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Article de revue

Cinq scénarios pour l'avenir des MBA

Pages 104 à 112

Notes

  • [*]
    Stéphan Bourcieu est directeur général et professeur de stratégie, groupe ESC Dijon-Bourgogne, ancien doyen associé, directeur des MBA d’Audencia Nantes.
  • [1]
    Géradine Dauvergne, « Faut-il encore miser sur le MBA ? », La Lettre de L’Etudiant, n° 785, 2005.
  • [2]
    Henry Mintzberg, Managers not MBAs, Prentice Hall, 2004.
  • [3]
    Pour la France, Audencia (2003), Bordeaux Ecole de management (2002), CERAM Sophia-Antipolis (2003), ESC Rouen (2003), Euromed (2003) ont lancé des programmes MBA full-time, pour ne citer que les institutions membres de la Conférence des grandes écoles.
  • [4]
    L’ouverture de la Chine est un des facteurs marquants de ce processus. Au début des années 2000, des milliers d’étudiants chinois ont alimenté le marché des programmes internationaux de formation supérieure au management, contribuant à la création d’une véritable bulle.
  • [5]
    Patrick Molle, « Un marché en phase de maturité avancée », L’Express, 13 octobre 2005.
  • [6]
    Cliff Bowman et David Faulkner, Competitive and Corporate Strategy, Irwin, 1996.
  • [7]
    Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur la qualité intrinsèque des participants de l’ESSEC MBA, recrutés dans les meilleures classes préparatoires françaises, mais sur leur capacité à partager leurs expériences professionnelles, critère de référence des MBA.
  • [8]
    Soit 8300 euros par année. A comparer avec les 38000 euros pour HEC MBA (seize mois) ou les 18925 livres du MBA full-time d’Aston.
  • [9]
    Thomas Durand, « Prospective 2015 des établissements de gestion. Cinq scénarios pour agir », étude FNEGE, 2005.
  • [10]
    François Jolivet, Olivier Badot et Jean-Louis Vaysse, « Le grand écart entre enseignement et vie en entreprise », L’Expansion Management Review, juin 2005.

1De nombreuses voix s’élèvent actuellement pour remettre en cause les MBA [1], ces programmes nord-américains devenus au fil des ans l’offre de référence des formations supérieures au management au niveau mondial. Après avoir connu une période de forte croissance jusqu’au début des années 2000, le marché des MBA, et en particulier celui des programmes à temps plein, traverse une période de turbulences. Depuis 2003, le nombre de candidats connaît un recul important, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. La situation économique explique en partie ce phénomène. Elle se conjugue à d’autres causes, plus structurelles, le modèle MBA ayant peu évolué au cours des trente dernières années. Ainsi les contenus subissent les critiques d’observateurs avisés, tels Mintzberg [2], pour qui le modèle du conventional MBA a désormais atteint ses limites.

2Toutefois, en dépit du recul de la demande, l’offre de programmes reste abondante. En effet, pour toute business school désireuse d’acquérir un rang international, le MBA apparaît incontournable. Cette situation, caractéristique d’un marché arrivé à maturité, pourrait être le signe annonciateur du déclin.

3Quel avenir peut-on dès lors envisager pour les programmes MBA ? Si leur disparition pure et simple semble a priori peu probable à court terme, de profonds changements pourraient néanmoins agiter le secteur. Pour alimenter le débat, il est intéressant de dresser un panorama du secteur au plan européen, en recourant aux outils du management tels qu’ils sont enseignés dans ces programmes. Les marchés en déclin sont en effet un objet d’étude fréquent dans les travaux en management stratégique. Différents concepts permettent ainsi d’étudier la structure d’un secteur, les stratégies des acteurs et d’en tirer des perspectives pour le futur.

Focus

Fusions, regroupements, fermetures de programmes : le marché des MBA européens a toutes les caractéristiques d’un secteur mature.
Les stratégies mises en œuvre par les écoles jouent classiquement sur les prix, la valeur perçue, la sophistication de l’offre…
Parmi les scénarios envisageables, qui vont de la simple évolution à la rupture, celui d’une sortie par le haut paraît le plus en phase, pour l’heure, avec la demande du monde des affaires.

4Il ne s’agit pas de prédire l’avenir, mais plutôt d’envisager, au regard de la situation actuelle et des tendances qui se dessinent, les différentes voies que le marché des MBA pourrait emprunter dans les années à venir.

Un marché européen chahuté

5Longtemps en retrait par rapport aux Etats-Unis, l’offre de MBA en Europe a connu une très forte croissance depuis la fin des années 90. Selon les chiffres de QS Top MBA (organisateur du Forum World MBA Tour), on comptait en Europe 400 programmes en 2005 [3], contre seulement 220 en 1999. Outre la forte attractivité de ce marché dans une période de croissance économique, ce rattrapage résultait également du phénomène de globalisation. La mondialisation des entreprises, l’abaissement des barrières politiques et économiques [4] et la prédominance de l’anglais comme langue des affaires ont conduit à l’émergence d’un marché mondial de la formation supérieure au management. Les accréditations internationales, et plus particulièrement l’AACSB, sont un rouage essentiel de ce processus d’homogénéisation. Ce mouvement pousse à la construction d’un modèle international de business school, dans lequel le MBA s’impose comme le standard de référence. Ce programme est devenu un quasi-prérequis pour toute institution qui souhaite obtenir cette accréditation (en 2005, sur 31 institutions européennes accréditées AACSB, 29 avaient un MBA full-time dans leur portefeuille de programmes).

6Dans ce contexte, les MBA européens se sont structurés selon un schéma qui diffère partiellement du modèle original nord-américain. Ils adoptent un format court et intensif, généralement compris entre dix et quinze mois (contre vingt-quatre mois pour les MBA nord-américains). L’expérience professionnelle des participants et la diversité des profils apparaissent comme les critères de référence des MBA européens. Ils exercent une influence directe sur la pédagogie et les contenus des enseignements. Ils favorisent le partage d’expériences dans des domaines tels que le leadership, et apportent une réelle valeur ajoutée à la formation, comme le souligne Mintzberg : « On ne fabrique pas de leaders dans une salle de classe. Ils émergent dans un contexte. Mais les gens qui pratiquent déjà le management peuvent s’améliorer de manière significative si on leur donne l’occasion d’apprendre à partir de leur expérience. »

7Depuis 2003, le marché des MBA européens connaît un ralentissement. La baisse importante du nombre de candidats en est le symptôme le plus visible, comme le constate Patrick Molle [5] : « Aux Etats-Unis et en Europe, en revanche, nous vivons une phase de maturité avancée. Les programmes à temps partiel (executive MBA) ou spécialisés prennent le pas sur les programmes généralistes à temps plein. Pour ces derniers, la baisse du nombre de candidats est de 20 % en moyenne. Au Royaume-Uni, elle est plutôt de l’ordre de 40 % et en France de 30 %. » Elle a engendré une restructuration de l’offre : sur le seul marché français, on peut citer la fusion entre EDHEC MBA et Theseus à Nice Sophia-Antipolis en 2004, le regroupement du full-time MBA et de l’executive MBA de l’ESCP-EAP dans un programme unique ou encore la fermeture de programmes MBA full-time (Bordeaux Ecole de management et CERAM) au cours des deux dernières années.

8Outre le retournement de la conjoncture économique, cette situation difficile résulte des contraintes inhérentes au développement d’un MBA. Pour une institution académique, la gestion d’un tel programme représente des engagements financiers lourds à supporter, tant pour maintenir un corps professoral de haut niveau que pour réaliser les actions marketing indispensables pour asseoir la notoriété du programme et attirer les meilleurs étudiants.

Les stratégies d’un secteur à maturité

9La situation actuelle des MBA européens est symptomatique d’un marché mature susceptible d’imploser. L’offre de référence, qui a fait le succès des programmes MBA, ne répond plus forcément aux attentes du marché. Le management stratégique propose différents concepts utiles pour comprendre le positionnement d’une offre de référence et identifier les alternatives possibles. L’horloge stratégique développée par Bowman et Faulkner [6] permet de recenser les différentes stratégies que les acteurs d’un secteur peuvent mettre en œuvre pour rétablir ou renforcer leur compétitivité. Appliquée aux business schools, elle permet d’identifier les stratégies déployées avant d’envisager les scénarios possibles d’évolution.

10La grille d’analyse. L’horloge stratégique (voir figure page ci-contre) est un outil efficace pour déterminer la position stratégique de l’offre d’une entreprise au regard de celles proposées par ses concurrents. Suivant l’analyse des stratégies génériques de Porter, les auteurs considèrent les avantages concurrentiels en relation avec les avantages de coût ou de différenciation. Ils définissent ainsi les différentes orientations génériques qu’une entreprise peut adopter.

11Nous pouvons analyser la situation actuelle du marché des MBA européens à partir des différentes stratégies mises en œuvre par les institutions présentes sur ce marché, selon ce modèle - nous évacuons d’entrée les stratégies qui se traduisent par une augmentation du prix parallèlement à une diminution de la valeur de l’offre (stratégies 6, 7 et 8), dont il est généralement admis qu’elles sont vouées à l’échec.

12La stratégie d’épuration : le junior MBA. La stratégie d’épuration consiste à proposer pour un prix réduit une offre dont la valeur perçue est inférieure à celle des concurrents. Elle n’est viable que lorsqu’il existe suffisamment de clients qui, même s’ils reconnaissent que la qualité du produit ou du service est limitée, ne peuvent pas ou ne souhaitent pas s’orienter vers une offre de plus grande valeur.

13Depuis 1999, l’ESSEC, une des principales business schools françaises, a clairement fait le choix de se différencier du modèle traditionnel des MBA européens en délivrant un MBA aux étudiants de son programme « grande école ». D’une durée de trois à quatre ans, ce programme combine des cours de management et des expériences en entreprise.

14Le recrutement est centré sur les étudiants issus majoritairement des classes préparatoires (âge moyen à l’entrée : 20 ans). Il se traduit par une dégradation de la valeur perçue des participants [7] en termes de partage d’expérience et de vécu international. Dans le meilleur des cas, les participants auront deux années d’expérience… à l’issue de leur formation ! En outre, cette expérience ne saurait être assimilée à une véritable expérience managériale, car relevant la plupart du temps de stages en entreprises. L’étudiant est donc rarement mis dans la situation d’un cadre devant allouer des ressources, gérer des conflits ou prendre des décisions. S’agissant enfin d’une formation initiale, les étudiants ont quasiment tous un profil managérial. Le partage d’expériences né de la diversité des profils (ingénieurs, professions de santé, juristes, par exemple) s’en trouve réduit.

Le modèle de l’horloge stratégique

figure im1

Le modèle de l’horloge stratégique

15Parallèlement, l’ESSEC a choisi de se différencier par le bas en termes de prix. Pour les trois années de formation, le coût total est de 24900 euros [8] (dont 17 000 pour les deux dernières années, identifiées comme celles du programme MBA).

16Cette orientation permet à l’ESSEC de développer une stratégie de volume, avec plus de 500 diplômés par promotion. L’INSEAD mis à part, un tel volume reste inaccessible aux MBA européens traditionnels. Souvent critiquée, cette stratégie d’épuration de l’ESSEC présente à ce jour un bilan mitigé. Si la position de l’école reste forte dans l’Hexagone, le concept de junior MBA a fait peu d’émules auprès des autres business schools. Il a en outre un problème de positionnement au niveau international : il est absent du classement des MBA full-time réalisé par le Financial Times et, du fait de son appellation, il est également exclu du nouveau classement des mastères internationaux réalisé par ce même quotidien.

17La stratégie de prix. Elle vise à proposer une offre dont la valeur perçue est identique à celles des concurrents, mais à un prix inférieur. Une telle stratégie peut être obtenue en réduisant ses marges et/ou en bénéficiant des coûts de production les plus bas. Elle permet d’acquérir un avantage concurrentiel lorsque la sensibilité des clients au prix est importante et que l’avantage de coût est difficilement imitable.

18Le développement d’un programme MBA impose la résolution d’une équation complexe. Face à un marché étroit et très fortement concurrentiel, il implique en effet la mobilisation de ressources financières importantes. Le budget marketing est un poste essentiel pour recruter les meilleurs participants et développer la visibilité internationale du programme auprès des journalistes (rankings) et des entreprises (placement des diplômés). De même, la rémunération de professeurs réputés représente une dépense importante et indispensable pour assurer la qualité de la pédagogie.

19En dépit de frais de scolarité élevés, la plupart des MBA européens équilibrent difficilement leurs comptes. Dans ces conditions, peu d’écoles ont la possibilité de se différencier par une stratégie de prix attractive, sans risquer de mettre en péril leur modèle économique.

20La stratégie de différenciation. Cette stratégie consiste à accroître la valeur perçue pour le client par rapport aux offres concurrentes, sans augmentation du prix. En d’autres termes, renforcer sa position concurrentielle en offrant plus au client pour un prix équivalent. C’est la voie choisie par la plupart des institutions pour tenter de renforcer leur attractivité auprès des candidats. Elle emprunte différentes pistes.

21En matière de pédagogie, Aston University a opté pour le renforcement de la qualité de ses enseignements en invitant les professeurs de management les plus réputés, comme Michael Porter en 2004-2005. Outre son impact en termes de notoriété de l’institution, la présence de tels intervenants permet de tirer vers le haut le niveau des enseignements en donnant accès à la source de la connaissance en management.

22Certaines business schools mettent le partage d’expérience au centre de leur offre. Confrontée à la contraction du marché, l’ESCP-EAP a récemment intégré ses différents MBA full-time et executive dans un programme unique, le European Executive MBA. Les étudiants constituent une seule et unique promotion. Cette nouvelle offre permet aux participants issus du programme full-time, de bénéficier du partage d’expérience avec les participants issus des programmes executive, généralement plus âgés et aux niveaux de responsabilité supérieurs. Ce programme mêle ainsi des managers de profils et d’expériences différents dont l’âge peut aller de 27 à 47 ans.

23L’ouverture internationale permet également d’accroître la valeur de l’offre. Certains programmes donnent ainsi à leurs participants la possibilité de suivre des cours dans plusieurs institutions sur plusieurs continents. L’objectif est de découvrir différentes facettes du management en s’appuyant sur le partage d’expériences interculturelles. Euromed Marseille a ainsi lancé un World Mediterranean MBA, organisé sur sept sites (en France, Espagne, Italie, Grèce, Liban, Egypte, Maroc). La plupart des programmes MBA full-time ayant développé une offre internationale, cet élément n’apparaît plus aujourd’hui comme suffisamment distinctif pour attirer des candidats et/ou justifier une hausse des prix des programmes.

24La dernière forme de différenciation repose sur la spécialisation. Elle peut être sectorielle (aéronautique avec l’Aérospace MBA de l’ESC Toulouse ; biotechnologies à Helsinki School of Economics), centrée sur un métier (business development à Audencia Nantes) ou encore sur une fonction managériale (management technologique à l’IAE d’Aix-en-Provence). Les institutions peuvent alors lier leurs programmes MBA à leurs domaines d’expertise afin d’apporter une valeur supplémentaire en termes de contenu pédagogique et de relations avec les entreprises. Cette stratégie de niche vise à se construire un marché captif de candidats et d’entreprises intéressés par l’expertise proposée.

25La stratégie de sophistication. La sophistication revient à proposer un produit dont les caractéristiques sont supérieures à celles des offres concurrentes, et perçues comme telles par les clients. Une telle offre permet de pratiquer des prix supérieurs. Le développement des programmes global executive MBA répond à ce positionnement. Ainsi Trium MBA a été conçu par trois institutions prestigieuses (HEC Paris, New York University Stern et London School of Economics) pour accueillir des cadres et dirigeants de haut niveau. La qualité du corps professoral (tel Robert Engel, prix Nobel d’économie 2003) et des services proposés, ainsi que la puissance du réseau des anciens, en justifient le coût très élevé (111 300 dollars).

26Le marché des hauts potentiels appelés à court terme à prendre des postes de direction générale n’étant pas infini, cette stratégie vise une niche et ne peut constituer à elle seule une réponse pour l’ensemble du marché des MBA.

27La stratégie de rupture. Cette orientation consiste à proposer simultanément un accroissement de la valeur et une réduction de prix par rapport aux offres concurrentes. Le succès dépend de la capacité à générer de la valeur pour le client, mais également d’une structure de coûts optimisée pour pouvoir pratiquer des prix inférieurs à l’offre de la concurrence.

28Cette capacité à élaborer une offre de rupture est bien sûr l’enjeu stratégique majeur du développement futur des programmes MBA. L’institution qui saura accroître la valeur perçue de son programme par ses clients tout en maîtrisant ses coûts sera probablement en mesure d’acquérir une position forte sur le marché.

29Cette perspective n’a rien d’utopique si l’on pense que des entreprises ont su développer de telles ruptures stratégiques dans des secteurs aussi traditionnels et matures que l’ameublement (Ikea) et le textile (Zara). Dans ces deux cas, les entreprises citées se sont appuyées sur une reconfiguration complète de leur chaîne de valeur.

30Plusieurs business schools réfléchissent à une transformation en profondeur de leur offre. Via un groupe de travail baptisé « Big Bang MBA », l’EM Lyon travaille actuellement à une revalorisation de son programme (rapprochement du monde de l’entreprise et approche sur mesure), sans pour autant écarter l’hypothèse d’une baisse de tarif. Pour l’heure, aucune offre de rupture ne semble toutefois émerger sur le marché.

Cinq scénarios pour le futur

31En s’appuyant sur ces différentes stratégies élaborées par les business schools, il est possible d’échafauder des scénarios d’évolution du marché des MBA en Europe. Nous écartons d’emblée celui de la disparition pure et simple des MBA. En effet, cet acronyme identifie au niveau international le plus connu des programmes de formation au management. Le MBA est ainsi devenu une « institution » dans le sens où sa valeur sociale apparaît comme supérieure à son utilité technique. Avec l’ouverture grandissante des frontières et des marchés de la formation, la marque MBA (quels que soient la nature et le contenu du programme) restera un élément majeur pour toute business school souhaitant acquérir une dimension internationale.

32L’analyse par les scénarios n’a pas pour ambition de faire des recommandations, ni de décrire ce que le futur sera. A partir des constats précédemment établis, il s’agit de comprendre les enjeux fondamentaux et les logiques d’action des parties prenantes (business schools, participants et entreprises) pour élaborer des représentations possibles du futur. « Il s’agit d’ouvrir le champ de vision pour aider chaque acteur à penser ses propres stratégies en fournissant un cadre cohérent. » [9] Les scénarios présentés sont susceptibles de se combiner entre eux pour générer d’autres formes d’évolution du marché.

331. L’assainissement du marché. Dans ce scénario, la situation actuelle de contraction du marché se poursuit. Les MBA les plus fragiles disparaissent, tandis que les autres fusionnent (à l’exemple de l’EDHEC et de Theseus) pour acquérir une taille critique et demeurer compétitifs. Le besoin de programmes post-expérience à temps plein reste néanmoins présent. Il permet à l’offre et à la demande de s’équilibrer. Avec la disparition des programmes les moins performants et la réduction du nombre de diplômés, les MBA retrouvent une forte lisibilité sur le marché du travail et par là-même leur attractivité.

34Plusieurs secteurs (immobilier, Internet) ayant connu une bulle de croissance puis un retournement de conjoncture ont expérimenté un scénario comparable. Dans le cadre des MBA, il est toutefois peu vraisemblable qu’il se réalise car le développement de ces programmes n’est pas seulement une question de rentabilité économique. Pour une business school, c’est aussi, et surtout, une question d’image et d’accréditation. Même si quelques MBA européens ont effectivement disparu au cours de ces deux dernières années, ces exigences font que les business schools européennes chercheront vraisemblablement à maintenir coûte que coûte leurs programmes en activité.

352. La sortie par le haut. La mise en place de dispositifs visant à encourager la formation tout au long de la vie, l’évolution rapide des connaissances et le besoin croissant de cadres formés au management contribuent au renforcement qualitatif d’un marché des MBA post-expérience. A partir d’une stratégie de différenciation/sophistication, le modèle du MBA à temps plein traditionnel évolue et se rapproche de l’executive MBA, suivant le schéma proposé par l’ESCP-EAP. L’organisation des programmes gagne en flexibilité et permet de réunir tous les profils de participants expérimentés dans des enseignements communs. Il se crée ainsi un modèle de senior MBA où l’expérience et la diversité des profils (re)deviennent des critères fondamentaux de recrutement. De ce fait, les enseignements se professionnalisent et se rapprochent des besoins de l’entreprise, en s’appuyant sur le partage d’expérience entre les participants.

36Pour accroître encore la valeur de leurs programmes, les business schools poursuivent également le développement d’alliances internationales. Les séjours intensifs dans différents pays, réunissant les participants de MBA partenaires, favorisent un véritable brassage des cultures et des expériences.

373. Le grand écart. Le marché des MBA se scinde en deux segments distincts. D’un côté, le modèle du junior MBA proposé par l’ESSEC parvient à faire des émules en Europe, en tirant profit du protocole de Bologne (harmonisant les cursus et diplômes selon la progression licence, mastère, doctorat). Ce nouveau type de MBA, fondé sur une stratégie d’épuration, regroupe des contingents importants de jeunes diplômés en management, sélectionnés sur leur excellence académique. Il permet aux business schools européennes de développer des stratégies de volume. Les programmes nord-américains poursuivant dans le même temps le rajeunissement de leurs profils de participants, le modèle du junior MBA se trouve conforté sur le marché international.

38De l’autre côté, le modèle du senior MBA (scénario 2) trouve également sa place sur le marché des formations postexpérience en management. Il s’adresse à des professionnels expérimentés, dont la formation initiale se situe hors du champ du management, retrouvant ainsi l’esprit originel des programmes MBA. La taille réduite des promotions favorise une pédagogie individualisée, en relation étroite avec les besoins des entreprises.

39La césure entre les segments junior et senior MBA s’effectue vers 27-28 ans, moment où l’expérience professionnelle devient significative.

404. L’éparpillement ou hypersegmentation. Aucun modèle ne parvient véritablement à s’imposer sur le marché des programmes post-expérience à temps plein. Les modèles proposés dans les différents scénarios se confrontent sur le marché. Ils conduisent à sa fragmentation en une multitude de segments. Parmi ces segments, on retrouve celui des MBA full-time traditionnels, destinés à former de futurs dirigeants au management général. Il ne regroupe qu’un nombre réduit de MBA internationaux à très forte notoriété.

41Parallèlement, des segments de marché émergent autour de besoins en managers spécialisés par fonction ou sur un secteur spécifique. Les MBA full-time spécialisés se développent. De nombreuses institutions parviennent ainsi à conserver un programme MBA sur le marché international. Cette stratégie de niche se fait toutefois au détriment de la taille des programmes, qui regroupent des effectifs limités. Elle ne permet pas aux business schools européennes d’atteindre une taille critique, indispensable pour rentabiliser l’investissement dans un MBA et être compétitif face aux programmes nord-américains.

425. La rupture vers un nouveau modèle de MBA. Sur un marché arrivé à maturité, l’hypothèse d’une rupture issue de l’innovation est envisageable. A ce stade de l’analyse, aucun des modèles évoqués ne semble être suffisamment innovant pour constituer une offre de rupture. Il est difficile d’imaginer à quel horizon cette offre est susceptible d’émerger et sous quelle forme. On peut néanmoins penser qu’elle passera par une reconfiguration de la chaîne de valeur pédagogique. Il est possible d’identifier certains facteurs autour desquels elle pourrait se reconstruire :

  • L’e-learning. De nombreux progrès ont été accomplis ces dernières années en matière de technologie d’enseignement à distance grâce à l’Internet à haut débit. Ce mode d’enseignement permet de résoudre la délicate question de la présence à temps plein dans un programme de formation pour cadres expérimentés. Il apporte également une réponse à la question de la mobilisation du corps professoral. Toutefois, il présente encore des lacunes en matière de partage d’expériences entre les participants.
  • Le renforcement des liens entre business schools et entreprises. Via des programmes spécifiquement adaptés ou le développement d’une « boucle de régulation entreprise-école » [10] fondée sur la formation-action, ce rapprochement permet un accompagnement des participants par les enseignants dans la conduite de projets au sein de leur entreprise.
    Dans ce cadre, les programmes corporate constituent une piste pour accroître la valeur des MBA. Contrairement à une idée reçue, ce type de programme présente une valeur ajoutée très forte en matière de partage d’expériences. Les participants sont certes issus d’une même organisation, mais ils bénéficient de la variété des points de vue résultant de fonctions très diverses. Pour l’entreprise, cela peut être un levier en termes de cohésion d’équipe et de compréhension des enjeux de chacun.
  • Le développement des alliances entre institutions. L’acquisition d’expertises pointues dans les différents champs du management représente un coût considérable pour les business schools, que seules les plus puissantes parviennent à supporter. Au-delà des programmes d’échanges, la constitution d’alliances stratégiques permettrait d’élaborer des programmes communs à plusieurs institutions et d’associer des compétences pointues, renforçant ainsi la qualité de l’offre. En outre, de telles alliances, en particulier entre institutions européennes et nord-américaines, renforceraient le brassage des cultures et des expériences entre les participants.
Explosion, scission ou simple évolution du modèle actuel ? Personne ne peut dire à ce jour de quoi l’avenir des MBA sera fait. Après des décennies de bons et loyaux services, il apparaît toutefois évident que ces programmes sont appelés à évoluer pour rester en phase avec un monde des affaires en constante mutation.

43Dans ce contexte de maturité, voire de déclin du marché, les business schools devront faire preuve d’innovation pour retrouver la confiance des entreprises et des participants. Le scénario de la sortie par le haut semble le plus à même de répondre à ces objectifs. Destinés à des participants expérimentés, les MBA pourraient apporter une formation complémentaire au système LMD (conçu pour les étudiants en formation initiale). Le nombre réduit d’étudiants intégrés dans ces programmes aurait un impact sur la sélectivité et faciliterait leur placement. Enfin le partage d’expérience, des modalités pédagogiques à plus forte valeur ajoutée et moins contraignantes (permettant le maintien du cadre en activité) ou encore la prise en compte de problématiques spécifiques seraient autant d’atouts pour convaincre les entreprises.

44Quelle que soit l’évolution de ces MBA, il est évident que les besoins des entreprises en matière de formation supérieure au management continueront de croître. Les programmes destinés aux cadres expérimentés conserveront donc toute leur place. Reste à voir comment les business schools et autres organismes de formation sauront s’adapter aux évolutions de la demande.


Date de mise en ligne : 22/03/2013

https://doi.org/10.3917/emr.124.0104

Notes

  • [*]
    Stéphan Bourcieu est directeur général et professeur de stratégie, groupe ESC Dijon-Bourgogne, ancien doyen associé, directeur des MBA d’Audencia Nantes.
  • [1]
    Géradine Dauvergne, « Faut-il encore miser sur le MBA ? », La Lettre de L’Etudiant, n° 785, 2005.
  • [2]
    Henry Mintzberg, Managers not MBAs, Prentice Hall, 2004.
  • [3]
    Pour la France, Audencia (2003), Bordeaux Ecole de management (2002), CERAM Sophia-Antipolis (2003), ESC Rouen (2003), Euromed (2003) ont lancé des programmes MBA full-time, pour ne citer que les institutions membres de la Conférence des grandes écoles.
  • [4]
    L’ouverture de la Chine est un des facteurs marquants de ce processus. Au début des années 2000, des milliers d’étudiants chinois ont alimenté le marché des programmes internationaux de formation supérieure au management, contribuant à la création d’une véritable bulle.
  • [5]
    Patrick Molle, « Un marché en phase de maturité avancée », L’Express, 13 octobre 2005.
  • [6]
    Cliff Bowman et David Faulkner, Competitive and Corporate Strategy, Irwin, 1996.
  • [7]
    Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur la qualité intrinsèque des participants de l’ESSEC MBA, recrutés dans les meilleures classes préparatoires françaises, mais sur leur capacité à partager leurs expériences professionnelles, critère de référence des MBA.
  • [8]
    Soit 8300 euros par année. A comparer avec les 38000 euros pour HEC MBA (seize mois) ou les 18925 livres du MBA full-time d’Aston.
  • [9]
    Thomas Durand, « Prospective 2015 des établissements de gestion. Cinq scénarios pour agir », étude FNEGE, 2005.
  • [10]
    François Jolivet, Olivier Badot et Jean-Louis Vaysse, « Le grand écart entre enseignement et vie en entreprise », L’Expansion Management Review, juin 2005.

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