Bien faire son métier, c’est la santé
Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Yves Clot, La Découverte
1Montée des pathologies professionnelles, accroissement du stress, médiatisation des suicides en série sur le lieu de travail : depuis quelques années, le travail passe de plus en plus pour un facteur de souffrance, de maladie et de mortalité. La prévention préoccupe les politiques et alimente un marché de la prévention ou de la réparation visant à repérer et retaper les individus fragiles, en difficulté dans un monde de plus en plus complexe et inhumain. Les entreprises peuvent externaliser cette gestion du risque psychosocial et acheter de la médiation, du coaching ou du « soutien individuel » dans un marché de plus en plus structuré. Pour Yves Clot, spécialiste de la santé, cette politique part d’un déni du travail et mène droit à l’impasse. Déni du travail dans trois de ses dimensions : prise en compte de l’organisation, prise en compte du collectif et qualité. Impasse car elle mène au « despotisme compassionnel » qui enfonce les salariés dans la victimisation et la passivité au lieu de les aider...
2L’auteur montre comment, dans les débats sur le stress, un conflit sous-jacent est systématiquement passé sous silence : l’opposition entre travail et management. Les nouvelles formes de management axées sur le chiffre, la compétence et la performance empêchent les salariés de « bien faire leur travail ». Il faut en revenir au bon vieux concept de métier. La qualité du travail, c’est la santé…
Penser la crise, Elie Cohen, Fayard
3A l’inventaire infini de nos perplexités, de nos peurs, de nos interrogations, la crise ajoute chaque jour une question, une hypothèse ou un sujet de surprise ou d’inquiétude. Chaque jour apporte par ailleurs un nouveau livre sur la crise.
4Cet ouvrage se distingue des précédents en ce qu’il renonce à tout catalogue de solutions ou de propositions de « refonte du capitalisme » ; il ne livre pas non plus d’ultime et péremptoire analyse des causes d’une crise financière et de sa contamination à l’économie. Dans un langage clair, avec profondeur, Elie Cohen, membre du Conseil d’analyse économique, s’interroge sur l’impensé, l’inintelligible de la catastrophe. « Why didn’t you tell us? », demandait en 2009, faussement naïve, la reine d’ Angleterre à un parterre d’économistes, comme s’il existait un savoir qui ne demandait qu’à être communiqué à des pouvoirs publics décidés à appliquer les politiques adaptées. Voici donc un « livre des livres » sur la crise, non pas un livre de plus.
L’Abondance frugale. Pour une nouvelle solidarité. Jean-Baptiste de Foucauld, Odile Jacob
5Sobriété, justice et créativité. Tels sont les principes de base du nouveau pacte civique que nous devrions fonder pour sortir de l’ornière de la crise économique et des impasses environnementales, selon Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan et fondateur de l’association d’aide aux demandeurs d’emplois Solidarités nouvelles face au chômage. Cet homme de gauche qui se réclame des valeurs chrétiennes propose de revoir ainsi notre modèle de croissance : « Plus de sobriété pour plus de justice et plus de créativité pour plus de sens. » Pour lui, la vraie forme de l’abondance serait que chacun puisse accéder à ce qui lui est essentiel. Rien à voir avec le superflu, qui peut se définir comme ce qui n’est ni nécessaire, ni essentiel. Il ne s’agit pas de partager la pauvreté mais d’inventer de nouvelles formes de travail pour redonner de la dignité et des moyens d’existence au plus grand nombre. Pour mettre l’économie au service de l’humain, et non l’inverse, Jean-Baptiste de Foucauld prône que l’Etat finance davantage de contrats aidés. Il table aussi sur un fort développement de l’économie sociale, secteur où « le lien est aussi important que le bien », et qui représente aujourd’hui dix pour cent de l’emploi en France. Utopie? Certes pas. Les idéalistes sont souvent des visionnaires.
La Confiance en pratique. Des outils pour agir. Hervé Sérieyx et Jean-Luc Fallou, Maxima Laurent du Mesnil éditeur
6Voilà un ouvrage pétri de bonnes intentions dont les auteurs, tous deux issus du monde du conseil, tentent de mettre en actes les discours convenus sur la nécessité d’instaurer la confiance dans l’entreprise. Malheureusement, la confiance ne se construit pas à coup de slogans et ne se laisse pas réduire à des indicateurs que l’on pourrait « gérer » comme on gère sa trésorerie ou sa chaîne logistique. Au demeurant, la confiance est un vrai sujet dans l’entreprise. Les « mots » recueillis au cours d’entretiens dressent un tableau saisissant de l’état de confiance dans les affaires internes (avec les salariés) et externes (clients et fournisseurs) de l’entreprise. La réflexion aussi témoigne parfois d’une vraie profondeur. Dommage que les auteurs, tout en s’en défendant, aient cédé à la tentation de mettre la confiance en boîte.
Etre efficace en Chine. Le management à l’épreuve de la culture chinoise. Chloé Ascencio et Dominique Rey, Pearson-Village mondial
7Ce guide renouvelle et rehausse considérablement le niveau des manuels de management interculturel, notamment par la place qu’il accorde judicieusement à la parole et aux jugements portés par des salariés chinois sur le comportement, les valeurs et les « bonnes pratiques » prônées au sein des entreprises occidentales. S’interdisant toute complaisance envers l’« exotisme » d’une pensée chinoise qui serait imperméable à notre compréhension et insensible à notre culture, les auteurs éclairent les fondements du management à la chinoise : la logique de face, la primauté de la relation personnelle et la distance hiérarchique. La finesse de l’analyse et la richesse des exemples sont remarquables pour un ouvrage qui n’a pourtant pas d’autres ambitions que d’aider les entreprises à mieux « être » en Chine.
8Dans la bibliographie manque toutefois un auteur fondateur : Confucius. On retiendra la traduction française éblouissante de Pierre Ryckmans, alias Simon Leys : Les Entretiens, Gallimard, 1987.
Les Etats en guerre économique. Ali Laïdi, Seuil
9Cette plongée très documentée dans les stratégies des grandes et petites puissances mondiales fait remonter des pratiques douteuses et agressives dont, depuis toujours, se montrent capables les Etats pour protéger leurs intérêts économiques et défendre leurs champions industriels. A rebours de la théorie selon laquelle le commerce, comme la musique, adoucirait les mœurs et civiliserait les rapports entre sociétés, cette enquête détaille les différents systèmes de protection et de prédation mis au point par des gouvernements dans une concurrence économique plus que jamais exacerbée et globale. La mondialisation n’a pas fait disparaître les Etats nations ni le patriotisme : elle est l’extension du domaine de la lutte à la planète entière et la transformation d’antagonismes autrefois armés en concurrence économique totale. Une bagarre où tous les moyens sont bons. Si le pacifisme du commerce est un bien un mythe, il est urgent de se donner les moyens de compréhension permettant de regarder la guerre économique en face. L’adage : si vis pacem, para bellum, est toujours aussi pertinent.
Au-delà de la souffrance au travail. Clés pour un autremanagement. Olivier Tirmarche, Odile Jacob
10Une certaine forme de dénonciation de la souffrance au travail produit à la longue des effets pervers. En diabolisant le management et en accusant la concurrence mondiale de déshumaniser l’entreprise, on fait croire que l’organisation ne peut rien contre la « fatalité du stress ». Les risques « psychosociaux » la dépassent, la traversent ou encore ne la concernent pas ; c’est l’individu qui doit être soigné : le faible doit être « renforcé », l’hystérique apaisé, le découragé doit être remotivé, le suicidaire repéré et empêché de passer à l’acte, etc.
11Olivier Tirmarche s’oppose résolument à cette vision véhiculée par nombre d’ouvrages plus ou moins savants. Si la pression des clients et des actionnaires s’accroît, l’organisation doit réagir en s’adaptant et en se renforçant, explique le consultant en risques psychosociaux. Mais elle ne doit pas le faire en « individualisant » les malaises et les dysfonctionnements. Comment faire? A travers des cas d’entreprises ou de services publics qui ont su dire stop, l’auteur ne cache pas les difficultés, mais montre les degrés de liberté et les marges de mouvement dont l’entreprise dispose pour se transformer.
Le Défi alimentaire. Etude géopolitique et géo-économique des agricultures mondiales. Stéphane Dubois, Presses universitaires de France
12L’agriculture doit nourrir de plus en plus de monde. Elle en fait paradoxalement vivre de moins en moins ou alors de plus en plus mal. Dans le monde développé, on voit les paysans désespérés déverser leurs excédents dans les champs. La mondialisation a placé l’agriculture, secteur longtemps protégé par les Etats, au centre d’échanges commerciaux asymétriques entre grandes puissances agro-exportatrices et Etats structurellement dépendants vis-à-vis d’importations vitales pour l’approvisionnement alimentaire de leur population. Dans les pays du Sud, la pauvreté livre les agriculteurs à la plus scandaleuse des tragédies : la faim.
13Stéphane Dubois, agrégé de géographie, livre ici une somme qui synthétise les paradoxes et les défis posés aux agricultures du monde par une démographie galopante, un environnement malmené, des exigences alimentaires plus sélectives, des sociétés en déséquilibre et des économies qui se globalisent, se financiarisent et se dérégulent.
Notre avenir dépend d’eux. Michelin, Axa, Peugeot, Auchan, Vivendi, BNP Paribas, Air France… Serge Blanchard, François Bourin éditeur
14Nous n’aimons pas beaucoup nos grands groupes industriels. Il est même souvent de mise de les brocarder. C’est une erreur, explique Serge Blanchard, consultant en stratégie. Notre pays a la chance de compter une proportion importante de très grandes firmes globalisées et compétitives, des « porte-avions » comme il les appelle. C’est sur elles que repose notre avenir. Or nos grands concurrents ont tous une manière bien à eux de protéger leurs champions contre les ambitions des prédateurs ou les armes de la guerre économique. A côté, nous faisons figure d’enfants de chœur. Il n’est pas trop tard pour en prendre conscience et pour inverser la vapeur. Il en va de la responsabilité des politiques, mais chacun est concerné.
Tartuffe ? Moi non plus !
Les Erreurs des autres L’ autojustification, ses ressorts et ses méfaits. Carol Tavris et Elliot Aronson, éditions Markus Haller
15Comment les crétins et les escrocs peuvent-ils se regarder en face? C’est bien simple, en faisant comme tout le monde : en se trouvant des justifications. Certes, les autojustifications ne sont pas toujours convaincantes pour autrui, mais elles sont suffisantes pour celui qui commet, de bonne foi, une erreur ou une indélicatesse ou qui se livre à une mauvaise action. Sincère, l’hypocrite commence toujours par se duper lui-même. L’hypocrisie, soit dit en passant, est toujours celle des autres. Les préjugés? Les autres en sont pleins, mais moi, je les évite. Les conflits d’intérêt? Les autres ne savent pas les gérer ; quant à moi, qui oserait douter de mon impartialité ferait la preuve de sa propre turpitude… Chacun, armé de sa bonne foi, est convaincu d’agir pour le mieux (sinon il ne serait pas en train de faire ce qu’il fait). Les mécanismes de l’autojustification sont redoutables : très utiles pour assurer notre intégrité mentale, ils sont aussi de formidables instruments de déni et de destruction. Ce livre documenté est un remarquable petit manuel d’autojustification. Il ne s’agit pas seulement de comprendre comment les autres se trompent, mais également d’éviter les pièges redoutables de l’autosatisfaction qui altère nos raisonnements et fausse nos décisions.