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Article de revue

Le libre-échange profite à l'innovation

Pages 34 à 40

1La majorité des dirigeants affirment l’importance de l’innovation dans la performance et le succès à long terme de leur entreprise. Lors d’une récente enquête menée par Bain & Company, 86 % des patrons français ont insisté sur la priorité stratégique de renouveler leur offre, bien avant la nécessité de réduire les coûts. Cette aspiration rencontre toutefois quelques obstacles. Deux dirigeants sur trois expriment en effet des doutes quant aux performances des processus d’innovation dans leur entreprise : manque de réactivité et délais croissants de mise sur le marché de nouveaux produits ou services ; explosion des coûts de développement.

2Des remèdes existent : refonte des processus ; mise en place d’indicateurs permettant de piloter les activités d’innovation en fonction de leur création de valeur ; recentrage de l’innovation sur les besoins des clients. Mais les entreprises engageant ce type de démarche ont souvent tendance à aborder la problématique de l’innovation de façon purement « interne » : il s’agit de rendre plus efficace une fonction, d’optimiser un processus…

3Certaines, plus audacieuses, considèrent la capacité d’innovation comme un « actif » à échanger et à marchander. Ce « libre-échange » de l’innovation constitue une source importante de valeur, mais reste encore inexploité par la majorité des entreprises.

De multiples pratiques gagnantes

4Qu’il s’agisse d’« achats sur étagère » de nouvelles technologies, de coopérations d’envergure ou encore de la cession d’idées ou de la vente de nouveaux savoir-faire, l’échange dynamise l’innovation. En voici quelques exemples récents.

5Aller vite et mutualiser risques et ressources. Le développement de la batterie équipant les voitures hybrides Prius est le résultat d’une collaboration inédite entre Toyota et Matsushita Electrics. Encadrée par un accord équitable sur le partage des royalties et des brevets, la coopération a permis de relever un défi technologique en un temps record.

6Dans un autre contexte, celui du terrorisme et de la guerre biologique, Pitney Bowes, société américaine leader mondiale du traitement global du courrier (tri, affranchissement, etc.), a su très rapidement développer de nouveaux systèmes de sécurité pour ses clients après la vague de panique déclenchée en 2001 aux Etats-Unis par la découverte de quelques grammes d’anthrax dissimulés dans des lettres. Les demandes pour des systèmes de tri sécurisés déferlaient, mais Pitney Bowes n’avait pas de solution à offrir. La course à l’innovation devenait vitale, et la R&D n’avait pas de projet adéquat dans les tiroirs. Pour réagir vite et efficacement à la demande, la direction a décidé de chercher ailleurs les idées manquantes. Les ingénieurs se sont mis en chasse et ont prospecté tous azimuts : en quelques semaines, ils ont investi des horizons aussi divers que la manutention des aliments et les services de sécurité militaire, en passant par les services d’urgence de grands hôpitaux. Avec l’aide de partenaires dans ces secteurs, ils ont récolté une centaine d’idées. Ce nombre a été ramené à dix en passant par le crible des critères de sélection, et avec l’aide d’inventeurs extérieurs le développement des projets a commencé. En quelques mois, de nouveaux équipements et de nouveaux services étaient au point pour répondre aux demandes de protection contre les attaques bioterroristes utilisant le courrier.

7Le développement du filtre à particule autorégénérant pour moteur diesel est un autre exemple d’innovation collaborative. Pas moins de six sociétés ont été impliquées dans sa conception et sa mise au point : PSA, Faurecia, Ibiden, Saint-Gobain, Rhodia et Bosch, chacune maîtrisant l’une des composantes technologiques du système. Faurecia travaillait depuis une dizaine d’années sur la dépollution des gaz d’échappement des moteurs diesels : les particules projetées dans l’atmosphère étaient dans le collimateur des défenseurs de l’environnement. Le groupe PSA, pour préserver son avance technologique sur ces moteurs, va prendre le taureau par les cornes. Premier problème : comment éliminer les particules retenues par le filtre autrement qu’en le changeant régulièrement ? La solution est apparemment simple : les brûler. Cela nécessite cependant un revêtement de filtre pouvant supporter des températures très élevées. Ibiden, société japonaise, met au point le matériau adéquat et peut le produire en quantité suffisante grâce à un partenariat avec Saint-Gobain. Reste le problème de la température : comment l’abaisser pour rendre la combustion plus « économique » ? C’est Rhodia qui développera un additif pour le carburant. La chaîne continue avec Bosch, qui travaille sur le contrôle du moteur et de l’injection en liaison avec PSA. Enfin, Faurecia se charge de l’intégration du filtre dans le système d’échappement. Grâce à cette collaboration entre six sociétés largement orchestrée par PSA, les premières voitures équipées sortent en 2000, deux ans après le début du projet.

Les points forts

Accélération des processus, mutualisation des ressources, popularisation des procédés : collaborations et échanges dopent l’innovation.
Le libre-échange permet d’alimenter un flux permanent d’innovations, de rentabiliser la R&D interne, et de tester sur le marché la valeur des projets.
Pour que la démarche tienne ses promesses, il faut la contrôler : rester maître de la stratégie d’innovation et se doter d’une organisation gérant tous les aspects des relations avec les partenaires.

8Faire profiter les concurrents de ses inventions. Unilin, société belge qui produit les parquets stratifiés Quick-Step, est l’inventeur du système de raccord Uniclic, permettant d’assembler les lames de parquet sans colle. Ce système a grandement simplifié la pose de parquets stratifiés, la rendant accessible au bricoleur amateur. Il a fortement contribué à la croissance spectaculaire de ces revêtements de sol. Encore inconnus en 1990, ils représentent maintenant 15 à 20 % du marché en Europe de l’Ouest. Restreindre l’application de cette invention aux seuls produits d’Unilin aurait certainement mené à une prolifération de systèmes concurrents, dont certains auraient tôt ou tard été suffisamment différents de l’original pour être légalement inattaquables sur le plan de la propriété intellectuelle. En mettant son invention sur le marché sous forme de licences, Unilin a permis à Uniclic de devenir un standard de l’industrie. Ce choix n’a pas empêché la société de devenir le leader européen des parquets stratifiés haut de gamme, tout en bénéficiant du revenu des redevances versées par ses concurrents. La gestion des licences d’Uniclic est devenue une activité à part entière, responsabilité d’une filiale qui gère plus de 240 brevets et de nombreux accords de licence.

Des résistances bien ancrées

9Malgré ces succès, le libre-échange de l’innovation est encore peu pratiqué : une enquête Bain auprès de 960 multinationales a révélé que seulement une entreprise sur quatre s’en sert. Dans une autre enquête, 57 % des patrons américains qui pensent que l’innovation est cruciale pour l’avenir jugent que leur entreprise est trop centrée sur elle-même.

10Alors pourquoi tant de réticences ? Deux phénomènes sont courants : la résistance à l’« importation » d’idées venues de l’extérieur, et l’opposition à l’« exportation » d’idées internes.

11L’innovation suscite parfois paradoxalement des attitudes de repli : rejet des idées des autres ou protection jalouse des nouveaux savoir-faire. Les entreprises peuvent facilement être atteintes du syndrome « NIH » (« not invented here »), qui consiste à dénigrer les innovations venues d’ailleurs. Avec des conséquences fâcheuses, voire tragiques : chez Polaroïd, dont la réputation d’excellence était fondée sur son innovation, elle a fait rater le virage du numérique, et mené la société à deux doigts de la faillite au début des années 2000.

12Les freins à l’« exportation » d’idées sont d’un ordre plus stratégique. Il s’agit de protéger un concept ou une idée, de s’assurer qu’elle ne tombe pas dans l’escarcelle d’un concurrent. Certaines entreprises ayant choisi de garder pour elles-mêmes leurs innovations (en refusant de les mettre sous licence, par exemple) se sont vues supplantées par des concurrents dont les produits étaient pourtant parfois techniquement inférieurs mais « ouverts » aux autres acteurs. Ainsi, dans les années 70, Sony a été le premier à commercialiser des lecteurs-enregistreurs de cassettes vidéo pour le grand public, sur base d’une norme propriétaire, le Betamax. Pourtant, c’est la norme VHS, lancée en 1976 par Matsushita, qui s’est imposée. Quoique techniquement inférieure au Betamax, elle était « ouverte » et disponible (sous licence) à un grand nombre de fabricants de lecteurs-enregistreurs.

13La marginalisation d’Apple au profit des PC et du système d’exploitation de Microsoft peut également s’expliquer par l’ouverture de ce dernier à d’autres fabricants. La norme a fini par s’imposer, en supplantant le système Apple qui, fondé sur une interface graphique, bénéficiait pourtant à l’époque de plusieurs années d’avance sur le système d’exploitation de Microsoft équipant les ordinateurs IBM.

14Si le risque d’ouvrir le processus d’innovation à tous vents est réel, il ne faut pas pour autant sous-estimer celui de conserver ses inventions pour soi. En effet, trop d’inventeurs se bercent d’illusions, persuadés que leur innovation est irremplaçable. Malheureusement pour eux, rares sont les cas où il n’existe pas de substitut (le VHS par rapport au Betamax, par exemple). Parfois, une entreprise propriétaire d’un savoir-faire innovant n’a d’autre choix que de l’exporter. Le garder pour soi, c’est lui faire perdre sa valeur, soit qu’il ne serve à personne, soit qu’un concurrent le copie. Dans ce cas, le monnayer est la moins mauvaise des solutions.

Le libre-échange, source de valeur

15Pour les entreprises qui la mettent en pratique, la collaboration ou l’échange avec des tiers - clients, fournisseurs et concurrents - servent à doper une innovation en panne d’inspiration ou de moyens, à rentabiliser et motiver une R&D dont la créativité n’est pas toujours exploitée, ou encore à tester et à chiffrer la valeur de ses projets…

16Importer pour alimenter le pipeline d’innovations. Plus de la moitié des projets d’innovation sont abandonnés en cours de développement. Bon nombre de ceux qui vont sur le marché n’atteignent pas leurs objectifs de chiffre d’affaires. Ces résultats semblent décourageants alors que, pour de nombreuses entreprises, l’innovation est au cœur de la création de valeur. Le directeur de l’innovation de Procter & Gamble déclarait qu’innover, c’était « lancer une start-up de plus de 4 milliards de dollars chaque année ». Pour atteindre un objectif de croissance organique annuelle de 3 à 5 %, une entreprise générant 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires doit en fait gérer en permanence un « pipeline » d’innovations d’une valeur pourront aller jusqu’à 5 milliards d’euros.

17Dans les secteurs hautement technologiques (informatique, télécommunications, aéronautique, pharmacie, par exemple), l’accélération de l’évolution et la nécessaire complémentarité entre différentes technologies rendent difficile voire impossible la maîtrise de l’ensemble des « briques » technologiques par un seul acteur, et poussent à la mutualisation et au partenariat de spécialistes complémentaires. L’émergence de technologies efficaces de partage en temps réel de l’information et de platesformes informatiques de développement en réseau favorise de telles coopérations. Les maquettes virtuelles, par exemple, ont permis à Boeing d’externaliser une grande partie de la conception du fuselage du nouveau 787 à des fournisseurs : près de 90 % de l’aérostructure a été développée par des partenaires partageant les risques de développement.

18Procter & Gamble s’est fixé comme objectif de trouver la moitié de ses innovations produits à l’extérieur du groupe. Connect + Develop, une organisation dédiée à cet objectif, a été mise sur pied, avec son propre site Internet. Ce dernier fonctionne comme une véritable bourse d’échange : où des partenaires potentiels proposent leurs innovations à P&G. Les nouveaux produits dont la technologie a été acquise par le biais de Connect + Develop incluent des brosses à dents électriques, l’assouplissant pour séchoir et des emballages innovants pour les crèmes de beauté. Dans chacun de ces exemples P&G a tiré un bénéfice important de sa démarche : moindre coût de l’innovation à résultat équivalent, amélioration de la pertinence, raccourcissement du délai de mise sur le marché, réduction du risque grâce à la mutualisation des ressources.

19Exporter pour rentabiliser et motiver la R&D. Céder sous licence des procédés de fabrication, des formulations, etc. est courant dans certaines industries (chimie, verre, papier…). Cette approche est cependant sous-utilisée. Dommage, car cette forme de commercialisation des savoir-faire comporte plusieurs avantages. Les redevances peuvent représenter une source importante de revenus, permettant d’amortir les frais de développement. IBM tire près de 2 milliards de dollars par an de l’exploitation de ses brevets et licences.

20L’ouverture à l’extérieur permet d’accélérer le passage au stade de l’exploitation d’une innovation, notamment en mettant l’interne en concurrence avec des tiers, voire des concurrents, comme c’est le cas chez IBM. Cette valse des projets dynamise les équipes : après tout, les inventifs préfèrent en général voir leurs idées développées ailleurs plutôt que d’assister à leur relégation sur des étagères où elles vont se périmer.

21Mettre sur le marché pour tester la valeur. La mise sur le marché d’une idée permet d’en déterminer la valeur réelle : c’est le test du marché. Si l’idée ne trouve pas preneur, elle est sans doute mauvaise, et ne mérite pas d’investissements additionnels. Si elle intéresse des acquéreurs, sa valeur peut être négociée, permettant d’évaluer son potentiel. La firme pharmaceutique Eli Lilly met régulièrement sur le marché des licences de molécules de principes actifs toujours en développement ; à ce stade, ni l’action thérapeutique ni l’intérêt économique ne sont encore clairs. Si les autres laboratoires ne réagissent pas, Lilly change son fusil d’épaule. « Nous croyons de plus en plus ce que le marché libre nous dit de la valeur d’un produit ou d’une technologie, affirme Dave Thompson, vice-président stratégie et développement. Si nous avons des doutes sur un projet, nous le mettons sur le marché et parfois nous nous rendons compte que personne n’en veut. Le test du marché est irremplaçable. »

Des risques à minimiser

22Le « libre-échange » est à la fois une manière de concevoir l’innovation et un outil pour la dynamiser, mais ce n’est pas une recette magique et universelle. Les réticences évoquées plus haut ne sont pas les seules à bloquer son utilisation. Des risques et des difficultés jalonnent le parcours. Les méfiances se nourrissent de cas célèbres où l’ouverture et l’échange n’ont pas tenu leurs promesses : Xerox, par exemple, n’a jamais réussi à capitaliser sur ses inventions dont elle a littéralement fait cadeau au marché (souris, interface graphique, imprimante laser).

23Face au libre-échange, trois dirigeants sur quatre restent sceptiques. Mais parmi ceux qui l’utilisent, une majorité (80 %) le plébiscite. De leur expérience se dégagent deux grands principes : rester maître de la stratégie d’innovation, et mettre en place une organisation capable de gérer les interfaces avec les partenaires externes, clients et fournisseurs du processus.

24L’impératif stratégique. Le premier principe est celui de n’agir qu’en fonction du cap stratégique de l’entreprise : pas d’innovation sans stratégie, et pas de libre-échange sans stratégie d’innovation. Les décisions d’accord, de cession ou d’externalisation doivent être guidées par l’impératif de rester proche de son cœur de métier (même s’il s’agit justement de renouveler son offre et son marché)… Cela oblige à interroger, et à parfois remettre en cause des croyances managériales sur ce qui constitue ce cœur de métier. Dans l’exemple de Boeing et de son 787, lorsque les dirigeants ont commencé à se demander ce qu’ils pouvaient acheter ou vendre avec profit, ils se sont rendu compte que le vrai avantage comparatif de l’avionneur ne résidait pas dans la fabrication mais dans l’intégration des systèmes.

25En cas d’externalisation de l’innovation, un problème spécifique se pose en matière de propriété intellectuelle : ne pas la perdre sur des aspects « vitaux » du métier. Pour développer son futur moyen-courrier 787, Boeing s’est concentré sur les composants, sous-systèmes et phases du développement jugés « cœurs » : architecture globale de l’avion et intégration des différents sous-systèmes. Le développement des divers composants « non cœur » a été largement externalisé, ainsi qu’une grande partie du développement des sous-systèmes (câblage, freinage…). Cela tranche avec les pratiques précédentes de l’avionneur. Pour le 777, par exemple, Boeing avait développé environ la moitié de l’aérostructure et des sous-systèmes.

Quand le libre-échange est-il le plus profitable à l’innovation ?

Le libre-échange peut enrichir et dynamiser l’innovation, pour autant que le secteur d’activité s’y prête. La capacité du libre-échange à créer de la valeur peut être évaluée en analysant l’environnement concurrentiel d’une entreprise sur cinq dimensions. Pour illustrer cette analyse, comparons des entreprises dans deux secteurs très différents : la conception-production de logiciels de sécurité et la fabrication de pneus pour l’automobile.
Intensité de l’innovation. Dans les logiciels de sécurité, 14 % du chiffre d’affaires ont été réinjectés dans la recherche et développement au cours de ces trois dernières années. Dans le pneu, seulement 3 %. Les sociétés de logiciels de sécurité ont pris 338 brevets durant la dernière décennie, les fabricants de pneus seulement 58, pour une industrie environ cinq fois plus importante en taille que le secteur du logiciel. Les cycles des logiciels sont beaucoup plus courts, quelques mois suffisent parfois pour que des inventions deviennent obsolètes. Les fabricants de pneus sortent une belle innovation produit environ tous les trois ou quatre ans.
Economie de l’innovation. Les start-up informatiques se multiplient. Il suffit parfois de très peu d’argent pour lancer une société de logiciels (certaines se passent carrément de capital financier) et le capital-risque est disponible. Les logiciels ont pompé 19 % des investissements en capital-risque entre 1997 et 2001. Pour les pneus, les investissements ne sont absolument pas comparables et seulement 4 % des investissements en capital-risque ont profité au secteur de l’industrie et de l’énergie.
Besoin d’innovation cumulative. L’utilisation de logiciels de sécurité implique le fonctionnement d’une grande variété de matériels informatiques et d’autres logiciels. Les partenariats et les alliances dans le secteur contribuent à l’établissement et l’adoption de normes et standards universels, facilitent la conception et la production de compléments et d’accessoires et accélèrent la « conversion » des clients à de nouveaux usages. Les fabricants de pneus ont rarement besoin de l’innovation des autres pour améliorer leurs propres produits.
Champ d’application des innovations pour les autres entreprises ou pour le secteur. Les logiciels innovants ont un potentiel élevé de valeur pour les autres utilisateurs - équipement informatique, autres sociétés de logiciels, concepteurs de jeux vidéo, fabricants d’appareils d’assistance numérique, entreprises de télécommunications et de téléphonie mobile et, même, constructeurs d’automobiles et sociétés de location de voitures. Aucun de ces utilisateurs potentiels ne représente un danger concurrentiel significatif pour l’innovateur. Tout le contraire pour les fabricants de pneus : leurs innovations intéressent leurs concurrents, rarement d’autres acteurs.
Volatilité du marché. Le secteur des logiciels de sécurité croît de 18 % par an et a connu plusieurs bouleversements au cours de la dernière décennie. L’industrie du pneu croît de 3 % par an et la dernière rupture technologique date de l’invention par Michelin du pneu à structure radiale, en 1946 !

Cinq dimensions pour tester la pertinence du libre-échange

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Cinq dimensions pour tester la pertinence du libre-échange

Source : Harvard Business Review, octobre 2002.

26La bonne interface. La structure des accords est également vitale : il faut partager équitablement les risques et les retombées de l’idée ou du nouveau savoir-faire. La difficulté réside essentiellement dans l’appréciation de la valeur future de l’innovation. Cependant, il ne faut pas négliger les aspects purement contractuels. S’il n’y a pas de contrat modèle, ni de recette pour découvrir l’accord parfait, les entreprises qui recourent au libre-échange de l’innovation devront cependant se doter des compétences de spécialistes des « transactions d’innovations » : juristes de la propriété intellectuelle et des accords de partenariat, experts des capitaux à risques…

27Ces compétences ne suffisent pas pour mettre en œuvre le libre-échange : il faut que l’organisation passe d’une culture de l’innovation en « silo » à une culture plus ouverte. Il faut une organisation dotée des circuits de décision sensibles au monde extérieur. Le libre-échange fait partie de l’âme de l’entreprise à partir du moment où personne ne peut regarder un plan stratégique ou un budget sans faire référence à ce qui se passe à l’extérieur. Lilly a depuis longtemps institutionnalisé la pratique du libre-échange. A la fin des années 90, la firme pharmaceutique a déménagé son équipe de développement commercial dans la même unité que l’équipe des scientifiques et s’est forgé une nouvelle organisation à l’intérieur de l’entreprise pour trouver des « fournisseurs » d’innovation. L’équipe mobilise une vingtaine de chercheurs dont le rôle est de scruter le monde à la recherche d’idées ou de projets : nouveaux principes actifs, nouvelles molécules et technologies… Les ingénieurs d’affaires travaillent au coude à coude avec les laboratoires scientifiques pour capitaliser rapidement sur les découvertes. En 2001, par exemple, ils ont remonté près de 1 000 « idées », signé 300 accords de confidentialité, conduit une centaine de négociations, et formé 40 partenariats, atteignant une masse critique de projets pour alimenter un pipeline d’innovations de façon continue et efficace.

28Mais cette approche ne suffit pas à distinguer Lilly de ses concurrents, eux aussi en veille permanente sur le grand marché des idées et des pratiques pour y déceler les moindres possibilités de croissance. Ce qui permet à Lilly de réellement capitaliser sur cette veille stratégique, c’est l’équipe qui fait la réputation de la firme en matière de partenariat d’innovation : ils gèrent tous les aspects de la relation avec les inventeurs extérieurs. « Ils aident à dépasser les différences culturelles entre les partenaires et Lilly, ils n’ont aucun a priori sur la manière dont Lilly devrait faire les choses », explique Dave Thompson. Au grand bénéfice des partenaires de Lilly qui se sentent en confiance, qu’il s’agisse de start-up de la biotechnologie, d’autres grands groupes pharmaceutiques ou de laboratoires de recherches universitaires.

29L’innovation implique la création, le renouveau, l’invention, mais elle nécessite également l’institutionnalisation de processus. Le libre-échange, en cassant les murs des R&D classiques, accélère le processus et le dynamise… pour autant qu’il reste bien contrôlé.

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