Paradoxes et ambiguïtés
Le Savoir et la finance, Liaisons dangereuses au cœur du capitalisme contemporain, El Mouhoub Mouhoud et Dominique Plihon, La Découverte
1Le capitalisme contemporain repose sur deux piliers : la connaissance, qui est à l’origine des nouvelles technologies ; la finance, qui contribue à la sélection et au développement des dites technologies. Mais, loin d’être simples et vertueuses, les relations entre finance et connaissance sont complexes et équivoques. Le monde plat, en réseau, dépourvu de centre, rêvé par les gourous de l’ex-« nouvelle économie », n’a pas vu le jour. La tendance est au contraire à la polarisation et à la croissance des inégalités entre territoires. El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université de Paris-Dauphine, et Dominique Plihon, professeur d’économie et directeur de l’école doctorale Erasme à l’université de Paris-Nord, se livrent dans cet essai à une analyse exigeante et approfondie des relations qu’entretiennent les deux phénomènes les plus marquants des derniers âges du capitalisme : l’entrée dans une économie de la connaissance et l’émergence d’un capitalisme actionnarial. La finance permet de rentabiliser des investissements en R&D incertains et simultanément son exigence de rentabilité pousse à la fragmentation des chaînes de valeur et à la taylorisation. En définitive, elle contribue à freiner l’accumulation du savoir, notamment parce que l’horizon temporel des innovateurs est plus long que celui des investisseurs en quête de rentabilité financière.
L’Effet Momentum, Les secrets d’une croissance efficace, Jean-Claude Larréché, Pearson
2Une croissance efficace, durable, profitable... Est-ce vraiment souhaitable ? La crise qui a déferlé sur le monde en 2008 a mis en évidence les limites d’une croissance à tout prix dont les abus sont pourtant connus depuis longtemps. Seules quelques entreprises sont parvenues, année après année, à générer une croissance réellement efficace. Leur secret : l’effet Momentum : une croissance qui se nourrit d’elle-même, leur permettant de prendre une longueur d’avance sur leurs concurrentes qui s’épuisent dans la course.
3Ce livre lève le voile sur les ressorts secrets de leur incroyable réussite. Par la même occasion, il vous offre la possibilité de générer cette croissance efficace et durable pour votre propre activité. On y trouve, clairement exposées, les huit étapes du processus pour créer systématiquement l’effet Momentum quels que soient l’entreprise, son secteur d’activité, ses conditions de marché. De la découverte client à l’engagement client, il s’agit d’apprendre à identifier les freins et les accélérateurs de la croissance efficace. Ecrit par un expert de la relation client, cet ouvrage présente au moins un atout : il incite à l’action.
Osez le dialogue social dans l’entreprise, Des exemples qui montrent que c’est possible, Jean-Paul Guillot, Carmen Rubia, éditions de l’Atelier
4Le dialogue social passe mal. L’expression est galvaudée, le concept ignoré, voire dévoyé, la pratique abandonnée ou bloquée. Ce petit livre est donc doublement original : d’abord, il affirme, exemples percutants à l’appui, la réalité du dialogue social dans des entreprises tant privées que publiques. Ensuite, il en montre toute la finesse, la complexité, la pertinence et l’efficacité, dans différentes configurations : petites entreprises ou grandes, en pleine expansion ou en perte de vitesse, en conflit ou non… La parole est aux dirigeants et aux syndicalistes. Ils ne parlent pas d’une même voix mais ils montrent que le changement est possible.
Face aux crimes du marché, William Bourdon, La Découverte
5L’extension sans frein de la mondialisation s’est accompagnée de la multiplication des violations, directes et indirectes, des droits humains. Les atteintes à la santé publique et à l’environnement, notamment, sont de plus en plus graves. Mais les victimes n’ont pas les moyens d’obtenir réparation faute d’un droit international adapté.
6En mobilisant de nombreux exemples, du drame de Bhopal en 1984 à celui récent des travailleurs forcés de Total en Birmanie, l’avocat William Bourdon montre tous les obstacles auxquels se heurtent aujourd’hui les luttes des victimes de la mondialisation. Il soulève notamment la question de l’opacité des lieux de pouvoir, qui sert l’irresponsabilité des coupables.
7Grâce aux acquis de l’association Sherpa, il explore, de façon novatrice et souvent provocatrice, les voies nécessairement plurielles qui permettront de faire face aux nouvelles formes d’impunité nées de la mondialisation.
L’Inquiétant Principe de précaution, Gérald Bronner et Etienne Géhin, PUF
8Au nom de la précaution, les hommes sont prêts à toutes les folies pourvu qu’elles s’habillent de bons sentiments et de « bon sens ». C’est le point de vue des deux sociologues qui signent ce petit essai polémique. Ils dénoncent l’idéologie du « précautionnisme » qui confond responsabilité et risque zéro.
9« En faisant imprudemment entrer dans le droit le principe de précaution » (il est inscrit dans la Constitution avec la Charte de l’environnement de 2005), nos contemporains se sont soumis au risque d’application maximaliste et parfaitement déraisonnable de ce principe.
10Plusieurs exemples récents – sans même mentionner celui de la pandémie grippale dite H1N1 – en illustrent les dérives et les paradoxes, comme l’interdiction des OGM, dont les dangers ne sont pas démontrés alors que les pesticides, dont les méfaits sont bien établis, restent parfaitement autorisés. Les soubassements du précautionnisme sont à la fois psychologiques, politiques et médiatiques. Un des dangers les plus manifestes de cette idéologie est l’inquiétante fracture qu’elle consacre entre l’opinion publique et les connaissances scientifiques, fracture qui fragilise notre démocratie.
Le Bêtisier du sociologue, Nathalie Heinich, collection Hourvari, Klincksieck
11La bêtise, surtout celle des autres, est inépuisable. Elle habite nos sciences humaines, trop humaines. Savante, elle est aussi redoutable qu’ignorante. Elle fonctionne partout de la même façon : prendre ses désirs ou ses convictions pour des réalités, se tromper sur les intentions prêtées à autrui, emprunter des raccourcis ou généraliser hâtivement, simplifier abusivement ou tout simplement s’emberlificoter dans ses raisonnements et se désintéresser du réel.
12La sociologue Nathalie Heinich, directrice de recherches au CNRS, organise son livre autour de sept entrées allant du « goût des généralités » aux « manipulations rhétoriques » en passant par « les erreurs de raisonnement » et « les croyances aux arrière-mondes ». Un important chapitre est ainsi consacré aux théories conspirationnistes.
13Le chemin de la bêtise est pavé de bonnes intentions : le sentiment de culpabilité capitonne nombre de fameuses bourdes. La peur de penser tout seul amène souvent à penser en rond. Mais la première forme de bêtise est de se croire plus intelligent qu’autrui, erreur que tente d’éviter notre sociologue en présentant les bêtises qu’elle analyse comme si elles étaient les siennes (elle ne cite d’ailleurs jamais ses sources et son ouvrage ne contient aucun nom propre). Le premier livre d’une collection ? On rêve au bêtisier du manager, à celui du dirigeant, de l’économiste, du psychologue, du journaliste… ou du philosophe.
La Faveur et le droit, Gilles J. Guglielmi (dir.), PUF
14Les manifestations de faveur, qu’on les qualifie ou non de corruption, sont présentes dans les sociétés contemporaines, aussi bien dans les pays en développement ou émergents que dans les démocraties occidentales.
15Vingt et un auteurs de tous pays et toutes disciplines montrent ici, non seulement que la faveur n’est pas étrangère au monde du droit, mais encore qu’elle est bel et bien présente au cœur même de l’ordre juridique, voire qu’elle constitue un élément indispensable à son fonctionnement. Ils mettent en évidence que la faveur, malgré son caractère subversif, peut être appréhendée de quatre façons par le droit, qui alternativement l’ignore, la prohibe, l’engendre et même l’organise. La notion de faveur constitue ainsi un excellent analyseur pour mettre au jour certaines déterminations qui commandent le fonctionnement social. Sa persistance dans les sociétés contemporaines montre les limites de l’égalité sous-jacente à la logique démocratique et d’une impersonnalité inhérente au modèle bureaucratique.
16L’ambivalence du rapport que la faveur entretient avec le droit révèle donc ses facettes contradictoires : déstabilisation sociale et politique par les inégalités qu’elle génère et les rancœurs qu’elle suscite, elle peut être aussi un élément de pacification sociale et politique.
Etre recruté et recruter, Sous la direction de Valentine Chapus-Gilbert, avec Flore Ozanne LesEchos.fr Nathan
17Voici un manuel utile : clair, vivant, l’ouvrage fourmille de conseils de terrain et d’exemples facilement « recyclables », du curriculum vitae à l’e-mail de candidature spontanée. Grâce à une cinquantaine de fiches pratiques, l’ouvrage aborde tous les aspects du recrutement, de la définition de son besoin par l’entreprise à l’intégration de la nouvelle recrue, et intéressera bien sûr le candidat mais aussi les acteurs du recrutement dans l’entreprise, soucieux de mieux appréhender les enjeux, les pratiques et les évolutions récentes du recrutement impacté par les nouvelles technologies notamment.
18Sous des dehors assez scolaires, l’ouvrage est bien plus complet et plus complexe qu’il n’y paraît. Il prend en compte le point de vue du recruteur qui s’interroge sur le marché de l’emploi et sur les meilleures façons de trouver la perle rare. A se procurer pour soi, que l’on soit recruteur ou futur recruté… ou jeune diplômé à la recherche d’un emploi.
Pour en finir avec le Wall Street management, Marie-José Kotlicki et Jean-François Bolzinger, Les Éditions de l’Atelier
19La crise financière et économique débouche sur une remise en cause du management. Jusque-là rien de neuf. Mais le changer est une tout autre affaire. Et d’abord, changer pour le remplacer par quoi ? Les pouvoirs politiques qui répètent à l’unisson qu’il faut moraliser le capitalisme illustrent l’impuissance des décideurs. Un management plus responsable, plus humain, plus respectueux de la nature, qui n’en voudrait pas ? Malheureusement, l’ouvrage des deux syndicalistes reste trop dans la diabolisation et dans la prescription vertueuse mais pose une question brûlante : comment échapper à la financiarisation du management ?
Liberté, égalité, précarité ?
En finir avec la dictature du salariat, Thibault Lanxade, Jacky Isabello, Editea
20Le titre est un pied de nez à Karl Marx et à sa dictature du prolétariat. Rien d’étonnant compte tenu des auteurs : l’un, Thibault Lanxade, dirige Aqoba (cartes de paiement co-brandées) et secoue depuis quelques mois le cocotier du MEDEF. Il s’est déclaré candidat à la succession de Laurence Parisot pour porter le débat au sein du patronat. L’autre, Jacky Isabello, vrai communiquant, a créé plusieurs entreprises. Leur légitimité à parler d’entrepreneuriat est donc certaine.
21La thèse des deux dynamiques quadras est simple : puisque la grande entreprise échoue à tenir ses promesses (promotion sociale, reconnaissance, épanouissement), vive l’entrepreneuriat individuel et la liberté professionnelle ! Et ils expliquent comment les Français vont pouvoir reconquérir leur autonomie grâce notamment au travail indépendant. Pour que cette révolution prenne corps, il suffirait de réorienter notre modèle social, conçu pour les salariés, pour que les indépendants, qui cotisent sans pouvoir prétendre à l’assurance-chômage, soient mieux protégés. Un raisonnement séduisant qui pèche par optimisme : aligner la protection des indépendants sur celle des salariés va coûter cher. Et faire comme si les autoentrepreneurs se mettaient à leur compte autrement que par nécessité est carrément une erreur.