Enfance 2006/1 Vol. 58

Couverture de ENF_581

Article de revue

Évaluer la douleur des enfants atteints de déficience intellectuelle

Pages 72 à 84

INTRODUCTION

1Les enfants atteints de déficience intellectuelle sont rarement inclus dans la population des études sur la douleur, l’expression de la douleur par le sujet lui-même est souvent prise en compte et elle n’est pas toujours possible chez ces enfants. On considère aussi que leur expérience et leur réponse à la douleur sont différentes de celles des enfants non déficients. Ils sont également exclus des études sur les douleurs spécifiques car les problèmes médicaux associés à la déficience compliquent l’évaluation et/ou le traitement de la douleur. Ils forment de plus une population hétérogène, depuis ceux qui sont porteurs de déficience légère sans atteinte physique, jusqu’à ceux qui sont porteurs de polyhandicap et qui n’ont pas accès à la communication. Les déficiences sensorielles ou les traits psychotiques parfois associés à la déficience intellectuelle ont conduit à penser que la réaction à la douleur est erratique et ne peut être utilisée pour l’évaluation. Cela implique également que les outils d’évaluation développés pour les enfants non déficients ne sont pas valides pour les enfants déficients.

2L’exclusion des enfants atteints de déficience intellectuelle de la plupart des recherches sur les douleurs pédiatriques a de sérieuses implications. Ils sont susceptibles de souffrir de douleurs dues à leurs atteintes physiques ou aux problèmes médicaux qui leur sont associés (Nordin & Gillberg, 1996 ; Ehde et al., 2003 ; Konstantareas & Homatidis, 1987), dues aux traitements de ces problèmes (Hadden & von Baeyer, 2002), ou dues à une réduction du repérage et de la prise en charge des problèmes de santé classiques (Allison & Lawrence, 2004 ; Hennequin, Faulks, & Roux, 2000). Il y a pour cette population un risque plus élevé d’accidents traumatiques (Leland, Garrard, & Smith, 1994), spécialement chez ceux qui sont valides (Breau et al., 2004 a). Ces traumatismes sont aussi plus sévères et demandent un traitement plus long que ceux des enfants non déficients (Braden, Swanson, & Di Scala, 2003).

3Les enfants déficients intellectuels souffrent de périodes douloureuses parfois longues faute de détection de la douleur, et cela peut avoir des conséquences fatales (Jancar & Speller, 1994). La complexité de leurs problèmes médicaux multiples peut aussi rendre difficile une prise en charge adéquate de la douleur, même lorsque celle-ci est repérée. Au final, il y a de nombreux signes du fait que la douleur chez les enfants déficients intellectuels est un problème plus sérieux encore que chez les enfants non déficients, et cela concerne une population toujours plus importante puisque les progrès de la médecine ont permis d’améliorer la survie autant que l’espérance de vie de ces personnes (Lorenz et al., 1998).

4Malgré le problème majeur que pose la douleur dans cette population, et malgré l’émergence de moyens pour l’évaluer, la controverse est toujours vive quant au fait que leur expérience douloureuse diffère de celle d’un enfant non déficient. Certains suggèrent que les personnes porteuses de déficience intellectuelle sont insensibles à la douleur ou qu’elles n’interprètent pas ce qu’elles ressentent comme négatif (indifférence à la douleur) (Biersdorff, 1991 ; Biersdorff, 1994 ; Lu, 1981).

5Cependant, des études récentes utilisant des mesures validées suggèrent que les enfants déficients intellectuels manifestent des réactions spécifiques en réponse à la douleur (Nader et al., 2004). De plus, si les adultes déficients intellectuels ont plus de difficultés à localiser la douleur (Hennequin, Morin, & Feine, 2000) ou répondent plus lentement (Defrin et al., 2004), leur sensibilité (Defrin, ibid.) et leurs réactions à la douleur peuvent être plus importantes (Porter et al., 1996).

6Malgré les difficultés pour repérer et prendre en charge la douleur et les questions à propos des expériences douloureuses des personnes atteintes de déficience intellectuelle, la littérature s’est développée et a étendu le champ de connaissances afin d’améliorer l’évaluation de la douleur de ces enfants vulnérables.

DES RÉPONSES OBSERVABLES FACE À LA DOULEUR

7Reynell (1965) publie le premier article qui évoque une réponse à la douleur d’enfant déficient intellectuel dans une étude qui concerne des enfants atteints d’infirmité motrice cérébrale après une chirurgie. C’est la première fois que l’on met en évidence une réponse à la douleur qui peut être observée et quantifiée chez des enfants atteints de polyhandicap. Ces vingt dernières années, d’autres articles ont rapporté des résultats similaires (Mette & Abittan, 1988 ; Collignon et al., 1992 ; Collignon et al., 1995). Bien souvent, ils décrivent des comportements particuliers qui incitent les professionnels à rechercher une douleur potentielle.

8Ce n’est qu’en 1995, trente ans après l’étude princeps de Reynell (1965) qu’a été conduite une étude visant à quantifier des réactions à douleur observables chez des personnes porteuses de déficience intellectuelle (Giusiano et al., 1995). Cette étude a mis en évidence pour la première fois des réactions à la douleur typiques dans cette population. La limite de ces résultats tient au fait que les items sont fondés sur des changements du comportement habituel de la personne, ce qui rend l’outil inapproprié pour ceux qui ne sont pas familiers avec la personne.

9Une autre orientation de recherche a concerné les réponses physiologiques à la douleur comme indice pour sa détection, notamment lorsque les enfants sont très limités et n’ont pas accès à la communication (Oberlander et al., 1999 ; Fernhall & Otterstetter, 2003 ; Rainero et al., 2000).

10La majorité des études suggère que les réactions physiologiques à la douleur chez les individus atteints de déficience intellectuelle sont réduites ou qualitativement différentes. Néanmoins, cela semble traduire des différences quant aux mécanismes impliqués dans la réponse à la douleur plutôt qu’une réduction de la sensibilité à la douleur. L’idée qu’il puisse y avoir une rupture entre la sensation douloureuse et la réaction à la douleur chez les personnes porteuses de déficience intellectuelle est soutenue par une étude récente chez l’adulte. Dans cette étude, le seuil de douleur à la chaleur augmente relativement à celui des sujets contrôles si la mesure utilisée est dépendante du temps de réponse. Au contraire, lorsque la mesure du seuil est indépendante du temps de réponse, les personnes déficientes manifestent une rapidité de conduction et un temps de réponse réduits mais un seuil à la douleur plus bas (Defrin et al., 2004).

11Aujourd’hui la réaction physiologique à la douleur ne semble pas être un indice prometteur pour l’évaluation clinique de la douleur. Les personnes déficientes intellectuelles peuvent avoir des réactions altérées à de nombreux stimuli externes et cela témoigne de différences dans la réponse physiologique, mais pas dans la perception de la douleur.

LES OUTILS D’ÉVALUATION DE LA DOULEUR CONÇUS POUR LES ENFANTS NON DÉFICIENTS

12Une autre approche de l’évaluation de la douleur chez l’enfant atteint de déficience intellectuelle est l’exploration de son expression faciale. En général, cette littérature confidentielle suggère que l’activité faciale peut être utile comme méthode d’évaluation de la douleur chez l’enfant déficient intellectuel (Breau et al., 2001). Mais les enfants déficients ne manifestent pas les mêmes patterns d’activité faciale que les enfants non déficients (Nader et al., 2004 ; Mercer & Glenn, 2004), ce qui nécessite de développer de nouveaux systèmes de codage afin de repérer les patterns qui reflètent la douleur. Les systèmes actuels sont longs à effectuer et sont codés à partir de vidéos, ce qui les rend inappropriés au chevet du patient.

13Plusieurs études ont examiné la validité des outils multidimensionnels d’évaluation de la douleur conçus pour les enfants non déficients lorsqu’ils sont utilisés avec des enfants déficients.

14Voepel-Lewis et al. ont étudié la validité des cotations d’infirmières pour 79 enfants déficients intellectuels à l’échelle FLACC (Face, Legs, Activity, Cry, Consolability) lors de douleurs postopératoires (Voepel-Lewis et al., 2002). Soetenga, Pellino et Frank (1999) ont utilisé the University of Wisconsin Children’s Hospital Pain Scale et l’échelle des visages (Wong & Baker, 1988) avec 74 enfants hospitalisés, 15 d’entre eux avaient plus de 3 ans mais ne communiquaient pas. Plus récemment, Solodiuk et Curley (2003) suggèrent d’utiliser l’échelle visuelle analogique (EVA) pour les enfants atteints de déficience sévère (Solodiuk & Curley, 2003). Un soignant doit donner des descripteurs pour le niveau 0 et le 10 et doit évaluer entre ces deux extrêmes.

15Globalement, il n’est pas évident que ces outils soient satisfaisants pour les enfants déficients intellectuels. Des recherches sont encore nécessaires pour démontrer la possibilité de leur utilisation clinique, ils ne sont pas recommandés à ce jour.

DES OUTILS MULTIDIMENSIONNELS SPÉCIFIQUES AUX ENFANTS ATTEINTS DE DÉFICIENCE INTELLECTUELLE

16Dans le milieu des années 1990, McGrath et son équipe ont initié un programme pour développer un outil d’observation de la douleur spécifique pour les enfants atteints de déficience sévère : la Non-Communicating Children’s Pain Checklist (NCCPC, Breau et al., 2000). Les items sont issus d’entretiens semi-directifs avec l’entourage familier de 20 sujets âgés de 6 à 29 ans (McGrath et al., 1998). 31 comportements ont été retenus et groupés en 7 sous-échelles (vocalisations, alimentation/sommeil, socialisation/personnalité, expression du visage, activité, corps et membres et indices physiologiques). Dans une étude complémentaire l’échelle a été validée au domicile (Breau et al., 2000) et une troisième étude a porté sur la possibilité d’utiliser la NCCPC pour des douleurs postopératoires (Breau et al., 2002). Aujourd’hui, la NCCPC-R (Non-communicating Children’s Pain Checklist-Revised) inclue aussi le système de cotation développé dans la version postopératoire ( « pas du tout », « observé à l’occasion », « souvent », « très souvent » ).

17La NCCPC-R a été spécialement conçue pour les enfants qui ont des capacités verbales très limitées du fait de leur déficience intellectuelle. Néanmoins, Hadden et Von Baeyer (2002) ont aussi utilisé la NCCPC-R avec des enfants IMC ayant des capacités verbales de niveaux variables. Dans une étude supplémentaire, Hadden et Von Baeyer (2001) ont étudié les scores à la version postopératoire de l’échelle de 129 enfants IMC avec des capacités verbales très variables au cours d’exercices de physiothérapie au domicile. Donc, il apparaît que la NCCPC peut être valide pour des enfants présentant des déficiences physiques sans déficience intellectuelle. Cependant, d’autres recherches sont nécessaires pour examiner l’existence de différences dans la sensibilité et la spécificité pour des sujets sans déficience intellectuelle avant qu’utilisation clinique ne soit recommandée.

18Breau et ses collaborateurs ont aussi contrôlé la validité de la NCCPC-R pour des enfants présentant des comportements auto-agressifs (Breau et al., 2003). L’enjeu est important car ces enfants sont souvent considérés comme insensibles à la douleur (Gillberg, Terenius, & Lonnerholm, 1985 ; Sandman et al., 1990) ou comme manifestant la douleur différemment.

19En tout, cinq outils ont été développés spécifiquement pour les enfants atteints de déficience intellectuelle en seulement quelques années. Chacun d’entre eux ont été développés par des équipes de recherches différentes et par des méthodes légèrement différentes. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a de nombreux items communs dans chacun des outils. Par exemple, tous les items de la Pain Indicator for Communicatively Impaired Children (Stallard et al., 2002) sont inclus dans la NCCPC (Breau et al., 2002 a ; 2002 b), le Paediatric Pain Profile (Hunt et al., 2004), et l’outil développé par Terstegen et al. (Terstegen et al., 2003). 12 items de la NCCPC sont aussi inclus dans le nouvel outil de Terstegen et 18 des 20 items du Paediatric Pain Profile évaluent des comportements inclus dans la NCCPC. Il est aussi remarquable que 3 des 4 outils contiennent entre 20 et 30 items. Cela laisse penser que les enfants atteints de déficience intellectuelle, spécialement ceux qui sont atteints de déficience sévère et qui ont des capacités verbales limitées, manifestent un noyau de signes de douleur à travers les diverses situations.

20Aujourd’hui, ce sont la Non-Communicating Children’s Pain Checklist-Revised (NCCPC-Revised, Breau et al., 2000 ; Breau et al., 2003 a) et sa version pour les douleurs postopératoires (NCCPC-Postoperative Version, Breau et al., 2002 b) qui disposent des meilleures propriétés psychométriques et elles sont désormais utilisées en situation clinique.

21Plusieurs études importantes des versions anglaises, françaises, germano-suisses et suédoises de l’outil sont en cours, elles devraient apporter de nouvelles informations sur leur utilisation et leur amélioration afin de les rendre plus utiles en pratique clinique. Par exemple, dans plusieurs études les évaluations sont faites lors d’observations de seulement 5 minutes afin de déterminer si le fait de réduire la période d’observation affecte sa sensibilité à la douleur.

22Le fait que de nombreuses équipes de recherches aient commencé à développer des échelles au cours d’une si courte période souligne la reconnaissance des difficultés que rencontrent les cliniciens et les parents dans l’évaluation de la douleur chez les enfants atteints de déficience intellectuelle. Presque tous les enfants participants à ces études sont atteints de déficience moyenne à sévère et ne présentent peu ou pas de capacité à communiquer leur douleur verbalement. Cependant, de nombreux enfants sont atteints de déficience légère et sont en mesure de donner des indications sur leur douleur. Seulement quelques études examinent la fiabilité de leur propre expression de la douleur.

L’AUTO-ÉVALUATION DE LA DOULEUR

23Fanurik et ses collègues ont été les premiers à évaluer les capacités d’auto-évaluation d’enfant atteints de déficience intellectuelle (Fanurik et al., 1998). Leur étude concerne 47 enfants avec différents niveaux de déficience et 111 enfants non déficients hospitalisés pour une chirurgie. La capacité des enfants à utiliser une échelle numérique d’évaluation de la douleur en cinq points a été testée à l’aide de plusieurs tâches. Leur compréhension des concepts de grandeur et d’ordre a été testée par des tâches consistant à sérier des blocs de bois par taille et ranger des numéros dans l’ordre. Ils ont ensuite eu à faire correspondre des cartes de visages à différents niveaux de douleur avec des cartes représentant l’intensité douloureuse. Seulement 10 (21 %) des enfants porteurs de déficience intellectuelle ont pu compléter les trois tâches et tous avaient des niveaux de déficience légers et proches de la normale. Tous les enfants non déficients de plus de 8 ans ont réussi ces épreuves.

24Plus récemment, Benini et ses collaborateurs (2004) ont étudié les capacités d’auto-évaluation de 16 enfants et adolescents âgés de 7 à 18 ans et porteurs de déficience légère ou moyenne. Les sujets ont reçus un entraînement d’une heure à l’utilisation des outils d’évaluation avant une prise de sang. Les enfants utilisent plus facilement des échelles simplifiées, et leurs capacités à le faire ne diffèrent pas selon le degré de déficience (léger ou moyen) ni la nature de la déficience (polyhandicap ou Trisomie 21).

25Si ces travaux sont les premiers à étudier les capacités d’auto-évaluation des enfants atteints de déficience, ils ne prennent pas en compte l’expression verbale des sujets à propos de leur douleur. Puisque le niveau de développement cognitif n’est pas le seul facteur déterminant la qualité et la nature de l’expression verbale de la douleur (Zabalia & Jacquet, 2004), nous avons conduit une étude sur l’expression verbale et l’évaluation de douleurs rapportées chez des sujets porteurs de déficience intellectuelle légère et moyenne selon leur niveau verbal (Zabalia, Jacquet, & Breau, 2005). Les 14 sujets âgés de 8 à 18 ans utilisent l’EVA de 100 mm et l’Échelle des visages révisée (Hicks et al., 2001) pour évaluer la douleur de personnages présentés sur des images et la douleur qu’ils se rappellent avoir ressenti dans des situations similaires.

26Les images représentent des personnages souffrant de douleurs dues à une brûlure, là une casserole, une chute en roller et à une vaccination. Après l’évaluation, les sujets sont invités à décrire la douleur causée par chaque événement. Les évaluations faites par les enfants à partir des images et des douleurs rapportées dans de telles situations suggèrent qu’ils discriminent les différents événements douloureux. Ils sont en mesure de produire jusqu’à 9 mots pour décrire la nature de la douleur, un nombre de mots qui correspond à celui des enfants non déficients d’âge mental équivalent. Les mots sont appropriés selon la situation décrite (brûler ; piquer). L’inconvénient de l’étude tient au fait que les sujets n’évaluent pas leur propre douleur lors d’un événement actuel. Cependant, ces résultats indiquent que les sujets déficients intellectuels légers et moyens de notre étude manifestent des compétences pour évaluer la douleur et, ce qui est plus important encore, ils sont en mesure de décrire verbalement la qualité de la douleur.

LE RÔLE DE L’OBSERVATEUR DANS L’ÉVALUATION DE LA DOULEUR

27Les parents d’enfants qui ne peuvent s’exprimer s’intéressent particulièrement à la douleur (Stephenson & Dowrick, 2000). Ils rapportent que les professionnels mettent en doute la douleur de leur enfant (Hunt et al., 2003) et qu’elle est traitée différemment (Fanurik et al., 1999). Ce sont les raisons pour lesquelles ils considèrent qu’il est nécessaire d’être familier de l’enfant pour évaluer sa douleur (Carter, McArthur, & Cunliffe, 2002 ; Hunt et al., 2003). Ils évoquent leurs expériences au cours desquelles les professionnels n’identifient pas la douleur de l’enfant, faute de formation, de littérature pour y être sensibilisés et faute d’outils à utiliser. Nous disposons aujourd’hui d’outils d’évaluation dont la validité est attestée. La variabilité comportementale de cette population face à la douleur ne doit pas limiter l’usage clinique de mesures testées empiriquement et scientifiquement. Ne perdons pas de vue le but premier, qui n’est pas d’obtenir une description précise de l’expérience douloureuse de l’enfant, mais d’obtenir une information suffisamment fiable sur laquelle fonder des indications de traitement. Pour la plupart des professionnels, un outil permettant de distinguer l’absence de douleur d’une douleur légère, modérée ou sévère suffit au quotidien.

28Les recherches suggèrent qu’un observateur non familier peut fournir de bonnes appréciations de la douleur d’un enfant porteur de déficience intellectuelle si l’information est prélevée dans le cadre d’un protocole contrôlé ou à l’aide d’un outil validé. On peut, dans ces conditions, obtenir de fortes concordances entre l’évaluation des parents et celle d’un observateur non familier (Breau et al., 2002).

29Aujourd’hui nous ne savons pas si les croyances et les préjugés des adultes affectent leur jugement à propos de la douleur des enfants porteurs de déficience intellectuelle. L’idée selon laquelle ces personnes ressentent moins la douleur a été rapportée aussi bien par l’entourage de l’enfant (Breau et al., 2003) que par les professionnels (Breau et al., in press). Cela dit, d’autres études montrent qu’ils ne manifestent pas ces biais dans certaines situations (Breau et al., 2004 b). On n’en connaît donc pas les effets sur l’évaluation et le traitement de la douleur.

CONCLUSION

30Alors que se développent nos connaissances sur l’évaluation et le traitement de la douleur des enfants atteints de déficience intellectuelle, il est essentiel que les informations dont nous disposons aujourd’hui puissent être utilisées dans les prises en charge. On a longtemps négligé la douleur des personnes « vulnérables », et les personnes atteintes de déficiences intellectuelles n’en sont qu’un exemple. Bien qu’il n’en existe aucune preuve, il est facile de penser qu’il y a des différences au sujet de la douleur, à cause de nos préjugés sur la douleur elle-même, sur les relations entre la douleur et le fonctionnement intellectuel, sur la tolérance à la douleur de ceux qui s’expriment autrement.

31La douleur est une expérience subjective. Elle varie selon de nombreux facteurs tels que l’âge, le sexe et la culture. La sensibilité et la tolérance à la douleur sont également modulées par le contexte psycho-émotionnel. La souffrance associée à la douleur est elle aussi subjective. C’est cette dimension subjective qui risque de faire obstacle à la reconnaissance du phénomène douloureux. L’empathie est fondamentale pour évaluer la douleur de l’autre, elle implique une identification lorsque nous n’avons aucune source objective d’information. Il est pourtant difficile de nous identifier à ceux que nous voyons comme « différents », ce qui nous renvoie à notre impuissance et à nos limites. Pour gérer cette frustration, la tentation est grande de minimiser les expériences douloureuses et leurs retentissements chez les enfants que nous percevons comme « déficitaires ». Ces attitudes influencent non seulement la prise en charge de la douleur, mais aussi les autres aspects du soin apporté à cette population.

32Un enfant atteint de déficience intellectuelle peut susciter de la pitié ou un sentiment de charité. D’un autre côté, l’humain manifeste aussi une tendance à « condamner la victime » pour donner un sens à la souffrance. Cette ambivalence interfère avec une prise en charge adaptée de la douleur. Elle a peut-être retardé la reconnaissance de la douleur dans cette population. Cela souligne que lorsqu’il s’agit de dimension humaine, tout outil d’évaluation est dépendant de la main qui le tient.

33Néanmoins, il ne fait aucun doute qu’une évaluation objective est la meilleure garantie de l’administration d’un traitement adéquat. Des outils objectifs permettent aussi de transmettre des informations fiables à toutes les personnes impliquées dans la prise en charge d’un enfant, et de collecter des informations pour améliorer notre compréhension des problèmes causés par des douleurs spécifiques.

34Notre défi aujourd’hui est d’atteindre un équilibre ; accepter et être sensible à la singularité de chaque enfant et de son expérience personnelle à la douleur tout en augmentant nos efforts pour valider des outils objectifs d’évaluation. L’enjeu est de pouvoir poser un diagnostic fiable, d’évaluer l’efficacité de protocoles antalgiques pour ces enfants « complexes » et de promouvoir l’utilisation d’outils mis au point scientifiquement dans tous les aspects de la prise en charge de la douleur.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Déficience intellectuelle, Douleur, Outils d'évaluation

https://doi.org/10.3917/enf.581.0072

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