Notes
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[1]
Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale, 525, boulevard Hamel, Québec, Canada, G1M 2S8.
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[2]
Laboratoire Enfance, Famille et Santé, Université Laval, Québec.
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[3]
La déficience motrice cérébrale équivaut à l’Infirmité motrice cérébrale dans la classification française.
1Depuis plus de cinquante ans, plusieurs recherches ont été menées dans le but de déterminer les caractéristiques et les comportements nécessaires au maintien de bonnes relations sociales d’un enfant avec ses pairs. Trois dimensions principales sont impliquées dans le développement des relations sociales optimales à l’âge scolaire. La première concerne le statut social et fait référence au degré d’acceptation ou de rejet de l’enfant dans le groupe de pairs. L’amitié, évaluée en termes de quantité et de qualité représente la seconde dimension. Elle favorise le développement social, cognitif et émotionnel, en fournissant l’opportunité d’exercer et de raffiner les habiletés sociales dans différents contextes. La troisième dimension réfère à la victimisation dans le groupe de pairs. Qu’elle soit physique (se faire pousser, se faire battre,) ou psychologique (se faire crier des noms, faire rire de soi, taquineries, rumeurs, provocations, vol, extorsion, exclusion), la victimisation, qui touche entre 10 % et 20 % des écoliers âgés de moins de 12 ans (Wolke, Woods, Standford & Schulz, 2001) est associée à des problèmes d’ajustement social à court et à long termes tels que le faible estime de soi, le sentiment de solitude et la dépression (Boivin & Hymel, 1997 ; Hanish & Guerra, 2002). Ces trois dimensions sont intimement liées entre elles et contribuent à la qualité de l’ajustement social de l’enfant lorsqu’il est en relation avec des pairs. Pour plusieurs enfants, l’établissement et le maintien de relations sociales optimales avec les pairs est un processus qui favorise le développement alors que pour d’autres cette étape devient un obstacle significatif.
2Nos travaux portant sur le suivi du développement d’enfants qui présentent un risque biologique à la naissance mentionnent que malgré les efforts d’intégration dans les classes régulières, ces populations sont plus à risque de connaître des difficultés sociales tout au long de la période scolaire. Les travaux qui évaluent l’intégration sociale en classe régulière d’enfants atteints d’une déficience motrice cérébrale (DMC [3]) indiquent que comparés à leurs compagnons de classe, les enfants DMC sont plus isolés socialement (ont moins d’amis), sont plus rejetés et plus victimes de leurs pairs, éprouvent plus de difficultés à initier et à maintenir des interactions sociales positives et ont une plus faible estime personnelle (Goodman & Graham, 1996 ; Yude & Goodman, 1999 ; Yude et al., 1998). Des difficultés similaires sont également observées chez des enfants nés prématurément qui ne présentent pas de déficience motrice (Leonard & Piecuch, 1997). Dès le début du primaire, ceux-ci sont rapportés être plus isolés socialement, plus immatures et plus victimes que leurs pairs nés à terme (Sykes et al., 1997).
3Les principaux modèles permettant d’identifier les mécanismes sous-jacents aux problèmes d’ajustement social sont basés sur les théories de l’apprentissage social et les travaux s’y rapportant ont longtemps été effectués auprès de vastes populations d’enfants qui se développent normalement (Boivin & Hymel, 1997). Depuis quelques années, l’étude des populations cliniques permet, par une approche comparative, de tester les limites de ces modèles en isolant certaines caractéristiques les distinguant afin de vérifier si, et dans quelle mesure, leur présence nuit à la qualité de l’ajustement social. Dans cette perspective, les protocoles de recherche de nos travaux permettent de comparer des populations d’enfants dont le développement est normal à des populations cliniques qui présentent des difficultés similaires sur le plan social mais dont le niveau d’atteinte motrice varie. Plus spécifiquement, nous comparons le développement social d’enfants atteints d’une déficience motrice cérébrale (DMC non prématurés et DMC prématurés) à celui d’enfants nés prématurément sans déficience motrice visible en utilisant comme groupe de référence des enfants nés à terme et en santé. L’introduction de groupes se distinguant à la fois par le niveau d’atteinte motrice et par le statut de naissance permet d’isoler ces composantes et d’étudier leurs contributions à l’explication des difficultés sociales.
4L’objectif de la présente étude est donc de comparer trois dimensions des relations sociales soit le statut social, l’amitié et la victimisation auprès de quatre groupes d’enfants qui se distinguent par le degré d’atteinte motrice et par le statut de naissance. L’hypothèse stipule, qu’à efficience cognitive égale, les enfants des groupes DMC éprouvent plus de difficultés sociales que ceux des groupes prématurés non DMC et témoins.
MÉTHODE
Participants
5Les enfants qui présentent une déficience motrice cérébrale (DMC) sont âgés entre 9 et 12 ans et fréquentent une école et une classe régulière. Ces enfants présentent un diagnostic de DMC (hémiplégie (73 %) ou diplégie (27 %). Les enfants DMC qui présentaient un diagnostic de diplégie II, de quadriplégie ou une déficience visuelle, auditive ou intellectuelle modérée à sévère ont été exclus de l’étude. Un échantillon de 43 enfants DMC (29 garçons) a été sélectionné dans sept régions administratives du Québec. Le groupe DMC non-prématuré (DMC non-EP) est constitué de 20 sujets DMC nés à terme et le groupe DMC-EP est formé de 23 enfants DMC nés prématurément.
6L’échantillon d’enfants prématurés (EP) est constitué de 57 sujets (29 garçons), âgés entre 9 et 12 ans, nés à moins de 29 semaines de gestation et pesant moins de 1 500 g. Pour être inclus dans l’étude, les enfants devaient fréquenter une école régulière. Les enfants qui présentaient une déficience motrice cérébrale (DMC) ou une déficience intellectuelle modérée et sévère ont été exclus de cet échantillon.
7Les 72 enfants du groupe témoin (GT) ont été rencontrés en milieu scolaire régulier entre l’âge de 9 et 12 ans. Ils sont tous nés à terme (> 37 semaines de gestation) et en santé et ne possèdent aucune atteinte motrice, visuelle et auditive. Les enfants GT ont été appariés aux enfants DMC ou EP en fonction du sexe, de l’âge de l’enfant, de la scolarité et du revenu de la mère. Les quatre groupes sont équivalents en terme d’âge, de poids et de périmètre crânien lors de la visite scolaire ainsi qu’au niveau des variables sociodémographiques (âge, scolarité, occupation des parents et statut familial).
Mesures
8Qualité des relations sociales (statut social, présence et réciprocité des amitiés et victimisation). Une version francophone révisée du Revised Class Play (RCP ; Masten, Morison & Pelligrini, 1985) (RCP-R ; Nadeau & Tessier, en préparation) permet d’évaluer les trois dimensions des relations sociales. Le RCP-R contient 41 items. Les deux premiers items permettent de mesurer le statut social. Une analyse factorielle à composantes principales (Rotation VARIMAX) des 39 autres items a été effectuée sur un échantillon québécois de 2 476 enfants âgés entre 9 et 12 ans. Au total, 7 facteurs ressortent du RCP-R (victimisation, inattention, agressivité, prosociabilité, hyperactivité, sensibilité et isolement social) et expliquent 68 % de la variance. Dans le cadre de la présente étude, seules les dimensions de statut social (acceptation et rejet), d’isolement social (relié au nombre d’amis) et de victimisation sont utilisées dans les analyses. Le score de réciprocité des amitiés est construit à partir de la question « Avec qui tu préfères faire des activités ». Les amitiés réciproques impliquent un choix mutuel de l’enfant A et B.
9Développement intellectuel : Le développement intellectuel est mesuré par le Wechsler Intelligence Scale for Children-III (WISC-III : Wechsler, 1991). Le WISC-III permet d’obtenir un score verbal, de performance et un score total de QI. Seul le score global est utilisé comme covariable dans les analyses subséquentes.
Procédure
10Tous les enfants ont été évalués en milieu scolaire entre l’âge de 9 et 12 ans par le biais d’une activité sociométrique (RCP-R). L’activité était animée par une expérimentatrice qui lisait chacun des items du RCP-R. Les enfants devaient inscrire le numéro de deux élèves correspondant le mieux à la description de l’item. Les scores ont été standardisés à l’intérieur de chaque classe. Le WISC-III a été administré à l’enfant cible (DMC ou EP) et aux enfants du groupe témoin.
RÉSULTATS
11Ils concernent les scores obtenus par les filles et les garçons des groupes DMC nonprématurés, DMC-prématurés, Prématurés (EP) et Témoins sur les dimensions des relations sociales évaluées par les pairs. Ces scores ont été soumis à des analyses de covariance multivariées GLM 4 (groupes) X 2 (sexes), le QI global étant considéré comme covariable. Les analyses révèlent des différences de groupe significatives sur les scores d’acceptation sociale, de rejet, d’isolement social et de victimisation. Les enfants des groupes DMC et EP sont moins acceptés et plus rejetés et victimisés par les pairs que les enfants du groupe Témoin. Les groupes DMC et EP ne se distinguent pas entre eux sur ces scores. Sur le score d’isolement social, les enfants des groupes DMC sont significativement perçus comme plus isolés socialement que les enfants EP et Témoins. Un effet d’interaction groupe X sexe est obtenu sur le score de rejet social F(3,168) = 3.4, p < .05 et d’isolement social F(3,166) = 5.7, p < .001. Les filles DMC nonEP (et non les garçons) sont plus rejetées que les filles des trois autres groupes alors que sur le score d’isolement social, les filles des groupes DMC et EP obtiennent un score plus élevé que les filles des groupes GT, mais cette différence n’est pas présente chez les garçons. Les analyses ne révèlent pas de différences significatives entre les groupes sur le score d’amitié réciproque.
DISCUSSION
12L’objectif de cette étude était d’évaluer les trois dimensions des relations sociales soit le statut social, l’amitié (en terme quantitatif et qualitatif) et la victimisation par les pairs chez quatre groupes d’enfants qui se distinguent par le degré d’atteinte motrice et le statut de naissance. Les données révèlent qu’après contrôle pour des différences cognitives, les enfants des groupes DMC et EP sont perçus plus négativement par leurs pairs sur deux des trois dimensions des relations sociales soit le statut social et la victimisation. Ces résultats rejoignent ceux obtenus dans d’autres travaux effectués auprès d’enfants DMC ou nés prématurément. Yude et al. (1999) rapportent que les enfants hémiplégiques sont deux fois plus rejetés et sont trois fois plus victimes que leurs compagnons de classe qui ne présentent pas de handicap alors que Sykes et al. (1997) et Tessier, Nadeau, Boivin & Tremblay (1997) montrent que les enfants nés prématurément sont moins acceptés et plus victimisés que leurs pairs nés à terme. Certains travaux relient les problèmes d’ajustement social des enfants DMC à la visibilité du handicap. Toutefois, nos résultats montrent que les enfants nés prématurément, qui ne présentent pas de handicap visible, se distinguent également de leurs pairs nés à terme sur les dimensions d’acceptation et de victimisation, ce qui permet de croire que la visibilité du handicap ne contribue pas à expliquer directement ces dimensions. Une des hypothèses pour expliquer les similarités entre les enfants DMC et les enfants nés prématurément relève des travaux qui révèlent qu’en l’absence de dysfonctions neurologiques majeures, certains enfants prématurés éprouvent plus de difficultés que les enfants nés à terme dans les tâches nécessitant des habiletés motrices. Ils sont plus maladroits et ont plus de problèmes de coordination que les enfants nés à terme (Leonard & Piecuch, 1997). Ces difficultés sont définies comme des dysfonctions mineures qui limitent les activités quotidiennes des enfants. Dans les situations scolaires, les pairs qui ne peuvent attribuer la sous-performance des enfants nés prématurément à la présence d’un handicap, comme ils pourraient le faire pour les enfants DMC, risquent alors de les victimiser ou les rejeter sur la base de ces différences. Ces résultats confortent ainsi l’hypothèse selon laquelle les enfants nés prématurément seraient dans une position vulnérable puisque la majorité d’entre eux ne présentent pas de déficiences visibles mais ne réussissent néanmoins pas à des performances équivalentes à celles de leurs pairs.
13Le second résultat saillant de cette étude concerne les différences liées au genre sur la dimension quantitative de l’amitié (isolement social). Les filles des groupes DMC ont moins d’amis et jouent plus souvent seules que les filles du groupe témoin mais cette différence n’est pas présente chez les garçons. Quoique non significatifs (p = .08), les résultats montrent également que les filles DMC ont moins d’amis réciproques que les filles des groupes EP et témoin. De nombreux travaux ont démontré l’importance de l’apparence physique chez les filles au début de l’adolescence (Erwin, 1993). De par la propension des filles de cet âge à accorder plus d’importance à l’apparence physique, les filles DMC seraient plus à risque d’isolement que les garçons DMC, alors que cette différence ne serait pas aussi accentuée entre les filles et les garçons des groupes EP et témoin. D’autres travaux ont déjà souligné les conséquences plus néfastes pour les filles que pour les garçons d’un handicap visible sur le développement social et le concept de soi (Erwin, 1993). Loin de prétendre que la visibilité du handicap ou le genre seraient les seuls prédicteurs de l’isolement, ces résultats soulignent l’importance de considérer les effets indirects que peut avoir le handicap sur les relations sociales à l’âge scolaire.
14Les étapes ultérieures de suivi de ces enfants permettront d’évaluer d’autres facteurs personnels et environnementaux pouvant mener aux difficultés sociales vécues par les enfants DMC et nés prématurément. Nous émettons l’hypothèse que les difficultés sociales de ces enfants sont le résultat de l’addition des facteurs personnels et environnementaux. Appuyés sur le modèle théorique de traitement de l’information de Crick et Dodge (1994), nous évaluerons les facteurs inhérents aux enfants DMC et EP en observant comment ils encodent et interprètent les informations perceptives et sociales et comment ce mode de fonctionnement cognitif agit sur la réponse donnée et sur les perceptions des pairs. Nous évaluerons également les facteurs inhérents aux pairs (facteurs environnementaux) en observant comment leur mode de fonctionnement cognitif et leurs réponses influencent les facteurs inhérents à l’enfant.
Bibliographie
RÉFÉRENCES
- Boivin, M., & Hymel, S. (1997). Peer experiences and social self-perceptions. A sequential model. Developmental Psychology, 33, 135-135.
- Crick, N. R., & Dodge, K. A. (1994). A review and reformulation of social information processing mecanisms in children’s social adjustment. Psychological Bulletin, 115, 74-101.
- Erwin, P. (1993). Friendship and peer relations in children. Éd. Wiley, England, p. 297.
- Goodman, R., & Graham, P. (1996). Psychiatric problems in children with hemiplegia : Cross sectional epidemiological survey. BMJ, 312, 1065-1069.
- Hanish, L. D., & Guerra, N. G. (2002). A longitudinal analysis of patterns of adjustment following peer victimization. Development and Psychopathology, 14, 69-89.
- Leonard, C. H., Piecuch, R. E. (1997). School age outcome in low birth weight preterm infants. Semin Perinatol, 21, 240-253.
- Masten, A. S., Morison, P, Pelligrini, D. S. (1985). A revised class play method of peer assessment. Developmental Psychology, 21, 523-533.
- Nadeau, L., Boivin, M., Tessier, R., Lefebvre, F., & Robaey, P. (2001). Mediators of behavioral problems in 7-year-old children born after 24 to 28 weeks of gestation. Developmental and Behavioral Pediatrics, 22, 1-10.
- Sykes, D. H., Hoy, E. A., Bill, J. M., et al. (1997). Behavioral adjustment in school of very low birthweight children. J. Child Psychol. Psychiat., 38, 315-325.
- Tessier, R., Nadeau, L., Boivin, M., Tremblay, R. E. (1997). The social behavior of 11 and 12-year-old children born as low birthweight and/or premature infants. Internal Journal Behavioral Development, 21, 795-812.
- Wechsler, D. (1991). WISC-III manual. San Antonio, Tx : Psychological Corporation.
- Wolke, D., Wood, S., Bloomfield, L., & Karstadt, L. (2001). The Association between direct and relational bullying and behavior problems among primary school children. J. Child Psychol. Psychiatry, 8, 989-1002.
- Yude, C., & Goodman, R. (1999). Peer problems of 9 to 11-year-old children with hemiplegia in maintream school. Can these be predicted ? Developmental Medicine and Child Neurology, 41, 4-8.
- Yude, C., Goodman, R., & McConachie, H. (1998). Peer problems of children with hemiplegia in maintream primary schools. J. Child Psychol. Psychiat., 39, 533-541.
Notes
-
[1]
Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale, 525, boulevard Hamel, Québec, Canada, G1M 2S8.
-
[2]
Laboratoire Enfance, Famille et Santé, Université Laval, Québec.
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[3]
La déficience motrice cérébrale équivaut à l’Infirmité motrice cérébrale dans la classification française.