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Article de revue

Paul Samuelson et l'héritage de Keynes

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1« The business of business is business », disait Milton Friedman. Le père du monétarisme voulait signifier par là que les entreprises ne doivent se préoccuper que de créer de la valeur pour l’actionnaire. Elles peuvent donc polluer, salir et défricher les forêts sans tenir compte de ces « externalités négatives ». Quant au job des Etats, il consiste à lever toute entrave à la maximisation de la valeur. Après vingt-cinq ans de capitalisme financier débridé, force est de constater que l’observance de ce beau principe conduit à terme l’humanité asphyxiée par les gaz à effet de serre dans le mur... et au passage les entreprises à la ruine.

2Le meilleur ennemi de Milton Friedman, Paul Samuelson – ils s’étaient connus sur les bancs de l’université de Chicago –, vient de nous quitter, à 94 ans. Il fut récompensé par le Nobel d’économie dès 1970, un an après la création du fameux prix.

Les biens publics sur le devant de la scène

3A la fin des années 30, lorsque Paul Samuelson prépare sa thèse à Harvard, la plupart de ses professeurs parlent d’un marché qui assure automatiquement le plein-emploi, alors que le chômage mine l’Amérique. Cela trouble l’apprenti économiste. Mais un Anglais vient de publier un ouvrage qui raconte tout autre chose : c’est Keynes et sa Théorie générale (1936). Le jeune Samuelson est enthousiasmé et devient le plus influent des keynésiens. En tant que membre du conseil pour la politique économique de Kennedy, on lui doit la première relance budgétaire keynésienne de l’histoire, qui s’est soldée par une longue période d’expansion économique aux Etats-Unis. Parfaitement à l’aise avec les outils mathématiques, il part des intuitions du génie londonien pour développer une vision macroéconomique du monde réconciliant la vision keynésienne et l’économie classique : quand l’économie est proche du plein-emploi, elle fonctionne selon les lois néoclassiques ; mais, quand elle s’en éloigne, il faut employer les outils keynésiens qui justifient l’action de l’Etat.

4Pendant cinquante ans, Samuelson travaillera sur tous les sujets : cycles, commerce international, rôle de l’investissement… Il formule, par exemple, la théorie des biens publics, ceux « dont la jouissance est répartie de manière indivisible entre les membres d’une communauté ». Une théorie qui s’applique à la sécurité d’un pays comme à son environnement (climat, ressources en eau, biodiversité…). Qu’est-ce qu’un bien (ou une ressource) commun(e) ? Il s’agit d’un bien ou d’une ressource n’appartenant initialement à personne mais qui peut être utilisé(e) par un grand nombre. Il peut préexister, comme les ressources naturelles, ou être produit dans l’intérêt général (cas des biens publics). De nombreux économistes les ont étudiés, dont Garrett Hardin dans un article paru dans Science en 1968, « The Tragedy of the Commons ». Il y évoque un pré communal où les villageois peuvent librement faire paître leurs bêtes. Du fait de la gratuité, aucun éleveur n’intègre dans ses coûts la ressource collective. Le résultat est un surpâturage qui ramène à zéro la fertilité du pré et provoque la destruction du bien collectif.

5L’attribution du Nobel d’économie 2009 à Elinor Ostrom, américaine, professeur de sciences politiques à l’université de l’Indiana, pour « son analyse de la gouvernance économique, notamment de la gestion des biens publics » confirme la justesse des intuitions de Samuelson. Mais du consensus de la communauté académique à l’action collective des Etats, il y a du chemin à parcourir !
D.M.

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