Notes
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[1]
Tous les prénoms des enfants de cette étude ont été modifiés afin de respecter leur anonymat.
1Des études récentes sur le développement de la mémoire de travail suggèrent que les différences de performances observées au cours du développement normal reposeraient plus sur des changements quantitatifs, et en particulier sur l’augmentation de la vitesse de traitement avec l’âge, que sur des changements qualitatifs dans les processus de maintien de l’information (Gaillard, Barrouillet, Jarrold, & Camos, 2011 ; Tam, Jarrold, Baddeley, & Sabatos-DeVito, 2010). Ces résultats font écho avec les questions actuelles sur le fonctionnement et le développement des enfants à haut potentiel intellectuel (HPI). En effet, dans ce domaine, les chercheurs tentent de comprendre si les performances généralement supérieures des enfants HPI s’expliquent seulement par une supériorité quantitative, par exemple en termes d’une plus grande vitesse de traitement ou si elles sont également associées à un développement qualitativement différent comme l’utilisation de stratégies différentes (pour une synthèse, Lubart, 2006). Le but de cette recherche est d’illustrer au travers de l’étude de deux cas d’enfants intellectuellement précoces, la dissociation entre mémoire de travail et la vitesse de traitement pouvant être observés dans cette population.
2Il a été montré de nombreuses fois que la mémoire de travail joue un rôle majeur dans les activités cognitives complexes telles que le raisonnement, la compréhension en lecture, la résolution de problème, la coordination ou encore le contrôle des processus cognitifs de haut niveau (Baddeley & Hitch, 1974 ; Barrouillet, 1996 ; Conway, Jarrold, Kane, Miyake, & Towse, 2008 ; Daneman & Carpenter, 1980). Elle est le système qui organise et manipule les contenus de nos pensées. Ainsi, les mesures de mémoire de travail ont été identifiées comme le déterminant majeur du développement cognitif de l’enfant (Barrouillet & Gaillard, 2011 ; Case, 1985 ; Halford, 1993 ; Pascual-Leone, 1970) et de sa réussite scolaire, mais aussi des différences individuelles observées dans les capacités cognitives (pour une synthèse, Gavens & Camos, 2006 et Conway et al., 2008). Plus précisément, les capacités de mémoire de travail jouent un rôle déterminant dans chaque étape de traitement et de mémorisation permettant le décodage et la compréhension d’un texte. Elle intervient dans l’analyse perceptuelle de l’information ainsi que dans l’établissement d’une cohérence locale puis plus globale conduisant à une représentation générale de cette information. Elle intervient ensuite dans la sélection des connaissances appropriées stockées en mémoire à long terme et dans la mise en relation de celles-ci avec les informations perceptuelles (Gaonac’h & Larigauderie, 2000). De façon assez similaire, Kellogg (1996) a mis en évidence les liens entre la mémoire de travail et la production écrite, aussi bien dans les étapes de formulation, d’exécution que de contrôle de cette production. Pour les activités mathématiques, il a été montré que les performances dans toutes activités numériques, de la plus simple énonciation de la chaîne numérique à la résolution de problèmes en passant par la résolution d’opérations, dépendent des capacités de mémoire de travail (par exemple, DeStefano & LeFevre, 2004).
3Récemment, Gaillard et al. (2011) ont cherché à mieux comprendre l’origine de l’accroissement développemental observé en mémoire de travail. En manipulant à la fois la durée du traitement dans une tâche de mémoire de travail et le temps disponible pour restaurer les traces en mémoire, les auteurs montrent que l’empan de mémoire de travail dépendrait principalement de la vitesse de traitement de l’information. Les enfants plus âgés obtiendraient de meilleures performances parce qu’ils seraient plus rapides que les plus jeunes pour résoudre les tâches concurrentes, mais également pour réactiver les traces en mémoire. Ainsi, la différence de performances entre les plus jeunes et les plus âgés disparaît lorsque la tâche concurrente occupe les enfants pendant une même durée, et lorsque le temps disponible pour réactiver les traces mnésiques est adapté à la vitesse de traitement des enfants. Il existerait donc une relation forte entre la vitesse de traitement et les capacités de mémoire de travail chez l’enfant au développement typique. Mais qu’en est-il des enfants au développement atypique, comme les enfants présentant des capacités intellectuelles exceptionnelles ?
4Il existe une grande variété de termes utilisés pour désigner les enfants qui manifestent des aptitudes intellectuelles exceptionnelles. Tous ces termes ne font pas l’unanimité puisqu’ils ont chacun des connotations qui privilégient tel ou tel aspect des explications possibles de ces capacités cognitives. Ainsi, on trouve dans la littérature les termes de « surdoué », connoté par la signification du don, mais également de « haut potentiel intellectuel » (HPI), utilisé pour désigner des dispositions intellectuelles exceptionnelles qui ne sont pas investies dans un domaine d’expertise particulier, ou encore d’enfant « intellectuellement précoce », qui appuie sur l’idée de faire ou d’avoir fait des acquisitions avant l’âge habituel (Lautrey, 2004).
5Pas plus nombreux qu’autrefois mais mieux repérés, les enfants HPI représentent 2 % de la population, soit près de 450 000 enfants scolarisés en France. Ils sont définis dans le rapport Delaubier (2002) comme « des enfants qui manifestent la capacité de réaliser, dans un certain nombre d’activités, des performances que ne parviennent pas à accomplir la plupart des enfants de leur âge ». L’enfant HPI serait caractérisé par sa capacité à réaliser des performances qui sont en moyenne celles d’enfants plus âgés. Du point de vue diagnostique, un enfant HPI est la plupart du temps défini par un Quotient Intellectuel (QI) supérieur à deux écart-types de la moyenne, c’est-à-dire supérieur à 130 si l’on prend comme référence les échelles de Wechsler qui sont les plus fréquemment employées actuellement. Cependant, cette définition étroite et pragmatique du potentiel intellectuel, uniquement associé à une mesure d’intelligence générale, a nettement évolué depuis ces dernières années et les définitions les plus récentes tendent à élargir le concept en précisant que ce potentiel peut s’exprimer dans des formes différentes d’intelligence : intelligence générale, intelligence sociale, intelligence pratique, créativité (Lautrey, 2004).
6Les enfants HPI présenteraient plus particulièrement des capacités supérieures à celles des enfants de leur âge dans les fonctions exécutives qui sont sous le contrôle du cortex préfrontal, comme la mémoire de travail. Par exemple, Planche (1997, 2000), qui a cherché à spécifier le fonctionnement de ces enfants en situation de résolution de problème, montre que des traits différentiels de fonctionnement apparaissent de façon régulière et significative entre enfants précoces et enfants de niveau moyen dans le traitement de l’information et le contrôle de l’activité cognitive. D’après ses recherches, les enfants HPI mobilisent des capacités attentionnelles plus importantes leur permettant de maintenir plus efficacement les informations pertinentes et d’inhiber les informations non pertinentes. Récemment, les études neuropsychologiques réalisées sur cette population suggèrent également que ces enfants présenteraient des particularités cérébrales qui pourraient expliquer leurs performances exceptionnelles. Ainsi, les enfants HPI auraient des connexions plus nombreuses entre neurones, une maturation physiologique plus avancée et une vitesse de conduction nerveuse plus rapide (Jausovec, 1996 ; Neubauer, Fink, & Schrausser, 2002 ; Reed & Jensen, 1992). Vaivre-Douret et Jambaqué (2006) font alors l’hypothèse que ces différences neuropsychologiques permettraient de rendre compte de l’exécution plus rapide des processus cognitifs élémentaires chez ces enfants qui serait à la base de leurs capacités intellectuelles supérieures.
7Dans cette étude, nous allons illustrer la dissociation observée entre mémoire de travail et vitesse de traitement chez des enfants HPI, au travers de l’étude de deux cas d’enfants d’âge préscolaire. Nous avons confronté les performances de ces enfants à des tâches de mémoire de travail et de vitesse de traitement à celles d’enfants « tout-venant » ayant soit le même âge chronologique, soit le même âge mental. Ainsi, les enfants HPI devraient être plus rapides dans une tâche de barrage classiquement utilisée pour évaluer la vitesse de traitement de l’information. Si comme nous avons pu l’observer dans le développement typique les capacités de mémoire de travail résultent d’un accroissement de la vitesse de traitement (Gaillard et al., 2011), les enfants HPI devraient également surpasser leurs pairs dans des tâches de mémoire de travail.
8 Au-delà de la simple illustration de la dissociation entre mémoire de travail et vitesse de traitement chez les enfants HPI, notre étude présente deux autres intérêts. En effet, les études comparatives concernant des enfants intellectuellement précoces sont rares et d’autant plus lorsqu’il s’agit de la tranche d’âge de notre étude. En effet, ces enfants sont souvent décrits à un âge scolaire. Pourtant, la précocité apparaît bien avant la scolarisation des enfants, puisque dès les premières années de la vie, les enfants HPI présentent une avance de développement (Lautrey, 2004 ; Vaivre-Douret & Jambaqué, 2006).
Méthode
Participants
9Deux garçons HPI (Nathan et Pierrick [1] âgés, respectivement, de 4 ans et 2 mois et de 4 ans et 9 mois) suivis au Centre d’Action Médico Sociale Précoce (CAMSP) ont participé à cette étude. Dix-sept garçons d’âge préscolaire « tout-venant » issus d’une école maternelle de Dijon (âge moyen : 5 ans et 3 mois ; écart-type : 5 mois) constituent les groupes contrôles. En effet, chaque enfant intellectuellement précoce a été apparié à des enfants du même âge chronologique d’une part et des enfants du même âge mental d’autre part ; l’appariement a également été fait sur le sexe (). L’âge mental des enfants intellectuellement précoces a été calculé sur la base de leur note standard obtenue au subtest le plus corrélé au QI total, le subtest information de la WPPSI-R (Wechsler, 1989). Ainsi, d’après les tables de conversion, Nathan a un âge mental de 5 ans et 6 mois et Pierrick de 5 ans et 9 mois.
Age des participants appareillés à Nathan et Pierrick et détail de leur appariement.
Age des participants appareillés à Nathan et Pierrick et détail de leur appariement.
Présentation des deux enfants HPI
10Ces 2 enfants intellectuellement précoces venaient en cure ambulatoire au CAMSP Paul Picardet de Dijon. Au moment de l’étude, ils fréquentaient l’institution depuis le début de l’année scolaire. L’anamnèse de chacun de ces enfants est présentée ci-dessous.
11 Nathan est un garçon de 4 ans et 2 mois au moment de notre étude. Premier enfant de la famille, il est suivi au CAMSP depuis un an. Ses parents ont consulté sur les conseils de l’institutrice où Nathan est scolarisé en moyenne section. Il est décrit par cette dernière comme un petit garçon « qui n’écoute pas en classe, qui fait des colères et perturbe la classe ». Ses problèmes de comportements, également présents à la maison mais s’exprimant plus particulièrement avec sa mère, l’empêchent de suivre correctement sa scolarité. Un bilan a été réalisé par l’institutrice spécialisée qui s’est alors rendue à l’école de Nathan. Il est décidé, en collaboration avec ses parents, que Nathan sera intégré au Jardin d’Enfants Spécialisé quelques demi-journées par semaine parallèlement à sa scolarisation dans cette même école. Cette année, l’institutrice spécialisée demande à ce que Nathan soit revu par la psychologue de l’institution car elle s’interroge à propos de ce petit garçon. D’après elle, il fait preuve « d’une rapidité de compréhension remarquable, il comprend l’exercice avant l’énoncé des consignes, se désintéresse des exercices de son niveau mais fait, sans qu’on l’y invite, ceux des enfants du niveau au dessus et réussit très bien, même plus rapidement qu’eux ». Nathan a alors passé le test de la WPPSI-R. Pendant la passation, qui s’est déroulée en plusieurs fois, Nathan s’est montré tout d’abord sur la défensive, très agité, puis très intéressé par ce qui lui était demandé et dans un grand besoin d’étayage. Il obtient un QI Total de 134 qui se décompose en un QI Verbal de 126 et un QI Performance de 131. Nathan sera ensuite vu par une neuropsychologue qui confirmera, à l’aide du K-ABC (Kaufman & Kaufman, 1983), l’hypothèse d’un haut potentiel intellectuel.
12Pierrick est un garçon de 4 ans et 9 mois au moment de notre étude, qui est suivi au CAMSP par une psychologue depuis un an. Cet enfant avait d’abord bénéficié d’une prise en charge en art-thérapie mais celle-ci s’étant avérée inefficace, il était alors passé à un suivi individuel par une psychologue du centre. Pierrick a été orienté vers le CAMSP pour des difficultés d’adaptation scolaire, il est alors en moyenne section de maternelle. Selon la maîtresse, « il n’arrive pas à s’intégrer au grand groupe, il a du mal à écouter, à obéir et a beaucoup d’énergie ». C’est un enfant né d’une grossesse multiple, « un triplé ». Il a un frère et une sœur du même âge, scolarisés dans la même classe que lui et ne présentant aucun problème particulier. Pierrick a été séparé du reste de la famille à la naissance car il a bu du liquide amniotique. Sa mère n’a pas pu le prendre dans ses bras avant ses 17 jours. Pierrick est présenté par ses parents comme « un garçon assez agité, agressif à l’école quand il se retrouve en grand groupe et aussi à la maison quand il y a d’autres enfants ». « Il s’intéresse à beaucoup de choses et des choses de grands et a besoin de tout raisonner ». En parallèle de son suivi thérapeutique, il voit également une orthophoniste pour des problèmes de bégaiement. Son bilan psychologique a été réalisé grâce au test de la WPPSI-R auquel il obtient un QI Total de 141 qui se décompose en un QI Verbal de 139 et un QI Performance de 129.
13 Il est à noter que ces deux enfants HPI ont tous les deux des profils homogènes au test de QI de la WPPSI-R, puisqu’ils ne présentent pas de différence remarquable entre leur QI Verbal et leur QI Performance. En effet, d’après les échelles de Wechsler, un profil est considéré comme hétérogène à partir d’une différence de 15 points. Or, Nathan présente 5 points de différence et Pierrick, 10 points. De plus, leurs profils restent homogènes si la cotation n’est plus réalisée en termes de notes standards mais en termes d’efficience, c’est-à-dire en représentant les scores à chaque subtest par l’âge mental correspondant. Par ailleurs, ils présentent tous deux une avance d’un an en âge mental ce qui est régulièrement observé pour des enfants de cet âge et de ce niveau de QI. On notera enfin qu’un décalage entre QIV et QIP est plus fréquemment observé plus on monte dans l’échelle des QI (Pereira-Fradin, 2006)
Matériel et Procédure
14Tous les enfants ont passé individuellement, et dans cet ordre, une épreuve de vitesse de traitement, c’est-à-dire tâche de barrage de figures et deux épreuves de mémoire de travail classiques, c’est-à-dire les tâches d’empan de comptage (Case, Kurland, & Goldberg, 1982) et d’empan d’écoute (Daneman & Carpenter, 1980).
Épreuve de vitesse de traitement : tâche de barrage de figures
15Cette tâche correspond au test des cloches de Gauthier, Dehaut et Joanette (1989) dans lequel nous avons réduit le nombre de dessins pour l’adapter aux enfants. C’est une tâche « papier-crayon » chronométrée qui consiste à barrer un objet cible parmi d’autres objets distracteurs et ceci, le plus rapidement possible. Pour cela, l’enfant dispose d’une feuille de format A4 sur laquelle sont disposés 30 dessins en noir et blanc correspondant à trois objets familiers reproduits dix fois chacun (un parapluie, un bonhomme de neige et un crayon). Les dessins sont répartis sur 6 lignes, composées de 5 dessins chacune, de manière aléatoire. L’un des objets est désigné comme étant la cible, l’enfant doit alors le barrer à chaque fois qu’il le rencontre sur la feuille. La cible est le crayon afin de faciliter le maintien en mémoire du but de la tâche (barrer d’un trait de crayon la figure) ce qui limite la charge en mémoire de travail au cours de cette épreuve. Afin de familiariser l’enfant avec la tâche, l’expérimentateur réalise avec lui une ligne d’entraînement avant de le laisser exécuter le reste de l’épreuve seul. Le chronomètre est arrêté lorsque l’enfant dit avoir terminé. Le score pour cette épreuve correspond au temps de réalisation de la tâche en secondes.
Épreuve de mémoire de travail : empan de comptage
16Dans la tâche d’empan de comptage (Counting span test) de Case, Kurland et Goldberg (1982), les participants doivent dénombrer des collections en même temps qu’ils doivent en mémoriser le cardinal de chaque collection. Le matériel est constitué de cartes (21 cm × 14 cm) sur lesquelles sont collées un nombre aléatoire de gommettes rouges et vertes (entre 4 et 12 de chaque couleur). Ces cartes sont successivement présentées à l’enfant dont la tâche est de compter le nombre de points rouges et de mémoriser, dans l’ordre, les cardinaux ainsi obtenus sur chaque carte. À la fin de chaque série, une carte représentant un point d’interrogation est présentée à l’enfant lui indiquant qu’il doit rappeler le nombre de points rouges qu’il y avait sur chaque carte et ceci, dans l’ordre de présentation. Les longueurs des séries à mémoriser augmentent au fur et à mesure de la tâche en commençant par des séries composées d’une carte jusqu’à cinq cartes. Pour chaque longueur, trois séries sont présentées à l’enfant. La tâche prend fin quand l’enfant a échoué aux trois séries d’une même longueur.
17 Pour chaque série de cardinaux correctement rappelée dans l’ordre, un tiers de point était attribué et la somme de ces tiers constitue l’empan. Par exemple, le rappel correct des trois séries de 1 cardinal, de deux séries de 2 cardinaux, et d’une série de 3 correspond à un empan de (3+2+1) × 1/3 = 2.
18 Une phase d’entraînement était proposée au préalable aux enfants afin de les familiariser avec la tâche. L’expérimentateur présentait à l’enfant une série d’une carte et une série de deux cartes qu’il réalisait avec lui en lui expliquant ce qu’il devait faire. Pour cela, l’expérimentateur comptait à voix haute le nombre de points rouges en les pointant du doigt afin que l’enfant puisse reproduire le geste par la suite.
Épreuve de mémoire de travail : empan d’écoute
19Cette tâche est un empan d’écoute construit en français selon la définition originelle de Daneman et Carpenter (1980). Dans cette tâche, l’enfant écoute une série de phrases sans lien entre elles et à la fin de la série, il doit rappeler le dernier mot de chaque phrase dans l’ordre de présentation. Comme précédemment, la difficulté de la tâche augmente progressivement puisque l’épreuve commence par trois séries d’une phrase, puis trois séries de deux, et ainsi de suite jusqu’à des séries de cinq phrases. La tâche s’arrête lorsque l’enfant échoue aux trois séries d’une même longueur. L’empan est de nouveau calculé en attribuant un tiers de point à chaque séquence de mots correctement rappelée dans l’ordre et en additionnant le nombre de tiers total.
20 Afin d’adapter le matériel à l’âge des enfants, les phrases ont été sélectionnées dans des ouvrages pour enfants de leurs âges. Le matériel est ainsi constitué de 45 phrases, au présent et à la forme active, dont 15 phrases de 8 mots, 15 phrases de 7 mots et 15 phrases de 6 mots. Ces phrases ont été enregistrées et présentées à l’enfant à l’aide d’un magnétophone ce qui permet d’éviter les biais liés à la façon de lire de l’expérimentateur et ainsi de placer chaque enfant dans les mêmes conditions expérimentales.
21 Avant de débuter la phase test, l’enfant était confronté à une phase d’entraînement constituée d’une série d’une phrase et d’une série de deux phrases. Si l’enfant n’avait toujours pas assimilé les consignes à ce stade, l’expérimentateur avait la possibilité de prolonger la phase d’entraînement avec deux nouvelles séries de deux phrases.
Résultats
22Nous avons comparé les performances de chaque enfant HPI avec tout d’abord le groupe d’enfants « tout-venant » de même âge chronologique, puis avec le groupe d’enfants appariés sur l’âge mental.
Nathan :
23 Quelle que soit l’épreuve considérée, les performances obtenues par Nathan étaient supérieures à celles obtenues par chacun des enfants du même âge chronologique (). Plus précisément, les scores de Nathan étaient entre deux et trois écart-types au-dessus de la moyenne des autres enfants et cette différence était à chaque fois significative, t(2) = 5,66, p < 0,05 pour la vitesse de traitement, t(2) = 3,48, p < 0,05 pour l’empan de comptage et t(2) = 3,48, p < 0,05 pour l’empan d’écoute. Les analyses statistiques inférentielles présentées dans l’ensemble de cette étude correspondent à des tests t de Student unilatéraux qui permettent de comparer les moyennes de chaque enfant HPI aux moyennes et écart-types des groupes de référence.
Performances obtenues par Nathan et les enfants appariés sur l’âge chronologique d’une part, et sur l’âge mental d’autre part. Les moyennes (et écart-type) de chacun de ces groupes sont présentées au-dessus des résultats individuels.
Performances obtenues par Nathan et les enfants appariés sur l’âge chronologique d’une part, et sur l’âge mental d’autre part. Les moyennes (et écart-type) de chacun de ces groupes sont présentées au-dessus des résultats individuels.
24Bien que Nathan ait obtenu en moyenne des résultats légèrement supérieurs à ceux des enfants du même âge mental, si l’on regardait le détail des résultats individuels on se rendait compte que les performances de Nathan s’intégraient parfaitement dans celles des enfants de son âge mental. En effet, ses performances n’étaient pas significativement supérieures à celles des enfants du groupe contrôle, ps > 0,36, excepté en ce qui concerne ses performances de vitesse de traitement, t(4) = 4,18, p < 0,01 où Nathan résolvait plus rapidement cette tâche que les enfants du même âge mental.
Pierrick
25De la même façon, quelle que soit l’épreuve considérée, les scores de Pierrick étaient, selon l’épreuve, de un à 10 écart-types au-dessus de la moyenne des performances des enfants du même âge chronologique (). Là encore, cette différence était significative pour toutes les épreuves, t(4) = 2,36, p < 0,05 pour la vitesse de traitement, t(4) = 23,11, p < 0,001 pour l’empan de comptage et t(4) = 7,35, p < 0,001 pour l’empan d’écoute.
Performances obtenues par Pierrick et les enfants appariés sur l’âge chronologique d’une part, et sur l’âge mental d’autre part. Les moyennes (et écart-type) de chacun de ces groupes sont présentées au-dessus des résultats individuels.
Performances obtenues par Pierrick et les enfants appariés sur l’âge chronologique d’une part, et sur l’âge mental d’autre part. Les moyennes (et écart-type) de chacun de ces groupes sont présentées au-dessus des résultats individuels.
26Les résultats de Pierrick étaient également supérieurs à la moyenne des performances des enfants du même âge mental. Cependant, là encore la significativité de ces différences dépendait des tâches concernées. Ainsi, Pierrick présentait des performances de mémoire de travail bien supérieures à celles de ses pairs appariés sur l’âge mental, que ce soit pour l’empan de comptage, t(3) = 12,19, p < 0,001, ou l’empan de lecture, t(3) = 5,0, p < 0,01. Par contre, Pierrick n’était pas plus rapide à la tâche de barrage qui évaluait la vitesse de traitement de l’information, t(3) = 1,96, p 0,10.
27Bien que la différence ne soit pas significative, on notera que les enfants du groupe apparié sur l’âge mental de Pierrick avaient des performances à l’épreuve de barrage très variables et étaient même plus lents que les enfants du groupe contrôle appariés sur l’âge chronologique alors même qu’ils étaient plus âgés. Devant ce constat, afin de conforter nos résultats, nous avons comparé la vitesse de traitement de l’information de Pierrick à celles du groupe contrôle apparié sur l’âge mental de Nathan. Ainsi, pour cette tâche de barrage, les performances de Pierrick étaient assez similaires à celles des enfants du groupe contrôle de Nathan apparié sur l’âge mental (moyenne = 23 secondes, t(4) = 2,11, p > 0,10). Ces enfants n’étant que légèrement plus jeunes que l’âge mental de Pierrick, cela nous a conduit à penser que Pierrick ne différait pas véritablement en vitesse de traitement des enfants d’âge mental similaire.
28Comme attendu, pour toutes les épreuves, les enfants HPI obtenaient de meilleures performances que les enfants ayant le même âge chronologique et n’ayant pas été détectés comme HPI. Par contre, par rapport à leurs pairs de même âge mental, deux profils distincts semblent émerger. Si les deux enfants HPI présentaient bien des profils de performances différents de ceux des enfants de leur âge mental, leurs particularités dépendaient des épreuves prises en considération. Ainsi, Nathan ne différait pas des enfants de son âge mental en ce qui concerne ses capacités de mémorisation bien qu’il ait été plus rapide pour exécuter la tâche de barrage. Au contraire, Pierrick présentait des capacités de mémoire de travail bien supérieures à celles de son groupe contrôle de même âge mental. En ce qui concerne ses performances à la tâche de barrage, il présentait une vitesse de traitement assez proche de celle observée chez des enfants de son âge mental.
Discussion
29Le but de notre recherche était d’illustrer au travers de l’étude de deux cas le fonctionnement des enfants HPI qui suscitent encore de nombreuses interrogations. Le développement intellectuel des enfants HPI est-il simplement précoce ou est-il atypique ? Ainsi, dans le premier cas, les performances des enfants HPI devraient être homogènes et supérieures à leurs pairs. Au contraire, l’hypothèse d’un développement atypique devrait conduire à observer des hétérochronies entre les différentes fonctions cognitives observées. Dans cette étude, nous avons comparé les performances en mémoire de travail et en vitesse de traitement d’enfants HPI d’âge préscolaire à celles d’enfants au développement typique ayant le même âge chronologique d’une part, et le même âge mental d’autre part. L’intérêt de cette comparaison tient également au fait de ne trouver que peu d’études comparatives sur cette population en France et d’autant moins à l’âge préscolaire auquel nous nous intéressons ici.
30 Comme nous l’avions prédit, la comparaison des performances de Nathan et de Pierrick avec des enfants de leur âge va dans le sens des résultats rapportés dans la littérature. Elle montre que les enfants HPI présentent une plus grande rapidité de résolution des tâches et de meilleures performances en mémoire de travail par rapport à leurs pairs de même âge (Lautrey, 2004 ; Planche, 2000). Ces résultats sont également congruents avec l’hypothèse d’une précocité développementale de ces enfants (Lubart & Jouffray, 2006).
31 Par contre, la comparaison avec les groupes contrôles appariés sur l’âge mental fait ressortir des résultats plus intéressants. En effet, les enfants HPI ne présentent pas des performances similaires à celles de leurs pairs en âge mental dans toutes les épreuves, et même, deux profils distincts émergent. Ainsi, Nathan surpasse les enfants du même âge mental en termes de vitesse de traitement de l’information, mais il ne diffère pas d’eux en ce qui concerne ses performances dans les tâches de mémoire de travail. Au contraire, Pierrick ne présente pas une plus grande rapidité de traitement que ses pairs de même âge mental, mais ses performances de mémoire de travail sont significativement meilleures que celles des enfants du même âge mental et même par rapport à des enfants bien plus âgés. En effet, dans une précédente étude, Barrouillet et Camos (2001) ont étudié l’accroissement de l’empan mnésique au cours du développement en comparant les performances en mémoire de travail d’enfants âgés de 8 à 11 ans. Alors que, dans cette étude, les enfants de 8 ans obtiennent 3,31 d’empan moyen dans la tâche d’empan de comptage, Pierrick qui a 4 ans et 9 mois obtient un empan très similaire à cette même tâche (3) dans notre étude.
32 Ainsi, ces deux enfants HPI présentent des caractéristiques bien distinctes. Si tous les deux obtiennent de meilleurs résultats que leurs pairs du même âge chronologique dans toutes les épreuves, leur supériorité par rapport aux enfants de même âge mental dépend du domaine concerné. Bien qu’au cours du développement typique un lien fort ait pu être mis en évidence entre la vitesse de traitement et l’empan de mémoire de travail (Gaillard et al., 2011), les enfants HPI présenteraient des hétérochronies avec des avances développementales dans une fonction sans nécessairement présenter d’avance dans l’autre.
33 Notre étude conforte une constatation souvent faite : les enfants HPI présentent des profils distincts. Ainsi, les spécialistes les plus prudents précisent qu’un enfant HPI peut manifester des compétences exceptionnelles seulement dans certains domaines (Pereira-Fradin, 2006). Si les deux enfants HPI étudiés présentaient une certaine homogénéité dans les échelles de Wechsler, cette homogénéité semble en réalité cacher des capacités bien distinctes. Ces résultats, qui demandent à être répliqués sur un échantillon plus large de la population d’enfants HPI afin d’être confirmés, permettent d’apporter des arguments supplémentaires au fait que la simple utilisation d’une épreuve d’intelligence générale n’est pas suffisante pour capturer la complexité des profils des enfants HPI. Ainsi, les conceptions les plus récentes plaident pour une approche multidimensionnelle de l’évaluation du haut potentiel intellectuel (Caroff, 2004).
Références
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Mots-clés éditeurs : Précocité intellectuelle, mémoire de travail, vitesse de traitement
Date de mise en ligne : 01/11/2017
https://doi.org/10.3917/enf1.124.0373Notes
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[1]
Tous les prénoms des enfants de cette étude ont été modifiés afin de respecter leur anonymat.