Notes
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[*]
Jean-Louis Mucchielli est professeur à l’université de Paris-I et professeur affilié à l’ESCP Europe. Membre du comité de réflexion sur la mondialisation de l’OCDE, il préside une commission du Conseil national de l’information statistique (CNIS INSEE) sur les investissements étrangers. Dernier ouvrage paru : Mondialisation : chocs et mesure, Hachette, 2008.
-
[1]
Pour ces deux exemples, voir Banque mondiale, 8 mars 2009, Swimming against the Tide : How Developing Countries Are Coping with the Global Crisis ?, rapport pour la réunion préparatoire des ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale du G20, à Horsham (Royaume-Uni), les 13 et 14 mars 2009.
-
[2]
C. Samuel et S. Douglas, « Responding to the Challenges of Global Markets : Change, Complexity Compétition and Conscience », The Columbia Journal of World Business, hiver 1996.
-
[3]
J.-L Mucchielli et S. Chedor, « Entreprises multinationales et commerce international », Cahiers français, n° 341, novembre-décembre 2007.
-
[4]
J.-L Mucchielli, Multinationales et mondialisation, Seuil, 1998.
- [5]
-
[6]
Agence Reuter, 14 novembre 2008.
-
[7]
EETimes Europe, « Nokia’s Romania Plant Turns out 10 Million Units in Nine Months », 25 septembre 2008.
-
[8]
PricewaterhouseCoopers, 9th Annual Global CEO Survey fondé sur des interviews avec 1 410 PDG entre septembre et décembre 2005 ; voir également le New York Times, « Outsourcing Is Climbing Ski Ils Ladder », 16 février 2006.
-
[9]
Ministère de l’Industrie : http://www.industrie.gouv.fr/sessi/panorama/pano07/ifd01.htm
-
[10]
T. Mayer et J.-L Mucchielli, « Hierarchical Location Choice and Multinational Firms Strategy : A Nested Logit Model Applied to Japanese Investment in Europe » in J. Dunning et J.-L Mucchielli, dir., Multinational Firms, The Global-Local Dilemma, Routledge, 2002.
-
[11]
J.-L Mucchielli et F Puech, « Internationalisation et localisation des firmes multinationales : l’exemple des entreprises françaises en Europe », Economie et Statistiques, novembre 2003, repris dans Problèmes économiques, 2006.
-
[12]
P. Krugman, Geography and Trade, MIT Press, 1991.
-
[13]
World Development, vol. 35, n° 5, 2007.
-
[14]
Voir CNUCED, WIR 2004, chapitre IV.
-
[15]
K. B. Olsen, « Productivity Impacts of Offshoring and Outsourcing : A Review », document de travail 2006/1, Direction de la science, de la technologie et de l’industrie, OCDE, 2006.
-
[16]
A. Slangen et J. Hennart, « Greenfield or Acquisition Entry : A Review of the Empirical Foreign Establishment Mode Literature », Journal of International Management, n° 13, vol. 4, 2007.
-
[17]
M. Desai, C. Fritz Foley et James R. Hines Jr, « Research Spotlight. The Internai Markets of Multinational Firms », Survey of Current Business, mars 2007.
-
[18]
I. Geishecker, « Does Outsourcing to Central and Eastern Europe Really Threaten Manual Workers’ Jobs in Germany ? », The World Economy, vol. 29, n° 5, 2006.
-
[19]
L. Pfannenstein et R. Tsai, « Offshore Outsourcing : Current and Future Effects on American it Industry », IS Management, vol. 4, n° 21, 2004.
-
[20]
Ben L. Kedia et D. Mukherjee, « Understanding Offshoring : A Research Framework Based on Disintegration, Location and Externalization Advantages », Journal of World Business, 2008.
-
[21]
J. H. Dunning, Multinational Enterprise and the Global Economy, Addison Wesley, 1993.
-
[22]
B. L. Kedia et S. Lahiri, « International Outsourcing of Services : A Partnership Model », Journal of International Management, n° 13, 2007.
-
[23]
« British Telecom Job Cuts May Hit Indian BPOs », http://www.bpowatchindia.com/bpo_news/british_telecom/november-14 2008/british_telecom_to_cut_10000_offshore_jobs.html
-
[24]
Associated Press Story, http://news.yahoo.com/s/ap/20081019/ap_on_re_as_china_factory_woes
-
[25]
« Pourquoi la high-tech américaine arrête de délocaliser », Les Echos, 23 mars 2009.
-
[26]
Le Figaro, 14 novembre 2008.
-
[27]
Revue de presse du 26 septembre 2008, ambassade de France en Slovaquie, service de presse.
- [28]
-
[29]
M. Crozet, Th. Mayer et J.-L Mucchielli, « How Do Firms Agglomerate ? A Study of FDI in France », in Regional Science and Urban Economies, 2004.
-
[30]
A. Marshall, Principles of Economies, MacMillan, 1re éd., 1890.
-
[31]
Par exemple, M. Porter, « The Economie Performance of Régions, Measuring the Role of Clusters », conférence annuelle du TCI (The Competitiveness Institute), 19 septembre 2003, Gothenburg, Suède.
1La crise profonde que nous traversons fait craindre aux responsables politiques des risques d’éviction des activités industrielles et de service dans les pays développés. Le nouveau président Barack Obama a, par exemple, promis, selon sa formule « job will be back », d’accorder une attention toute particulière aux « exportations d’emploi ». Même chose pour le président français qui a demandé aux entreprises françaises de l’industrie automobile, qui produisent dorénavant davantage à l’étranger que sur le territoire national, de s’engager en contrepartie d’aides importantes à ne pas licencier en France.
2De l’autre côté de la planète, dans de nombreux pays émergents, la crise se fait aussi sentir sur la production. L’Inde a perdu plus d’un demi-million d’emplois dans les trois derniers mois de 2008, le Cambodge plus de 30 000 dans la seule industrie de la ganterie [1]. En Chine, près de 20 millions de travailleurs des villes ont dû retourner chez eux dans les campagnes faute de travail. Les nouveaux membres de l’Union européenne ne semblent pas mieux lotis puisque se posent à eux pratiquement des problèmes de survie économique.
3Durant ces vingt dernières années, les stratégies de multinationalisation ont été de plus en plus sophistiquées et complexes [2]. Elles mettent notamment en évidence des stratégies d’offshoring outsourcing (externalisation internationale) et de fragmentation internationale de la production. Les années 90 ont vu les investissements directs étrangers (IDE) croître de façon très rapide, marquant ainsi sans doute une nouvelle phase de la mondialisation. Deux pics sont observables : l’un pour les années 2000-2001 et l’autre pour les années 2006-2007. En 2006, les flux d’investissements entrants, au niveau mondial, s’élèvent à 1306 milliards de dollars. Ce montant est proche du record de 1411 milliards de dollars atteint en 2000. En 1990 le montant n’était que de 55 milliards de dollars. Mais avec la crise les multinationales doivent se redimensionner, réduire leurs pertes, se restructurer. C’est alors que leurs stratégies d’expansion tous azimuts sont fortement remises en cause. Vont-elles, pour réduire leurs coûts, se lancer dans de plus amples délocalisations ou vont-elles, pour réduire leurs risques, se recentrer sur leur territoire d’origine ?
Pourquoi investir à l’étranger ?
4C’est la question originelle dans une phase de croissance et d’internationalisation de l’entreprise. Pourquoi aller à l’étranger plutôt que de rester chez soi et d’exporter ? Mais cette question est souvent celle des hommes politiques. En effet, les travaux économiques, en données d’entreprises, ont montré qu’en général c’était une fausse alternative ; les entreprises qui s’implantent à l’étranger sont également celles qui exportent le plus. Il y a donc plutôt une complémentarité entre exportations et IDE qu’une substituabilité [3].
5Les managers d’entreprise quant à eux sont plutôt confrontés à l’alternative suivante : soit s’implanter à l’étranger, soit disparaître. Cette alternative renvoie à trois risques majeurs concernant la demande, l’offre de production et la structure de marché : (1) le marché national risque d’être saturé ou sans dynamisme, (2) les coûts locaux peuvent être trop importants, (3) les concurrents directs eux-mêmes ont pu s’implanter à l’étranger et risquent alors de préempter ces marchés extérieurs [4].
6La recherche de la meilleure demande. Les marchés les plus dynamiques deviennent les cibles préférées de l’entreprise multinationale. Les taux de croissance du PIB, l’évolution des revenus pour le secteur du BtoC et le taux d’équipement et d’investissements sectoriels pour les marchés BtoB seront privilégiés. Pour les futures évolutions, vont être ciblés alors prioritairement les pays émergents notamment les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) et les PECO (pays d’Europe centrale et orientale). Ainsi, pour Peugeot, « il était en effet opportun de rapprocher l’outil industriel de PSA des marchés porteurs pour le groupe, dont le centre d’activité commerciale s’est déplacé vers le centre et l’est de l’Europe, appelé à devenir le cœur de l’Europe de demain, et qui est aujourd’hui pour l’industrie automobile européenne une des trois zones prioritaires de développement dans le monde » [5].
7De même, en Asie, la Chine, premier pays d’accueil des investissements internationaux avec les Etats-Unis, était une autre zone prioritaire du fait de la croissance de son marché, et elle a attiré jusqu’ici des entreprises de tout secteur. Par exemple, fin 2008, McDonald’s, numéro un mondial de la restauration rapide, annonçait l’ouverture de son millième restaurant en Chine, dans la province de Guangdong dans le sud du pays, tout en ajoutant qu’il prévoyait d’en ouvrir 175 autres en 2009. « McDonald’s va continuer à investir et à construire en Chine à un rythme toujours plus soutenu », déclarait Timothy Fenton, président des activités du groupe en Asie, Pacifique, Moyen-Orient et Afrique [6].
Les points forts
Cette fragmentation des processus productifs touche à présent les services comme la production de biens. Elle implique des sous-traitants, des filiales ou des partenaires au sein de joint-ventures.
Les difficultés actuelles des donneurs d’ordre ont deux effets opposés : une remise en cause des contrats d’outsourcing et une relocalisation vers des sites où baisse des coûts et demande se conjuguent.
8La recherche du moindre coût. La réduction des coûts sur les fabrications peu technologiques a toujours été une obsession pour les entreprises en concurrence directe avec les entreprises des pays émergents. A condition bien sûr que les problèmes de faible productivité, de coûts de logistique ou d’autres types de frais d’accessibilité ou d’ouverture ne viennent pas oblitérer les avantages lié aux faibles coûts de main-d’œuvre. La nouvelle stratégie de Nokia, adoptée en février 2008 au grand dam de ses partenaires allemands, est emblématique de ce choix : elle anticipait de produire 10 millions de téléphones mobiles en octobre 2008, en Roumanie. Près de 60 millions d’euros ont été investis dans un nouveau centre de production après la relocalisation de son usine allemande de Bochum à Cluj-Napoca, en Roumanie [7].
9Mais, en fait, c’est plutôt le coût total et la productivité qui doivent entrer en ligne de compte. Certaines analyses mettent en évidence un gain d’environ 40 %, d’autres relatent des situations moins attrayantes et parfois même négatives. Enfin, ces relocalisations sont souvent liées à d’autres éléments que les coûts, comme la recherche de nouveaux marchés et de travailleurs qualifiés [8].
10La combinaison des deux facteurs. L’attractivité des pays émergents combine à la fois les facteurs de coûts et de demande. Ainsi, par exemple, dans le cas des nouveaux membres européens et tout particulièrement de la Slovaquie, nombre d’industriels ont été séduits par le côté low cost du pays en termes de fiscalité et de main-d’œuvre, le développement des infrastructures et l’afflux de fonds européens (16,2 milliards d’euros devraient être alloués entre 2007 et 2013). Mais au-delà des coûts, ils ont fait de la Slovaquie leur base avancée pour conquérir les marchés d’Europe de l’Est.
11La concurrence et l’effet d’entraînement. Dans les implantations à l’étranger, on ne doit pas négliger les effets d’entraînement et la concurrence oligopolistique entre firmes. Le mimétisme vis-à-vis du concurrent afin de ne pas se laisser distancer, la nécessité d’empêcher la préemption du marché étranger par son concurrent ou bien d’être le premier sur un nouveau marché sont autant d’éléments dans la course à l’implantation. Ainsi, pour revenir à la Slovaquie, avec l’ouverture des nouvelles usines : PSA Peugeot Citroën à Trnava en 2006, puis Hyundai/Kia Motors à Zilina dans le Nord et de Volkswagen à Bratislava, la Slovaquie devient, à partir de 2007, le premier producteur mondial d’automobiles par habitant (production cumulée des trois groupes comprise entre 800 000 et 900 000 véhicules par an). Mais dans le même temps, en valeur, la Pologne est devenue le premier producteur automobile de cette zone, devant la République tchèque. A l’horizon 2010, la capacité de production des PECO dépassera les 3,5 millions d’unités [9].
Où localiser sa prochaine usine ?
12Les tendances de long terme des flux entrants d’IDE indiquent que la part des pays en développement a augmenté cette dernière décennie.
13Le poids croissant des pays émergents. En moyenne annuelle des flux d’IDE, entre les périodes 1970-1972 et 2004-2006, les plus fortes évolutions résident dans la diminution du poids des pays développés, 66 % au lieu de 78 %, et dans la place beaucoup plus grande de la Chine et de l’Asie émergente, qui à elles deux représentent plus de 12 % des IDE entrants au lieu de 4,5 %. La Chine accueille sur la période 2004-2006, un quart des IDE entrants dans les pays en développement. Au sein de l’Europe, les nouveaux Etats membres obtiennent un pourcentage de 3,6 % alors qu’ils ne représentaient rien en 1970.
14Un choix séquentiel. Les analyses des stratégies de localisation des entreprises multinationales ont mis en évidence une suite de choix : c’est celui, d’abord, d’une grande zone géographique (Asie, Europe, Amérique) puis d’un pays de la zone, puis d’une région et, enfin, d’une localité précise d’implantation [10]. Chaque fois, une short list est établie et les critères sont fixés en fonction d’une analyse coûts/avantages partant des éléments macroéconomiques les plus globaux - demande potentielle, coûts de production - jusqu’à des caractéristiques très précises des localités alternatives d’accueil (transport, taxes, prix du terrain, disponibilité de la main-d’œuvre, etc.) et des spécificités techniques de l’usine.
15Cela n’empêche pas les comportements de localisation de s’effectuer d’abord sous forme d’extensions géographiques « bord à bord » : le pays voisin, puis les pays de proche en proche selon un effet gravitationnel simple fonction de distances géographiques et psychoculturelles [11].
Que fragmenter, que délocaliser ?
16Avec l’approfondissement de la mondialisation, la décomposition internationale des processus productifs s’est fortement développée ces dernières années. P. Krugman [12] indique que la « fragmentation » est une des trois ou quatre caractéristiques majeures de la mondialisation contemporaine. Par exemple, les importations des pays de l’OCDE de parties et composants en provenance des pays non OCDE sont passées de 18 % à 33 % du total de leurs importations de produits intermédiaires.
17Les fonctions de l’entreprise décomposées. La grande entreprise multinationale est elle-même multiproduits, multispatiale mais aussi multifonctionnelle. L’ensemble des fonctions de la chaîne de la valeur ajoutée peut être décomposé en de nombreux stades et, de plus, fragmenté internationalement. L’entreprise fragmente chaque fonction (services supports, R&D, assemblage, production de composants, commercialisation, etc.) en recherchant a priori une cohérence entre ses besoins et l’attractivité du tissu économique local, entre ses avantages compétitifs et les avantages comparatifs de l’aire géographique concernée.
18Les services aussi. Le 3 février 2003, la couverture de Business Week aux Etats-Unis posait une question brûlante en montrant un Américain cadre d’entreprise : « Est-ce vous le prochain ? » (Is your job next ?), mettant ainsi à la une ce que l’on a appelé la nouvelle vague de délocalisation, cette fois dans les services [13].
19Les progrès des technologies de l’informatique et de la communication (TIC) ont résolu les problèmes techniques de non-transportabilité et de non-stockage des données, ont rendu possible le « tronçonnage » des activités de services et ont renforcé leur commercialisation en créant de nouveaux types de services échangeables. Un grand nombre d’activités de services peuvent maintenant être réalisées indépendamment de leur localisation géographique. De nombreux emplois de bureau, autrefois protégés, sont désormais exposés à la concurrence internationale. Cette fragmentation peut même être beaucoup plus développée que celle des produits industriels dans la mesure où il n’y a pas besoin d’usines mais simplement de bureaux ou de salles avec un minimum de matériel [14].
20La première transplantation d’un service dit de back-office en Inde fut effectuée par American Express en 1993. En 1996, ce fut le tour de British Airways. Puis, en 1997, de General Electric qui employa près de 12 000 travailleurs locaux. La vague s’amplifia en 2000 avec l’arrivée de Hewlett Packard, de HSBC, de JPMorgan Chase. Puis vinrent Dell, AOL et SAP. Ces entreprises se développèrent rapidement. Dell, par exemple, établit un centre d’appels en 2001 ; en 2005, la firme employait déjà 10 000 travailleurs locaux dans de nombreux centres. En moins de six ans la stratégie d’implantation de services sur le sous-continent indien passa « d’une aventure risquée et exotique à de la routine ».
21Notons toutefois qu’en pratique le phénomène d’implantations de plates-formes de services dans les pays émergents reste un phénomène de grande entreprise. Olsen [15] rapporte en 2006 qu’une enquête auprès de 1 100 chefs d’entreprise de moyenne taille indiquait que seulement 5 % d’entre eux voulaient délocaliser à l’étranger des emplois de services utilisant les TIC. Mais ce taux monte à 95 % pour les entreprises classées dans les 1 000 premières de la liste du magazine Fortune.
Avec qui et selon quelles modalités ?
22La partie de la fabrication effectuée à l’étranger par des multinationales est appelée production offshore. Cette fabrication étrangère peut être réalisée soit par des filiales (production intrafirme, ou international insourcing), soit par de la sous-traitance internationale, par externalisation de la production de certaines parties ou composants ou assemblage d’un produit (international outsourcing). Ces comportements sont déjà anciens. Aujourd’hui, les zones géographiques où ces modes de sous-traitance sont devenus possibles ont fortement augmenté avec les nouveaux Etats membres de l’Union européenne, les autres pays de l’Europe orientale, la CEI et l’ensemble de l’Asie émergente, principale source de BPO (business process outsourcing) et même de KPO (knowledge process outsourcing).
23Sous quelle forme ? Dans la plupart des pays développés, plus de la moitié des investissements directs étrangers prennent la forme de fusions et acquisitions. Dans les années 2000-2001, il y a eu une vague importante dans les entreprises du secteur des technologies de l’information et de la communication (dotcom boom), puis, dans les années 2004-2006, une autre dans le secteur bancaire et les télécommunications.
24L’élément crucial de la stratégie de l’investisseur est de choisir entre un investissement ex nihilo (« greenfield » dans le jargon en vogue) et un rachat. L’entreprise doit choisir le mode qui lui procure le plus d’avantages. L’avantage essentiel de la fusion est qu’elle permet une entrée rapide sur le marché avec les parts de marché déjà acquise par l’entreprise rachetée [16]. La troisième possibilité est le joint-venture. L’une des différences avec les autres modalités tient au fait que, dans ce cas, les partenaires sont préoccupés par la rentabilité locale de leur production alors que la maison mère de la multinationale regarde plutôt la rentabilité mondiale, globale de son activité. Par ailleurs, l’intérêt du transfert de technologie vers la filiale étrangère est limité par les risques d’appropriation de la technologie par le partenaire du joint-venture. Enfin, la volonté de la maison mère de fragmenter mondialement la production et de pratiquer des prix de transfert entre filiales peut entrer en conflit avec la stratégie du partenaire local [17].
25L’expansion de la sous-traitance. En matière d’outsourcing, comme l’Inde, les pays d’Europe centrale et orientale ont connu un formidable engouement, notamment du fait des stratégies des entreprises allemandes. Entre 1991 et 2000, l’outsourcing y a crû de 328 %. Les exportations et importations allemandes vers et en provenance des PECO ont parallèlement grossi de plus de 500 % [18]. Selon l’étude de Gartner Dataquest, le marché global pour le BPO, qui n’est qu’un segment de l’offshoring, connaît un taux de croissance annuel de 9,5 % depuis plusieurs années et atteint un total de chiffre d’affaires de 173 milliards de dollars [19].
26Les entreprises qui sous-traitent ainsi essaient de profiter de trois types d’avantage : la fragmentation, la localisation spécifique d’un territoire étranger, et l’externalisation [20]. Ces différents avantages peuvent réduire les coûts de coordination et de gouvernance hiérarchiques, optimiser les compétences territoriales locales de « poches » ou niches d’avantages comparatifs, et augmenter la structure modulaire donnant plus de flexibilité et de réactivité dans un environnement changeant et compétitif. Cette trilogie est le pendant de celle de John Dunning [21] pour expliquer l’internalisation et la multinationalisation, selon laquelle l’entreprise allant à l’étranger bénéficierait d’avantages de propriété, de localisation et d’internalisation.
27Même si l’arbitrage en termes de coût du travail s’érode au fil du temps, les entreprises peuvent faire remonter la chaîne de la valeur à leurs sous-traitants en fonction de l’amélioration des compétences de ceux-ci, la production intensive en travail devenant intensive en connaissance. Kedia et Lahiri [22] notent que beaucoup d’employés chez les sous-traitants peuvent avoir une meilleure qualification que leurs homologues européens ou américains.
Remise en cause ou accélération des relocalisations ?
28La forte crise économique dans laquelle s’enfoncent la plupart des pays est marquée par un très net ralentissement des activités, des investissements internationaux et par la remise en cause d’un certain nombre d’implantations. En fait, deux tendances opposées apparaissent : d’une part un ralentissement de l’internationalisation du fait des difficultés des donneurs d’ordre (qui licencient chez eux comme à l’étranger), avec un effet de « downsizing » important, d’autre part une accélération des délocalisations du fait de la recherche éperdue de baisses de coûts, rare moyen de limiter les pertes dans des marchés atones. Par ailleurs, les entreprises vont renforcer leur recentrage sur leur cœur de métier.
29Délestage partiel de l’outsourcing. D’ores et déjà, certains sites d’outsourcing disparaissent du fait des difficultés des donneurs d’ordre. Ainsi British Telecom réduit de 6 % sa main-d’œuvre, soit 10 000 personnes parmi lesquelles on compte 4000 emplois directs et 6 000 indirects. Son partenaire indien Tech Mahindra est directement touché dans la mesure où l’opérateur britannique contribue pour 60 % à son volume d’activité [23]. De la même manière, la Smart Union Group (Holdings) Ltd, sous-traitant chinois de la région de Guangdong fabriquant des jouets pour Mattel et Hasbro, licencie 7 000 employés. Plus de 3 600 exportateurs chinois de jouets ont fait faillite en 2008 [24].
30La même tendance se fait jour aux Etats-Unis où, dans les industries hightech, on remarque pour la première fois début 2009 que « les derniers chiffres, du quatrième trimestre 2008, permettent déjà de constater une rupture : le nombre de grands contrats d’outsourcing signés (128) et le chiffre d’affaires réalisé (14,4 milliards de dollars) sont respectivement en baisse de 20 % et 22 % par rapport au même trimestre de l’année dernière » [25]. En cause : la baisse de la demande, mais aussi l’augmentation des risques financiers, la réduction des écarts de salaires entre l’Inde, la Chine et une certaine frange de travailleurs américains ainsi que les volontés politiques et fiscales du gouvernement américain de relocalisation.
31Relocalisation sélective. La conjoncture économique et le durcissement de l’accès au crédit pèsent nettement sur les ventes de produits finaux. En octobre 2008, en France, le marché des ventes d’automobiles a reculé de 7,4 %. Il a baissé en Allemagne de 8,2 % ; en Espagne, le reflux est spectaculaire, avec 40 % de baisse ; en Irlande, il atteint 54 %.
32Face à cette crise, Renault a annoncé fin 2008 la suppression de 2000 emplois dans ses filiales de 19 pays européens dont la France, essentiellement par des départs volontaires. Cependant, sa marque Dacia, qui fabrique notamment la Logan, maintient le cap, avec une hausse de 20,2 % de ses ventes [26]. Quant à PSA, il a investi 100 millions d’euros dans le lancement de la C3 Picasso, sur son site de Trnava. Selon les médias slovaques, sur les 100 fournisseurs de PSA pour la production de la C3, 46 sont installés en Slovaquie [27].
33PSA a décidé de réduire de moitié la cadence de production de la Peugeot 207 à Poissy. Chez Renault, la nouvelle Mégane sera produite à Palencia (Espagne), la nouvelle Twingo est fabriquée en Slovénie, alors que l’ancienne l’était à Flins, et plusieurs versions de la Clio sont réalisées à Bursa (Turquie). En dix ans, les effectifs de Flins ont ainsi chuté de 7 000 à 4 000 personnes, quand ceux de Bursa progressaient de 4 000 à plus de 6 000 [28]. Mais cette tendance risque aussi d’être contrariée par les protectionnismes renaissants des Etats et les incitations fiscales à la relocalisation sur les territoires nationaux.
34Les refuges vont donc être les pays où la demande reste forte et où les coûts sont encore attractifs, mais ces tendances seront plus ou moins contrariées par les politiques protectionnistes et par la montée des risques dans les pays les plus fragilisés par la crise économique.
35Atouts des clusters. Un comportement reste souvent oublié dans les plans de relance macroéconomique : la tendance à l’agglomération entre entreprises [29]. Dans les localisations d’activités, en particulier à l’étranger, les entreprises d’un même secteur ou d’une même nationalité ont tendance à se regrouper sous forme de clusters. Cette agglomération, déjà observée par A. Marshall au xixe siècle [30] et confirmée par de nombreux travaux [31], permet aux firmes de profiter d’externalités positives comme l’existence d’un marché du travail local, de marchés de capitaux locaux et de possibles retombées technologiques.
36Les entreprises, dans leurs stratégies de redimensionnement de crise, préféreront sauver leurs filiales insérées dans des agglomérats plutôt que celles qui sont dispersées. Ce sont donc les tissus industriels structurés en clusters qui s’en sortiront le mieux.
Notes
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Jean-Louis Mucchielli est professeur à l’université de Paris-I et professeur affilié à l’ESCP Europe. Membre du comité de réflexion sur la mondialisation de l’OCDE, il préside une commission du Conseil national de l’information statistique (CNIS INSEE) sur les investissements étrangers. Dernier ouvrage paru : Mondialisation : chocs et mesure, Hachette, 2008.
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[1]
Pour ces deux exemples, voir Banque mondiale, 8 mars 2009, Swimming against the Tide : How Developing Countries Are Coping with the Global Crisis ?, rapport pour la réunion préparatoire des ministres des Finances et gouverneurs de banque centrale du G20, à Horsham (Royaume-Uni), les 13 et 14 mars 2009.
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[2]
C. Samuel et S. Douglas, « Responding to the Challenges of Global Markets : Change, Complexity Compétition and Conscience », The Columbia Journal of World Business, hiver 1996.
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[3]
J.-L Mucchielli et S. Chedor, « Entreprises multinationales et commerce international », Cahiers français, n° 341, novembre-décembre 2007.
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[4]
J.-L Mucchielli, Multinationales et mondialisation, Seuil, 1998.
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[6]
Agence Reuter, 14 novembre 2008.
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[7]
EETimes Europe, « Nokia’s Romania Plant Turns out 10 Million Units in Nine Months », 25 septembre 2008.
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[8]
PricewaterhouseCoopers, 9th Annual Global CEO Survey fondé sur des interviews avec 1 410 PDG entre septembre et décembre 2005 ; voir également le New York Times, « Outsourcing Is Climbing Ski Ils Ladder », 16 février 2006.
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[9]
Ministère de l’Industrie : http://www.industrie.gouv.fr/sessi/panorama/pano07/ifd01.htm
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[10]
T. Mayer et J.-L Mucchielli, « Hierarchical Location Choice and Multinational Firms Strategy : A Nested Logit Model Applied to Japanese Investment in Europe » in J. Dunning et J.-L Mucchielli, dir., Multinational Firms, The Global-Local Dilemma, Routledge, 2002.
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[11]
J.-L Mucchielli et F Puech, « Internationalisation et localisation des firmes multinationales : l’exemple des entreprises françaises en Europe », Economie et Statistiques, novembre 2003, repris dans Problèmes économiques, 2006.
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[12]
P. Krugman, Geography and Trade, MIT Press, 1991.
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[13]
World Development, vol. 35, n° 5, 2007.
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[14]
Voir CNUCED, WIR 2004, chapitre IV.
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[15]
K. B. Olsen, « Productivity Impacts of Offshoring and Outsourcing : A Review », document de travail 2006/1, Direction de la science, de la technologie et de l’industrie, OCDE, 2006.
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[16]
A. Slangen et J. Hennart, « Greenfield or Acquisition Entry : A Review of the Empirical Foreign Establishment Mode Literature », Journal of International Management, n° 13, vol. 4, 2007.
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[17]
M. Desai, C. Fritz Foley et James R. Hines Jr, « Research Spotlight. The Internai Markets of Multinational Firms », Survey of Current Business, mars 2007.
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[18]
I. Geishecker, « Does Outsourcing to Central and Eastern Europe Really Threaten Manual Workers’ Jobs in Germany ? », The World Economy, vol. 29, n° 5, 2006.
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[19]
L. Pfannenstein et R. Tsai, « Offshore Outsourcing : Current and Future Effects on American it Industry », IS Management, vol. 4, n° 21, 2004.
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[20]
Ben L. Kedia et D. Mukherjee, « Understanding Offshoring : A Research Framework Based on Disintegration, Location and Externalization Advantages », Journal of World Business, 2008.
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[21]
J. H. Dunning, Multinational Enterprise and the Global Economy, Addison Wesley, 1993.
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[22]
B. L. Kedia et S. Lahiri, « International Outsourcing of Services : A Partnership Model », Journal of International Management, n° 13, 2007.
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[23]
« British Telecom Job Cuts May Hit Indian BPOs », http://www.bpowatchindia.com/bpo_news/british_telecom/november-14 2008/british_telecom_to_cut_10000_offshore_jobs.html
-
[24]
Associated Press Story, http://news.yahoo.com/s/ap/20081019/ap_on_re_as_china_factory_woes
-
[25]
« Pourquoi la high-tech américaine arrête de délocaliser », Les Echos, 23 mars 2009.
-
[26]
Le Figaro, 14 novembre 2008.
-
[27]
Revue de presse du 26 septembre 2008, ambassade de France en Slovaquie, service de presse.
- [28]
-
[29]
M. Crozet, Th. Mayer et J.-L Mucchielli, « How Do Firms Agglomerate ? A Study of FDI in France », in Regional Science and Urban Economies, 2004.
-
[30]
A. Marshall, Principles of Economies, MacMillan, 1re éd., 1890.
-
[31]
Par exemple, M. Porter, « The Economie Performance of Régions, Measuring the Role of Clusters », conférence annuelle du TCI (The Competitiveness Institute), 19 septembre 2003, Gothenburg, Suède.