Le palmarès 2008
La Chinafrique, Serge Michel et Michel Beuret, photos de Paolo Woods, Grasset
Roman
Cendrillon, Eric Reinhardt, Stock
Essai
La Société de défiance, Yann Algan et Pierre Cahuc, Rue d’Ulm
Prix Spécial du jury
Les Pirates du capitalisme, Philippe Escande et Solveig Godeluck, Albin Michel
1Le Grand Prix du livre des dirigeants a été décerné ce 3 décembre à l’hôtel Bristol, à Paris. Chaque année, cette manifestation organisée par L’Expansion Management Review en partenariat avec Oliver Wyman (le nouveau nom de Mercer Management Consulting) et l’ESCP-EAP est l’occasion de mettre à l’honneur des auteurs originaux et talentueux. Trois catégories d’ouvrages sont concernées : essais, romans et travaux de recherche ou d’investigation. Le jury, composé de chefs d’entreprise, de journalistes et de représentants du monde académique, a choisi pour son palmarès 2008 quatre livres qui font écho à l’ambiance de crise, voire de chaos, qui domine aujourd’hui.
La Chinafrique, Serge Michel et Michel Beuret, photos de Paolo Woods, Grasset
2Affamée de matières premières, la Chine s’installe sur le continent noir. Efficaces, courageux, ambigus surtout, ses entrepreneurs contribuent à l’essor de l’Afrique, nouveau Far West.
3Pendant plus d’un an, Serge Michel et Michel Beuret, journalistes suisses qui comptent tous deux parmi les fondateurs du Bondy Blog, ont parcouru quinze pays avec le photographe Paolo Woods pour une série d’articles destinés au magazine L’Hebdo. Ils sont allés à la rencontre de ces nouveaux colons, des campagnes sinistrées du cœur de la Chine aux fauteuils de cuir des ministres africains, des forêts menacées du Congo aux karaokés du Nigeria, le long des pipelines du Soudan et des chemins de fer d’Angola. Ils en ont fait un livre passionnant, qui raconte, constate et donne à voir, mais également décrypte, analyse et interroge.
4La montée en puissance, bien réelle, de la Chine sur le continent africain a suscité beaucoup de fantasmes chez les Occidentaux, surtout chez les anciens colonisateurs paternalistes et condescendants de France, de Belgique ou de Grande-Bretagne. La Chinafrique, ainsi nommé en référence à notre « França-frique », offre l’avantage de remettre les principaux éléments en place. Les auteurs y montrent comment les entreprises chinoises ont investi des domaines dont les anciennes puissances coloniales se sont retirées, en particulier celui des infrastructures dont le continent a tant besoin. Avides de matières premières, les Chinois ne font pas de manières, ne donnent pas de leçons de démocratie. Là où les Européens ne faisaient qu’extraire, eux construisent, mettent la main à la pâte. Serge Michel et Michel Beuret ne cachent rien des risques de cette modalité particulière de la mondialisation : un nouvel endettement, une nouvelle dépendance, voire une relation néocoloniale guère différente des précédentes. A terme, le problème réside dans l’inégalité des termes de l’échange. Jusqu’à quel point l’exportation de ressources naturelles contre l’importation de biens manufacturés constitue-t-elle un schéma d’échange soutenable ? De la réponse à cette question dépend l’avenir de l’Afrique que la Chine force à intégrer dans le processus de mondialisation.
Le jury 2008
Membres : Sylvain Breuzard, PDG, Norsys; Jacques Chaize, président, Danfoss Soda; Jacques Duquesne, journaliste et écrivain ; Denis Kibler, PDG, Infra +;
Maria Koutsovoulou, ESCP-EAP; Katherine Menguy et Dominique-Anne Michel, Groupe Express-Roularta; Pascal Morand, directeur général, ESCP-EAP; Hanna Moukanas, Oliver Wyman.
Cendrillon, Eric Reinhardt, Stock
5Laurent Dahl prend la fuite, abandonnant femme, enfants, domestiques, appartement à Londres. L’ascension fulgurante de son hedge fund vient de s’interrompre par une faillite retentissante, avec des pertes de plusieurs milliards de dollars. Patrick Neftel, lui, roule à vive allure vers un studio de télévision, des armes cachées dans le coffre de sa voiture, pour accomplir devant des millions de téléspectateurs le geste désespéré qui lui donnera enfin le sentiment d’exister. Thierry Trockel conduit son épouse vers un manoir isolé des environs de Munich, où les attend un couple rencontré sur un site d’exhibition conjugale. A travers ces trois personnages, c’est notre monde dans toute sa rudesse qui se révèle : traders fous enivrés par le succès, investisseurs obsessionnels, laissés pour compte de la promotion sociale, parents soumis et humiliés, adolescents rageurs, jeunes gens avides et individualistes. Le plus étonnant dans le livre d’Eric Reinhardt, grand spécialiste des états d’âme de la classe moyenne depuis Le Moral des ménages, c’est qu’il a été écrit plusieurs mois avant que n’éclate la bulle des subprimes, avec son cortège de faillites bancaires et de golden boys ruinés. Son roman est incroyablement prémonitoire et sa description des enthousiasmes immodérés des jeunes naïfs de la planète financière proprement « kerviellienne » avant la lettre!
6Ambitieux et narcissique - car les héros ne sont que trois avatars de l’auteur - ce roman kaléidoscopique, tantôt cynique, tantôt poétique, parfois tendre et parfois cru, a quelque chose d’agaçant. Probablement parce qu’il nous tend le miroir peu flatteur d’une société où l’humiliation des pères retombe sur la tête des enfants, qui du coup ne peuvent jamais grandir. Encensé par la critique, ce roman n’a obtenu qu’un succès d’estime. Le Grand Prix du livre des dirigeants lui offre une nouvelle chance de rencontrer son public.
La Société de défiance, Yann Algan et Pierre Cahuc, Rue d’Ulm
7La thèse de Yann Algan et Pierre Cahuc, tous deux professeurs d’économie et chercheurs, n’est pas nouvelle. La société française est rongée selon eux par deux maux : le corporatisme et l’étatisme. Le premier engendre des inégalités et des rentes de situation au profit de certains groupes sociaux. Le deuxième affaiblit la société civile et suscite diverses formes de corruption. Corporatisme et étatisme se conjuguent pour créer cette « société de défiance » qu’ils dénoncent comme principe d’explication des problèmes de notre pays : chômage, demande illimitée de protection de l’Etat, incivisme, irresponsabilité, peur de l’avenir.
8Depuis plus de vingt ans, des enquêtes menées dans tous les pays développés révèlent qu’en France plus qu’ailleurs, on se méfie à la fois de ses concitoyens, de l’Etat et du marché. Les Français pensent, plus fréquemment que la plupart des habitants d’autres pays industrialisés, que l’on devient riche en profitant d’un système inégalitaire dans lequel les réseaux de relations conditionnent la réussite sociale bien davantage que le mérite ou la compétence. Ce manque de confiance des Français entrave leurs capacités de coopération, ce qui conduit l’Etat à tout réglementer, y compris dans le domaine des relations de travail, vidant de son contenu le dialogue social et de son sens l’action syndicale.
9Plutôt que de fonder leur raisonnement sur des considérations générales, Yann Algan et Pierre Cahuc ont entrepris de les vérifier, en mobilisant des ressources statistiques diverses et parfois inattendues, par exemple le nombre de contraventions dressées aux diplomates des différents pays. Cette démarche quantitative fait à la fois l’originalité du propos et constitue son point faible. Car les auteurs ont usé et abusé des coefficients de corrélation, qui certes ouvrent des pistes intéressantes mais ne permettent pas d’établir scientifiquement des liens de causalité.
Les Pirates du capitalisme, Philippe Escande et Solveig Godeluck, Albin Michel
10Tout le monde a entendu parler des fonds d’investissements, mais qui sait exactement d’où ils viennent, quels sont leurs desseins, leur mode de fonctionnement, leur rôle exact et leur poids économique sur les marchés ? Journalistes économiques, Philippe Escande et Solveig Godeluck lèvent le voile dans leur ouvrage Les Pirates du capitalisme, sous-titré « Comment les fonds d’investissement bousculent les marchés ». Le principal mérite du livre est d’éclairer le paysage plutôt chaotique et protéiforme que composent ces mystérieux acteurs. Il faut en effet distinguer les fonds spéculatifs et leur logique court-termiste, les fonds de private equity qui avalent les entreprises pour les dépecer ou les redresser avant de les revendre avec plus-value, les fonds de pension qui dispersent leur mise ou les fonds souverains qui servent les intérêts des pays dont ils sont issus. En France, avant la crise bancaire et financière de l’automne 2008, les fonds d’investissements contrôlaient 5000 entreprises, faisant travailler 1,5 million de salariés, soit davantage que les entreprises du CAC 40. Comment vont-ils se comporter maintenant que la débâcle boursière a dégonflé leurs portefeuilles et que les banques refusent de les financer ?
11Personne, pas même les auteurs de ce livre, ne peut pour l’instant répondre.