Notes
-
[*]
Cet article a été publié initialement en anglais sous le titre « Digital Darwinism », dans Strategy+business, n° 54, printemps 2009.
-
[**]
Christopher Vollmer est partenaire de Booz & Company à New York. Il en dirige l’activité « médias et divertissement » Amérique du Nord. Il en aide les clients des secteurs médias et grande consommation à développer et mettre en œuvre leur stratégie. Il est l’auteur de Always on : Advertising, Marketing, and Media in an Era of Consumer Control (McGraw-Hill, 2008).
-
[***]
L’ANA est le principal forum de la communauté du marketing. L’IAB regroupe des entreprises médias et technologiques et informe les annonceurs, les agences de publicité, les entreprises médias et le monde des affaires en général sur les avantages de la publicité interactive. L’AAAA est un groupement professionnel représentant à l’échelle nationale les agences de publicité américaines.
Focus
- Le modèle linéaire annonceurs-agence de publicité-entreprise média vole en éclats avec la montée en puissance des technologies collaboratives et de la publicité numérique.
- Dans cette communauté élargie et interconnectée où le consommateur acquiert un pouvoir considérable, la survie des entreprises exige d’elles une adaptation rapide.
- Echanger avec les consommateurs, utiliser des indicateurs pertinents, maîtriser le support autant que le message, nouer des partenariats pour la réalisation en sont des conditions essentielles.
1En 2007, Hewlett-Packard Company (HP) a lancé un concours en ligne pour concevoir la coque de son nouveau portable familial en édition spéciale. La promotion de l’opération visait sélectivement treize pays, via la télévision, Internet et la téléphonie mobile avec son partenaire MTV Networks. Mais la nouvelle s’est répandue comme traînée de poudre et plus de 8500 propositions ont afflué de 112 pays en un peu plus d’un mois. Le site du concours a reçu plus de cinq millions de visites, ce qui a conduit HP à revoir ses prévisions de ventes à cinq fois son estimation initiale. « Tout cela parce que nous avons ouvert nos portes et permis aux clients de dessiner nos produits », commente Mike Mendenhall, son directeur marketing.
2Pour avoir affecté 50 % de son budget au numérique - contre une moyenne de 5 à 10 % chez les autres annonceurs américains -, Mike Mendenhall est bien placé pour savoir comment ces plates-formes ont modifié l’expérience vécue par le consommateur de la publicité - et, au-delà, comment elles ont transformé les relations entre marketeurs, agences de pub et entreprises médias.
3Cette évolution, devenue de plus en plus apparente ces dernières années, a été confirmée par une importante étude plurisectorielle, « Marketing & Media Ecosystem 2010 », réalisée récemment par Booz & Company en partenariat avec l’Association of National Advertisers (ANA), l’Interactive Advertising Bureau (IAB) et l’American Association of Advertising Agences (AAAA) [***]. Le terme d’écosystème est une bonne métaphore pour décrire l’environnement marketing d’aujourd’hui. On peut y voir une communauté dynamique, complexe et interconnectée dans laquelle annonceurs, agences de publicité et médias dépendent les uns des autres, jusqu’à un certain point, pour survivre et prospérer. Mais c’est aussi une arène brutale, concurrentielle, où prédomine une sorte de « darwinisme numérique » de lutte pour la survie, qui très vite fait la différence entre gagnants et perdants. Certaines entreprises sont dotées de caractéristiques particulières dans leur ADN organisationnel ou de capacités supérieures d’autoadaptation : celles-là sont les mieux placées pour s’épanouir dans cet écosystème. Celles, en revanche, qui ne possèdent ni les unes ni les autres sont vouées à une extinction quasi certaine.
4L’écosystème marketing et médias est arrivé à un seuil de son évolution. Les vieilles structures et manières de travailler persistent, mais elles sont désormais fortement concurrencées par de nouvelles options, plus dynamiques et plus innovantes. Un certain nombre de développements ont conduit à ce point de transition : les consommateurs ont davantage de contrôle et de choix ; leur utilisation des médias s’est fragmentée ; les plates-formes de publicité sont beaucoup plus nombreuses ; et les annonceurs se font plus exigeants sur la précision du ciblage et la mesure des résultats.
5La tourmente économique ne fait qu’accélérer cette évolution. Pour survivre, les entreprises à tous les niveaux de l’écosystème doivent acquérir ou développer trois qualités fondamentales : pertinence, interactivité et responsabilité.
Des mammifères au beau milieu des dinosaures
6Mike Mendenhall résume bien la nature de ce nouvel environnement. A la conférence annuelle de l’ANA, il déclarait en octobre 2008 : « Le Web 2.0, qui permet des discussions numériques multipartites, multisupports et simultanées, a complètement chamboulé la relation traditionnelle consommateurs-entreprises. Qu’un simple individu ait le pouvoir d’influencer les perceptions d’une masse de gens est un bouleversement spectaculaire et fondamental. Il ne s’agit plus seulement de savoir dans quoi les annonceurs sont prêts à mettre de l’argent. Une entreprise a besoin d’avoir une stratégie média numérique globale, commune à l’ensemble de ses opérations. En tant que marketeurs, nous devons nous poser la question : comment gagner en efficacité et en implication des parties prenantes… tout en contrôlant le risque pour la réputation de nos marques ? »
7HP a bien mené sa barque dans cet environnement difficile, si grands prix de la publicité et chiffres des ventes veulent dire quelque chose. Sa campagne Web-télévision, développée avec l’agence de publicité Goodby Silverstein & Partners, met en scène plusieurs icônes de la culture, tels le rappeur Jay-Z, la championne de tennis Serena Williams ou le médaillé olympique de snowboard Shaun White, chacun inventoriant le contenu de son ordinateur. Avec ce lancement, HP a cessé de mener contre Dell une guerre des prix impossible à gagner et a redéfini les termes du débat marketing sur le PC : votre ordinateur personnel n’est pas un produit sacrifié, il est votre autobiographie, et il importe que ce soit un HP. Dans les mois qui ont suivi le lancement de cette campagne multiplate-forme, en 2006, l’entreprise a officiellement dépassé Dell en ventes globales et en part du marché. Elle a dès lors conservé sa position de leader.
8HP a depuis poursuivi son étroite collaboration avec MTV Networks sur plusieurs initiatives de marketing et de « brand entertainment », afin de maintenir son avance et mettre à profit la prodigieuse énergie de sa cible, les 18-35 ans. Mais son expérience ne se limite pas là. Dans le cadre de la conférence 2008 de l’ANA, Gary Elliott, vice-président en charge du marketing, a déclaré que HP testait également de nouveaux modèles pour ses relations avec les agences et médias partenaires, certains essais consistant notamment à court-circuiter les agences pour travailler directement avec les entreprises médias.
9Selon HP, les formats et plates-formes numériques redéfinissent non seulement les relations de l’entreprise avec ses partenaires marketing extérieurs, mais aussi son organisation et ses capacités internes. La firme développe ses propres réseaux et forums comme IdeaLab, un site Internet qui propose au visiteur démos, téléchargements, descriptions et vidéos sur ses récentes innovations : le consommateur, devenu testeur, peut ainsi participer à leur amélioration. « En tant que marketeurs, nous avons l’opportunité et la responsabilité de conduire le changement dans nos entreprises, parce que tous les points de contact avec le public - de plus en plus numériques - ont désormais un impact sur la marque et sur le chiffre d’affaires, explique Mike Mendenhall. Les marques ne sont plus définies par des campagnes, mais par les écosystèmes consommateurs que nous entretenons pour les soutenir. »
10En même temps que les plates-formes et capacités numériques redéfinissent les conditions de la réussite d’une publicité, certaines caractéristiques et conséquences sont déjà apparentes. On en constate l’impact et le potentiel dans tous les aspects du processus marketing et de l’expérience de marque. C’est la nature même des messages commerciaux et des audiences qui s’en trouve redéfinie.
11Mais cela ne nous indique pas nécessairement pour autant quelle attitude doivent adopter les annonceurs, les agences et les entreprises médias. D’où l’étude Marketing & Media Ecosystem 2010, qui apporte de précieux éclairages sur les disparités et sur les mines d’or que recèle le paysage actuel. Elle s’appuie sur les réponses de plus de 450 professionnels à des questions sur les grandes tendances de l’industrie en cette fin de décennie et sur des entretiens approfondis avec plus de 75 dirigeants, notamment des directeurs marketing et des PDG de gros annonceurs, d’agences de publicité et d’entreprises médias. L’ensemble de leurs observations met en évidence les priorités, les capacités et les partenariats qui transformeront la chaîne de valeur de ces trois types d’acteur.
Les nouvelles tendances : adaptation et collaboration
12La montée en puissance de la publicité numérique a déclenché beaucoup des mutations auxquelles nous assistons. Déjà l’évolution est sensible dans les montants investis. Il a fallu à la presse écrite cent vingt-sept ans pour atteindre les 20 milliards de dollars de revenus publicitaires aux Etats-Unis, à la télévision par câble vingt-cinq ans, mais treize ans seulement aux médias en ligne pour parvenir au même montant. De fait, avec approximativement 21 milliards de dollars en 2007, les dépenses de publicité en ligne dépassent aujourd’hui celles de la publicité extérieure et dans les Pages jaunes et se rapprochent du niveau atteint par la radio et les chaînes câblées.
13Le temps n’est plus où, à l’heure de répartir leurs budgets publicitaires, la plupart des annonceurs jugeaient le Web et autres médias numériques comme n’ayant pas encore dépassé le stade « expérimental ». De fait, 88 % d’entre eux envisagent d’augmenter la part du numérique, et 82 % sont convaincus que l’étude du comportement des consommateurs internautes et les outils de ciblage qui lui sont liés prendront une place de plus en plus importante.
14Les annonceurs ne sont pas les seuls à constater ce raz-de-marée numérique. Près des trois quarts des entreprises médias interrogées pensent que leurs annonceurs actuels dépenseront davantage sur Internet. Et 71 % des agences jugent que la part de marché de la publicité en ligne devrait s’accroître significativement dans les deux-trois prochaines années. Beaucoup reconnaissent que les supports publicitaires numériques répondent mieux aux attentes des annonceurs sur un plan de responsabilité, et une majorité d’entre elles se disent convaincues que les médias traditionnels ne sont plus le meilleur moyen de développer un capital de marque.
15Les annonceurs ont bien compris l’urgente nécessité d’une adaptation rapide : près de 90 % d’entre eux reconnaissent que la rapidité d’exécution même a augmenté avec les progrès du numérique. Ils s’intéressent de plus en plus à des campagnes intégrées et qui incluent des supports numériques, lesquelles demandent une collaboration plus active des diverses agences et entreprises médias. Ce contexte pousse les agences de publicité à évoluer elles aussi. Plus que jamais il leur est demandé de travailler en partenariat avec d’autres fournisseurs de services. Et elles-mêmes nouent de nouveaux partenariats pour accéder à un niveau plus profond de données et de capacités d’analyse, et prendre pied sur de nouvelles plates-formes tels la téléphonie mobile et les réseaux sociaux.
16La plupart des acteurs, toutefois, ont encore beaucoup de mal à exploiter la puissance du numérique et à développer de nouvelles capacités. Un fossé culturel doit encore être comblé, en particulier chez les marketeurs. Treize ans après le début de l’ère Internet, un quart d’entre eux seulement estiment avoir une bonne maîtrise du numérique, et la moitié se plaignent de ne pas trouver en haut lieu le soutien nécessaire pour accroître significativement les budgets qui lui sont affectés. Les entreprises médias considèrent l’éducation du reste de l’écosystème comme un vaste terrain d’opportunités, et 70 % d’entre elles investissent pour développer leurs capacités de formation à destination des marketeurs et des publicitaires.
17Dans l’écosystème émergent, les entreprises du numérique bénéficient d’avantages importants et inhérents sur leurs homologues d’autres médias, notamment en termes de points de contact et de données sur les consommateurs ciblés. Yahoo !, par exemple, estime à 811 le nombre de points de contact avec le consommateur moyen chaque mois, en comptant les recherches, les pages visitées et les vidéos regardées. A titre de comparaison, Disney en a 64, et le New York Times seulement 45, selon ses propres dires.
18D’autres grands acteurs, comme Google, Microsoft, AOL, MySpace et Facebook, exploitent des filons similaires. Ayant une vision enrichie des préférences du consommateur, ils sont en mesure de segmenter plus finement le public utilisateur, de mieux adapter les publicités à ces segments et, par conséquent, d’accroître l’efficacité des marketeurs. En outre, les plates-formes numériques permettent aux entreprises médias de dépasser le rôle de simples agrégateurs de regards, en proposant aux marketeurs et aux publicitaires des services étendus comme le marketing de la performance, le marketing par e-mail et la génération de prospects. Les entreprises médias numériques, quant à elles, s’orientent vers un rôle d’agrégateur de demande.
19Ce que nous décrivons ici va bien au-delà d’une simple évolution dans le marketing mix ou l’achat d’espaces. La fonction marketing, équipée pour diffuser les messages de la marque, s’est adaptée pour devenir un centre de dialogue capable de glaner des informations sur ce que veut le consommateur, et quand et comment il le veut. La publicité est passée de l’irruption - pour attirer l’attention sur tel produit ou telle marque - à une forme d’expérience, d’application, de service réellement demandée par le consommateur. Ce nouveau mode de marketing ne crie pas : il écoute et il apprend. Et pertinence, interactivité et responsabilité en sont les ingrédients essentiels.
Retracer les frontières de l’écosystème
20La survie n’est pas facile dans cet écosystème où les rôles et responsabilités deviennent toujours plus exigeants et plus complexes. Les frontières entre les différents types d’entreprise sont de plus en plus floues, et chaque pouce de tradition est désormais sujet à transformation.
21Les annonceurs, par exemple, se prononcent ouvertement en faveur de nouveaux modèles d’interaction avec les agences de publicité et les partenaires médias. Chez HP, Gary Elliot estime que les relations dans l’écosystème traditionnel nuisent à la rapidité de mise sur le marché, aussi le constructeur est-il résolu à nouer des liens plus étroits avec ses agences de publicité et les fournisseurs Internet en travaillant sur certains projets avec un seul partenaire clé. Son partenariat dynamique avec MTV en est un exemple, et le cas n’est pas unique. Une majorité d’annonceurs pensent que ces types de partenariat, plus proches, plus approfondis, plus collaboratifs avec les entreprises médias, prendront une place plus grande dans la réussite des affaires. Certains commencent aussi à internaliser davantage de capacités publicitaires : 42 % des annonceurs nationaux se sont dotés d’une agence interne, d’après une enquête récente de l’ANA.
22Les entreprises médias, de leur côté, prennent des responsabilités qui étaient autrefois du domaine exclusif des agences de publicité, dans l’espoir de resserrer des liens stratégiques avec les marketeurs. Ainsi 91 % de celles que nous avons interrogées fournissent d’une manière ou d’une autre des prestations de conseil aux annonceurs : lancement de campagne, création de contenu clients, exécution multiplate-forme, etc. Bien que près des deux tiers des entreprises médias reconnaissent que le développement de ces services entraînera des frictions avec les agences de publicité, plus de la moitié s’attendent à traiter davantage directement avec les annonceurs dans les temps à venir.
23Tout cela cause une certaine consternation dans l’industrie de la publicité. Les agences elles-mêmes se posent des questions sur la viabilité du modèle traditionnel. Seules 42 % d’entre elles soutiennent pouvoir fournir tous les services que peuvent demander les annonceurs. Trois agences sur quatre jugent la concurrence sur les prix de plus en plus âpre et pensent qu’elle s’intensifiera encore en 2010. Et près de 60 % sont convaincues que les agences numériques innovantes, telle AKQA, sont prêtes à assurer un rôle plus important et des responsabilités plus vastes que les grands noms de la profession, voire à fournir des services complets.
24Si elles veulent rester dans la course, les agences doivent restructurer leur organisation de manière à réduire voire éliminer une partie de leurs coûts, défi particulièrement difficile à relever quand les annonceurs exigent simultanément des solutions personnalisées et davantage d’innovation.
25En réponse à cet impératif, près des deux tiers des agences modernisent leurs systèmes technologiques, et la moitié projettent une restructuration fondamentale de leur activité. Derrière les manœuvres défensives, les plus avant-gardistes tentent des incursions dans de nouvelles zones de la chaîne de valeur : 70 % adoptent des rôles traditionnellement joués par les entreprises médias, comme le placement de marque pour les annonceurs. Tout aussi important, beaucoup d’agences cherchent à se développer sur d’autres offres à forte valeur ajoutée, en particulier dans les services technologiques, médias et de conseil. Et les deux tiers ont bon espoir que les modèles économiques de demain permettront, peut-être via des concessions de licence, une plus forte monétisation de la propriété intellectuelle créée par les agences pour leurs clients : lignes de produits, marques, supports numériques originaux, applications logicielles, etc.
La survie des organisations les mieux adaptées
26Les cinq comportements que doivent adopter l’ensemble des acteurs - annonceurs, agences et médias - pour rester performants dans cet écosystème sont dès lors évidents : se rapprocher des consommateurs, favoriser les discussions, maîtriser le contexte des messages, mettre à profit les données consommateurs et nouer de nouvelles relations de collaboration à tous les niveaux de la chaîne de valeur.
27Changer les consommateurs en « prosommateurs ». Conscients du pouvoir que détiennent les consommateurs, les marketeurs ont accompli un effort considérable pour mieux les comprendre et entrer en contact avec eux. Ils sont quatre sur cinq à estimer que la connaissance du consommateur est plus importante aujourd’hui qu’il y a cinq ans, et le sera davantage encore dans les années à venir. Près de la moitié des agences de publicité s’efforcent de collecter et fournir des informations exclusives sur l’évolution de ses comportements. Et la grande majorité des entreprises médias, 87 %, considère qu’être en mesure de le faire confère un avantage concurrentiel, en différenciant les propriétés de leur média de la masse des autres options offertes aux annonceurs.
28Un aspect nouveau de cette connexion est l’augmentation des discussions entre consommateurs autour des marques. En favorisant et en suivant ces discussions, les marketeurs peuvent identifier et mobiliser des « défenseurs de la marque » qui vont communiquer leur enthousiasme et recommander ses produits et services. Plus de la moitié des annonceurs estiment que l’éloge est un objectif marketing plus important que la sensibilisation. Dave Morgan, fondateur et président de Tacoda, le plus grand réseau publicitaire du monde, spécialisé dans le ciblage de consommateurs à partir de leurs comportements (et racheté par AOL en 2007), insiste sur ce point : « Le marketing consistera de plus en plus à activer des groupes de consommateurs, à en faire des “prosommateurs”. » Munis d’outils adéquats et dûment motivés, ces nouveaux apôtres, prêts à glorifier la marque auprès de leur famille, amis et connaissances, peuvent jouer un rôle clé dans une campagne. De grands annonceurs comme Nike et Procter & Gamble l’ont bien compris, qui s’efforcent de convertir un maximum de ces consommateurs partisans.
29Pour « activer » un consommateur, il faut d’abord bien le comprendre. Il faut donc l’écouter et l’observer, et en tirer des enseignements. Les marketeurs ont une grande expérience de l’observation des consommateurs dans des contextes traditionnels - P&G sait, par exemple, comment les clients interagissent avec ses produits en rayon, de même Johnson & Johnson des patients dans la salle d’attente. Mais ils ont encore du mal à identifier des « moments de vérité » équivalents sur Internet. Est-ce qu’un parent qui se demande comment soigner l’érythème fessier de son bébé commence par une recherche sur Google ou par un forum de discussion, ou bien va-t-il tout droit sur www.babycenter.com ou pampers.com ? A tous les niveaux de l’écosystème du marketing et des médias, les entreprises continuent de scruter l’horizon pour y découvrir ce qui leur permettra de mieux cibler et servir le consommateur.
Un intérêt prononcé pour les médias bidirectionnels(*)
Un intérêt prononcé pour les médias bidirectionnels(*)
(*) C’est-à-dire dans les lieux publics : panneaux d’affichage, kiosques, gares, etc.Les canaux qui engrangeront le plus d’argent en 2010 seront les médias numériques (pour lesquels 88 % des annonceurs envisagent de dépenser davantage), la téléphonie mobile (52 %), les relations publiques (41 %) et les manifestations (35 %).
30Développer des actions bidirectionnelles. Aujourd’hui les marques doivent voir plus loin que la simple diffusion de leurs messages : elles doivent engager le dialogue avec le consommateur. Quand les consommateurs utilisent le numérique pour chercher une information, acheter, bloguer, se faire des amis ou trouver des distractions, leurs actions créent des opportunités pour les marketeurs non seulement d’apprendre davantage mais encore de trouver des idées pour améliorer leurs marques, leurs messages marketing et leurs mix médias.
31En fait, la majorité des annonceurs ont recours à des médias bidirectionnels comme les blogs, le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux pour maintenir le contact avec les consommateurs tout en utilisant des outils de modélisation prédictive pour déterminer et actualiser en continu leurs mix médias. En outre, ils préfèrent engager des dépenses dans des canaux, numériques ou non, qui leur donnent la possibilité de nouer un dialogue avec les consommateurs (voir figure, page précédente).
32Nike a longtemps fait figure de pionnière en matière de stratégies innovantes d’interaction avec les consommateurs. Ainsi Nike+ est une initiative conjointe avec Apple et l’agence numérique R/GA : il s’agit d’un capteur qui se glisse dans une chaussure Nike et transmet en direct à l’iPod du coureur des données sur son rythme cardiaque et les calories brûlées. Celui-ci peut alors poster ses résultats sur Internet et intégrer une communauté regroupant coureurs chevronnés et novices sur www.nikeplus.com. L’an dernier, Nike s’est appuyée sur une plate-forme Web pour engager 800 000 coureurs dans « la plus grande course de toute l’histoire de la planète », selon Joaquin Hidalgo, son directeur marketing : « The Nike+ Human Race » se courait, le 31 août 2008, sur dix kilomètres dans 25 grandes villes du monde entier, comme Singapour, Tokyo, Los Angeles, Bogota, Sao Paulo, Paris, Munich, Séoul…
33Les inconditionnels du numérique pouvaient suivre le parcours de la manifestation en direct et en ligne. « Ce fut une expérience consommateur comme il n’en existe nulle part ailleurs, notait Joaquin Hidalgo lors d’un récent discours. Notre chiffre d’affaires a fait un bond, tandis que la course à pied devenait notre catégorie à la plus forte croissance. Surtout, nous avons vu comment nous pouvions combiner les expériences physiques et numériques des consommateurs pour créer avec eux des liens nouveaux et forts. »
34Mettre contexte et contenu sur un pied d’égalité. Dans l’écosystème d’aujourd’hui, les conditions de distribution des messages marketing - calendrier, contexte, pertinence - tendent à devenir aussi importantes que leur exécution créative. Il suffit de regarder la montée fulgurante des publicités par mots-clés pour comprendre que, du moins sur Internet, l’habileté de la mise en place prime sur la créativité du contenu, aussi intelligent soit-il.
35C’est pourquoi les annonceurs renforcent régulièrement la stratégie et le plan médias : création de postes de haut niveau, recrutement de nouveaux talents en planification des actions de communication - la répartition de l’ensemble des investissements marketing de l’entreprise entre médias payants et publicité hors média. Environ 20 % des annonceurs de notre enquête ont déjà investi dans des équipes internes de planification. Et la majorité des personnes interrogées attendent de leur agence médias - qui programme et réalise leurs achats d’espaces - qu’elle devienne un partenaire plus important.
36Cette attention accrue portée au mix média se double d’une exigence de plus de souplesse et de rapidité. La plupart des annonceurs opèrent et adaptent déjà leurs achats d’espaces sur une base quotidienne ou hebdomadaire en fonction de leurs besoins. Plus de la moitié d’entre eux espèrent que ce processus se rapprochera d’un modèle boursier dans les cinq prochaines années : des achats et des ventes qui se feront en temps réel, de manière transparente et continue. Adieu le paiement d’avance. Bienvenue au marché vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept.
37Ceux qui ne se sont pas intéressés suffisamment au plan médias devront rattraper leur retard. Il leur faudra intégrer les médias dans l’élaboration de leur stratégie marketing plus en amont qu’ils ne le font aujourd’hui, et maintenir cette totale intégration tout au long des campagnes et des actions. Il leur faudra en outre institutionnaliser des supports pour l’expérimentation et l’innovation. A l’heure actuelle, moins d’un annonceur sur quatre a prévu un financement centralisé pour ce faire.
38Maîtriser les outils d’évaluation. S’il est un point sur lequel annonceurs, agences et entreprises médias tombent d’accord, c’est sur le besoin d’instruments plus lisibles et plus cohérents pour mesurer l’impact des messages tant traditionnels que numériques. En effet, l’absence d’indicateurs fiables et normalisés est le principal obstacle à la transition de l’ensemble de l’écosystème vers d’autres modèles. La création de nouveaux standards autoriserait les uns comme les autres à dépasser le stade expérimental pour s’engager dans des innovations durables. En outre, elle pourrait donner naissance à des modèles totalement inédits de retour sur investissement et de rémunération.
39Collecter des informations est une chose ; en tirer des enseignements en est une autre. Les gros annonceurs nouent des partenariats avec les agences, numériques ou traditionnelles, et les entreprises médias pour le suivi des placements, des versions et de l’impact des publicités. Près d’un quart d’entre eux ont créé des postes d’analyse marketing et médias et puisent dans un nouveau réservoir de talents, informaticiens mathématiciens et ingénieurs, tous spécialistes du numérique.
40Mais les chances de succès sont bien maigres tant que l’on ne travaille pas à partir d’un ensemble d’indicateurs reconnus. C’est ce que constate Carolyn Everson, directeur commercial à MTV Networks : « Les plates-formes numériques récentes génèrent des tonnes de données, mais nous n’avons pas encore trouvé l’outil d’évaluation qui serait commun aux médias traditionnels et aux nouveaux supports. Pour que les professionnels puissent planifier, mesurer et optimiser des audiences, il faut disposer d’indicateurs normalisés. Par exemple : comment suivre un public sur plusieurs plates-formes ? Quel est l’intérêt d’un engagement multiplate-forme ? Nous travaillons sans relâche avec nos clients pour apporter une réponse à ces questions. »
41Le principal obstacle au développement d’un standard universel semble être le manque de coopération. Sur dix agences de notre enquête, six déclarent que la mauvaise volonté des annonceurs à communiquer sur les objectifs ou les cibles les empêchent de mesurer leur efficacité, et près de la moitié constatent que, pour l’évaluation des résultats, leurs clients utilisent des méthodes traditionnelles qui n’intègrent pas les supports numériques. Les trois quarts des entreprises médias souhaitent mieux comprendre ce que les annonceurs veulent mesurer, la pertinence des indicateurs pouvant varier en fonction des secteurs industriels, voire des marques.
42Même si l’on peut s’attendre avec le temps à davantage de standardisation, les acteurs de l’écosystème devraient encore conserver une grande hétérogénéité dans leurs systèmes de mesure, pour ce qui est du futur prévisible. S’ils veulent disposer de tableaux de bord, chacun devra créer le sien. MTV, par exemple, a développé à son propre usage un outil de planification baptisé T-ROI qui aide les clients à chiffrer le rendement total de leurs investissements dans ses médias. Les gros annonceurs regardent au-delà des outils classiques d’allocation de ressources, comme les ajustements à partir de l’historique des dépenses et la modélisation du marketing mix, et intègrent dans l’élaboration de leurs plans médias de nouveaux instruments, comme le ciblage fondé sur les comportements du consommateur, le marketing de données, les outils d’analyse Web et les modèles prédictifs. Ceux-là se donnent les meilleurs moyens de « torturer les données jusqu’à ce qu’elles avouent », comme disait Paul Price, vice-président de l’agence Rapp Collins.
43Le partenariat est roi. La chaîne annonceur-agence-entreprise média était naguère simple et directe. Aujourd’hui, ce modèle linéaire a évolué vers un réseau en toile d’araignée où se chevauchent connexions et interdépendances. Dans un écosystème marketing plus complexe, où les annonceurs attendent ce qui se fait de mieux en termes de concept et de réalisation, chacun a besoin de développer ses compétences en partenariat, tant pour mener la tâche à bien que pour s’ouvrir l’accès à de nouvelles sources de données.
44Les annonceurs collaborent directement avec les entreprises médias, les agences spécialisées prolifèrent, les grandes agences diversifient leur portefeuille, et les entreprises médias étendent la diversité et la portée de leurs services. Cet effacement des frontières ne s’est pas produit sans quelques tensions, mais il a poussé les acteurs à prendre de nouvelles orientations. Par exemple, WPP Group PLC, maison mère de nombreuses agences de marketing et de publicité, finance conjointement avec Google - que le patron de WPP qualifiait de « meilleur ennemi » - des travaux de recherche sur l’efficacité du marketing en ligne. Le groupe rival Publias a lui aussi noué un partenariat avec Google, de même qu’avec Microsoft, Yahoo et AOL pour soutenir son réseau publicitaire open source VivaKi. Publicis et Google œuvrent également ensemble dans diverses initiatives de publicité sur mobile.
45Annonceurs, agences de publicité et entreprises médias doivent travailler en partenariat pour concevoir, mettre en œuvre et suivre leurs stratégies de commercialisation. Différents modèles émergeront, correspondant à la dynamique unique de la relation entreprise-consommateur, mais le modèle dominant sera vraisemblablement tiré par les annonceurs.
46Lors d’une table ronde de l’ANA sur l’étude Marketing & Media Ecosystem 2010, Becky Saeger, directeur du marketing à Charles Schwab & Company, a avancé que c’était au client que revenait le rôle de meneur de jeu « qu’on le veuille ou non, tant la fragmentation est importante ». Steve Sullivan, vice-président senior pour les communications à Liberty Mutual Group, partageait ce point de vue : « Aujourd’hui, les plans marketing ressemblent plutôt à une mosaïque de milliers de petites pièces. Et on doit s’efforcer de comprendre ce qu’elles représentent et où elles vont, pour pouvoir les assembler. »
47D’ores et déjà les grands annonceurs investissent dans des capacités qui devraient réduire la distance entre stratégie média, stratégie créative et stratégie de marque. Les plus perspicaces prévoient de développer en interne une fonction d’« intégrateur » (éventuellement hébergée par la planification de la communication) et de nommer un directeur médias.
48D’autres comptent sur leur agence de publicité pour jouer ce rôle d’intégrateur, du moins dans certaines circonstances. Récemment, par exemple, pour le lancement d’un déodorant, Unilever PLC a choisi une agence comme « chef d’orchestre », chargé d’intégrer l’ensemble des agences et autres éléments de la campagne. Ce chef d’orchestre était responsable du budget, du calendrier et de l’exécution globale du programme. Kevin George, vice-président et directeur général de l’activité antitranspirants, déodorants et soins du cheveu, reconnaît que c’était au départ « politiquement délicat vis-à-vis de nos autres agences, mais cela a permis à nos équipes d’avoir un seul point de contact, d’où pour nous un gain important en termes de temps et de complexité. Ce n’est pas toujours la meilleure approche, mais nous en avons beaucoup appris sur une manière différente de travailler ».
Quand les entreprises médias deviennent partenaires des annonceurs
Des partenariats de contenus. Nous développons des opportunités originales et pertinentes dont le but est d’associer les annonceurs aux marques MTVN, et ainsi de les mettre en contact avec nos publics. Nous collaborons avec les marketeurs et leurs agences pour créer des partenariats de contenus - ce que Madison Avenue appelle du « branded entertainment ».
Il n’est pas nouveau que des entreprises médias comme MTVN créent des contenus, que les annonceurs « empruntaient » pour mieux vendre leurs produits. Le message marketing était inséré dans une pause publicitaire ou affiché en bandeau à côté d’un article en corrélation.
Maintenant nos annonceurs veulent être partie intégrante du contenu. Ils veulent le halo des marques MTVN - le facteur « cool ». Ils veulent que nous augmentions le nombre de visites et d’enregistrements sur leurs sites Web. Ils veulent notre connaissance du consommateur - les préférences de marque, les centres d’intérêt des enfants et des jeunes adultes -, fruit de plus de 500 études chaque année sur le public de MTV. Surtout, ils veulent de la pertinence, de la crédibilité et un engagement qui va bien au-delà de ce que les messages traditionnels peuvent apporter. Ils ne veulent pas un spot publicitaire : ils veulent que leur marque soit intégrée dans une authentique expérience de divertissement.
« Engine Room » et HP. A l’automne 2008, nous avons lancé sur notre chaîne pour étudiants, mtvU, une série originale et, en partenariat avec Hewlett-Packard, son site Web, emblématique de cette nouvelle tendance. Il s’agit d’un spectacle de téléréalité, « Engine Room », qui oppose pendant cinq à sept minutes seize jeunes artistes du numérique des quatre coins du monde, répartis en quatre équipes régionales. A la clé, un prix de 400 000 dollars et le droit de programmer l’écran géant de MTV à Times Square le temps d’une soirée. La série est parrainée par HP, et les ordinateurs portables, les stations de travail, les écrans et les imprimantes qui apparaissent pendant l’émission sont tous du matériel HP.
« Engine Room » fait suite à un autre partenariat fructueux entre HP et mtvU, un show baptisé « Meet or Delete », dans lequel les concurrents décidaient de se rencontrer ou non sur la base de ce que contenait leur ordinateur HP. Nos incursions communes dans le branded entertainment ont certainement permis au constructeur de montrer combien la chaîne de valeur marketing avait radicalement évolué. Il y a cinq ans, HP cherchait à renforcer son intégration marketing en étant l’un des sponsors de l’événement phare de MTV, les Video Music Awards. Aujourd’hui, nous poursuivons ensemble des initiatives de placement de marque qui ont permis à HP de prendre la tête des ventes mondiales de PC. De grands annonceurs comme Ford, General Electric, Unilever et PepsiCo se sont lancés dans des opérations similaires avec MTVN l’an dernier.
Cette convergence des programmes et de la publicité participe de l’évolution naturelle de l’écosystème du marketing et des médias, et nous devons nous y adapter si nous voulons prospérer - mais nous devons aussi nous montrer très attentifs aux risques. Nous ne devons rien faire qui compromette la qualité de nos contenus ou de nos marques. Les actifs les plus critiques de MTVN sont son intégrité créative et sa relation avec son audience. Nous devons protéger l’une et l’autre, être toujours certains que nous distrayons nos spectateurs, que nous ne les matraquons pas.
Davantage d’intégration. Ces partenariats marketing requièrent une approche radicalement différente de la vente d’espaces. Nous ne nous contentons plus de produire de bons contenus, puis de chercher des commanditaires. De plus en plus souvent, nous brûlons cette étape et nous travaillons directement avec les annonceurs pour développer des programmes qui correspondent à leurs besoins tout autant qu’aux intérêts de notre public.
Cette approche implique une intégration plus grande non seulement avec les clients mais aussi au sein même de MTVN. Ventes, marketing intégré, recherche et ressources de programmation sont regroupés pour cimenter une relation beaucoup plus étendue avec nos partenaires annonceurs. A cette fin, nous avons récemment élargi le rôle et les responsabilités de notre équipe interne d’alliance stratégique, que nous avons baptisée « Generator ». Generator constitue un point de contact central, holistique, pour des clients clés qui recherchent des partenariats plus poussés et transversaux avec notre portefeuille d’activités. A tous les niveaux de notre organisation et avec Generator en particulier, nous avons avec nos annonceurs une approche qui se veut consultative, qui pousse nos équipes à rechercher toutes les voies intéressantes pour aider le client dans la conduite de ses affaires.
Il s’agit là d’une approche convergente des ventes, conçue pour répondre aux besoins d’un marché convergent. Et ce n’est qu’un échantillon de ce que MTV Networks peut faire en exploitant ses marques, ses programmes, sa créativité, ses relations et sa distribution, en tant que partenaire marketing complet, et non simplement en tant que fournisseur de médias.
Carolyn Everson [*]
49Dell et WPP ont suivi une autre voie. Lasse des complexités et des pertes d’efficacité liées à la coordination des efforts de quelque 800 prestataires de services marketing, Dell a décidé de confier un budget de 4,5 milliards de dollars sur trois ans à une nouvelle agence, Enfatico, créée sur mesure et dotée en personnel par WPP pour répondre aux besoins du constructeur. Cette agence travaille pour Dell et Dell seulement, par contrat.
50Les entreprises médias ne sont pas en reste. Elles aussi veulent prendre plus de responsabilités dans l’intégration des diverses campagnes. Elles sont assises sur une montagne de données ; bénéficiant d’une visibilité directe sur ce que le consommateur veut et fait, elles sont en mesure de fournir aux annonceurs et aux agences quantité d’informations et de services consultatifs. Dans la foulée, elles en profitent pour renforcer leurs propres efforts commerciaux. De fait, les trois quarts des entreprises médias reconnaissent qu’il est de leur intérêt de produire ce type de données et estiment qu’elles ont là une carte à jouer - un point de vue qu’incidemment ne partagent pas la majorité des agences de publicité, qui jugent que cette responsabilité leur revient.
51Les entreprises de médias numériques ne sont pas les seules à l’avant-garde de l’innovation. Meredith Corporation, un éditeur de magazines féminins, a acquis ces deux dernières années cinq agences numériques spécialisées dans la gestion de la relation clients, le marketing de bouche à oreille, les soins médicaux personnalisés et le marketing en ligne. Outre offrir à des annonceurs comme Kraft Foods l’opportunité de s’adresser aux femmes via Better Homes & Gardens et Ladies’Home Journal, Meredith leur propose aussi désormais toute une gamme de solutions numériques et de services d’agence. Son bénéfice est double : étendre et approfondir ses relations avec les grands annonceurs, et trouver des sources de revenu bien au-delà de la seule publicité imprimée.
Courtiser les consommateurs et les compter
Cette responsabilité et cette intimité sont aujourd’hui particulièrement importantes, en un temps où l’encombrement et la forte fragmentation du marché de la publicité rendent le prix d’« achat d’une renommée » prohibitif ; et où la publicité traditionnelle a perdu de son charme de conteuse d’histoires, évoluant plutôt vers des réalisations composites souvent ternes, sans surprise, sans rien de marquant ni d’édifiant.
Les internautes ciblés. Il n’est pas tout à fait étonnant que les formes traditionnelles de publicité ne trouvent pas vraiment de traduction dans ce nouveau monde numérique. Les campagnes des marques étaient conçues pour la télévision. Aujourd’hui, elles ciblent directement les internautes. Ces consommateurs ne sont pas des spectateurs captifs. Ce sont des esprits critiques qui se servent d’Internet pour piocher çà et là des masses d’informations et se faire leur propre opinion. Les marketeurs qui ne seront pas prêts à un échange substantiel, approfondi et authentique avec eux se retrouveront marginalisés. A l’inverse, ceux qui trouveront des moyens inattendus d’établir le dialogue entre leur marque et ces consommateurs en tireront le plus grand profit.
Ainsi, pour préparer le lancement du jeu Halo 3 pour la Xbox, Microsoft Corporation a souhaité à la fois mettre à profit la passion de ses fans dans le monde et stimuler leur intérêt pour cette troisième version. En collaboration avec les développeurs du jeu, l’agence AKQA a créé un site Web avec un tour virtuel à 360 degrés qui plongeait le joueur dans ce nouvel univers, lui donnant tous les détails possibles sur les habitants de ce royaume futuriste. AKQA a aussi développé un autre jeu de réalité, Iris, où des indices étaient fournis sur des prospectus distribués sur la voie publique, et via des sonneries téléphoniques codées pour aider le consommateur à découvrir l’origine de l’univers Halo. Ce pari sur la curiosité des joueurs pour les détails du passé des personnages, et sur leur goût de l’enquête, s’est avéré payant. Plus de 300 000 personnes ont téléchargé les sonneries et les précommandes ont dépassé le million d’unités, faisant de Halo 3 la version d’un jeu la mieux vendue en son temps.
De nouvelles capacités. Le marketing moderne n’est pas lié fondamentalement à la technologie : il est avant tout une affaire d’idées et d’expériences qui amènent les gens à parler, procurent une réelle valeur de divertissement ou rendent un service utile au consommateur. Ces idées et ces expériences doivent être conçues avec autant de rigueur que le produit sous-jacent, de sorte que les deux soient indifférenciables. Pour ce faire, les agences doivent réunir de nouvelles capacités en création et distribution de contenu, en conception d’interface, en commerce électronique et en développement de nouveaux produits.
Prenons l’application de Nike Playmaker, qui permet aux équipes de football amateurs ou semi-professionnelles d’organiser facilement des matchs en ligne. Dans cet exemple, le marketing prend la forme d’un outil qui aide entraîneurs et joueurs à résoudre un problème de tous les jours. En lançant Playmaker, Nike partage sa passion pour les sports et encourage la participation d’un plus grand nombre de gens.
Pour impliquer effectivement les consommateurs dans le nouvel espace numérique, les marketeurs doivent définir plus clairement les valeurs qui sous-tendent chacune de leurs marques et instiller ces valeurs dans l’ensemble du programme, chaque interaction avec un client devenant de fait un élément de la marque. A l’heure d’évaluer des opportunités numériques, les dirigeants doivent d’abord se poser cette question primordiale : quelles nouvelles capacités, quels nouveaux services permettront d’améliorer la valeur de notre produit aux yeux de nos clients ? La réponse à cette question est la leçon ultime en matière de numérique. Ce n’est pas ce qui paraît plaisant ou agréable qui importe au bout du compte : c’est ce qui fonctionne bien.
Ajaz Ahmed [**]
52Dans un futur proche, les annonceurs devront se faire une idée plus précise des métiers qu’ils doivent conserver en interne et de ceux qu’il faut externaliser et confier à des partenaires spécialisés. Les agences et les entreprises médias devront en retour s’ouvrir à de nouvelles manières de travailler, entre elles et avec les annonceurs. Les plus grandes chances de survivre dans ce nouvel écosystème - et finalement de s’assurer une position de leader - sont toutes liées au fait que le système lui-même soit rendu moins complexe.
53La propriété et la responsabilité ont besoin d’être clarifiées ; le processus même du marketing doit être rendu plus souple, plus rapide, plus évolutif et plus précis. Pour ce faire, annonceurs, agences et entreprises médias doivent porter les plates-formes numériques sur le devant de la scène. Il est désormais évident que l’intelligence du numérique ne relève plus d’une capacité de niche : elle fait partie du noyau de compétences indispensable à tous, annonceurs, agences et entreprises médias. Comme il est évident que les supports électroniques ne constituent plus des sources de revenu secondaires : ils peuvent être, et seront, l’élément clé de nombre de campagnes.
54C’est pourquoi beaucoup d’annonceurs font évoluer leurs stratégies création et médias, leur organisation et leur culture, de façon à capitaliser pleinement sur l’opportunité Internet. A l’échelle sectorielle, une priorité plus grande est donnée au support numérique dans les stratégies de marque. La publicité de masse continuera de jouer un rôle de sensibilisation, mais la préférence ira aux canaux les plus performants en termes de responsabilité, de pertinence et d’interactivité.
55L’écosystème du marketing et des médias poursuivra son évolution. La chaîne de valeur linéaire qui caractérisait le marketing a été remplacée par une communauté élargie et interconnectée, où se rejoignent marques, consommateurs et médias. Tout comme aucune espèce n’est assurée de gagner, aucune ne l’est de perdre. La survie se joue sur des capacités d’adaptation.
Notes
-
[*]
Cet article a été publié initialement en anglais sous le titre « Digital Darwinism », dans Strategy+business, n° 54, printemps 2009.
-
[**]
Christopher Vollmer est partenaire de Booz & Company à New York. Il en dirige l’activité « médias et divertissement » Amérique du Nord. Il en aide les clients des secteurs médias et grande consommation à développer et mettre en œuvre leur stratégie. Il est l’auteur de Always on : Advertising, Marketing, and Media in an Era of Consumer Control (McGraw-Hill, 2008).
-
[***]
L’ANA est le principal forum de la communauté du marketing. L’IAB regroupe des entreprises médias et technologiques et informe les annonceurs, les agences de publicité, les entreprises médias et le monde des affaires en général sur les avantages de la publicité interactive. L’AAAA est un groupement professionnel représentant à l’échelle nationale les agences de publicité américaines.