Notes
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Cet article a été publié initialement en anglais sous le titre « To an Analog Banker in a Digital World », dans Strategy+business, n° 72, automne 2013.
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Catherine Palmieri est auteur, entrepreneur et consultante dans le domaine des services financiers sur Internet et mobile. Elle a participé au lancement de services bancaires pour TIAA-CREF (TIAA Direct), de services de courtage pour American Express, de banque en ligne (Citibank Direct) et sur mobile (CitiMobile) pour Citibank, et de paiement sur mobile pour CashEdge (Popmoney). Elle écrit actuellement un livre sur les stratégies de services financiers digitaux, dont cet article est adapté.
1Il y a une anecdote que j’aime à raconter aux gens du monde bancaire. L’une des tantes de ma mère était mariée à un homme d’affaires et avait pour voisin, au début des années 1900, un certain Henry Ford. Un beau jour, celui-ci leur suggéra d’investir 100 dollars de l’époque dans son Modèle T, l’équivalent de 18 000 dollars d’aujourd’hui. Ce n’était pas une petite somme à lâcher, surtout pour une idée loufoque d’un simple voisin. Ma grand-tante et son mari réfléchirent un moment, et finalement donnèrent leur réponse. C’était non. Ils pensaient sincèrement que personne n’achèterait jamais une « automobile » : le pays possédait une infrastructure largement suffisante pour les moyens de transport traditionnels et les usagers se satisfaisaient très bien de voitures à cheval. En d’autres termes, ils ont pris une décision rationnelle, fondée sur l’observation des comportements, l’environnement économique, la concurrence, la main-d’œuvre et la demande.
Focus
Pour opérer cette transition il leur faut notamment évaluer la contribution de leurs différents canaux à la performance, se focaliser sur l’expérience client, donner de l’importance à la banque mobile.
Cela ne va pas sans accorder une place centrale à ces technologies, leur consacrer des investissements conséquents et s’appuyer sur des partenaires pour développer rapidement des innovations.
2Je repense à cette histoire quand j’entends des banquiers défendre les réseaux de succursales contre la banque en ligne ou sur mobile. Les clients, disent-ils, préfèrent les agences traditionnelles. Pourtant, tous les jours, je passe à côté d’agences bancaires sans le moindre client à l’intérieur. Des agences désespérément vides, il y en a partout aux Etats-Unis et, vu la tendance de l’industrie des services financiers – au train où se développent les alternatives sur mobile et Internet –, ces réseaux ne tarderont pas à devenir obsolètes.
3La plupart des banquiers de ma connaissance ont compris qu’un changement était en train de se produire chez les clients, et ils s’attendent à un bouleversement imminent avec les technologies digitales. Mais ils ne savent pas vraiment comment réagir. Leur expérience, typiquement liée aux politiques d’ouverture d’agences de ces quinze dernières années, ne les a pas préparés aux décisions qu’ils vont devoir prendre maintenant. Par nature, ils sont ambivalents face à une incertitude apparente. Par exemple, est-il préférable de trouver un équilibre entre le réseau d’agences existant et les investissements dans les services numériques, ou vaut-il mieux liquider tout l’immobilier dès aujourd’hui ? La bonne réponse diffère pour chaque firme, en fonction de ses forces, de sa base de clients et de son implantation. Les banques capables de reconnaître quels aspects de leur métier sont promis au changement, et qui agissent en conséquence, celles-là domineront le secteur et prospéreront.
4Pour faire la distinction entre les bonnes stratégies digitales et celles qui ne donneront rien, il est important de bien comprendre une notion basique : c’est que les besoins des clients demeurent constants, simplement la technologie intervient sur la manière de les satisfaire. Les fondamentaux de la banque n’ont pas changé depuis le temps des Templiers, cet ordre de chevaliers chrétiens des xiie et xiiie siècles qui était à la tête de ce qu’on peut sans doute considérer comme la première multinationale bancaire de l’histoire. L’ordre des Templiers avait bâti son activité sur les besoins premiers de ses clients : la sécurité et l’accès à la liquidité. Les pèlerins d’Europe de l’Ouest en chemin pour Jérusalem, à l’époque des croisades, étaient facilement la proie des voleurs, du fait notamment des fortes sommes d’argent qu’ils devaient emporter. En récompense du rôle actif de ses chevaliers croisés, l’ordre était exonéré des lois locales, par décret papal, ce qui lui a permis de créer un système financier international. Les pèlerins pouvaient déposer de l’argent à Londres puis, munis d’un mot de passe, opérer un retrait auprès des Templiers de Paris, Athènes ou Jérusalem.
5La réputation de la banque des Templiers s’est rapidement établie, et bientôt rois, princes, papes lui ont confié des fonds. L’ordre déployait ces capitaux en investissant dans des terres et en prêtant aux petites entreprises. Il avait des intérêts dans l’industrie manufacturière et dans l’import-export, possédait sa propre flotte de vaisseaux. Il fut même un temps propriétaire de Chypre.
6Au début du xive siècle, l’histoire des Templiers a pris fin brutalement, quand l’ordre a perdu le soutien du pape, et par suite ses privilèges, et que le roi Philippe-Auguste (qui avait par héritage une forte dette à leur profit) s’est retourné contre lui. Le 13 octobre 1307, accusés d’hérésie, des centaines de templiers furent arrêtés et beaucoup d’entre eux massacrés. Cinq ans plus tard, leur grand-maître se voyait condamné au bûcher. Mais leur modèle de banque à distance a survécu. C’est celui auquel vous avez recours chaque fois que vous tapez votre code pour retirer de l’argent à un guichet automatique.
Les bases de l’innovation bancaire
7Depuis la fin des Templiers, toutes les innovations dans les services financiers – lettres de crédit, comptes-chèques, chèques de voyage, cartes de paiement et de crédit, guichets automatiques, banque en ligne et dépôt direct – répondent aux trois mêmes nécessités :
- la sûreté et la sécurité des capitaux, et leur accessibilité en temps et lieu voulus ;
- l’emprunt, ou accès aux capitaux pour financer la croissance (personnelle ou celle d’une entreprise) ;
- le déploiement des capitaux excédentaires pour rechercher un rendement plus élevé. Bien que cette activité soit particulièrement importante pour l’entreprise détentrice de capitaux, elle n’est nécessaire qu’à 20 % des clients des banques.
8Ces besoins sont demeurés les mêmes. La manière d’y répondre, en revanche, peut changer énormément, et c’est souvent le cas. Les sociétés de services financiers amenées à prospérer ces prochaines années auront compris quels aspects de leur activité connaîtront un total bouleversement et lesquels demeureront intacts.
9Il y a une dizaine d’années, déjà, il était possible d’envisager comment des technologies comme le haut débit, la téléphonie mobile et la vidéo sur Internet pourraient transformer la fourniture de services financiers. Les transactions électroniques devenant de plus en plus populaires, le besoin de transactions papier (billets et chèques) et d’interactions de personne à personne était appelé à diminuer. Beaucoup de cette évolution a commencé à se réaliser. Les vitesses de téléchargement n’ont cessé d’augmenter depuis les modems RTC 56K, pour en arriver aujourd’hui à la téléphonie mobile 4G. En 2011, selon CTIA-The Wireless Association, le nombre total d’abonnés sans fil aux Etats-Unis (328 millions) dépassait celui des habitants (316 millions). Le choix par défaut dans beaucoup de transactions de détail est la fourniture à domicile. La notion de « face à face » en est venue à signifier « en tout lieu à tout moment », via Skype, le « chat » vidéo et bientôt Google Glass. Et celle de monnaie ? Les crédits Facebook, les paiements par mobile et Bitcoin illustrent bien la rapidité à laquelle la monnaie numérique et les transactions sans contact peuvent émerger.
10Dans ce contexte, il est étonnant de voir à quel point les sociétés de services financiers ont pu se montrer lentes, par rapport à d’autres industries, à s’adapter aux changements technologiques. Alors que les vendeurs de musique, de matériel électronique ou autres ont réduit voire supprimé leurs réseaux de distribution physiques, les grandes banques les ont élargis, par des acquisitions ou en ouvrant leurs propres guichets traditionnels. Alors même que certains établissements fusionnaient, le nombre des succursales bancaires aux Etats-Unis continuait d’augmenter, pour approcher les 100 000 en 2009. De 2002 à 2012, les quatre plus grandes banques ont doublé celui de leurs agences.
11Bien sûr, toutes les grandes banques américaines proposent aujourd’hui des services en ligne, mais la plupart d’entre elles ont ouvert des succursales en même temps. Sur la base des dépôts par agence (ce qui est un bon indicateur du nombre de clients, car les dépôts sont au centre des relations dans les services financiers), ces nouvelles ouvertures n’ont pas fait gagner en efficacité opérationnelle ni élargi la base de clients. Je connais une grande banque qui dominait le secteur en termes de dépôts par agence en 2004 (plus de 300 millions de dollars) et a perdu cette première place pour avoir développé son réseau traditionnel et négligé la distribution digitale. Sa moyenne de dépôts se situe aujourd’hui autour de 150 millions par agence, la moitié de ce qu’elle était en 2004. En outre, sa dépendance par rapport au réseau s’est compliquée avec la « loi de réforme de Wall Street et de protection du consommateur » (Dodd-Frank Act) : pour compenser la perte de chiffre d’affaires, les directeurs d’agence se sont rabattus sur les ventes croisées de produits, quand bien même ceux-ci n’étaient pas rentables.
12Bref, même si chaque banque peut d’une manière ou d’une autre prétendre avoir amélioré ses résultats, les gains de performance qui comptent le plus ont été plus rapides dans les banques qui ont réduit leur réseau d’agences et étendu leurs capacités digitales, en particulier depuis 2009. Posséder moins de succursales ne fait pas fuir le client, pas plus que cela ne diminue les actifs. C’est simplement le premier pas vers la survie. Pourtant, beaucoup d’organismes financiers et de leurs dirigeants s’accrochent au mythe du client qui ne travaillerait avec eux que parce qu’ils ont un réseau de distribution basé sur les succursales. C’est du moins ce que suggèrent leurs études de clientèle. Mais tout bon chercheur vous dira que le comportement des consommateurs diffère souvent de leurs réponses aux enquêtes. Quand Citibank a installé des guichets automatiques à New York City dans les années 80, les études de marché indiquaient que 99 % des clients ne se serviraient jamais de ces machines pour retirer de l’argent. Une bonne dizaine d’années plus tard, 99 % des gens juraient qu’au grand jamais ils ne négocieraient ni n’effectueraient d’opérations bancaires en ligne. Mais aujourd’hui, pratiquement tous les détenteurs d’un compte utilisent les GAB, 90 millions de foyers américains effectuent des opérations et 22 millions négocient sur Internet.
L’avenir des services bancaires aux particuliers
13Le changement auquel on assiste aujourd’hui dans les services financiers s’est déjà produit dans d’autres secteurs, tel par exemple celui de la musique enregistrée. Au début des années 2000, la commodité et le coût peu élevé des téléchargements MP3, l’étendue du choix et la possibilité de décider du lieu et du moment, tout cela a contribué à créer un point charnière à partir duquel le consommateur s’est tourné vers l’iPod. Toute l’industrie musicale était organisée autour d’une économie de distribution matérielle : les labels regroupaient les morceaux en albums, parce que le coût de ce mode de distribution (vente en magasin et production de supports comme les vinyles, cassettes et CD) ne pouvait pas être couvert par le chiffre d’affaires tiré des « singles ». Tout à coup, la distribution par Internet de musiques, vidéos, films, a permis de toucher un public plus large pour une toute petite partie du coût. Il en a résulté une désintermédiation qui a conduit à l’effondrement du secteur des magasins de musique. Les sociétés de services financiers commencent seulement à reconnaître l’apparition de signaux similaires.
14Un signal clair aura été le basculement à la monnaie électronique sous la forme des cartes de paiement ou de crédit. D’après les autorités fédérales, les chèques et la monnaie papier représentaient plus de 70% de toutes les transactions financières en 2000 ; en 2010, ce pourcentage tombait à 43 %. Autre signal, l’arrivée de la génération des 15-30 ans, habituée à communiquer via des terminaux mobiles et moins demandeuse de contacts directs. En particulier lorsqu’ils s’agit de produits et services immatériels (comme le sont toutes les offres de produits financiers), les jeunes attendent qu’on leur fournisse ce qu’ils veulent au moment, au lieu et sous la forme de leur choix.
15Il y a souvent un fossé entre savoir ce qui devrait être fait et savoir comment y parvenir. Il est utile ici de se rappeler les Templiers et les besoins de base auxquels la banque doit répondre (sûreté et sécurité des capitaux, accessibilité en temps et lieu voulus, et déploiement des capitaux excédentaires pour un rendement plus élevé), mais pour interpréter ces besoins à la lumière des technologies actuelles.
16Du fait de la nature, du volume et de la rapidité des transactions qu’il autorise, ainsi que du spectre démographique qu’il couvre, le service aux particuliers est au cœur de toutes les relations de services financiers. Entre paiement des factures, utilisation des cartes de paiement et de crédit, retraits d’argent et dépôts, l’individu moyen interagit avec sa banque entre 100 et 200 fois par an – à comparer avec les six à douze transactions d’investissement de cette même personne, et les une ou deux transactions dans des produits de retraite. Au centre de cette relation, il y a la sécurité des capitaux. La plupart des banques – depuis le cochon-tirelire en céramique jusqu’à la banque privée des élites – commencent avec des produits d’épargne ou de dépôt. Si vous gardez à l’esprit que les clients sont intéressés par la sécurité, les mouvements d’argent, les possibilités de liquidité et l’accès aux capitaux, comme de tous temps ils l’ont été, alors il devient beaucoup plus facile de faire entrer ces services dans le monde digital.
Neuf préceptes pour une banque digitale
17Les conseils qui suivent peuvent aider les acteurs des services financiers à opérer la transition vers un monde où, la plupart du temps, ils ne rencontreront leurs clients qu’en ligne.
18Choisissez bien vos indicateurs et méthodes de mesure. Aujourd’hui, la plupart des sociétés de services financiers se concentrent sur les indicateurs comptables de suivi et de benchmarking. Chaque rapport trimestriel doit permettre la comparaison avec le trimestre précédent, et d’une année sur l’autre. Dans le passé, ces chiffres pouvaient être significatifs de l’impact de la concurrence, parce que celle-ci se jouait dans le proche voisinage. Mais aujourd’hui vos principaux rivaux ne sont plus situés dans la même rue. Prenons un exemple en Allemagne. Entre 1995 et 2005, une grande banque allemande a vu le nombre de ses comptes passer de 127 millions à 132 millions. Puisque la tendance était à la hausse, ses dirigeants se sont dit : « On est en bonne santé. » Mais s’ils avaient mesuré leur part du marché, ils auraient pu observer que celui-ci s’était élargi avec l’arrivée de nouveaux acteurs en ligne et qu’en réalité la banque avait perdu 10 points.
19Rares sont les établissements qui ont aujourd’hui le courage de mesurer vraiment leur part de marché, encore moins la contribution des différents canaux à leur chiffre d’affaires. Rien qu’aux Etats-Unis, les banques exclusivement en ligne sont passées de 3 milliards de dollars de dépôts en 2002 à plus de 380 milliards en 2011, et pourtant elles sont souvent exclues des analyses de la concurrence conduites par les acteurs traditionnels. En outre, pendant la dernière décennie, beaucoup de banques ont choisi d’affecter à l’« agence du domicile » tous les comptes tenus via d’autres canaux (comme la téléphonie et Internet), jetant ainsi un voile sur l’impact relatif des services en ligne et hors ligne.
20Prenons mon exemple personnel : en 1997, je suis entrée dans une agence de la Citibank à Manhattan pour ouvrir un compte-chèques. Depuis, je suis retournée physiquement dans cette agence tout au plus cinq fois, et jamais pour ouvrir un nouveau compte. Mais les neuf produits Citibank que j’ai ajoutés à ce compte continuent d’être attribués à cette agence, comme si elle était responsable de mes achats. Aussi longtemps que cette pratiquera se perpétuera, il sera impossible à un gestionnaire d’évaluer l’importance relative de la distribution traditionnelle dans la performance d’une banque.
21Un bon moyen de savoir si votre établissement perd des parts de marché au profit de concurrents Internet est de demander à votre directeur digital de fournir des chiffres sur le nombre de personnes qui ont visité une page produit sur votre site Web puis sont allés demander ce produit ailleurs – l’équivalent digital de la perte de fréquentation physique au profit de votre concurrent le plus proche. En 2005, quand j’étais à Citibank, nous avons déterminé que plus de 500 000 clients avaient ouvert un compte à ING Direct (une banque en ligne qui, après avoir été acquise par Capital One, a été rebaptisée Capital One 360 en 2013), juste après avoir passé en revue nos pages compte épargne. Ces données nous ont poussés à lancer notre compte épargne exclusif en ligne, e-Savings, en 2006.
22Concentrez votre effort sur l’expérience client. Pour un nombre significatif de clients actuels ou potentiels, votre portail en ligne est le premier accès à votre expérience client. Pourtant, quand ils « franchissent » cette « porte » pour ouvrir un compte, on leur demande souvent d’envoyer leur demande par courrier ou de passer par des canaux non numériques. Nous vivons dans un monde de l’instantané, un monde d’e-signatures, d’identifiants et de monnaie électronique. Si vous n’offrez pas encore de vraie possibilité d’ouverture « instantanée » de compte en ligne, alors posez ce que vous êtes en train de faire et comblez cette lacune dès aujourd’hui. A Citibank, quand nous avons mis en place cette procédure, nous avons augmenté le nombre des nouveaux comptes de 472 %, avec seulement 38 % de salariés à plein temps supplémentaires. S’il vous faut une autre raison, songez que chaque compte en ligne ne vous coûte que 9 dollars à ouvrir et qu’il devrait être un facteur de ventes répétées et de fidélité client.
23Les systèmes de commande en ligne devraient s’inspirer du service « 1-Click » d’Amazon. Utilisez les données que vous possédez déjà pour précompléter les champs ou réduire au maximum le nombre de questions. A Citibank, nous avons permis à nos clients actuels d’ouvrir de nouveaux comptes épargne en deux clics seulement, et nous avons ramené le nombre de questions pour une préqualification hypothécaire instantanée de 40 à 9.
24Gagnez en efficience en vous déchargeant des transactions de routine sur des prestataires à bas coût. A Citibank, nous savions que le coût unitaire des transactions en ligne était de 4 cents, celles effectuées via des GAB de 14 cents, via des serveurs interactifs vocaux de 2,53 dollars, et via des opérateurs dans un centre d’appels de près de 18 dollars. Faire passer le quotidien des opérations par les canaux les moins chers peut vous permettre non seulement de réduire vos coûts de service, mais aussi de mieux satisfaire le client. Vous pouvez découvrir des opportunités en demandant, chaque trimestre, aux managers de votre centre d’appels quelles sont leurs dix principales catégories de transactions. Nous avons utilisé cette stratégie à Citibank pour identifier celles à faible valeur ajoutée – changements d’adresse, demandes de relevé de compte, commandes de chéquier – que nous pouvions basculer facilement sur Internet et terminaux mobiles. Nous savions que nous y gagnerions en efficience, mais nous avons été surpris de la réaction des clients. L’une des options qu’ils ont le plus aimées a été la possibilité de consulter leur compte en ligne et de l’imprimer – rien de très innovant, mais c’est, selon eux, pratiquement la plus belle chose que nous leur ayons offerte.
25Traitez la banque mobile comme un canal à part entière, et non comme « un petit écran Internet ». Le gros avantage de la technologie mobile est de pouvoir enfin tenir la promesse originale d’Internet d’une accessibilité à toute heure du jour et de la nuit, 365 jours par an et partout dans le monde. La banque sur mobile permet aux gens de faire tout, en tout lieu et à toute heure, y compris de signaler des fraudes, d’effectuer des paiements, de gérer des programmes de fidélité et de transférer des fonds, avec un très faible taux de dysfonctionnement. Vous pouvez exploiter les capacités de géolocalisation des mobiles pour indiquer des adresses d’agences et de GAB, mais aussi pour répondre à un certain nombre de besoins de base du client, par exemple la vérification de l’identité.
26Segmentez vos services en fonction de ce que demandent les clients et non de ce qui justifie votre stratégie. Le modèle économique traditionnel de beaucoup de banques de détail se fonde sur le principe que les clients fortunés méritent des rendez-vous fréquents. Mais ce n’est pas forcément ce qu’ils souhaitent. Ils veulent bénéficier d’un traitement préférentiel, être choyés, ce qui peut signifier ou ne pas signifier être assis en face d’un salarié dans une agence à une heure de bureau.
27A Citibank, notre analyse de segmentation a montré que nos meilleurs clients étaient des personnes à haut revenu, d’âge moyen, aimant la technologie et habitant le centre-ville ou sa banlieue. Ce sont des inconditionnels de nos outils en ligne et sur mobile, enchantés par chacune des innovations que nous introduisons. Aujourd’hui, avec l’Internet mobile, Skype, les messageries et les réseaux sociaux au bout de leurs doigts, ce qu’attendent beaucoup de clients à valeur nette élevée, c’est une communication et un service immédiats, quels que soient l’heure et le lieu. Pourquoi devraient-ils prendre rendez-vous et se traîner jusqu’à une agence quand il leur suffit de contacter leur banquier ou leur conseil en investissement via FaceTime ?
28Consacrez 70 % de vos investissements aux technologies génériques. Privilégiez les technologies qui facilitent le contact avec le client sans nécessiter d’installations en dur, ni pratiquement aucun intermédiaire humain. Par exemple, au lieu de développer une importante force de vente directe, utilisez plutôt Salesforce.com et Skype pour créer des services personnalisés combinant interactions humaines et informatiques. Diverses technologies avancées vous permettront d’accroître vos capacités marketing et renforcer votre avantage concurrentiel, notamment en matière de segmentation, ventes croisées, modèles prédictifs, reciblage, meilleur produit suivant, conception d’offre et de produit, gestion de la relation client et exploration de base de données. Les réseaux sociaux sont riches de données qui vous aideront à mieux comprendre les motivations et intentions d’achat de vos clients. Exploitez les informations de LinkedIn sur les changements d’emploi ou de Facebook sur les déménagements et les naissances pour lancer des offres de prêt ou des contrats d’assurance qui recevront les plus forts taux de réponse positive.
29Servez-vous d’Internet pour allier excellence de l’exécution et proximité des clients. L’une de nos mesures les plus importantes a été de consolider les données client – par exemple, de prendre les informations collectées en un point des opérations et les réutiliser dans un autre, de sorte qu’il ne soit pas nécessaire de les renseigner de nouveau lorsqu’un client ouvre un nouveau compte. Pour ce dernier, le message est « nous savons qui vous êtes, et vous nous êtes précieux ». Il est malheureusement très difficile, dans la plupart des cas, de construire un méga-entrepôt de données agrégées, mais on peut le simuler avec des interfaces utilisateur graphiques. C’est ce que nous avons fait à Citibank pour reprendre dans les comptes d’investissement les informations client issues des comptes personnels. Votre centre d’appels peut de même exploiter ces renseignements pour proposer des investissements, des plans d’épargne retraite, des contrats d’assurance, des prêts hypothécaires ou autres conseils adaptés aux besoins de chaque client et à ses éventuels changements d’activité. Cela vous procurera aussi des outils pour augmenter les ventes croisées, mieux évaluer la contribution d’un client au chiffre d’affaires par rapport au coût du service, et adapter vos tarifs en conséquence.
30N’abandonnez pas la responsabilité de la digitalisation à vos seules équipes marketing ou technologie. Parce qu’elle est globalement importante pour votre banque, la technologie digitale doit être managée comme une capacité propre à l’entreprise et non comme un accessoire de marketing ou de gestion de marque, ou encore comme une tâche à exécuter. Ni l’informatique ni le marketing ne sont en eux-mêmes bien positionnés pour réaliser pleinement le potentiel complexe des canaux Internet et mobile, faire ouvrir de nouveaux comptes par une jeune génération de consommateurs fans de technologie, promouvoir les ventes croisées et gagner en efficacité.
31Si vous ne pouvez pas innover de l’intérieur, cherchez des partenaires. Le secret d’une grande innovation, c’est qu’elle n’impose pas de changement radical. Les innovations véritablement réussies se sont faites soit à tout petits pas, soit à travers une succession d’innovations mineures.
32L’iPod, par exemple, n’était en rien une innovation. Akio Morita, de Sony, avait inventé le baladeur vingt ans avant le lancement de l’iPod, et Napster proposait le téléchargement de morceaux depuis plus de cinq ans. Et les écrans tactiles ? Apple ne les a introduits qu’en 2007 avec l’iPhone, mais Citibank avait installé des écrans tactiles dès les années 80. L’« innovation » a été de réunir toutes ces possibilités dans un produit qui soit pertinent pour le consommateur et, surtout, facile d’emploi.
33Le partenariat avec de petites entreprises de technologie peut être un excellent moyen d’innover rapidement. Votre innovation n’a pas besoin d’aller trop loin, compte tenu des besoins fondamentaux des clients bancaires. A Citibank, nous avons passé des accords avec des partenaires externes pour donner le jour à notre capacité d’ouverture de compte instantanée, et pour être les premiers dans le pays à proposer une application bancaire mobile téléchargeable.
34Bien évidemment, le développement d’innovations comme celles-ci suppose une collaboration étroite entre votre direction de la technologie et le partenaire extérieur. En outre, toutes les personnes impliquées doivent nécessairement posséder une bonne compréhension des objectifs économiques. (Il est souhaitable, par ailleurs, d’être doté d’un tempérament obstiné, car vous serez d’autant plus entouré de sceptiques et d’opposants que vous vous situerez à l’avant-garde.)
Devenir soi-même une force perturbatrice
35Nous ne savons pas qui seront les principaux acteurs des services financiers en, disons, 2020, mais on peut penser que certains d’entre eux n’avaient pas encore d’existence – ou tant s’en faut – en 2013. De puissants perturbateurs sont entrés en lice. L’offre de carte prépayée rechargeable de Walmart fonctionne comme un compte-chèques. Paypal permet des paiements hors du système bancaire. Isis propose des comptes de dépôt avec possibilité de paiement via les téléphones mobiles. Mint offre des services automatisés de conseil financier gratuits sur Internet. Lending Tree désintermédie le crédit traditionnel, en supprimant une grande partie des démarches. Covestor met en relation des investisseurs individuels avec des gestionnaires de portefeuille qui répondent à leurs besoins. Chacune de ces irruptions a déjà commencé à démanteler partiellement la chaîne de valeur des services financiers traditionnels. Les banques doivent agir dès maintenant, si elles veulent contrer les forces concurrentielles qui surgissent de toutes parts, et devenir elles-mêmes des forces perturbatrices, au nom de leurs clients, de leur plein droit.
Notes
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Cet article a été publié initialement en anglais sous le titre « To an Analog Banker in a Digital World », dans Strategy+business, n° 72, automne 2013.
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Catherine Palmieri est auteur, entrepreneur et consultante dans le domaine des services financiers sur Internet et mobile. Elle a participé au lancement de services bancaires pour TIAA-CREF (TIAA Direct), de services de courtage pour American Express, de banque en ligne (Citibank Direct) et sur mobile (CitiMobile) pour Citibank, et de paiement sur mobile pour CashEdge (Popmoney). Elle écrit actuellement un livre sur les stratégies de services financiers digitaux, dont cet article est adapté.