1Dans l’introduction de son ouvrage Cultural Psychology, Michael Cole (1996) s’interroge sur l’apparente contradiction suivante. Bien qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de nier le caractère culturel de l’humanité, “ pourquoi les psychologues trouvent-ils si difficile d’intégrer la culture à l’étude de l’esprit ? ” (p. 1). L’auteur estime que la psychologie confère souvent à la culture un rôle marginal, pour ne pas dire folklorique. Le projet de ce numéro thématique n’est pas de répondre à la question posée par Michael Cole, mais de contribuer à montrer qu’il est possible de réaliser une telle intégration. Les auteurs qui y participent sont conscients du problème et œuvrent, chacun à sa manière, à en promouvoir une solution.
L’INTERCULTUREL
2Le premier aspect qui rend la recherche interculturelle suspecte aux yeux de certains, relève probablement des idéologies qui la fondent. Toute recherche est en effet déterminée par une idéologie, souvent implicite (Devereux, 1980). Dans le cas présent, les idéologies en jeu apparaissent très « sensibles », car elles voisinent avec le racisme. Il convient donc de les expliciter pour y faire face, à moins de les ignorer.
3En français, le terme interculturel a deux significations contraires. D’une part, il réfère à une comparaison de cultures différentes, d’autre part, il évoque un entre-deux issu de cultures différentes. Dans le premier cas, l’idée sous-jacente est celle d’une différence de cultures ; dans le second, celle d’une rencontre. Ces deux idées peuvent apparaître contraires et opposent fréquemment les chercheurs. Ainsi, la survalorisation de la rencontre interculturelle, par les uns, peut être fondée sur un rejet de la comparaison suspectée de séparer, voire de hiérarchiser les cultures. De même, la survalorisation des différences culturelles, par les autres, peut être fondée sur un rejet du contact suspecté de détruire l’originalité des cultures particulières. On ne peut dépasser cette impasse dualiste – la différence ou bien la rencontre – qu’en considérant que toute recherche interculturelle est à la fois une rencontre et une comparaison. L’exemple qui illustre le mieux cette situation est celle d’un chercheur observant un enfant issu d’une culture différente de la sienne.
4Un deuxième axe idéologique contraste l’universel et le culturel. Ici aussi, ces deux idées peuvent apparaître contraires et opposer les chercheurs. L’universaliste affirme, de façon tout à fait humaniste, que tous les hommes sont les mêmes ou égaux. De son point de vue, affirmer qu’il y a des différences ou des inégalités, c’est être potentiellement raciste par séparation, exclusion, ghetto ïsation, etc. Le relativiste affirme quant à lui, d’une façon tout aussi humaniste que le précédent, que tous les hommes sont différents. De son point de vue, affirmer qu’il n’y a pas de différences, c’est aussi être raciste, mais par assimilation, homogénéisation, impérialisme, etc. On ne peut à nouveau dépasser cette deuxième impasse que par l’intégration de l’universel et du culturel.
5La combinaison des deux axes précédents rend compte de la complexité idéologique de la recherche interculturelle. Appliquées au domaine du développement cognitif, les quatre composantes qui en résultent (les quatre cases du tableau 1) permettent d’affirmer que :
- le développement cognitif d’un enfant se produit dans un contexte particulier qui en contraint les étapes et la forme (case 1) et une valorisation des rencontres interculturelles est nécessaire pour l’ouverture de la cognition de l’enfant sur le Monde (case 4) ;
- il existe des différences culturelles du développement cognitif, associées à une diversité de pratiques éducatives (case 3) et une hiérarchisation de ces différences permet de valoriser certaines conditions de développement par rapport à d’autres (case 2).
LE DÉVELOPPEMENT
6Les théories actuelles du développement cognitif prennent-elles en compte une telle dynamique ? La réponse à cette question n’apparaît pas très évidente. Durant la première moitié du XXe siècle, les théories des principaux fondateurs (Sigmund Freud, Jean Piaget, Lev Vygotsky, Henri Wallon) se sont présentées, souvent de façon implicite, comme « la » théorie qui convient. Même si chacun des grands auteurs relativisait sa propre conception et connaissait le point de vue divergent des autres, son souci restait l’élaboration d’une œuvre de portée universelle.
7En ce début de XXIe siècle, il n’est plus possible de penser de cette manière. Le dogme de l’unité de la connaissance s’est effondré. La réalité scientifique réside désormais dans la coexistence de théories différentes, parfois contradictoires, voire incompatibles. Ainsi, depuis un peu plus d’un siècle, la psychologie du développement s’est considérablement diversifiée. Par exemple, pour ce qui est des principales fonctions et domaines étudiés, on peut relever la perception (visuelle, olfactive, tactile, etc.), la sensori-motricité, le langage (oral et écrit), la communication, les connaissances dont le nombre, l’espace, le temps, etc., l’apprentissage, l’imitation, le raisonnement, la mémoire, l’attention, les théories de l’esprit, les émotions, les relations sociales, etc.
8Les différentes recherches présentées dans ce numéro thématique en sont une illustration. Un aspect qui leur est cependant commun est l’étude de l’effet du langage – média culturel privilégié – sur le développement cognitif. Pierre Dasen, Ramesh Mishra, Shanta Niraula et Juerg Wassmann montrent toutefois que la langue n’est pas le seul facteur d’influence de la cognition non linguistique. Le type de tâche proposée, l’acculturation scolaire, les croyances religieuses, le contexte économique (rural vs urbain) ont aussi un effet sur le développement des formes de représentation de l’espace. Certaines d’entre elles pourraient d’ailleurs être « inédites » du point de vue de la psychologie occidentale. Frédérique Aye et Henri Lehalle analysent ensuite les différences culturelles relatives aux propositions faites par des enfants français et réunionnais de « contextes » illustrant des opérations impliquant des nombres entiers relatifs. La recherche présente l’intérêt et l’originalité d’inverser la démarche quasi expérimentale habituelle en demandant aux enfants de produire le contexte illustratif de leurs connaissances plutôt que d’activer certains savoirs dans un contexte prédéfini. Les résultats indiquent que les connaissances mathématiques des enfants relèvent surtout d’un apprentissage en contexte formel et sont difficilement transposables dans d’autres.
9Les recherches suivantes portent sur le développement du langage lui-même. Tout d’abord, la recherche comparative réalisée par Michèle Guidetti met en évidence des différences culturelles de formes et de fonctions de la communication gestuelle et verbale. Les enfants de Côte-d’Ivoire produisent cependant toujours « moins » que leurs homologues français. Cela amène l’auteur à interroger la pertinence de la situation utilisée et la signification qu’il est possible d’attribuer aux comportements observés. Ensuite, Jacqueline Rabain-Jamin rend compte du développement de la narration chez l’enfant wolof par les choix de structures exigés par la langue wolof et l’influence de la scolarisation. Yann Hoareau et Denis Legros analysent enfin l’effet de l’activation de connaissances via la langue maternelle (éwé, mooré, créole réunionnais, tamazight) sur les performances d’enfants lors d’activités réalisées en langue seconde (ici, le français). Les résultats montrent un effet de l’activation de connaissances en langue maternelle qui est fonction du niveau de complexité de la tâche proposée.
10Pour en revenir à la diversification des théories, Karl Popper (2000) considère que seule la discussion critique collective permet une sélection en conscience des théories valides. Toutefois, la profusion de connaissances issues des recherches fait qu’une seule et même personne ne peut pas en maîtriser la totalité. Le savoir de chacun est donc un savoir partiel. Celui de l’enfant en développement, aussi.
11Si coexistent de nos jours des théories différentes du développement, la situation est devenue similaire pour l’enfant en développement lui-même. Il n’est pas impossible qu’il y ait un lien étroit entre les deux. On est passé d’une conception d’un développement unitaire à celle d’un développement pluraliste ou multidirectionnel. De façon caricaturale, ceci revient à dire qu’autrefois il y avait une seule façon de se développer, alors qu’aujourd’hui un enfant peut devenir mille adultes différents. On ne peut donc pas prédire à l’avance l’adulte qu’il sera. Le lexique utilisé dans ce domaine est très riche : diversité, hétérogénéité, multiplicité, plasticité, pluralité, polymorphisme, variabilité, variété, etc. Il y a, évidemment, des contraintes qui pèsent sur ces possibilités de développement. Classiquement, celles-ci sont biologiques (génétiques, accidentelles, etc.) et environnementales (culturelles, socio-économiques, etc.). Mais la probabilité, plus ou moins forte, qu’un événement survienne selon certaines contraintes n’est jamais une certitude. La certitude n’existe que lorsque l’événement est effectivement advenu. Pour certains psychologues, un événement particulier n’est déterminé qu’a posteriori. Cela entraîne que les notions d’étapes ou de phases de développement tendent à se substituer à la « vieille » notion de stades, quelque peu trop fixiste.
12Si le pluralisme des développements individuels est désormais admis, il semble que trois notions étroitement liées, méritent l’attention dans la mesure où leurs définitions ont elles aussi évolué. Ces notions sont celles d’esprit, de culture et de constructivisme.
L’ESPRIT
13La psychologie du développement tente de rendre compte du développement de l’esprit. Il s’avère que la définition de l’esprit est très variable. Par exemple, il est courant (même en psychologie) de croire que l’esprit est une chose « différente » du corps (ou dualisme). Certains évoquent l’existence des esprits de leurs ancêtres, ou mânes. D’autres ne croient pas en ces esprits-là, mais en l’existence d’une âme d’origine divine. D’autres encore ne croient ni aux uns ni à l’autre, mais en l’existence d’un inconscient d’origine naturelle. Quelques-uns croient aux trois ! John Searle (1999) estime qu’au XXe siècle, le dualisme est devenu un obstacle. Selon l’auteur, il convient d’admettre que la conscience est un phénomène biologique naturel (ou monisme), même si ce phénomène présente une tendance à croire en des entités surnaturelles (Boyer, 2001).
14Le problème devient donc celui de comprendre comment les processus neurobiologiques du cerveau causent la conscience. Toujours selon John Searle, une solution consiste à réduire l’activité mentale à l’activité cérébrale : le cerveau est l’esprit. L’essor des méthodes d’imagerie cérébrale tend parfois à renforcer ce point de vue. En fait, l’auteur défend l’idée que les processus cérébraux, observables, causent des états de conscience qui eux ne sont pas observables : le cerveau produit l’esprit. Ces états subjectifs et qualitatifs apparaissent d’ailleurs privés pour celui qui en est le possesseur. Ils sont définis comme une propriété émergente de l’activité cérébrale. Définie ainsi, la conscience est une caractéristique du cerveau au moment présent.
15Le problème posé à la psychologie du développement est alors de rendre compte de cette émergence. À ce sujet, les théories actuelles ne sont pas toujours claires. Qu’y a-t-il « dans » la tête des enfants à une étape donnée de leur développement ? Comment caractériser leurs structures cognitives internes ? Selon les courants actuels – monistes, non plus dualistes – l’ontologie de l’esprit varie et les méthodes préconisées pour l’étudier aussi (Besnier, 1996).
- Pour le cognitivisme, penser c’est « computer » ou « calculer » sur des symboles.
- Pour le connectionnisme, penser c’est « connecter » ou « stabiliser » des relations entre neurones formels.
- Pour le darwinisme neural-mental, penser c’est « sélectionner » et « conserver/éliminer » des pré-représentations.
- Pour le constructivisme actuel, qualifié parfois de constructivisme phénoménologique, penser c’est « faire émerger » des états mentaux ou « énacter ».
16Autrefois, Jean Piaget utilisait les notions d’action et d’opération ; l’esprit était alors une « structuration logique ». Lev Vygotski parlait quant à lui d’activités culturelles et de significations ; l’esprit était un « sens partagé ». Francisco Varela (1989), plus récemment, critique la notion de représentation et propose celle d’énaction. L’énaction correspond à une « émergence en contextes ». Cette pluralité ontologique rend tout choix pertinent, loin d’être simple. Pourtant, il faut bien en faire un. Il en résulte que, de nos jours, il n’y a pas « un », mais « des » développements cognitifs.
17On ajoute que, comme le souligne Merlin Donald (1999), la caractéristique de l’esprit de l’homme moderne réside aussi dans l’utilisation de mémoires externes (objets, technologies, livres, photos, disques, vidéos, fichiers informatiques, médias, etc.) qui dépassent les capacités de la mémoire biologique. L’utilisation infinie de ces mémoires externes aurait comme conséquence d’accroître l’individualité de l’homme contemporain. L’esprit humain ne serait donc pas seulement « dans » la tête des gens, mais conjointement « dans » ces mémoires externes. Jérôme Bruner, ci-après, montre que la culture donne forme à l’esprit grâce à un « outil » universel qu’est la narration d’histoires. Les récits permettent certes de connaître ce qui est attendu par une culture, mais ils sont surtout le moyen de gérer l’inattendu et d’en trouver une issue. De cette façon, la définition de la culture est d’être le produit d’un processus de communication entre individus via les récits. Ainsi, « savoir consiste alors non plus à se souvenir, mais à objectiver la mémoire, à la déposer dans des objets, à la faire glisser du corps dans des artefacts, laissant la tête libre pour mille découvertes » (Serres, 2001, p. 233). Par conséquent, toute explication de la capacité à penser qui ignore la symbiose entre la mémoire biologique et la mémoire externe ne peut être considérée comme satisfaisante. Sans mémoires externes, point d’esprit moderne !
LA CULTURE
18C’est sûrement ici que s’établit la relation entre le développement cognitif et la culture, car l’évocation de mémoires externes permet de reconnaître, comme l’évoque Edgard Morin (2001), que le développement humain consiste en la formation d’une « boucle entre cerveau-esprit-culture, où chacun de ces termes est nécessaire à chacun des autres. L’esprit est une émergence du cerveau que suscite la culture, laquelle n’existerait pas sans cerveau » (p. 32).
19Mais qu’est-ce donc qu’une culture ? Denys Cuche (2002) en analyse une définition classique en termes de « moyen commode de désigner le patrimoine et l’héritage d’objets, de modes de pensée et de comportements qui donnent son identité à un groupe humain, et à ses membres » (p. 204). Selon l’auteur, cette définition est une conséquence des recherches ethnologiques qui ont conduit à croire que toute culture constitue un ensemble de traits identifiables, ou système, aux frontières nettes. À la naissance, chacun « tomberait » dans un bain culturel qui l’imprégnerait ou bien recevrait sa culture sur la tête, puis en serait le « porteur »...
20De nos jours, la définition précédente ne tient plus. Une culture n’est pas une réalité concrète. Ce sont, en fait, des individus donnés qui, partageant certaines relations sociales (re)créent en permanence les savoirs, les règles et les normes qui organisent leur vie quotidienne. Aussi, « la culture, au lieu d’être la cause de l’identité collective, devient sa conséquence et son produit, elle n’est pas un système clos ni une tradition à conserver, mais une construction sociale en constant renouvellement » (Cuche, 2002, p. 204). Autrement dit, un enfant qui raconte des histoires ou répond à des questions posées par un psychologue, participe de l’expression d’une culture. De ce point de vue, la psychologie du développement est elle-même une culture.
21Tania Zittoun, Nathalie Muller Mirza et Anne-Nelly Perret-Clermont proposent, dans la suite, un panorama des façons dont la culture, ainsi définie, est « entrée » en psychologie du développement. Au sujet du modèle de Jean Piaget, les recherches ont mis en évidence l’importance de la signification des tâches proposées ainsi que les effets des interactions sociales. Les travaux issus de ceux de Lev Vygotski portent de nos jours sur quatre types principaux de médiation culturelle : 1 / les récits et les œuvres ; 2 / les activités ou routines culturelles ; 3 / les processus sémiotiques ; 4 / les dialogues et la
22conversation.
23Des « œuvres » humaines, selon l’expression d’Ignace Meyerson – ou mémoires externes – existent évidemment préalablement aux individus et leur sont transmises. Mais les morceaux de bois et de métal, les tas de papier et les bouts de plastique pleins de tâches d’encre transmis aux nouvelles générations ne deviennent des objets culturels (outils, statues, livres, vidéos, logiciels, etc.) que lorsqu’ils sont interprétés comme tels par des individus conscients. D’ailleurs, ils ne les interprètent pas toujours de la même façon que leurs « aînés » et c’est ce que l’on appelle, le changement culturel.
24Sur ce point, les travaux de Ashley Maynard et Patricia Greenfield sont remarquables. On sait que la recherche en psychologie du développement vise une productivité immédiate et néglige ainsi l’analyse longitudinale. Ici, l’étude de l’utilisation d’un métier à tisser – artefact culturel – par de jeunes filles mayas du Chiapas, issues de deux générations successives, permet aux auteurs de montrer l’acquisition de compétences cognitives spécifiques et leur transformation au cours du temps individuel et historique.
LE CONSTRUCTIVISME
25Selon Jérôme Bruner (2000), « ainsi conçu, le concept de culture mène inévitablement à l’idée de constructivisme » (p. 7). Bien que la plupart des auteurs contemporains affirment que l’enfant en développement est un constructeur de sa connaissance du Monde, le constructivisme apparaît très négligé. Ernst von Glaserfeld (1997), par exemple, estime que le constructivisme est devenu à la mode dans les milieux éducatifs aux États-Unis, au début des années 1980. Aujourd’hui, de nombreux auteurs se qualifient de constructivistes, mais peu d’entre eux ont pleinement compris l’aspect révolutionnaire de la théorie de Piaget. En quoi consiste donc cette révolution mal comprise, voire oubliée ? À force de critiques, on a peut-être jeté aux oubliettes les défauts et avec eux, les qualités de la conception du développement de Jean Piaget.
26Selon Jean-Louis Le Moigne (1994, 1995), pour les constructivistes, la connaissance et la cognition ne sont pas la découverte d’une réalité qui existerait déjà, « là-bas », dans le Monde. La connaissance (dont celle des psychologues) est, au contraire, la construction par un sujet d’une représentation de son expérience de la réalité. Cette connaissance, dont la science elle-même, est considérée comme l’un des moyens les plus puissants d’adaptation de notre espèce. Mais, dit autrement, les concepts et les théories sont des créations ou des inventions humaines, c’est-à-dire une culture. Grâce à la discussion critique permanente, ces élaborations subjectives et partagées sont destinées à une compréhension objective du réel. La connaissance du réel apparaît ainsi dépendante des structures cognitives élaborées progressivement pour le connaître. Jean Piaget (1937) exprimait cette idée de la façon suivante : l’intelligence « organise le monde en s’organisant elle-même » (p. 311). Il conviendrait d’ajouter : « ... et en interprétant des mémoires externes. »
27Les théories du développement apparaissent alors être une modélisation des observations réalisées par les psychologues. Leur finalité est certes d’imiter la réalité des enfants, mais les constructivistes estiment que l’on n’atteint jamais cette réalité telle qu’elle est « vraiment ». Toute théorie n’est qu’une représentation (ou un modèle) qui convient plus ou moins bien. Adoptées petit à petit par les membres d’un groupe, les théories « deviennent des représentations culturelles acceptées, et elles donnent une réalité sociale aux processus qu’elles entendent expliquer » (Bruner, 2000, p. 161). Jérôme Bruner analysait en ces termes les contributions concurrentes des « fondateurs » (Sigmund Freud, Jean Piaget, Lev Vygotsyky). Chacun d’eux a participé à la création d’une culture du développement, beaucoup plus qu’à la compréhension du développement psychologique en tant que tel. Cela signifie que les adultes (dont les psychologues) s’attendent, de nos jours, à ce que certaines choses se produisent dans telle ou telle situation. Les enfants, quant à eux, se conforment plus ou moins à ce que l’on attend d’eux. Ils imitent donc les théories...
28L’une des images de l’enfant-en-développement qui a certainement le plus évolué au cours des quarante dernières années, est celle du nourrisson. D’un être réagissant de façon purement réflexe, le bébé est devenu un être compétent. Une autre image est celle de l’enfant aux multiples devenirs possibles qui a supplanté celle d’un unique chemin. Toutefois, les définitions récentes des notions d’esprit, de culture et de constructivisme, devraient amener les psychologues du développement, comme Jérôme Bruner (2000) l’espère, à « reconnaître que la capacité à recréer la réalité, à réinventer la culture, est ce par quoi une théorie du développement doit commencer lorsqu’elle discute de l’esprit » (p. 177).
RÉFÉRENCES
- Besnier, J.-M. (1996). Les théories de la connaissance. Paris : Flammarion.
- Boyer, P. (2001). Et l’homme créa les dieux. Comment expliquer la religion. Paris : Robert Laffont.
- Bruner, J. (2000). Culture et modes de pensée. L’esprit humain dans ses œuvres (1re éd. anglaise, 1986). Paris : Retz.
- Cole, M. (1996). Cultural psychology : A once and future discipline. Cambridge : Harvard University Press.
- Cuche, D. (2002). Nouveaux regards sur la culture : l’évolution d’une notion en anthropologie. In N. Journet (Éd.), La culture. De l’universel au particulier (pp. 203-212). Paris : Sciences humaines.
- Devereux, G. (1980). De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement (1re éd. anglaise, 1967). Paris : Aubier.
- Donald, M. (1999). Les origines de l’esprit moderne. Trois étapes dans l’évolution de la culture et de la cognition (1re éd. anglaise, 1991). Paris : De Boeck Université.
- Le Moigne, J.-L. (1994). Le constructivisme. Tome 1 : Des fondements. Paris : ESF.
- Le Moigne, J.-L. (1995). Le constructivisme. Tome 2 : Des épistémologies. Paris : ESF.
- Morin, E. (2001). La méthode. 5 : L’humanité de l’humanité. L’identité humaine. Paris : Le Seuil.
- Piaget, J. (1937). La construction du réel chez l’enfant (6e éd., 1977). Neuchâtel : Delachaux & Niestlé.
- Popper, K. (2000). À la recherche d’un monde meilleur. Essais et conférences (1re éd. allemande, 1984). Monaco : Le Rocher.
- Searle, J. (1999). Le mystère de la conscience (1re éd. anglaise, 1997). Paris : Odile Jacob.
- Serres, M. (2001). Hominescence. Paris : Le Pommier.
- Varela, F. (1989). Connaître. Les sciences cognitives. Tendances et perspectives (1re éd. anglaise, 1988). Paris : Le Seuil.
- Von Glaserfeld, E. (1997). Homage to Jean Piaget. Irish Journal of Psychology, 18 (2), 293-306.
Mots-clés éditeurs : Culture, Constructivisme, Esprit, Développement cognitif