Notes
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[1]
Dominique R. Jolly (Dominique.Jolly@Skema.edu) est professeur de stratégie d’entreprise à SKEMA Business School. Il a été doyen de la faculté du campus de Sophia-Antipolis et directeur du développement international de SKEMA. Il anime des missions en Chine, où il est professeur visitant à CEIBS (Shanghai). Il est consultant pour plusieurs grandes entreprises en France et à l’étranger et conseille des organisations internationales et des gouvernements étrangers.
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[2]
Voir, par exemple, G. E. Blau, J. F. Pekny, V. A. Varma et P. R. Bunch, « Managing a Portfolio of Interdependent New Product Candidates in the Pharmaceutical Industry », Journal of Product Innovation Management, vol 21, n° 4, 2004 ; ou encore L. Kester, E. J. Hultink et K. Lauche, « Portfolio Decision-Making Genres : A Case Study », Journal of Engineering and Technology Management, vol. 26, n° 4, 2009.
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[3]
Notamment depuis le travail de R. G. Cooper, S. J. Edgett et E. J. Kleinschmidt (« New Problems, New Solutions : Making Portfolio Management more Efficient », Research-Technology Management, vol. 43, n° 2, 2000), qui montre que les entreprises mettant en œuvre un processus systématique de gestion de leur portefeuille de projets ont une performance plus élevée que les autres.
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[4]
M. W. Dickinson, A. C. Thornton et S. Graves, «Technology Portfolio Management : Optimizing Interdependent Projects over Multiple Time Periods », IEEE Transactions on Engineering Management, vol. 48, n° 4, 2001.
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[5]
R. Balachandra et J. H. Friar, « Factors for Success in R&D Projects and New Product Innovation : A Contextual Framework», IEEE Transactions on Engineering Management, vol. 44, n° 3, 1997.
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[6]
Voir D. Jolly, « The Issue of Weightings in Technology Portfolio Management», Technovation, vol. 23, n° 5, 2003.
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[7]
J. M. Utterback, Mastering the Dynamics of Innovation, Harvard Business School Press, 1994.
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[8]
Je tire ces critères de la même source que citée précédemment : D. Jolly, 2003.
1Un directeur R&D a plusieurs missions. Il doit trouver l’équilibre optimal entre recherche et développement – et entre recherche fondamentale et recherche appliquée –, choisir entre le développement interne et l’acquisition externe, arbitrer entre une mise en œuvre autonome ou coopérative, recommander des actions verticales et horizontales au sein de son organisation, repérer les technologies qui pourraient être commercialisées, etc. Il fait aussi face à un ensemble d’opportunités d’investissement dans différents projets de développement technologique. Ces projets sont un élément central de renouvellement de l’entreprise. Seulement, tous ne peuvent être poursuivis. Les arbitrages requis sont au cœur du pouvoir de décision des patrons R&D.
2Les porteurs de projets peuvent se livrer à une concurrence féroce pour l’accès à des ressources limitées (capital, effectifs, installations physiques, équipements, etc.). Si cette gestion de portefeuille n’est pas formalisée, elle se retrouve sous la pression de groupes d’intérêt. C’est la porte ouverte aux biais de personnalité, aux préférences individuelles, aux émotions. Afin de systématiser le processus d’évaluation, des modèles ont été conçus.
Focus
Les dépasser requiert de discerner ce qui relève de l’attrait du domaine technologique, hors du contrôle de l’entreprise, de ce qui concerne sa propre compétitivité, sous son contrôle.
Une distinction fondamentale qui permet d’établir des familles d’indicateurs appropriés, vérifiés empiriquement.
3De nombreux articles sur les portefeuilles de technologies ont été publiés ces trente dernières années [2]. Certains modèles suggèrent de croiser les perspectives d’augmentation de la productivité avec celles de rendement ; d’autres recommandent de s’appuyer sur l’importance de la technologie et la position concurrentielle de l’entreprise. L’utilité de ces modèles n’est plus remise en question [3]. Cependant, très peu d’attention a été accordée aux indicateurs que les praticiens devraient utiliser pour évaluer leurs projets technologiques.
Les lacunes des modèles existants
4Le point de départ est l’évaluation de la situation actuelle. Il y a deux perspectives : l’évaluation des projets alternatifs et l’identification des indépendances et interrelations entre projets. De nombreuses méthodes ont été développées : mesure de la rentabilité financière, notation, programmation mathématique, théorie de la décision et des jeux, simulation, intelligence artificielle, analyse heuristique et cognitive, etc. La programmation mathématique, par exemple, permet de résoudre les problèmes d’optimisation grâce à un programme fonctionnant sous différentes contraintes imposées par le modèle. En raison du niveau de complexité de ces techniques, toutefois, les managers sont souvent dissuadés de les utiliser. La méthode de la notation est plus facile à mettre en œuvre.
5Mais l’évaluation des projets alternatifs ne suffit pas. Il faut aussi tenir compte des interdépendances, par exemple lorsque le succès d’un projet dépend d’un autre ou lorsque des projets s’excluent mutuellement ou, au contraire, créent des synergies dans l’utilisation des ressources. Une matrice des interdépendances entre projets peut être utile.
6• Une dominante financière. La première limite des modèles existants est que très peu de travaux sérieux ont été conduits sur les critères et les mesures à utiliser pour l’évaluation de la technologie. De nombreux modèles sont tirés de l’analyse financière. Ils utilisent des mesures telles que l’actualisation des flux de trésorerie, le taux de rendement interne, la valeur actualisée nette, le retour sur investissement ou encore la période de remboursement. Certains, plus sophistiqués, intègrent des probabilités dans le calcul. Mais en mettant l’accent sur les rendements financiers et/ou économiques, ces approches oublient les critères non monétaires.
7• Des entrées peu fiables. Une autre faiblesse importante concerne la qualité des entrées. Les coûts fixes, l’investissement initial et les coûts variables peuvent généralement être estimés correctement. En revanche, estimer les futurs flux de trésorerie entrants sur un horizon de planification à long terme ainsi que des probabilités pour calculer la valeur actualisée nette peut vite devenir totalement spéculatif. Bien que ces mesures financières donnent l’impression d’être très claires et élégantes, les données qu’elles utilisent sont très souvent fondées sur des jugements subjectifs. Enfin, les approches financières n’arrivent pas à distinguer entre la valeur accumulée et la valeur potentielle. La première est sous le contrôle de l’entreprise tandis que la seconde doit être capturée.
8• Des critères restreints. Une autre option est de recourir à des statistiques de brevets. Il s’agit de faire appel, pour la prise de décision au niveau microéconomique, à des indicateurs habituellement employés pour apprécier la capacité technologique nationale. Des analyses bibliométriques permettent d’identifier de potentiels domaines de recherche, pour évaluer la compétitivité technologique et établir des priorités en matière de R&D. Ces techniques, très utiles, sont malheureusement trop focalisées dans leur approche. Or l’évaluation du portefeuille de technologies ne peut se limiter à un seul indicateur. Elle doit reposer sur plusieurs critères. La plupart des modèles reposent sur un nombre restreint de critères (trois à six) ou attachent peu d’importance au choix de ces derniers.
9• Des mesures négligées. La définition des échelles de mesure n’a pas non plus fait l’objet de beaucoup d’attention. Par exemple, le modèle de Dickinson et al. [4] utilise cinq variables : la valeur actuelle nette, la probabilité de succès, le niveau d’interdépendance avec d’autres projets, la capacité de changement et l’alignement avec les objectifs stratégiques. Balachandra et Friar [5] proposent une longue liste de critères mais ne donnent pas les mesures appropriées. Finalement, le concept étudié n’est pas toujours clair. Alors que de nombreux auteurs se concentrent sur l’attrait de la technologie ou la valeur du projet, beaucoup ne définissent pas exactement ce qu’ils analysent. La plupart des modèles mêlent critères internes et externes, contrôlables et non contrôlables. En résumé, les modèles existants souffrent de trois limites : un manque de clarté quant à la définition de ce qui est évalué, un ensemble de critères restrictifs et des échelles de mesure pauvres. Comment les surmonter ?
Distinguer les critères contrôlables et non contrôlables
10Certains modèles reposent sur une seule dimension (comme la valeur financière). D’autres utilisent un cadre bidimensionnel. Mais ces dimensions varient d’un modèle à un autre. Je suggère de distinguer les critères contrôlables de ceux qui ne le sont pas. Cette dichotomie est opératoire dans de nombreuses circonstances. Comme disait il y a fort longtemps le philosophe Epictète : « Parmi les choses qui existent, certaines dépendent de nous et d’autres pas. »
11Dans le domaine de la stratégie, le cadre SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, and threats) s’appuie sur ce découpage. Les forces et les faiblesses de l’entreprise dépendent de ses ressources internes. L’entreprise est libre d’adopter le comportement qu’elle souhaite en ce qui concerne ces dernières, censées être sous son contrôle (laboratoires, réseaux de distribution, portefeuille de technologies, etc.). Au contraire, les opportunités et les menaces dépendent de ce qui se passe dans l’environnement. L’entreprise a peu d’impact sur des éléments extérieurs tels que les actions des concurrents, des fournisseurs, des régulateurs, ou les choix des clients. Ce sont pour la plupart des facteurs non contrôlables.
L’évaluation de l’attrait du domaine technologique
L’évaluation de l’attrait du domaine technologique
L’évaluation de la compétitivité technologique de l’entreprise
L’évaluation de la compétitivité technologique de l’entreprise
12Les modèles de portefeuille des stratèges sont également tous basés sur cette distinction entre facteurs sous contrôle et facteurs hors contrôle. La matrice BCG combine la croissance du marché (hors contrôle) et la part de marché (sous contrôle). La matrice de General Electric/ McKinsey prend en compte l’attractivité de l’industrie (hors contrôle) et les forces de l’entreprise (sous contrôle). La matrice ADL s’appuie sur la maturité de l’industrie (hors contrôle) et la position concurrentielle (sous contrôle). Ces modèles partent tous des mêmes principes : ils distinguent l’attractivité du secteur (valeur potentielle) et la compétitivité de la business unit (valeur cumulée) dans son secteur. La première dimension est la plupart du temps donnée et hors du contrôle de l’entreprise tandis que la seconde est censée être sous son contrôle.
13En résumé, il y a les actifs et les compétences qui dépendent du comportement de l’entreprise et de ses décisions. Je fais référence ici à des facteurs internes comme la « compétitivité technologique de l’entreprise » (et donc la valeur accumulée sous son contrôle). Sur ce point, la position d’une entreprise peut être très différente de celle d’une autre. Il est aussi des choses qui ne dépendent pas de l’entreprise, comme « l’attrait du domaine technologique » (et donc sa valeur potentielle). Les critères utilisés pour mesurer cette attractivité sont importants pour la création de valeur. Ils font principalement référence à des éléments intrinsèquement liés à la technologie et sont hors du contrôle de l’entreprise. L’attractivité d’un domaine technologique est identique pour toutes les entreprises concurrentes. En synthèse :
14Proposition 1. L’évaluation d’un projet technologique repose sur une division conceptuelle entre « l’attrait du domaine technologique » (hors du contrôle de l’entreprise) et la « compétitivité technologique » (sous le contrôle de l’entreprise).
Les critères d’attrait des technologies
15L’attrait d’un domaine technologique est fonction de divers facteurs externes, qui définissent la situation vécue par toutes les entreprises du même domaine. Le tableau page 124 présente seize indicateurs de l’attrait technologique [6] répartis en quatre familles : le potentiel du marché, la situation concurrentielle, le potentiel technique et la situation socio-politique.
16Le potentiel du marché. Il s’agit d’appréhender la récompense attendue de la technologie considérée. Le potentiel de marché sera plus ou moins facile à estimer en fonction du degré de nouveauté. Les marchés existants sont relativement faciles à estimer. Un marché entièrement nouveau beaucoup moins. Les utilisations potentielles et la taille du marché comportent de nombreuses inconnues. Le volume de marché dépend de la couverture géographique, du dynamisme de la demande, de l’horizon temporel, des avantages acquis par les consommateurs, de leur solvabilité, etc. Le potentiel de marché est aussi fonction de l’éventail d’applications possibles (par exemple, la carte à puce a ouvert de nombreux horizons) et de la sensibilité des clients à la technique.
17La situation concurrentielle. Le premier critère est le nombre de concurrents. Dans les nouvelles technologies, quand les barrières à l’entrée sont faibles, les concurrents se bousculent. Une évolution à la hausse de leur nombre signifie que la technologie est attrayante. Quand il n’augmente plus, c’est que l’attrait diminue. Le niveau d’engagement est le deuxième critère. La technologie est jugée comme non attractive si aucun concurrent n’y est engagé. A l’inverse, si tous les concurrents sont impliqués, cela signifie que la technologie est attractive. L’intensité de la concurrence, troisième critère, oppose les situations où les entreprises rivalisent fortement et celles où elles se montrent peu tenaces.
18Le quatrième critère est l’impact de la technologie sur la valeur et/ou le coût de l’offre dans lequel elle est incorporée (telle qu’elle est perçue par les clients). La technologie devient en effet intéressante dès qu’elle permet aux entreprises de développer un avantage concurrentiel.
19Un cinquième aspect de la situation réside dans les obstacles à la copie ou à l’imitation. Ce critère fait référence à la capacité de la technologie à soutenir une barrière à l’entrée. L’investissement dans une technologie serait inutile si la société n’était pas en mesure de la protéger. A l’inverse, lorsque les obstacles à la copie sont élevés, la technologie devient plus attrayante. Finalement, l’existence ou non d’un design dominant [7] a un impact sur l’attractivité. Le design dominant est le choix de format technique qui reçoit l’allégeance du marché. Dans une activité nouvelle, de multiples standards peuvent émerger. Cela rend le champ attrayant. En revanche, lorsqu’un design dominant existe, il n’y a plus aucun degré de liberté.
20Le potentiel technique. Le stade atteint par la technologie dans son cycle de vie est le premier critère. Il montre l’intérêt de celle-ci au cours du temps. Lorsque la technologie en est à ses débuts, l’attractivité est forte. Lorsque sa performance se stabilise, l’attractivité faiblit. Le potentiel de progrès est le second critère. C’est la différence entre le niveau de performance atteint et la valeur maximale que la technologie est supposée livrer. Lorsque le niveau de performance atteint est proche du maximum, il y a peu d’incitations à continuer à investir dans cette technologie.
21Un troisième critère est l’écart de performance vis-à-vis des technologies alternatives. Plus l’écart est élevé, plus l’attrait de la technologie est fort. Il faut un écart suffisamment important pour surmonter les obstacles (habitudes, système en place, etc.) à la mise en œuvre du changement. La menace de technologies de substitution est un quatrième critère. Elle augmente lorsque la technologie atteint sa maturité.
22Le dernier critère est le potentiel de transferts d’unité à unité, c’est-à-dire le potentiel de transferts horizontaux de connaissances entre unités stratégiques. En effet, si certaines technologies sont faciles à transférer, d’autres ne le sont pas.
23La situation sociopolitique. Certaines technologies créent des craintes (le nucléaire ou les logiciels intrusifs, par exemple), d’autres sont très bien accueillies par la société (moteurs hybrides, produits ou systèmes recyclables, etc.). Les nouvelles technologies peuvent être à l’origine de multiples externalités négatives (accidents du travail, pollution, risques pour les consommateurs, impact sur les valeurs, etc.) qui affectent le bien-être de parties prenantes très diverses. Par conséquent, celles-ci peuvent exercer des pressions sur les entreprises qui développent ces technologies. Plus ces pressions sont élevées, moins la technologie est attractive. Dans le même registre, l’attrait d’une technologie dépend de l’appui du public pour son développement, à savoir le soutien financier obtenu à partir de sources publiques. En synthèse :
24Proposition 2. Dans la pratique, les managers évaluent l’attrait de leurs projets technologiques sur la base d’un ensemble assez limité d’indicateurs du marché, de critères concurrentiels, techniques et sociopolitiques.
Les critères de compétitivité technologique
25L’évaluation de la position compétitive d’une entreprise sur un champ technologique donné s’appuie sur des critères internes. Le tableau page 125 présente une liste de seize indicateurs pour évaluer la compétitivité technologique [8]. Ces critères sont regroupés en deux familles : ressources technologiques d’une part, ressources complémentaires d’autre part.
26La valeur des ressources technologiques. Neuf critères permettent l’évaluation de ces ressources. L’origine des actifs exprime une dépendance possible vis-à-vis de fournisseurs extérieurs ou, au contraire, une indépendance totale si la technologie a été développée entièrement en interne. La proximité de la technologie avec le cœur de métier de l’entreprise est plus ou moins forte. Plus la technologie est alignée avec les compétences de base, plus la compétitivité est élevée (en raison des synergies attendues). L’expérience du domaine technologique est un autre critère de compétitivité. De même que les brevets détenus par l’entreprise. La valeur des laboratoires et de l’équipement, l’expertise de la R&D sont les critères cruciaux pour le succès du programme. Enfin, la diffusion des connaissances technologiques au sein de la société est le dernier critère touchant directement aux ressources technologiques.
Méthodologie de l’étude
Le questionnaire a été administré dans 63 entreprises. Il s’agit d’un échantillon de convenance résultant de contacts avec l’industrie. Ces sociétés ont au moins 100 employés. Presque toutes consacrent plus de 4 % de leur chiffre d’affaires à la R&D. Dans chaque entreprise, un groupe de managers expérimentés a évalué un ensemble de projets technologiques connus de lui sur la base de ces critères. Chaque participant a d’abord été invité à remplir le questionnaire seul. Ensuite, les réponses de tous les répondants ont été partagées lors d’une réunion commune. Et les écarts ont été discutés au sein du groupe. Dans une deuxième phase, après discussion, chaque participant a été autorisé à modifier ses évaluations. Ce processus, de type Delphi, a permis d’aboutir à des évaluations plus convergentes.
Les données de certaines entreprises ont été écartées de l’échantillon lorsqu’elles n’offraient pas suffisamment de variations ou lorsqu’elles étaient trop incomplètes. L’échantillon final comporte 50 entreprises, basées essentiellement au Royaume-Uni et en France. Il se décompose comme suit : chimie de spécialité (4), pharmacie (6), biotechnologies (2), semi-conducteurs (2), électronique (4), équipements de télécommunication (8), logiciels (9), équipement automobile (3), technologies médicales (1), équipement et services pour l’industrie (8), défense et espace(3). Au total, 463 observations de technologies selon 32 critères ont été retenues. Plusieurs tests statistiques ont été conduits, dont des analyses factorielles pour aboutir à un jeu de composantes plus réduit et donc plus facile à mettre en œuvre. Des analyses ont été effectuées sur l’ensemble des critères(32), sur le sous-groupe des variables externes (16) et sur le sous-groupe des variables internes (16).
27La valeur des ressources complémentaires. Ces ressources recouvrent les liens mis en place par l’entreprise avec le système national d’innovation (SNI) pour accéder à la recherche fondamentale. La capacité de la société à financer le développement de la technologie est un autre critère. Les porteurs de projets savent qu’ils devront convaincre leur chef que leur programme est capable d’attirer du financement (en interne ou en externe).
28Les interfaces entre la R&D et le marketing et entre la R&D et la production sont une autre catégorie de ressources complémentaires ; ces actifs incorporels peuvent s’avérer très discriminants. Les fonctions doivent établir des canaux de communication afin de fluidifier le transfert de connaissances entre elles.
29La capacité à se protéger contre l’imitation est importante pour éviter que des efforts de développement ne soient ruinés si la technologie en question n’est pas protégée. La compétitivité est aussi fonction de la réceptivité du marché au design développé par l’entreprise dans la course aux standards et de la probabilité de rendre ce design dominant. Le retard ou l’avance par rapport à la concurrence est le dernier critère de la liste.
30Proposition 3. Dans la pratique, les managers évaluent la compétitivité technologique d’une entreprise sur la base de quelques indicateurs décrivant les ressources technologiques et les ressources complémentaires.
Les leçons de l’approche empirique
31Cette recherche a des implications très pratiques pour les audits de portefeuille de technologies. Tout d’abord, les 32 indicateurs présentés dans la seconde partie peuvent aider les managers à réfléchir sur les critères d’évaluation qu’ils utilisent actuellement et revoir leurs propres pratiques. Mais ce n’est pas tout.
32Distinguer attrait technologique et compétitivité de l’entreprise. L’examen des résultats statistiques montre, d’une part, de fortes corrélations des critères d’attrait du domaine entre eux et, d’autre part, de fortes corrélations au sein des critères de compétitivité. En revanche, les corrélations entre ces deux groupes sont quasi inexistantes. Sans surprise, l’analyse factorielle sur l’ensemble des 32 critères a produit des facteurs homogènes : ils rassemblent soit des critères d’attrait du domaine, soit des critères de compétitivité technologique. Ainsi, la distinction entre l’attractivité d’un domaine et la compétitivité de l’entreprise n’est pas simplement conceptuelle ; c’est une réalité statistique. Cette conclusion est d’importance. Il existe bien deux familles distinctes d’indicateurs pour mener un audit du portefeuille de technologies. Ce distinguo entre attractivité d’un domaine et compétitivité de l’entreprise devrait inciter les managers à se méfier de toute méthode basée sur une seule dimension, incapable de rendre compte de la réalité car relevant de constructions conceptuellement différentes.
33Les entreprises peuvent bien sûr modifier leur position concurrentielle par leurs propres actions. Dans la liste des critères sous le contrôle de l’entreprise, il en est d’ailleurs qui peuvent servir de point de repère pour évaluer le rendement des managers. S’agissant en revanche des critères qui échappent au contrôle de l’entreprise, la seule stratégie possible, si l’attrait est faible, est de quitter le domaine et d’en cibler un autre plus attrayant. Les entreprises ne peuvent pas changer l’attractivité intrinsèque d’un domaine technologique.
34Six critères d’attrait. L’analyse factorielle conduite sur les 16 critères d’attrait a produit six facteurs :
- le premier regroupe quatre critères techniques : potentiel de progrès, position de la technologie dans son propre cycle de vie, impact de la technologie sur les questions de concurrence et écart de performance vis-à-vis des technologies alternatives, en d’autres termes le potentiel technique ;
- le deuxième facteur qu’on peut résumer par «agressivité des concurrents » rapproche deux critères concurrentiels : le degré d’implication des concurrents et l’intensité de la concurrence sur le marché ;
- le troisième facteur combine trois critères de marché et rend compte des opportunités de marché offertes par la technologie : le volume de marché ouvert, l’éventail des applications accessibles et la menace de technologies de substitution ;
- le quatrième facteur associe les deux critères sociopolitiques, l’appui des structures publiques au développement et les enjeux sociétaux de la technologie ;
- le cinquième facteur a un critère important, le nombre de concurrents, et deux critères à plus faible impact (la sensibilité du marché aux aspects techniques et les obstacles à la copie et à l’imitation) ;
- le sixième facteur regroupe les deux derniers critères, l’existence ou l’absence d’un design dominant et le potentiel de transferts d’unité à unité, soit la structure concurrentielle.
Un ensemble réduit de dix critères pour l’audit technologique
Un ensemble réduit de dix critères pour l’audit technologique
35Quatre critères de compétitivité. L’analyse factorielle menée sur les 16 variables de compétitivité technologique fait ressortir quatre facteurs :
- le premier rassemble quatre critères : les compétences de l’équipe en recherche fondamentale, ses compétences en recherche appliquée, ses compétences en développement, et la capacité à suivre les connaissances scientifiques et techniques ;
- le deuxième facteur porte sur les actifs et pratiques de soutien aux équipes R&D et combine cinq critères : les brevets enregistrés, la capacité à se protéger des imitations, la qualité des relations entre la R&D et la production, la valeur des laboratoires et équipements, et, dans une moindre mesure, la capacité de financement ;
- le troisième facteur regroupe cinq critères (touchant surtout aux ressources complémentaires) : la réaction du marché au design proposé, la diffusion dans l’entreprise, la qualité des relations entre la R&D et le marketing, l’origine de l’actif et le calendrier par rapport à concurrence ;
- le dernier facteur associe les deux variables restantes : la proximité de la technologie avec le cœur de métier de l’entreprise et l’expérience accumulée dans le champ ; c’est la familiarité de l’entreprise avec le domaine ciblé.
36Cette recherche démontre de manière empirique que, lorsqu’un audit technologique est conduit, il est important de bien différencier l’attrait du domaine technologique d’un côté et la compétitivité technologique de l’entreprise de l’autre. La première série d’indicateurs couvre des dimensions hors du contrôle de l’entreprise et une seconde se réfère aux aspects sous son contrôle. Ce travail montre aussi que les managers peuvent, selon la nature de leur mission, adopter un modèle à 32 ou à dix critères. Le dernier convient s’il existe un nombre important de projets d’investissements technologiques à considérer. Le premier est plus adapté à l’examen en profondeur d’un nombre réduit de projets.
Notes
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[1]
Dominique R. Jolly (Dominique.Jolly@Skema.edu) est professeur de stratégie d’entreprise à SKEMA Business School. Il a été doyen de la faculté du campus de Sophia-Antipolis et directeur du développement international de SKEMA. Il anime des missions en Chine, où il est professeur visitant à CEIBS (Shanghai). Il est consultant pour plusieurs grandes entreprises en France et à l’étranger et conseille des organisations internationales et des gouvernements étrangers.
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[2]
Voir, par exemple, G. E. Blau, J. F. Pekny, V. A. Varma et P. R. Bunch, « Managing a Portfolio of Interdependent New Product Candidates in the Pharmaceutical Industry », Journal of Product Innovation Management, vol 21, n° 4, 2004 ; ou encore L. Kester, E. J. Hultink et K. Lauche, « Portfolio Decision-Making Genres : A Case Study », Journal of Engineering and Technology Management, vol. 26, n° 4, 2009.
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[3]
Notamment depuis le travail de R. G. Cooper, S. J. Edgett et E. J. Kleinschmidt (« New Problems, New Solutions : Making Portfolio Management more Efficient », Research-Technology Management, vol. 43, n° 2, 2000), qui montre que les entreprises mettant en œuvre un processus systématique de gestion de leur portefeuille de projets ont une performance plus élevée que les autres.
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[4]
M. W. Dickinson, A. C. Thornton et S. Graves, «Technology Portfolio Management : Optimizing Interdependent Projects over Multiple Time Periods », IEEE Transactions on Engineering Management, vol. 48, n° 4, 2001.
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[5]
R. Balachandra et J. H. Friar, « Factors for Success in R&D Projects and New Product Innovation : A Contextual Framework», IEEE Transactions on Engineering Management, vol. 44, n° 3, 1997.
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[6]
Voir D. Jolly, « The Issue of Weightings in Technology Portfolio Management», Technovation, vol. 23, n° 5, 2003.
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[7]
J. M. Utterback, Mastering the Dynamics of Innovation, Harvard Business School Press, 1994.
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[8]
Je tire ces critères de la même source que citée précédemment : D. Jolly, 2003.