet Empyrée que Béatrice disparaît sous les yeux désolés de Dante. L’Empyrée est le lieu du paradis que Dante s’invente pour la jouissance qu’il suppose être celle de Béatrice. Dante n’a donc fait tout ce chemin qui l’a mené des enfers au paradis où est Béatrice que pour la perdre, que pour la voir lui dire que c’est dans l’Autre divin qu’elle jouit, comme les mystiques, de s’abîmer.
Si donc la rencontre de Dante avec Béatrice est forcément manquée, c’est parce que le corps parlant dont elle incarne le mystère jouit ailleurs que là où l’homme en cherche le signe, sa jouissance étant extrapolée dans le hors univers de cet Empyrée que Dante s’imagine être le lieu de la jouissance de Dieu. Il ne faut donc pas confondre ce qui fait jouir Dante et ce qui fait jouir sa Béatrice. Ce qui fait jouir Dante, c’est le regard de Béatrice, surtout à partir du moment où, après une première œillade, elle le lui refuse. Alors que ce qui fait jouir la Béatrice de La divine comédie, ce n’est pas ça : du petit a elle se moque pas mal. Pour jouir, elle a bien mieux, elle a Dieu, Autre de la jouissance féminine qui, s’il n’existe pas, a bel et bien un corps, ce corps de la Rose céleste dans lequel à la fin de La divine comédie elle disparaît pour en jouir. Dante a fait tout ce chemin poétique pour retrouver Béatrice, pour la revoir. Mais, alors qu’il l’a vue lui dire ce qui la comble, elle s’efface comme corps parlant, ne laissant à Dante, comme le chat du Cheshire qui, dans Alice au Pays des merveilles, disparaît en ne laissant que son sourire, rien d’autre que l’incorporel d’un dernier sourire.

Le cas Régine

29Lacan parle d’un autre cas de rencontre manquée à propos de la jouissance féminine, pages 71 et 94 d’Encore, au moment où il fonde en logique l’inexistence de La femme. Il s’agit de Régine, la fiancée de Kierkegaard. Mais là, ce n’est pas elle qui, comme Béatrice, éconduit l’amoureux. C’est lui, Søren, qui se désengage en rompant les fiançailles.

30Un soir de 1837, invité chez la veuve du pasteur et conseiller d’État Rordam, Kierkegaard rencontre Régine Olsen. Elle a 14 ans, il en a dix de plus. Il en tombe amoureux et se fiance avec elle trois ans après, le 10 septembre 1830. Le lendemain, il écrit dans son journal : « Tout de suite je sus que j’avais fait une erreur. » Il sait qu’il ne peut se marier, que ça lui est impossible. Le 11 août 1841, il renvoie à Régine sa bague de fiançailles avec un R gravé dessus. C’est le drame. Elle vient protester chez lui avec une audace qui stupéfait le puritanisme danois. Ne le trouvant pas, elle lui laisse un billet où elle le conjure au nom du Christ et par mémoire de son père mort de ne pas l’abandonner, sinon elle en mourra. Affolé, Kierkegaard reprend relation avec elle, la ménage, atermoie, pour finalement rompre définitivement le 11 octobre 1841. Pour l’éloigner encore plus de lui, il se fait passer pour un vil coquin en écrivant Le journal d’un séducteur, alors que dans son cœur elle reste et restera « la fiancée éternelle » à laquelle il vouera un amour absolu. Pourquoi cette rupture ? Que veut-elle dire pour Kierkegaard ?

31Kierkegaard a-t-il perdu Régine en rompant ses fiançailles avec elle ? Il semble que non. Au contraire même, cette rupture a éternisé le lien à Régine. Il écrira dans son testament : « Nos fiançailles ont eu et ont pour moi force d’obligation autant qu’un mariage, et par suite ma succession lui revient exactement comme si j’avais été marié avec elle. »

32Pourquoi est-il impossible à Kierkegaard de se marier avec celle que pourtant il aimera toute sa vie ? Quel est cet impossible, quel est ce réel que le mariage convoque et auquel il se heurte ? On sait que le mariage convoque le Nom-du-Père et sa loi et que le mariage de son père avait été une imposture. Était-ce cela, cette malédiction, qu’il ne voulait pas reproduire ? Il semble bien en effet que Kierkegaard en ait eu le soupçon, suite à un épisode qu’il désigne comme « le grand tremblement de terre » de sa vie. D’après les investigations d’un de ses biographes, son père avait épousé en secondes noces, l’année du décès de sa première femme, leur servante, dont il eut sept enfant. Elle était déjà enceinte de plusieurs mois du premier lorsqu’il l’épousa, si bien que cette grossesse pourrait avoir été due à son viol. Il y a donc bien pour Kierkegaard une malédiction sur le sexe qui lui vient de la faute du père. Cette malédiction venue de la faute du père est à l’origine de la mélancolie de Kierkegaard. Et c’est d’elle qu’il s’est défendu en refusant de se marier avec Régine pour ne pas transmettre cette malédiction à sa postérité.

33Il y a donc bien un double refus, un double renoncement chez Kierkegaard : il renonce à la fois au mariage et au sexuel. Il renonce à Régine et comme épouse et comme corps parlant. Mais ce n’est pas pour la perdre. C’est pour la faire exister, comme étant religieusement liée à jamais à lui par ce qu’il appelle « un saut dans la foi ».

34Lacan dit que « ce n’est pas par hasard que Kierkegaard a découvert l’existence dans une petite aventure de séducteur » et que « c’est à se castrer, à renoncer à l’amour qu’il pense y accéder ». En écrivant, après sa rupture, Le journal d’un séducteur, Kierkegaard a en effet cherché à paraître, aux yeux de Régine, comme un petit séducteur minable, peu digne de son intérêt. Il se castre donc, en renonçant à l’amour de Régine. C’est à ce prix, au prix de ce sacrifice, qui est sacrifice de l’objet a qu’est Régine, que Kierkegaard, comme le dit Lacan, « pense accéder à l’existence ». Il l’écrit dans son journal : « J’avais mon écharde dans la chair, c’est ce qui m’a empêché de me marier et de prendre une paroisse ; je devins l’exception. » En renonçant à Régine, Kierkegaard s’excepte de la malédiction.

35En ayant sacrifié son mariage avec Régine, il pense exister comme l’Exception. C’est du moins ce que pensait Kierkegaard. « Mais peut-être qu’après tout, ajoute Lacan dans ce passage d’Encore, pourquoi pas, Régine elle aussi existait. Ce désir d’un bien au second degré, un bien qui n’est pas causé par un petit a, peut-être est-ce par l’intermédiaire de Régine qu’il en avait la dimension. » Ce bien au second degré pour lequel Kierkegaard sacrifie l’objet a, Régine comme objet cause de son désir, c’est quoi ? C’est le bien au second degré qu’est le partenaire absent. C’est Régine, la Fiancée éternelle, que Kierkegaard élève alors à la dignité du partenaire absent, auquel il se sent, comme à Dieu, religieusement lié à jamais.

36Il y a donc le bien au premier degré qu’est le bien du fantasme, qui est le bien recélé par l’objet a. Et il y a un bien au second degré, au-delà du bien du fantasme, qui est le bien de la jouissance de l’Autre barré et absent, le bien de la jouissance du signifiant S(A). Ce que dit donc Lacan, c’est que, en mettant Régine à la place du partenaire manquant, Kierkegaard dit accéder à l’existence qui par la faute du père lui était refusée. Il dit accéder, malgré la forclusion, sans l’appui du Nom-du-Père donc, à ce qu’il appelle l’Exception ou encore l’Unique (comme il avait demandé à ce que ce fût gravé sur sa tombe).

37Mais ce n’est pas ce que retient Lacan. Lacan considère que ce n’est pas Kierkegaard qui accède, comme il le pense, à l’existence mais que c’est Régine qui existe à lui – et non lui qui la fait exister. Elle lui existe tout d’abord en se mariant, dès 1843. Et elle lui ex-siste, avec un tiret, en partant loin, hors de Copenhague où elle vivait (donc pas loin de Kierkegaard), s’exiler avec son mari nommé en 1855 gouverneur des Antilles danoises. C’est cet exil qui la fait ex-sister, sister hors de son monde. L’effet en est que, du coup, est laissée dénudée la place du trou qu’elle masquait par sa proche présence, place qui est celle du Nom-du-Père forclos, dont elle faisait pour Kierkegaard fonction de suppléance. Dès lors, il n’était plus à l’abri de la malédiction paternelle dont Régine le protégeait. Il faut noter en effet que ce départ de Régine coïncide avec un moment de décompensation où Kierkegaard entre très violemment en conflit avec le clergé de l’Église danoise, dont l’imposture finira par le faire réellement mourir de honte.
Selon qu’elle se remarie ou selon qu’elle s’exile, Régine donc est écartelée entre une existence qui s’affirme, qui se détermine, et une existence suspendue dans l’indétermination. Lacan y trouve la confirmation de ce qu’il avance sur l’inexistence de La femme. Car il n’y a pas de définition de la femme. Elle échappe à tout concept. Elle excède sa définition. Elle ex-siste à quelque essence que ce soit.
C’est d’ailleurs ce que dit aussi Kierkegaard dans le livre qu’il a écrit sur les femmes, intitulé In vino veritas, où il fait parler cinq personnages qui se rencontrent un soir pour discourir, le vin aidant, des femmes : « Veut-on penser son Idée qu’on ressemble à celui qui plonge dans une mer de fantasmagories en éternelle gestation, et à celui dont la vue se perd sur les écumes éternellement mouvantes et perfides des vagues, car son Idée n’est qu’une éternelle usine de possibilités. » Chez l’homme, écrit-il plus loin, « l’essentiel est l’essentiel, et ainsi il demeure toujours le même ; chez la femme l’accidentel est l’essentiel, de là une inépuisable variété ». Elle « est parmi nous, présente, tout près de nous, et cependant éloignée de nous à l’infini ». Elle est cette « matière aussi inflammable faite pour rendre perplexe un assureur » !
Voilà ce que voient Kierkegaard et Dante inscrit au front de Régine et de Béatrice : Attention ! matière inflammable ! Les femmes sont si vaporeuses, si éthérées dans leur Hétérité, qu’il n’y a pas d’assureur qui veuille prendre le risque d’une assurance incendie contre leur réel. Une femme, c’est comme une allumette : gare à celui qui s’y frotte !


Date de mise en ligne : 01/02/2011

https://doi.org/10.3917/enje.015.0113

Notes

  • [*]
    Conférence faite à l’icles de Naples, le 26 juin 2010.
  • [1]
    C’est avec une immense joie et pleine d’enthousiasme que je reviens dans cette ville merveilleuse de Naples, toujours aussi étonnante et ensoleillée. J’ai beaucoup de plaisir à vous revoir et je remercie Fulvio Marone de son invitation.
    Aujourd’hui, je vais vous parler d’un sujet que nous connaissons tous et qui me tient particulièrement à cœur : la rencontre manquée avec le sexe. On parle bien souvent de rencontre en donnant à ce mot une connotation positive : on a fait une belle rencontre !
    Mais dans rencontre il y a l’idée de heurt, d’aller au-devant d’un obstacle, à l’encontre de quelque chose. Le mot italien incontro le fait bien entendre. Il y a du contro dans l’incontro !
    On peut être contre quelque chose, contre quelqu’un, c’est-à-dire à côté de lui, tout près de lui. On peut être aussi contre quelqu’un, c’est-à-dire contre lui, opposé à lui.
    À ce propos, Sacha Guitry, qui n’en ratait pas une pour dire une pointe à propos des femmes, déclarait ceci : « Je ne suis pas contre les femmes, je suis tout contre ! » Le problème, c’est que, quand on est tout contre, on n’arrive plus à peser le pour et le contre !
  • [2]
    J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975.
  • [3]
    J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 526-527.

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