Notes
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[*]
Cyrille Deloro, psychanalyste, psychologue clinicien à l’Élan retrouvé.
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[1]
Il est paru une première fois en 1951 dans un recueil d’hommages à Hans Jantzen, collègue de Martin Heidegger à l’université de Fribourg. Cf. J. Lacan, dans Psychanalyse, n° 1, revue de la sfp, Paris, puf, 1956, p. 59-79, et A. Préau, dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958.
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[2]
L’article de M. Bousseyroux, « L’un-dire d’Héraclite », Quarto (revue de l’ecf), n° 54, 1998, reste à ma connaissance le seul à ce sujet.
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[3]
J. Lacan, « Logos », op. cit. Pour la suite, la traduction de Préau sera mentionnée par « (P) » et le texte original de Heidegger par « (H) » : « Vielleicht nähern sie [einige Schritte] uns der Stelle, wo wenigstens dieser einer Spruch frag-würdig zu uns spricht. »
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[4]
« Was soll die Logik jedweder Art, wenn wir nie beginnen, auf den ????? zu achten, und seinem anfänglichen Wesen zu folgen ? »
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[5]
Nous suivons ici la lecture de M. Zarader dans Heidegger et les paroles de l’origine, Paris, Vrin, 1990, sur le rapport de Heidegger à la logique métaphysique : « On pourrait croire que c’est parce que la logique conçoit le ????? comme énoncé et raison qu’elle est métaphysique. En réalité il en va tout autrement : c’est parce que la logique elle-même est une métaphysique qu’elle ne peut outrepasser sa propre essence pour considérer son objet, et qu’elle est donc condamnée à concevoir le ????? conformément à son mode de présentation, c’est-à-dire comme énoncé, raison ou fondement – bref, selon des catégories métaphysiques. […] Heidegger ne critique nullement telle interprétation proposée par la logique (par exemple, celle du ?????) comme s’il ne s’agissait que de lui en substituer une autre. Sa démarche est bien différente : il révèle la logique à elle-même, il la reconduit à ses limites, il montre “d’où elle parle” » (p. 160). Cf. aussi O. Pöggeler, La pensée de Heidegger, un cheminement vers l’être, trad. M. Simon, Paris, Aubier Montaigne, 1967 : « Le questionner plus originaire se tourne polémiquement contre l’idée que la logique traditionnelle puisse épuiser les possibilités de la pensée, mais il ne touche pas au droit objectif limité de la logique […] il accorde par principe que la logique est une manière originale, même si ce n’est qu’une manière, d’interpréter la pensée » (p. 373).
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[6]
« Mettre en ce lit est donné à lire » (L, p. 62). « Legen est synonyme de lesen » (P, p. 252). « Legen ist lesen » (H, p. 208).
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[7]
« ?????, ist der Hinhalt, wo etwas hinterlegt und angelegt ist » (H, p. 208). « ?????, c’est l’embûche où quelque chose est relégué sous ce qui est allégué » (L, p. 61). « ????? est l’embuscade où quelque chose est caché et en position d’attaque » (P, p. 251).
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[8]
J. Lacan, Le séminaire, Livre XXI, …Ou pire, leçon 9 (du 14 juin 1972, p. 141) et « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.
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[9]
Ibid., p. 60.
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[10]
J. Lacan : « Cet “en plus” (das Mehr) qui dans la moisson dépasse la rafle qui s’en empare, ne vient pas seulement s’y ajouter » (p. 62).
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[11]
J. Lacan, p. 62. « Das allerste gegenüber dem Bergen im Wesensbau der Lese ist das Erlesen », traduit par Préau par : « C’est du tout ce qui vient en premier dans le plan essentiel de la cueillette que jeter le dévolu. » Lacan ne traduit pas l’étymologie alémanique du « choix préalable » de Vorlesen.
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[12]
J. Lacan, « Conférence de Bruxelles » (1960), p. 13.
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[13]
« Le rassemblement pour la moisson est du ressort d’une récollection primordiale (L, p. 63). « Dans la récolte recueillie s’affirme un rassemblement originel » (P, p. 253). « Im gesammelten sammeln waltet ursprüngliche Versammlung » (H, p. 210). Après avoir traduit « lesen » par « colliger » (L, p. 61 ; H, p. 208), Lacan tire sammeln vers « récollection ».
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[14]
La reposée est legen, collection qui définit ce qui se dit, mais ce qui se lit est le lit, c’est-à-dire le support structural « lesen ». « Ce qui s’y lit [dans la collection (L), la récolte (P), das lesen (H)] est déjà lit de la reposée, et tout lit de la reposée est de soi-même ce qui se lit dans ce qu’on collige » (L, p. 63). Préau traduit par : « Cueillir est étendre, étendre est cueillir » (P, p. 254).
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[15]
« Seulement le ??????, mettre à reposer, signifie, en ce qu’il laisse au-devant se présenter ce qui est ensemble, précisément ceci que ce qui se présente nous concerne et par conséquent nous regarde » (L, p. 63). « Seulement le legein, en tant que “laisser-étendu-ensemble-devant”, veut dire précisément que nous avons à cœur ce qui est étendu devant nous, et qu’il nous concerne » (P, p. 254). « Allein das ??????, meint in seinem “beisammen-vor-liegen-lassen” gerade dies, dass uns das Vorliegende anliegt und deshalb angeht » (H, p. 211). Le terme de angeht est très fort ici, puisque le verbe traduit aujourd’hui le « y aller de » dans la première expression du Dasein pour lequel « il y va de son être même ».
-
[16]
J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, op. cit., p. 545.
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[17]
Lacan traduit Hut par « refuge », et Préau par « garde ». Si l’on regarde la Lettre sur l’humanisme dans la traduction de Munier (Aubier, 1964, 1983), « garde » est plutôt utilisé pour Wahre.
-
[18]
G. W. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, t. I, Paris, Aubier, coll. « Bibliothèque philosophique », 1992, p. 140-141 : « Il est clair alors que derrière le rideau qui doit recouvrir l’intérieur des choses, il n’y a rien à voir, à moins que nous ne pénétrions nous-mêmes derrière lui, tant pour qu’il y ait quelqu’un pour voir, que pour qu’il y ait quelque chose à voir. »
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[19]
Cf. J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 451-452, et Scilicet, n°4, p. 7-8. Cf. encore : « La non-occultation est le trait fondamental de ce qui est apparu et a laissé derrière soi l’occultation. C’est ici le sens d’? – que seule une grammaire inspirée par la pensée tardive des Grecs caractérise comme a-privativum. Le rapport à la ????, à l’occultation, et celle-ci même, ne perdant rien de leur poids pour notre pensée du fait que le non-caché n’est immédiatement appréhendé que comme chose apparue, comme chose présente » (M. Heidegger, « ??????? », dans Essais et conférences, op. cit., p. 314).
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[20]
« Dem ?????? liegt bei seinem gesammelt-vor-liegen-Lassen an dieser Geborgenheit des Vorliegenden im Unverborgenen. Das ???????, für-sich-Vorliegen des so Hinterlegten, des ???????????, ist nicht Geringeres und nichts Höheres als das Anwesen des Vorliegenden in die Unverborgenheit. In dieses ?????? des ???????????, bleibt das ?????? als lesen, sammeln eingelegt. » Contrairement à Préau, Lacan conserve l’emphase finale de la phrase sur le « eingelegt ».
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[21]
Je ne développe pas ce point. Mais il me paraît tellement central qu’il fera l’objet d’un prochain article.
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[22]
Ungeheures, que Préau traduit par « inquiétant ». Lacan ne traduit pas par « inquiétant » à cause de l’usage freudien de ce mot pour « unheimlich ». Mais aussi « monstrueux » ou « merveilleux » ; car c’est bien le ?????? humain que Heidegger a en vue.
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[23]
« Que ce soit dans le ??????, que dire et proférer (sagen und reden) agencent leur essence, contient l’indication qui nous renvoie au moment de décision le plus précoce et le plus riche en conséquences quant à l’essence du langage (Sprache). »
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[24]
S. Freud, « Remarques sur un cas de névrose de contrainte », dans œcfp, t. IX, p. 203.
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[25]
M. Heidegger, « Das eine wesenhafte Schickung des Seins an den Menschen verbirgt und diese vielleicht für jenen geschicklichen Augenblick aufspart, da die Erschütterung des Menschen nicht nur bis seiner Lage und zu seinem Stand reicht, sondern das Wesen des Menschen ins Wanken bringt. »
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[26]
J. Lacan, p. 65. « [dire, c’est ??????] donne un nom à un secret impensable : le parler du langage se produit à partir de la non-occultation [suite de la note page suivante]
des choses présentes » (P, p. 257). « Er nennt das unausdenkliche Geheimnis, dass sich des Sprachen der Sprache aus der Unverborgenheit des Anwesenden ereignet » (H, p. 213). -
[27]
Cf. M. Heidegger, Être et temps, Paris, nrf, trad. Vézin, § 7B : « Quand il s’accomplit concrètement (in konkreten Vollzug), le parler (faire voir) a le caractère de l’oral, de l’élocution vocale en mots. Le logos est ???? et précisément ???? ???? ????????? – élocution vocale dans laquelle quelque chose est chaque fois placé sous les yeux » (p. 59-60).
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[28]
M. Heidegger, ibid., § 7C, p. 64.
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[29]
Übertragung, que Préau traduit plus prudemment par « une transposition de cette audition sur le plan spirituel » (P, p. 258).
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[30]
M. Heidegger joue sur hören, gehören et gehorchen (obéir, que les traductions ne rendent pas). « Nous avons entendu quand nous faisons partie de ce qui est dit » (P, p. 259-260), « Wir haben gehört, wenn wir dem Zugesprochenen gehören » (H, p. 215). Le passé-présent allemand est rendu par les deux traductions.
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[31]
J. Lacan, p. 68.
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[32]
O. Pöggeler, La pensée de Heidegger…, op. cit. : « La topologie est le dire du lieu où la vérité se rassemble comme dévoilement qui advient. La topologie de l’être se distingue par le fait que c’est elle seulement qui introduit la pensée dans son essence explicitante, topologique : cette topologie conduit la pensée au lieu du dévoilement » (p. 400).
-
[33]
J. Lacan, p. 69. Le choix d’amener ici le concept d’Autre est tout à fait arbitraire. Préau traduit par : « L’entendre mortel doit se tourner vers autre chose » ; « Das sterbliche Hören muss auf Anderes zugehen » (H, p. 216).
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[34]
Cf. J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966 : « Dire que ce sens mortel révèle dans la parole un centre extérieur au langage, est plus qu’une métaphore et manifeste une structure. » Le tore fait sa première apparition « pour autant que son extériorité périphérique et son extériorité centrale ne constituent qu’une seule région » (p. 320).
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[35]
J. Lacan, p. 68. « Der Logos ist die ursprüngliche Versammlung der anfänglichen Lese aus der anfängliche Lege. ? ????? ist : die lesende Lege und nur dieses » (H, p. 215-216).
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[36]
Disposé « signifie à la lettre exposé, éclairé et ainsi transposé dans l’appartenance à ce qui est », dit Heidegger dans Questions II, Paris, Gallimard, 1977, p. 35. Nous suivons ici la thèse de E. Martineau, « Dépassement philocallique ? », dans La provenance des espèces, Cinq méditations sur la libération de la liberté, Paris, puf, 1982, p. 66-67 : « Plus l’origine se retire, plus la disposition se concrétise, se rassemble, devenant ainsi ouverte pour cela même qui se retire », et nous jette au cœur du problème « érotique actuel » : « Le “besoin” de la disposition existentielle qui émeut l’origine (l’être) en scelle la “structure” et cet “appel” (Geheiss) de l’origine qui commotionne, sans la mobiliser, la disposition et en signe la liberté. » L’érotique de la vérité est la pose recueillante qui se dispose à ce à quoi elle est d’ores et déjà disposée. Le lien originaire de l’être et de la disposition se lit dans une doctrine de la liberté, et la coappartenance de l’être et de la liberté est pensée grâce au concept d’une érotique de la différence ontologique.
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[37]
Lacan reprendra plus tard ce thème heideggerien de la dit-mension. Cf. Psychanalyse, n° 1, op. cit., p. 77 : « Le ?? ????? contient bien sans doute le cillement d’ouverture sur la manière dont le Logos est essentiellement dans son ??????. »
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[38]
S. Freud, « Le refoulement », dans œcfp, t. XIII, p. 193-195.
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[39]
L’être est le plus proche, mais c’est la proximité qui reste pour le plus éloigné pour l’homme : « Das Sein ist das Nächste. Doch die Nähe bleibt dem Menschen am weite-sten » (M. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, op. cit., p. 64-65).
-
[40]
J. Lacan, p. 74.
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[41]
M. Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962, p. 363-364.
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[42]
M. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, op. cit. : « La pensée redescendra dans la pauvreté de son essence provisoire. Elle rassemblera le langage en vue du dire simple. »
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[43]
Cf. L. Irigaray, « ???? : Jeune vierge – pupille de l’œil », dans Speculum de l’autre femme, Paris, Éditions de Minuit, 1974 : « L’être est-il encore monopole de la lumière, dangereuse dans sa fulgurance pour le regard toujours sensible des mortels, ou déjà principe de la capitalisation de semblants ? […] “Origine” qui/que recouvre, et masque, et entretient dans son inapparition finale comme telle, dans son dérobement ultime à la perception intelligible que pourtant elle fonde, le mystère – l’hystère ? de l’être ? » (p. 187).
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[44]
J. Lacan, p. 75.
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[45]
Cf. encore L. Irigaray, L’oubli de l’air chez Martin Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 27, qui développait une belle et profonde analyse de ces « ponts ». Forme un « pont » tout ce qui relie l’un à l’autre, l’un à l’une, tout ce qui est en attente d’un lien au sein d’une totalité. À une telle attente de lien, la philosophie a donné le nom d’être. L’être est une attente, une commémoration de ce qui a été attendu, le poste de garde qui permet d’attendre encore ce qui n’arrivera jamais. « L’être » signifie surtout le repos du penseur, ce qui le laisse tranquille en lui assignant sa tâche de gardien ou de guetteur. L’être, dit-elle, le pont entre toutes choses, emporte et oublie dans sa construction « l’autre vers qui il se voulait le passage ». Le pont devient ainsi un oubli de la libre étendue, un barrage contre l’air. « Le tout autre, la toute-autre, n’y est plus. L’être en tient lieu. » L’autre est toujours évacué par l’être, l’être est toujours le représentant de l’autre, à sa place, en son absence.
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[46]
J. Lacan, p. 76.
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[47]
Ibid. « Dans la première ligne, ce qui est le ??, le Logos, la grâce de tout mandat, n’est pas prêt par son essence la plus propre, ne consent pas, à se manifester sous le nom de “Zeus”. »
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[48]
Lacan donnera cette formule célèbre dans le « Discours de Rome » : « Voici donc l’homme compris dans ce discours qui dès avant sa venue au monde détermine son rôle dans le drame qui donnera son sens à sa parole » (dans Autres écrits, op. cit., p. 153).
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[49]
Préau traduit : « Si ?? ????? doit être le Logos, n’est-ce pas alors un trait particulier de l’être mortel qui est élevé au rang de trait fondamental de ce qui, bien au-dessus de tout être mortel et immortel parce que antérieur à lui, est la dispensation de la présence elle-même ? Ce qui se trouve au fond du Logos, est-ce le surhaussement d’une façon d’être mortelle et son transfert sur l’un – unique ? »
1Une traduction lacanienne du texte de Heidegger « Logos » paraît en 1956, dans le premier numéro de la revue de la sfp, Psychanalyse [1]. Lacan traduisant Heidegger traduisant Héraclite, c’est dès le départ un dispositif complexe qui va du grec à l’allemand et de l’allemand au français. La littérature analytique jusqu’ici y a consacré très peu de lignes, pourquoi [2] ? Deux ans plus tard, en 1958, la version Gallimard officialise la traduction d’André Préau, qui semblera séparer les lecteurs philosophes des lecteurs analystes. La version lacanienne, plus audacieuse, tombe alors dans le silence. Mais à relire aujourd’hui les variations de la langue, éprouvées et jouies par ses diverses traductions, sans doute pourrons-nous trouver que notre clinique était là, dès le départ, dans la pensée héraclitéenne du Logos.
2Il n’y a qu’une seule façon d’entrer dans le texte. S’y exercer, le lire, l’entendre. La parole qui doit en sortir se fera chemin faisant, et c’est de cela même qu’elle parle. Dans le fragment n° 50, Héraclite disait :
??? ???? ???? ??? ?????? ??????????
????????? ????? ????? ?? ?????
4Lacan traduit : « Si ce que vous avez entendu n’est pas de moi, mais du sens, il est sage aussi de dire pareillement à ce sens : l’Un est Toutes Choses. » André Préau, de son côté, traduit : « Si ce n’est pas moi, mais le Sens, que vous avez entendu, il est sage alors de dire dans le même sens : Tout est Un. » Le chemin qui nous sépare du Logos mène vers l’intérieur. Il n’est que de faire quelques pas pour « nous rapprocher du lieu (der Stelle), d’où à tout le moins cette parole entre toutes nous parle assez pour nous valoir de l’interroger encore [3] ». Un lieu, non une personne. Ce que dit la parole sera fonction de notre mode d’écoute : sans valeur si nous ne savons pas l’entendre, elle peut aussi redevenir l’énigme de notre présence, et parler de nouveau.
Un dispositif à miroir. Devant nous, une parole. À l’intérieur d’elle, le reflet du Logos qui nous renvoie à notre place, mystérieuse à nous-mêmes, de destinataires. Entre nous et ce que dit la parole, qui devrait faire obstacle : Héraclite, disparu deux fois, sous sa propre pensée et par la place initiale qu’il occupe dans la tradition. Derrière lui, et derrière nous-mêmes qui l’avons entendu, le Logos traverse toute la scène, se reflète dans la parole et revient à soi, à travers nous, à la fin de son geste. À nous de nous effacer à la manière d’Héraclite dans ce chemin de retour que le Logos fait vers lui-même. À nous de comprendre ce qui, dans cette boucle, nous réfléchit.
« Mettre en ce lit est donner à lire »
5Le commentaire de Heidegger, dans l’article « Logos », reposait sur une homologie du dire et du lire, de la parole et de la lettre, qu’il faisait aller à la rencontre l’un de l’autre dans la pose recueillante de l’entente. ?????? signifie à la fois dire et poser ; Lesen signifie à la fois rassembler et lire. Autour du legen allemand, Heidegger tire le sens de « poser » vers « rassembler » jusqu’à ce que ?????? signifie : se recueillir dans l’écoute de l’être. Une première boucle du texte original discutera la question posée au début de l’évolution du ?????? comme « coucher, étendre » jusqu’à sa signification comme « poser, dire ». Heidegger s’appuie sur le legere latin pour interpréter le grec comme l’origine équivoque du legen allemand, et conclure que « nous n’avons nullement à faire avec la signification mouvante des mots (Bedeutungswandel) », mais bien à leur lettre, qui vient débouter l’herméneutique philologique comme enquête transcendantale, et la fige plutôt dans une seule posture de méditation.
6L’homologie semble reprise par Lacan à la rencontre d’un plan théorique, où lire Freud signifie commenter la distance que franchit sa parole pour nous parler (entendre, recueillir, rassembler Freud), et d’un plan clinique, où répondre à l’analysant est non plus prendre la parole mais dévoiler, dans la scène transférentielle, un inanalysable. Par un bouclage typique de sa pensée, Lacan fait ainsi de la traduction le thème même de sa traduction. Le thème du Logos se traduit en mots de la même manière que le désir, comme témoin d’une vérité, se voile dans le rêve.
7Il y a, dit Heidegger, un genre de catastrophe dans l’histoire du Logos. Ses traductions dans le monde occidental : verbum, ratio, loi du monde, sont des rêves de sens par lesquels chaque époque de l’être décline à sa manière sa position et son mode propre de recouvrement du même. Mais la primeur du signifiant est aujourd’hui perdue et manquante. Elle est dans l’éclat morcelé de ses diverses traductions, dont celle de logique est la dernière en date. Ainsi, pour nous tard venus, l’émergence de la raison technique est l’effet d’une perte du Logos originel. « De quoi nous sera la logique, la science du Logos, ?????? (????????) […] si nous ne commençons pas par porter attention au Logos et par nous soumettre à son essence telle qu’elle est à l’origine [4] ? » Heidegger attire notre attention sur la logique comme technicisation et oubli de l’essence du Logos. Lacan prend donc appui sur la question ontologique pour interroger, jusqu’en son fond, l’épistème analytique [5]. « Qu’attendre de la logique ? » (Préau), sous-entendu : rien de bon. « De quoi nous sera la logique ? » (Lacan), sous-entendu : dépourvue de fondement elle serait inutile. Réglage des paramètres modernes pour Lacan, disqualification de la technique comme illusion dans l’époque de l’être pour Préau, la logique promise à une longue trajectoire lacanienne trouvait ici sa détermination dans l’entente du Logos comme « mettre à reposer ». ?????? = poser.
8« Mettre à reposer (legen) », dit Heidegger, tient ensemble le temps de l’avant et le temps de l’après. Un avant, dans le choix primordial du un qui préside à la récolte (Lesen), un après, par lequel on préserve le un de la récolte en la mettant à l’abri [6]. Ce « mettre à reposer » dévoile « l’embûche où quelque chose est relégué sous ce qui est allégué [7] ». Et cette même formule reviendra dans la formule plus tardive : « Qu’on dise comme fait reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend [8]. » L’embûche, c’est que ce qui est dit renvoie à ce qui reste à dire, dans ce qui est posé n’apparaît pas le choix qui a présidé à la récolte. Le un originel de la collection apparaît comme « en plus » (das Mehr) et ne se laisse pas présenter comme un étant. Le Logos comme événement ontologique reste oublié derrière ce qui est posé. Donc, « ce qu’est le Logos, nous le recevons du ?????? [9] » sous une forme négative, comme un « en moins ».
9En fait, l’exploitation lacanienne du texte de Heidegger ne se comprend que dans le cadre d’une séance où l’analyste « récolte » les dires de l’analysant et reste attentif au point focal de son imaginaire représenté par ce qu’il ne peut dire : le Logos apparaît comme ouverture d’un espace transférentiel. Rendre compte du Logos est rendre compte du langage qui noue la relation analytique. De cette manière, nous pouvons entendre que « moissonner est plus que le fait d’amonceler » se distingue par un « en plus [10] » apporté par l’écoute recueillie de ce qui est à recueillir. L’écoute apporte la question de l’unité du dire de l’analysant : « Ce qui est de sauver est premier dans la structure essentielle de la cueillette [11]. » L’un en plus ouvre la structure de ce qui est posé sur un manque à être structural. Wesensbau et non Struktur : liberté significative ici de Lacan, qui adopte dès le paragraphe suivant la traduction plus prudente de « plan essentiel ».
D’une édification dynamique de l’un (par exemple Bau est « édifice » dans l’usage des traductions de Binswanger), Lacan déplace la traduction vers un étant pour qui il en va de sa structure. Le ?????? du « mettre à reposer » est structuré comme un Logos parce qu’il est du ressort d’une récollection primordiale, antérieur logiquement à son développement dynamique en dires et en moisson de signifiants. Encore voyons-nous Lacan risquer d’hypostasier le Logos, assimilé à la structure de l’inconscient. Plus tard nous trouverons : « Au point où nous en sommes, je vois l’homme surdéterminé par un Logos qui est partout aussi son ??????, sa nécessité. Ce Logos n’est pas une superstructure. Bien plus, il est plutôt une sous-structure puisqu’il soutient l’intention, qu’il articule en lui le manque de l’être et conditionne sa vie comme passion et sacrifice [12]. »
Nous sommes au niveau primordial de l’ouverture à l’être. Dans le fait de la moisson sont inclus « relevage, émondage, ramassage, rentrée de la récolte, mise à l’abri des récipients ». Moissonner comme fait n’est pas réductible à un acte isolé, mais renvoie à une série de gestes soumis à un « sauver » originaire, une conservation de l’un de ce qui est à sauver qui commande et déploie les opérations ultérieures. « L’ordre selon lequel la marche des opérations de la moisson se succède ne recouvre pas le mouvement d’atteinte », mais se subordonne à un « trait » originel où se retrouve l’essence de la cueillette [13]. L’un en plus dans la récollection n’est pas présent comme un étant au sein de la collection. Ce qui s’y lit est déjà le « lit de la reposée [14] », c’est-à-dire le support vierge de la reposée. L’un est support structural pour Lacan et n’apparaît dans la collection que comme un étant manquant à sa place. L’un est vierge, « indemne », non recouvert par les opérations de la récolte.
L’un en plus est ainsi la reprise heideggerienne du Dasein, qui présentifie l’être en avant de soi dans le projet de la collection. L’un est jeté en avant de soi – morcelé dans le mouvement même qui voudrait l’atteindre et le rassembler. Il est visé, et comme point de visée s’inverse, « nous concerne et par conséquent nous regarde (angeht) [15] ».
Remarque sur l’interprétation lacanienne de la transcendance
10Heidegger reprochait à l’ontologie classique de se donner la transcendance comme point de réconciliation entre l’étant et le non-étant, et de penser l’être comme un concept supplémentaire, sommation et reprise de tous les étants dans l’élément de l’étant. Éventuellement sous le coup de cette critique, la traduction de Lacan met le Logos dans une ambiguïté essentielle : de la même manière qu’il détournait légèrement le Logos heideggerien de son sens pour fonder l’expérience analytique, il risquait de faire du Logos un concept transcendantal, qui sert à révéler un point d’unité caché dans les dits du sujet. Ambiguïté seulement et non contre-sens, parce que le Logos apparaît comme un étant-limite, de telle sorte qu’il laisse toujours apparaître sa faiblesse performative. En ce sens, la compréhension lacanienne reste bien une déconstruction au sens d’une désobstruction de la pensée classique. Loin de sonner son discrédit, elle maintient les grandes lignes de l’ontologie pour ne plus les confondre avec des étants et dévoiler leur structure de voiles et simples guises (Weise) de l’être. Le Logos ne peut rassembler le dire et du dit du patient qu’à titre d’unité factice. Lacan se souviendra de ce thème en énonçant que « la vérité a structure de fiction », ou encore que le nom du père vient recouvrir le « nom du pire [16] ».
11L’un-en-plus n’a pas d’autre lieu que lui-même, occulté dans son morcellement. La moisson est la garde, l’abri, le recueil de l’un pour autant qu’on l’élude. L’être est en sécurité au sein même du piège qui le réfléchit et le morcelle. Tout l’accent heideggerien porte sur la violence originaire de l’être dans la lutte entre le recouvrement et le découvrement, qui révèle à l’un la finitude de son être, le souci de son séjour dans l’éclat, là où la tradition insistait au contraire sur un redoublement comme détermination essentielle de l’être. C’est-à-dire que là où un procédé dialectique écouterait le même dans la répétition, Lacan l’entend dans la rupture, différence ontologique du même. Dans la scission initiale de l’être, il n’y a pas tant redoublement qu’ouverture d’un plan occulté, où l’être apparaît comme néant au sein de l’étant. En cette époque de la pensée lacanienne, l’imaginaire qui se déchire et s’ouvre comme lieu de méconnaissance (d’occultation) de l’être n’est donc pas tenu pour « effectif » au sens où il constituera plus tard tout le plan phénoménal – notre « peu de réalité ». Pour le moment, l’imaginaire est non pas producteur ou acteur dynamique, mais seulement une surface pliée : écran ou miroir inerte où vient s’impacter quelque chose de l’être sous la forme d’un non-étant qui « nous regarde » – et la métaphore oculaire est un rajout de Lacan.
12Le ?????? renonce à la prétention de « se charger lui-même de porter ce qui se présente en son site (in seine Lage zu bringen) ». Le ?????? ne peut indiquer le refuge (Hut) de l’un que lorsqu’il le laisse se présenter devant (aller au-devant de soi dans l’occultation) [17]. Le ?????? ne peut produire ni montrer le refuge, le site de l’un qu’en recouvrant son lieu – en le surdéterminant. Ce lieu deviendra l’encoche du signifiant, que le langage ne peut cerner que par la tentative de reproduire le refoulement. Si l’imaginaire est le lieu de méconnaissance – il fait des traces pour qu’on les croie vraies –, le symbolique imprime dans l’imaginaire, par le symbole de la négation, une trace faite pour qu’on la croie fausse : le Logos, c’est la naissance du signifiant.
Le « point de remembrement » imaginé par Lacan n’est pas dans le texte de Heidegger. De même, « ce qui est ensemble pour se présenter devant nous est colloqué dans le dévoilement » – colloqué est une jolie trouvaille. Mais ils indiquent, de manière significative, la manière dont le traducteur s’accole au texte original et le signe, comme en son nom propre.
Le Logos comme ???????
13Ici il faut faire une remarque sur un choix de traduction majeur de Lacan, celui d’Unverborgenheit, que Préau traduira plus prudemment par « non-occultation ». Que signifie cette identification du geste de dévoiler au fait d’être découvert ? Dans un texte qui joue constamment entre « l’un en plus » de l’être et le « un en moins » dans l’étant, Lacan risquait de mettre quelque chose en plus dans « dévoilement » que Heidegger ne mettait dans « non-occultation ». Une valeur ajoutée de traduction qui identifie le geste positif dynamique au négatif statique ; et qui conduit à penser que ce qui se dévoile n’est rien d’autre que la non-occultation. Rien de plus, comme le voile hégélien ne cache que le regard du curieux [18] ? En fait, la traduction – parfaitement admise – ne se comprend que dans une référence heideggerienne à la notion d’???????, référence qui peut amener des confusions si on continue de la prendre – comme ici Lacan – dans une acception transcendantale. Sans cette clef de lecture, on ne peut comprendre ce qui permet de passer de non-occultation à dévoilement.
14Ce qui est découvert est ?-?????? : la vérité comme sortie du Léthé, comme non-oubli. Depuis la « Réponse au commentaire de Jean Hyppolite », on se souvient que les formes voilées de la parole inconsciente ne sont pas-toutes dévoilées par la seule levée du refoulé. Le refoulement y demeurait indemne dans sa structure, principe du voilement mais non inclus lui-même sous son voile ; principe de traduction mais non traduisible comme tel, et présent seulement comme « symbole de la négation » qui barre l’accès à la traduction. L’un, qui est l’image ou l’ombre portée de l’être dans l’étant, en est aussi le voile – il apparaît sous sa forme ontico-ontologique. Lacan interprète ainsi le « dévoilement » comme la « vérité » de l’inconscient. « ??????? = Unverborgenheit » est une équation qui sera reprise jusqu’en 1973 dans « L’étourdit [19] ». Le geste de dévoiler est identique au fait d’être non occulté de la même manière que l’identité est identique à la désidentification : dévoilement de la différence pure.
15Revenons au ?????? dans le dernier moment de sa présentation : « Au ?????? en ce qu’il a recueilli ce qu’il laisse au-devant se présenter, adhère cette face sauvegardée (Geborgenheit) de ce qui se présente dans ce qui est dévoilé. Le ???????, le pour-soi de la présentation de ce qui est ainsi relégué, du ???????????, n’est ni plus ni moins que l’être de la présence de ce qui se présente dans le dévoilement. Dans ce ?????? du ???????????, le ?????? du choix (lesen) et de la collection demeure serti [20]. » Encore une fois, la phrase heideggerienne semble une tautologie : le pour-soi de la présentation est ni plus ni moins la présentation. L’en-plus se change en en-moins, puisque la présentation ne présente « rien de plus » que ce que la collection avait rassemblé. Révélation déceptive où ce qui aurait dû surgir en plus, parce qu’il ne surgit pas où on l’attendait, prend la détermination d’un manque. L’??????????? que la tradition a traduit par « sub-jectum » est le support vierge qui gît sous le rassemblement.
Or la « Note du traducteur » page 64 reconduit résolument le « ?????? du ??????????? » au ?????? « du sub-jectum ». Sur cette limite que ne franchit pas Heidegger, Lacan insiste significativement pour réinsérer un sujet au sens latin, un sujet-substance. Cette interprétation semble cette fois tout à fait contraire au propos heideggerien, et nous surprenons Lacan sur le vif, en train de reconduire le Dasein aux structures du sujet de la métaphysique classique [21]. Pour lui, la présence (Wesen) de l’être est donc en fait celle du sujet parlant, et l’on pourrait aussi bien traduire : « Dans ce dire du sujet, le dire du choix et de la collation demeure serti. » Joaillerie du ?????? dans le ???????????, l’encoche où va se ficher ce ?????? du choix, comme l’un est l’encoche où va se ficher le signifiant sur le trait unaire, et structurer la Bildung narcissique autour de ce point d’impact, fond sans fond de l’« unité » du sujet.
L’essence du langage
16On trouve ici le nœud des thèmes qui recevra plus tard le nom de « parlêtre » : l’essence du langage est la présentation du dévoilement, le un dévoilé est l’???????????, et c’est un pur trait, l’empreinte originelle de la langue qui marque la division du dire (« der anfänglichen Wesensprägung der Sprache »).
17Nulle « signification mouvante des mots », « changement de sens » : nous sommes en face d’un événement neuf pour la pensée. Autour du choix se dévoile un « véritable événement » au caractère peu rassurant [22] dans sa simplicité même. Le ?????? est soumis à une simplicité (Einfachheit), à une unicité brisée de bonne heure dans l’histoire des mortels. Le choix (Lesen) devient décision (Entscheidung) ou séparation originelle. Il ne s’agit pas d’une justification étymologique où l’on suivrait une idée « inconsciente » au langage à travers ses associations étymologiques – où l’étymologie réaliserait la vérité du langage selon une mise en scène de la révélation. Il s’agit plutôt de réactiver un sens fondamental sous le sens courant : il faut une entente préalable avec les mots, comme entre les Grecs et nous. Le modèle d’un dialogue avec les Grecs sert d’appui pour penser l’entente originelle de ce qui reste à dire au fond du Logos.
18L’essence de l’homme, l’ouvert, est une finitude essentielle qui le détermine comme mortel. Mais peut-être parce qu’il en est contemporain, le traducteur ne semble pas percevoir que le tournant heideggerien a déjà requalifié le Dasein de « mortel ». Lacan l’interprète dans une stricte continuité. L’accent porte sur la finitude essentielle dans l’être pour la mort qui le qualifie comme cet étant déchiré par sa propre destinée ontologique. Le Un originel de la récollection et la mort sont deux ombres portées de la différence ontologique – de l’événement de l’être sur la réalité humaine. La structure ontico-ontologique du Dasein est aussi bien sa propre déchirure ou division à partir de la dé-cision originelle de l’être [23]. Comme l’obsessionnel chez Freud [24], le Dasein a besoin de la possibilité de sa destruction pour être au monde et se décider à vivre au plan (Wesensbau) qui est le sien.
19« Quelque chose d’essentiellement destiné par l’être à l’homme se dissimule, pour se réserver peut-être pour cet instant fatal où la semonce qui ébranle l’homme ne s’étend pas seulement à sa place et à sa condition, mais où elle porte l’essence de l’homme à la vacillation qui le fait bouger [25]. » Il faut remarquer le forçage de Lacan, qui fait porter la « vacillation » (Erschütterung) et le « bouger » (Wanken) sur l’homme, alors que Heidegger les faisait porter sur l’essence. Lacan est de toute évidence intéressé à reconduire l’essence (Wesen des Menschen) au sujet, et nous sommes à la limite du forçage.
20Le segment suivant est essentiel. Il montre comment Lacan interprète le point d’impact du Logos sur le ??????, du dire sur le dit. « Dire » est le nom d’un « mystère sans recours pour l’imagination, que ce qui parle dans le langage est l’événement du dévoilement de ce qui est présent [26] ». La traduction est ouvertement une interprétation. D’abord Lacan ne voit pas que tout l’accent de la phrase est porté sur le « ereignet », qui est le thème central du texte. Ce déplacement n’est pas si lointain du propos de Heidegger dans Être et temps : er-eignen vient de er-aügnen, « mettre sous les yeux », dont il tirait le thème de l’appropriation – faire sien.
21Mais surtout il traduit « impensable » (unausdenklich) par « sans recours pour l’imagination », ce qui indique qu’il décline l’impensable dans un vocabulaire optique. Le sens est profondément orienté vers le registre imaginaire, il signifie maintenant l’impossible homologie de l’Autre au plan de l’image où quelque chose restera sans équivalent, à savoir la présentation de la présence. Lacan assimile donc le ?????? à l’ordre imaginaire, et c’est lui, en définitive, qu’il dote d’une charge ontico-ontologique. Par lui, le Logos n’apparaît que comme un point aveugle, et le ?????? est apophantique lorsqu’il dévoile le Logos comme « tiré au clair » (se montrant de lui-même, zum Gelichten sichzeigen).
22De son côté, l’ouverture de l’être requerra un vocabulaire acoustique dans le champ sémantique de l’appel [27]. Quelque chose sur le plan de l’ouïr n’aura pas d’équivalent sur le plan du voir ; le transperce pour fonder le concept inaugural de phénoménologie qui s’écarte, dit Heidegger, « de la naïveté d’une contemplation faite au hasard, “immédiate” et non préméditée [28] ». L’ordre acoustique du symbolique vient subvertir l’ordre optique de l’imaginaire. L’entendre oriente le regard.
De quelle oreille convient-il d’entendre ? Ce que nous oyons « n’est qu’un transfert de cet ouïr (originel) au sens propre dans le registre de l’esprit [29] ». De manière significative, Lacan traduit par « transfert » ce qui n’apparaît dans le texte que comme « Übertragung », transposition. Il y a un transfert de l’oreille sur l’esprit, une sorte d’homologie entre le registre de l’entendre et celui de l’être.
Avec le thème de l’ouïr, nous revenons au thème de l’en-deçà de l’intersubjectivité comme présence de l’analyste dans l’écoute. L’ouïr prête aussi bien au « malentendu » (verhören), substantivé par Lacan et qui deviendra plus tard un thème essentiel avec « le ratage du ratage » de la différence sexuelle. Par l’entendre de l’être comme entendre originel de la structure du sujet parlant, Lacan peut envisager le mode de silence à partir de tout autre chose que le moi de l’analysant ; et se servir de l’être comme d’un concept régulateur, fréquence de base de l’écoute de l’analyste. La faculté d’écoute est réglée-réglable comme on règle un matériel optique, orientée pour faire apparaître le « transfert » de l’ouïr symbolique du silence en « vision » de l’un manquant. « Nous avons ouï quand nous sommes en entente avec ce qui nous est adressé [30]. » Dans l’entente préalable avec le ?????, « c’est alors ????????? qui ne peut être ce qu’il est qu’à être un ?????? […]. De ce fait ce mode d’ouïr est lui-même un ?????? [31]».
De l’???? à l’homologie : le centre extérieur au langage
23????????? est le plus haut point du ?????? mortel comme point de renversement entre dire et entendre. Il laisse se présenter une chose comme étant elle-même et est « d’une certaine façon la même chose que le Logos » ; il se présente comme médiateur, milieu entre ?????? et Logos. ???? est aussi bien la possibilité d’un dialogue avec la tradition ; nous disons le même depuis Héraclite, nous retrouvons le chemin du même. Mais le même de l’entente n’est jamais qu’une guise déjà orientée de l’être.
24Cela signifie que cette Erörterung, l’ouverture du site de la parole, a autant à faire avec une Entfaltung (dépliage, déploiement) qu’avec une Erklärung (explication, éclaircissement) du lieu propre de l’être, et dévoile la préoccupation topologique à même le texte de Heidegger [32]. En traduisant par « ce n’est pas vers moi que vous devez tendre l’oreille mais ce qui est d’ouïr pour le mortel doit s’orienter sur quelque chose d’Autre [33] », Lacan montre à quel point, depuis 1953, la topologie infuse la pensée psychanalytique du langage [34].
Le langage ne se présente pas comme une étoffe ou une surface simple (même si, à l’époque, c’est encore à partir d’une représentation du langage comme polygone fondamental que Lacan essaie d’en montrer le pli : représentation abandonnée par la suite). Le langage est recollé en un point central qui est la question du même de la répétition. L’effort de Lacan est de faire coïncider le point aveugle du sujet comme destinataire et légataire d’une tradition, avec le point dans le langage non figurable sur une simple surface. Cette juxtaposition du manque dans les deux séries dévoile l’être comme pulsation, assimilée à la pulsation de l’inconscient. « Le Logos est la récollection primordiale du choix fait au commencement dans le lais originel. ? ????? est : le lais où se lit ce qui s’élit, et ce n’est que cela [35]. »
?? ????? : question de l’éthique et de l’érotique
25La sagesse est la conformité du savoir au destin. « Il est sage aussi de dire pareillement à ce sens : l’Un est Toutes Choses » : sage pour le sujet de s’effacer pour laisser entendre l’Autre qui parle. La question de l’éthique de la psychanalyse met pour la première fois en relation l’écoute active que Lacan recommande à ses élèves avec le thème de l’éthique heideggerienne comme question du site ouvert, qui maintient, supporte l’ouverture de l’être et prête l’oreille à la différence ontologique. La proximité retrouvée avec la parole d’Héraclite découvre le lieu de la déchirure originelle, et le mortel, érotiquement et librement, s’y dispose [36].
26Le lieu du Logos est « ?? ????? », l’un-Tout, ou encore l’en-Tout. Mais attention ici : le terme français « tout » nous égare vers un imaginaire de plénitude ou de totalité. Rappelons simplement que ??? n’est pas ‘????, et que pour commencer de l’entendre il faut se souvenir davantage du pan de panique ou panthéiste que du holos de holisme ou de cat-holique.
27?? ????? est la maison du Logos [37]. Le Logos vit en lui, cille en lui, et porte le mortel à la vacillation de tout son être : le chemin que prend Heidegger mime la pulsation d’ouverture et de fermeture de l’être ; sitôt ouverte, une distinction ontico-ontologique est replacée dans sa périphérie, refermée, « refoulée » au sens même où Freud parle de la tentative de renouveler le refoulement originaire [38], dans un battement dont on suit la systole et la diastole. Ce qui en sort – il faut y être sensible – est la désobstruction et la positivation du néant, du manque de fondement dans le site de l’« indemne ».
Dans la constellation des termes ouverts, aucun n’est le fondement de l’autre. Tous sont à deux faces, tour à tour, pour montrer notre proximité toujours recouverte à l’être [39]. Le mortel est « mandaté » (geschickt). Il répond à la sollicitation de faire venir à l’événement l’être de ce qui est – de ce qui demandait à être. C’est la tâche de l’????????? mortel de reconnaître le même, non afin de le techniciser (il ne s’agit pas de donner les coordonnées de l’intersubjectivité psychologique) mais afin d’être fidèle à son essence qui est de dévoiler ce qui est. C’est à partir de cette entente que le Dasein mortel se réalise comme être de culture – dans le haut sentiment de la mort qu’il va saisir en le dévoilant dans le réel de l’autre.
Reconnaître la mort, reconnaître la finitude du mortel (reconnaître le même dans l’autre) prennent leur sens dans la dés-occultation du même. L’intérieur du Logos est un intérieur extime – arraché à l’homme, dont il n’est plus que de faire le deuil. Sitôt apparue, l’unité du Logos est l’unité enlevée au mortel. Elle continue de vivre au-dehors de lui en l’absentant de lui-même et l’oriente dans la recherche de l’uniquement Un. Ici s’entend la castration : la perte initiale qui vectorise le désir. Et c’est seulement lorsqu’il répond à l’appel de l’être, c’est-à-dire en reconnaissant la division de l’être pour sa propre castration, que le mortel est à sa propre hauteur.
… Où l’attrait du même est l’appât du maître
28Le mortel est ainsi mandaté (geschickt, destiné) par le Logos qui « répartit en son sein tout mandement […] boucle tout ce qui est présent ou absent à sa place et dans sa voie et assure la garde de tout ce qu’il distribue dans l’omnitude [40] ». Le monde peut désormais « s’axer et s’agencer ». Les contraires ne sont pas unifiés mais demeurent dans une irréconciliation féconde, et le mortel, commente Heidegger, reste dans l’onde de traîne du ???????? – de l’éclair originel.
29En démarquant le panthéisme doctrinal d’Héraclite de la question de l’être, Heidegger peut interpréter le ?? ainsi : « C’est renoncer à lire négativement ce qui est [41]. » Renoncer à lire négativement ce qui est demande de s’écarter de la conception de l’être comme différentielle de la somme de tous les étants. Il s’agit d’un dépassement du transcendantalisme négatif dans la méditation de l’être comme pur ouvert. Le thème du même, loin d’être synthèse ou point de recollement, reconduit à l’ouvert symbolisé par la coupure originelle. Or on voit Lacan mettre tout l’accent sur la coupure – soit l’effet en retour [42]. Heidegger fait porter l’accent sur la désobstruction comme écoute des battements de l’être, Lacan le porte sur le ratage annoncé de la désobstruction, et sur la rechute vers le voilé. Il répond ainsi à une exigence clinique : énoncer clairement que le langage est le seul matériel traitable sur quoi l’analyste opère ; et une exigence théorique : écouter la demande infiniment ouverte et insuturable de l’analysant. De ce point de vue, on voit l’être prendre le rôle d’un « besoin transcendantal » : ce qui accrédite l’idée généralement admise d’une posture féminine à l’endroit de l’être [43] (qui deviendra la mère phallique, dans la position de la toute-puissance de l’Autre non barré).
30L’être est assimilé par la suite au désir maternel. L’être heideggerien, en somme, ne veut rien savoir de la castration. Il ne connaît pas la négation relative à un contenu et demeure pure néantisation de l’intégralité du champ de l’étant. Dans ce contexte, on comprendra mieux le sens de l’assimilation du nom de Zeus au nom du Père. « Dénommer veut dire é-voquer. » Après avoir pensé l’être de l’étant par la négative de l’étant, Heidegger propose un Zeus rassemblé ou réduit à son seul signifiant, à son nom propre sans signification. L’évocation de Zeus est une pure méditation de l’être même dans sa seule présence. Pour être en mesure d’embrasser le vivant dans un seul regard, il s’agit pour le mortel de s’élever au point extime de l’être, ou encore de l’entendre puisque l’??????? est antérieur au ??????. Lorsque le mortel sait entendre sa référence à soi de manière « rétroactive [44] », il peut se remettre « au champ d’ensemble du Logos ».
31L’être n’est plus seulement l’être de l’étant pensé négativement, comme le plus haut de tous les étants. Le vide de signification de l’étant, son absence d’orientation et son abandon à lui-même révèlent l’être de l’étant comme un néant à partir duquel il convient de penser sa présence comme donation ou « mandat ». Le non-étant est un pont vers l’être [45]. Dans le dévoilement de l’être comme une part non étante au sein de l’étant, une part voilée qui nous conduit au point de vue extérieur de l’étant à partir duquel une éclaircie rétrospective est possible devient pensable comme un don gratuit.
« Car par un tel recueil, le ?? en tant que Zeus viendrait à cette sorte d’apparition qui devrait peut-être à jamais demeurer une apparence [46]. » Le nom de Zeus est l’apparence du ??, du Un-Tout. Apparence qui virera au thème lacanien du semblant. ?? ?????, dit Heidegger, ne veut pas s’articuler au ?????? [47]. Il est sage d’évoquer ou de nommer le désir de l’être, puisque l’être veut être appelé à la nomination.
Le ?? n’est plus pensé négativement, tandis que Zeus reste « plus que la somme de tous les étants », exception au sein de l’étant qui lui coûte sa place au lieu de l’être : il n’est que l’être de l’étant, le partage de la présence. Le ??, lorsqu’il est appelé Zeus, est ravalé « « à l’essence d’un être qui soit présent entre autres ». Le nom de l’Un-Tout, de l’??, est une critique de l’ontothéologie centrée sur le nom propre. C’est aussi en quoi Heidegger démarque Héraclite d’un simple panthéisme. Le ???? n’est pas-un. Le nom est solidaire d’un semblant, il dévoile et recouvre le rien originel de l’être.
Méditation sur le Nom de Zeus / le Nom du Père
32Au terme de ce chemin, il n’y aura pas de connaissance possible pour l’homme de la vérité du langage puisqu’il est plutôt parlé par lui, dans une expérience de jouissance comme recevoir et endurer de la parole [48]. La dernière partie du texte fait apparaître la différence ontologique comme le lieu d’une aporie : ou bien le Logos est le « gîte de l’exaltation – du transfert humain sur le Un, ou bien le ?????? mortel n’est qu’une imitation ou identification au Logos. C’est l’occasion d’un véritable tour de force où l’on trouve condensés dans leur vocabulaire technique tous les thèmes des années à venir : « N’arrive-t-il pas si ?? ????? doit être le Logos, qu’un trait isolé de l’être mortel soit sublimé en la caractéristique fondamentale de ce qui, par delà tous les êtres, parce que antérieurement à toute présence mortelle ou immortelle, est la grâce de la présence elle-même ? Le Logos est-il le gîte de l’exaltation et du transfert d’une manière d’être mortelle sur l’Uniquement Un ? Ou le ?????? mortel demeure-t-il n’être que l’imitation conforme du Logos […] [49] ? »
33Alternative qui s’exprime aussi bien ainsi : ou le langage est le support de la vérité, ou bien la vérité conduit et guide le langage. Dans le premier cas, le langage est imitation de la vérité comme rien ; le langage mime le dévoilement du rien, il « colle » au dévoilement du même et tourne autour du vide qui assigne à l’homme son site mortel – pessimisme nihiliste que Heidegger attribue en général à la métaphysique classique. Ou bien le Logos est principe hystérisant de l’exaltation de l’homme – Logos phallicisé – qui va soutenir le Un du transcendantal, le porter au dessus de l’étant ; oublier volontairement la question de l’être et s’organiser contre le néant. Le fil tendu d’un « ou bien – ou bien » présente cette alternative radicale. Elle implique deux attitudes éthiques pour le mortel, et Heidegger n’évoquera ce point que pour finalement lui intimer d’éteindre le feu de la démesure, qui serait de choisir, de se blottir dans l’un ou l’autre extrême.
34*
35* *
36Au cœur du langage qui dit le désir gît un point de récollection- renversement, miroir qui rassemble le sujet et le laisse ignorant de quel destinataire, quel responsable il est de cette vérité du désir. L’ego est retourné, déplacé par le désir comme dévoilement de la vérité. Le point de récollection est principe de « transposition » (Übertragung), que Lacan a traduit par « transfert », et fait barrage à tout imaginaire de la signifiance du désir, interdit l’accès à ce qu’il ne fait que montrer comme simple présence sans fond dans le nom de Zeus. Le sujet n’a pas la jouissance de la vérité inscrite dans son désir, n’a pas la jouissance de son désir comme témoin d’une vérité. Le point de récollection barre radicalement l’accès au savoir de la vérité que porte le désir et dont il a la garde ; le désir a seul la jouissance de la vérité que dévoile le moi lorsqu’il vacille, et dont il est radicalement séparé.
Que signifie de ressourcer la psychanalyse à des origines présocratiques ? Est-ce là l’archaïque d’une histoire du sujet occidental ? Dans ce cas, comment comprendre le lien entre l’élaboration du concept de sujet dans l’histoire de la métaphysique et la « naissance du sujet » de la psychanalyse ? Ni « sujet » ni « Dasein » n’apparaissaient dans l’article de Heidegger. Mais la traduction lacanienne, parce qu’elle assimile pleinement le dévoilement de l’être par le Logos à la vérité du désir au cœur du langage, reconduit l’être à l’être du sujet dans le face-à-face avec « son » désir. Le pouvoir d’incoordination pure de l’être est reconduit à la transcendance négative du désir, l’ouverture à l’être à l’ouverture du sujet ; et le détermine comme « ouvert » avant que la tradition platonicienne ne l’identifie à son désir – ce sera l’affaire du Banquet, dans le séminaire sur… Le transfert.
Notes
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[*]
Cyrille Deloro, psychanalyste, psychologue clinicien à l’Élan retrouvé.
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[1]
Il est paru une première fois en 1951 dans un recueil d’hommages à Hans Jantzen, collègue de Martin Heidegger à l’université de Fribourg. Cf. J. Lacan, dans Psychanalyse, n° 1, revue de la sfp, Paris, puf, 1956, p. 59-79, et A. Préau, dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958.
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[2]
L’article de M. Bousseyroux, « L’un-dire d’Héraclite », Quarto (revue de l’ecf), n° 54, 1998, reste à ma connaissance le seul à ce sujet.
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[3]
J. Lacan, « Logos », op. cit. Pour la suite, la traduction de Préau sera mentionnée par « (P) » et le texte original de Heidegger par « (H) » : « Vielleicht nähern sie [einige Schritte] uns der Stelle, wo wenigstens dieser einer Spruch frag-würdig zu uns spricht. »
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[4]
« Was soll die Logik jedweder Art, wenn wir nie beginnen, auf den ????? zu achten, und seinem anfänglichen Wesen zu folgen ? »
-
[5]
Nous suivons ici la lecture de M. Zarader dans Heidegger et les paroles de l’origine, Paris, Vrin, 1990, sur le rapport de Heidegger à la logique métaphysique : « On pourrait croire que c’est parce que la logique conçoit le ????? comme énoncé et raison qu’elle est métaphysique. En réalité il en va tout autrement : c’est parce que la logique elle-même est une métaphysique qu’elle ne peut outrepasser sa propre essence pour considérer son objet, et qu’elle est donc condamnée à concevoir le ????? conformément à son mode de présentation, c’est-à-dire comme énoncé, raison ou fondement – bref, selon des catégories métaphysiques. […] Heidegger ne critique nullement telle interprétation proposée par la logique (par exemple, celle du ?????) comme s’il ne s’agissait que de lui en substituer une autre. Sa démarche est bien différente : il révèle la logique à elle-même, il la reconduit à ses limites, il montre “d’où elle parle” » (p. 160). Cf. aussi O. Pöggeler, La pensée de Heidegger, un cheminement vers l’être, trad. M. Simon, Paris, Aubier Montaigne, 1967 : « Le questionner plus originaire se tourne polémiquement contre l’idée que la logique traditionnelle puisse épuiser les possibilités de la pensée, mais il ne touche pas au droit objectif limité de la logique […] il accorde par principe que la logique est une manière originale, même si ce n’est qu’une manière, d’interpréter la pensée » (p. 373).
-
[6]
« Mettre en ce lit est donné à lire » (L, p. 62). « Legen est synonyme de lesen » (P, p. 252). « Legen ist lesen » (H, p. 208).
-
[7]
« ?????, ist der Hinhalt, wo etwas hinterlegt und angelegt ist » (H, p. 208). « ?????, c’est l’embûche où quelque chose est relégué sous ce qui est allégué » (L, p. 61). « ????? est l’embuscade où quelque chose est caché et en position d’attaque » (P, p. 251).
-
[8]
J. Lacan, Le séminaire, Livre XXI, …Ou pire, leçon 9 (du 14 juin 1972, p. 141) et « L’étourdit », dans Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 449.
-
[9]
Ibid., p. 60.
-
[10]
J. Lacan : « Cet “en plus” (das Mehr) qui dans la moisson dépasse la rafle qui s’en empare, ne vient pas seulement s’y ajouter » (p. 62).
-
[11]
J. Lacan, p. 62. « Das allerste gegenüber dem Bergen im Wesensbau der Lese ist das Erlesen », traduit par Préau par : « C’est du tout ce qui vient en premier dans le plan essentiel de la cueillette que jeter le dévolu. » Lacan ne traduit pas l’étymologie alémanique du « choix préalable » de Vorlesen.
-
[12]
J. Lacan, « Conférence de Bruxelles » (1960), p. 13.
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[13]
« Le rassemblement pour la moisson est du ressort d’une récollection primordiale (L, p. 63). « Dans la récolte recueillie s’affirme un rassemblement originel » (P, p. 253). « Im gesammelten sammeln waltet ursprüngliche Versammlung » (H, p. 210). Après avoir traduit « lesen » par « colliger » (L, p. 61 ; H, p. 208), Lacan tire sammeln vers « récollection ».
-
[14]
La reposée est legen, collection qui définit ce qui se dit, mais ce qui se lit est le lit, c’est-à-dire le support structural « lesen ». « Ce qui s’y lit [dans la collection (L), la récolte (P), das lesen (H)] est déjà lit de la reposée, et tout lit de la reposée est de soi-même ce qui se lit dans ce qu’on collige » (L, p. 63). Préau traduit par : « Cueillir est étendre, étendre est cueillir » (P, p. 254).
-
[15]
« Seulement le ??????, mettre à reposer, signifie, en ce qu’il laisse au-devant se présenter ce qui est ensemble, précisément ceci que ce qui se présente nous concerne et par conséquent nous regarde » (L, p. 63). « Seulement le legein, en tant que “laisser-étendu-ensemble-devant”, veut dire précisément que nous avons à cœur ce qui est étendu devant nous, et qu’il nous concerne » (P, p. 254). « Allein das ??????, meint in seinem “beisammen-vor-liegen-lassen” gerade dies, dass uns das Vorliegende anliegt und deshalb angeht » (H, p. 211). Le terme de angeht est très fort ici, puisque le verbe traduit aujourd’hui le « y aller de » dans la première expression du Dasein pour lequel « il y va de son être même ».
-
[16]
J. Lacan, « Télévision », dans Autres écrits, op. cit., p. 545.
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[17]
Lacan traduit Hut par « refuge », et Préau par « garde ». Si l’on regarde la Lettre sur l’humanisme dans la traduction de Munier (Aubier, 1964, 1983), « garde » est plutôt utilisé pour Wahre.
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[18]
G. W. Hegel, Phénoménologie de l’esprit, t. I, Paris, Aubier, coll. « Bibliothèque philosophique », 1992, p. 140-141 : « Il est clair alors que derrière le rideau qui doit recouvrir l’intérieur des choses, il n’y a rien à voir, à moins que nous ne pénétrions nous-mêmes derrière lui, tant pour qu’il y ait quelqu’un pour voir, que pour qu’il y ait quelque chose à voir. »
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[19]
Cf. J. Lacan, « L’étourdit », op. cit., p. 451-452, et Scilicet, n°4, p. 7-8. Cf. encore : « La non-occultation est le trait fondamental de ce qui est apparu et a laissé derrière soi l’occultation. C’est ici le sens d’? – que seule une grammaire inspirée par la pensée tardive des Grecs caractérise comme a-privativum. Le rapport à la ????, à l’occultation, et celle-ci même, ne perdant rien de leur poids pour notre pensée du fait que le non-caché n’est immédiatement appréhendé que comme chose apparue, comme chose présente » (M. Heidegger, « ??????? », dans Essais et conférences, op. cit., p. 314).
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[20]
« Dem ?????? liegt bei seinem gesammelt-vor-liegen-Lassen an dieser Geborgenheit des Vorliegenden im Unverborgenen. Das ???????, für-sich-Vorliegen des so Hinterlegten, des ???????????, ist nicht Geringeres und nichts Höheres als das Anwesen des Vorliegenden in die Unverborgenheit. In dieses ?????? des ???????????, bleibt das ?????? als lesen, sammeln eingelegt. » Contrairement à Préau, Lacan conserve l’emphase finale de la phrase sur le « eingelegt ».
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[21]
Je ne développe pas ce point. Mais il me paraît tellement central qu’il fera l’objet d’un prochain article.
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[22]
Ungeheures, que Préau traduit par « inquiétant ». Lacan ne traduit pas par « inquiétant » à cause de l’usage freudien de ce mot pour « unheimlich ». Mais aussi « monstrueux » ou « merveilleux » ; car c’est bien le ?????? humain que Heidegger a en vue.
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[23]
« Que ce soit dans le ??????, que dire et proférer (sagen und reden) agencent leur essence, contient l’indication qui nous renvoie au moment de décision le plus précoce et le plus riche en conséquences quant à l’essence du langage (Sprache). »
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[24]
S. Freud, « Remarques sur un cas de névrose de contrainte », dans œcfp, t. IX, p. 203.
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[25]
M. Heidegger, « Das eine wesenhafte Schickung des Seins an den Menschen verbirgt und diese vielleicht für jenen geschicklichen Augenblick aufspart, da die Erschütterung des Menschen nicht nur bis seiner Lage und zu seinem Stand reicht, sondern das Wesen des Menschen ins Wanken bringt. »
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[26]
J. Lacan, p. 65. « [dire, c’est ??????] donne un nom à un secret impensable : le parler du langage se produit à partir de la non-occultation [suite de la note page suivante]
des choses présentes » (P, p. 257). « Er nennt das unausdenkliche Geheimnis, dass sich des Sprachen der Sprache aus der Unverborgenheit des Anwesenden ereignet » (H, p. 213). -
[27]
Cf. M. Heidegger, Être et temps, Paris, nrf, trad. Vézin, § 7B : « Quand il s’accomplit concrètement (in konkreten Vollzug), le parler (faire voir) a le caractère de l’oral, de l’élocution vocale en mots. Le logos est ???? et précisément ???? ???? ????????? – élocution vocale dans laquelle quelque chose est chaque fois placé sous les yeux » (p. 59-60).
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[28]
M. Heidegger, ibid., § 7C, p. 64.
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[29]
Übertragung, que Préau traduit plus prudemment par « une transposition de cette audition sur le plan spirituel » (P, p. 258).
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[30]
M. Heidegger joue sur hören, gehören et gehorchen (obéir, que les traductions ne rendent pas). « Nous avons entendu quand nous faisons partie de ce qui est dit » (P, p. 259-260), « Wir haben gehört, wenn wir dem Zugesprochenen gehören » (H, p. 215). Le passé-présent allemand est rendu par les deux traductions.
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[31]
J. Lacan, p. 68.
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[32]
O. Pöggeler, La pensée de Heidegger…, op. cit. : « La topologie est le dire du lieu où la vérité se rassemble comme dévoilement qui advient. La topologie de l’être se distingue par le fait que c’est elle seulement qui introduit la pensée dans son essence explicitante, topologique : cette topologie conduit la pensée au lieu du dévoilement » (p. 400).
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[33]
J. Lacan, p. 69. Le choix d’amener ici le concept d’Autre est tout à fait arbitraire. Préau traduit par : « L’entendre mortel doit se tourner vers autre chose » ; « Das sterbliche Hören muss auf Anderes zugehen » (H, p. 216).
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[34]
Cf. J. Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966 : « Dire que ce sens mortel révèle dans la parole un centre extérieur au langage, est plus qu’une métaphore et manifeste une structure. » Le tore fait sa première apparition « pour autant que son extériorité périphérique et son extériorité centrale ne constituent qu’une seule région » (p. 320).
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[35]
J. Lacan, p. 68. « Der Logos ist die ursprüngliche Versammlung der anfänglichen Lese aus der anfängliche Lege. ? ????? ist : die lesende Lege und nur dieses » (H, p. 215-216).
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[36]
Disposé « signifie à la lettre exposé, éclairé et ainsi transposé dans l’appartenance à ce qui est », dit Heidegger dans Questions II, Paris, Gallimard, 1977, p. 35. Nous suivons ici la thèse de E. Martineau, « Dépassement philocallique ? », dans La provenance des espèces, Cinq méditations sur la libération de la liberté, Paris, puf, 1982, p. 66-67 : « Plus l’origine se retire, plus la disposition se concrétise, se rassemble, devenant ainsi ouverte pour cela même qui se retire », et nous jette au cœur du problème « érotique actuel » : « Le “besoin” de la disposition existentielle qui émeut l’origine (l’être) en scelle la “structure” et cet “appel” (Geheiss) de l’origine qui commotionne, sans la mobiliser, la disposition et en signe la liberté. » L’érotique de la vérité est la pose recueillante qui se dispose à ce à quoi elle est d’ores et déjà disposée. Le lien originaire de l’être et de la disposition se lit dans une doctrine de la liberté, et la coappartenance de l’être et de la liberté est pensée grâce au concept d’une érotique de la différence ontologique.
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[37]
Lacan reprendra plus tard ce thème heideggerien de la dit-mension. Cf. Psychanalyse, n° 1, op. cit., p. 77 : « Le ?? ????? contient bien sans doute le cillement d’ouverture sur la manière dont le Logos est essentiellement dans son ??????. »
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[38]
S. Freud, « Le refoulement », dans œcfp, t. XIII, p. 193-195.
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[39]
L’être est le plus proche, mais c’est la proximité qui reste pour le plus éloigné pour l’homme : « Das Sein ist das Nächste. Doch die Nähe bleibt dem Menschen am weite-sten » (M. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, op. cit., p. 64-65).
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[40]
J. Lacan, p. 74.
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[41]
M. Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard, 1962, p. 363-364.
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[42]
M. Heidegger, Lettre sur l’humanisme, op. cit. : « La pensée redescendra dans la pauvreté de son essence provisoire. Elle rassemblera le langage en vue du dire simple. »
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[43]
Cf. L. Irigaray, « ???? : Jeune vierge – pupille de l’œil », dans Speculum de l’autre femme, Paris, Éditions de Minuit, 1974 : « L’être est-il encore monopole de la lumière, dangereuse dans sa fulgurance pour le regard toujours sensible des mortels, ou déjà principe de la capitalisation de semblants ? […] “Origine” qui/que recouvre, et masque, et entretient dans son inapparition finale comme telle, dans son dérobement ultime à la perception intelligible que pourtant elle fonde, le mystère – l’hystère ? de l’être ? » (p. 187).
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[44]
J. Lacan, p. 75.
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[45]
Cf. encore L. Irigaray, L’oubli de l’air chez Martin Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 27, qui développait une belle et profonde analyse de ces « ponts ». Forme un « pont » tout ce qui relie l’un à l’autre, l’un à l’une, tout ce qui est en attente d’un lien au sein d’une totalité. À une telle attente de lien, la philosophie a donné le nom d’être. L’être est une attente, une commémoration de ce qui a été attendu, le poste de garde qui permet d’attendre encore ce qui n’arrivera jamais. « L’être » signifie surtout le repos du penseur, ce qui le laisse tranquille en lui assignant sa tâche de gardien ou de guetteur. L’être, dit-elle, le pont entre toutes choses, emporte et oublie dans sa construction « l’autre vers qui il se voulait le passage ». Le pont devient ainsi un oubli de la libre étendue, un barrage contre l’air. « Le tout autre, la toute-autre, n’y est plus. L’être en tient lieu. » L’autre est toujours évacué par l’être, l’être est toujours le représentant de l’autre, à sa place, en son absence.
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[46]
J. Lacan, p. 76.
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[47]
Ibid. « Dans la première ligne, ce qui est le ??, le Logos, la grâce de tout mandat, n’est pas prêt par son essence la plus propre, ne consent pas, à se manifester sous le nom de “Zeus”. »
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[48]
Lacan donnera cette formule célèbre dans le « Discours de Rome » : « Voici donc l’homme compris dans ce discours qui dès avant sa venue au monde détermine son rôle dans le drame qui donnera son sens à sa parole » (dans Autres écrits, op. cit., p. 153).
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[49]
Préau traduit : « Si ?? ????? doit être le Logos, n’est-ce pas alors un trait particulier de l’être mortel qui est élevé au rang de trait fondamental de ce qui, bien au-dessus de tout être mortel et immortel parce que antérieur à lui, est la dispensation de la présence elle-même ? Ce qui se trouve au fond du Logos, est-ce le surhaussement d’une façon d’être mortelle et son transfert sur l’un – unique ? »