Empan 2020/1 n° 117

Couverture de EMPA_117

Article de revue

Accueil d’un enfant particulier à Pitchoun Gambetta. Léon, souvenirs de professionnelles

Pages 81 à 83

Présentation de Léon

1Il s’agit d’un enfant que nous avons accueilli à temps plein dans l’espace des bébés. C’était un premier enfant, unique, et les deux parents travaillaient. J’ai souvenir de ce petit bonhomme chétif, peu mobile, sauf ses grands yeux clairs qui dévoraient le monde sans y entrer. Même en grandissant il gardait ce physique malingre avec un tempérament très sensible. J’avais fait le lien avec la maman qui avait un aspect physique très malingre aussi, comme un terrain commun. Lors d’un entretien, elle nous avait dit que, bébé, elle lui ressemblait un peu, mais qu’elle avait bien grandi, alors !

2Pourtant, le doute commençait déjà à s’installer chez nous, alors que nous observions le développement très lent et particulier de cet enfant, cette sensibilité qui persistait, cette difficulté à communiquer malgré son âge, cette façon particulière d’attraper les objets du bout des doigts. Puis le doute s’est transformé en préoccupation.

3Il a fallu faire un gros travail d’approche, d’apprivoisement de la maman qui ne voulait pas rencontrer la psychologue, ce que nous avons respecté, mais plutôt la puéricultrice et l’éducatrice, pour évoquer de temps en temps ses difficultés. Il a fallu ces trois ans de crèche pour que les parents envisagent la dimension particulière de leur enfant et le choix de le laisser encore un an en crèche plutôt que de prendre le risque de le confronter à la horde de la première année de maternelle.

4Le travail de prévention, d’accompagnement et de soutien a porté ses fruits. Léon se développait à son rythme et avait fini par trouver sa place à la crèche.

5Cependant, à la fin de la première année, la situation n’avait pas changé. Cette maman semblait débordée par ce bébé qui n’évoluait pas au même rythme que les autres. Pas de babillage, peu de sourires, beaucoup de pleurs dès qu’il y avait trop de mouvement autour de lui.

Souvenirs d’autres professionnelles 

6« J’ai croisé Léon avec sa maman il sortait de l’école…

7– Comment va-t-il ?

8– Ça va ! Enfin il arrive à suivre, il a une avs et il a doublé sa première année de maternelle.

9– Et la maman ?

10– Ça va ; ils n’ont plus le restaurant.

11– Et Léon a un petit frère ou une petite sœur ?

12– Ah non ! Quand elle en a parlé, elle a dit :“Je ne prends pas le risque d’une autre transmission génétique…” »

13Nous n’avions pas évoqué cela encore à l’issue du départ de la crèche.

14« Vous vous rappelez de Léon ? 

15– Oh oui ! Un enfant effacé, oublié, quand il était encore à la crèche pour une année supplémentaire.

16– Un souvenir ?

17– Sa façon de prendre les objets de façon très délicate, il n’avait pas encore acquis la motricité fine, ce que nous avions observé déjà lorsqu’il était chez les petits. Il se cachait derrière le bureau, on ne le voyait pas, il fallait faire attention quand on quittait l’espace. Et malgré son âge, les enfants ne le bousculaient jamais, au contraire, certains le prenaient en charge en disant “il est petit” sur l’espace des grands. »

18« Vous vous souveniez de Léon ?

19– Oui, bien sûr ! C’était un enfant solitaire, qui observait beaucoup les autres et très délicat, voire lent, dans ses gestes. Il a fallu du temps et de la douceur pour l’approcher. Souriant et “coquin” quand il laissait l’adulte entrer dans son “cercle”. »

20C’est l’impression que j’ai après coup quand je repense à la maman, fermée et distante au départ, qui a mis du temps à accepter d’entendre notre préoccupation puis à l’accepter, et enfin à se l’approprier pour pouvoir envisager que son enfant n’irait pas au même rythme que les autres et qu’il fallait organiser la vie autrement

21Un autre témoignage d’une auxiliaire qui a accueilli Léon à la crèche :

22« Cet enfant a suscité beaucoup de questions au sein de notre équipe. Lors de son accueil, il fallait très souvent le prendre dans les bras pour qu’il soit sécure dans un groupe d’enfants moteurs avec lesquels il ne créait aucune interaction.

23Au-delà de l’absence d’interactions, il restait figé dès qu’on le posait et était en panique dès que les enfants se rapprochaient de lui. On s’était questionné sur son audition, pouvant expliquer cette peur soudaine, mais cette hypothèse a été écartée.

24On lui a proposé des jeux, à portée de main, des moments en tout petit groupe, des ateliers diversifiés pour tenter de trouver une piste d’intérêt, mais nous ne parvenions pas à le faire entrer dans le jeu ni en interaction avec ses pairs. Même le moment du repas ne déclenchait pas l’initiative de se déplacer alors que la maman disait qu’à la maison il sautait partout à quatre pattes… Nous hésitions entre l’exagération de la maman ou sa réelle difficulté à être en collectivité, sauf quand il était dans les bras de l’adulte, moment où il souriait à nouveau. L’équipe passait par des moments de découragement.

25Il est arrivé sur le groupe des grands où l’organisation nécessite de nombreux déplacements afin de privilégier les petits groupes ; il avait acquis la marche pendant l’été, avec plus d’un an de retard.

26Encore peu assuré, il arrivait toutefois à suivre et nous respections son rythme.

27Cependant, au niveau des interactions avec ses pairs, il y avait très peu d’évolution et à force de proposition et d’humour, en l’invitant à jouer avec nous, il avait fini par rentrer dans les jeux d’imitation, ouvrir et fermer les portes, mélanger, remuer des jouets dans une boîte.

28Il était encore très peu à l’aise sur le plan moteur et intéressé par la motricité fine, il a été malgré tout possible de le voir évoluer avec certains adultes “repères” avec lesquels il se sentait en sécurité.

29En ce qui concerne le langage, il se limitait encore à quelques monosyllabes, en particulier quand il était à la fenêtre, en voyant des voitures de pompiers entre autres.

30On a également pu voir que son caractère s’affirmait malgré son retard dans son refus de manger seul ou avec les couverts alors qu’on avait vu qu’il en était capable. De fait, il était parfois difficile de faire la différence entre ce qu’il pouvait faire et ce qu’il ne pouvait pas faire.

31C’était un enfant différent et l’approche de l’école nous questionnait de plus en plus alors que la famille ne semblait pas encore voir le fossé qui se creusait entre lui et le reste du groupe d’enfants de son âge, jusqu’à l’inscription à l’école, moment fatidique qui a permis aux parents une prise de conscience.

32Pour ma part, j’ai un grand sentiment d’échec, la déception que les choses n’aient pas été mises en place avant la dernière année de crèche, avec une orthophoniste et une prise en charge de psychomotricité. Je me dis qu’il aurait peut-être eu des journées plus agréables et plus enrichissantes. »

Conclusion

33L’équipe en entier a investi cet accueil particulier jusqu’au bout, en découvrant au fur et à mesure ses particularités. Nous avons construit au fil des mois, de façon laborieuse, une relation de confiance avec les parents et la mère en particulier, ce qui leur a permis d’accepter cette différence et d’en assumer les conséquences, sur le plan scolaire en particulier.

34Les souvenirs des professionnelles témoignent de la diversité des ressentis dans l’accompagnement d’un enfant dont on découvre la singularité, voire le handicap qui ne dit pas son nom. Les parents ne sont pas les seuls à être affectés par cette différence de rythme et de rapport au monde. Certaines professionnelles pensent que l’on a fait au mieux et que l’on ne pouvait rien envisager sans la capacité des parents à intégrer la singularité de leur enfant avant de mettre en place des prises en charge spécifiques.

35D’autres peuvent rester déçues, touchées plus ou moins consciemment par cette absence significative d’évolution à l’issue de son passage en crèche.

36Pour ma part, je garde un souvenir touchant de cet accueil qui n’a pas toujours été facile.

37Je pense que nous avons fait au mieux en respectant le rythme de chacun, y compris des parents. Nous étions prudents, attentifs, attentionnés et sans doute plus ou moins touchés, chacun à son niveau, par cet enfant qui nous a obligés à nous adapter à sa différence jusqu’au bout.


Mots-clés éditeurs : relation de confiance, enfant différent, prévention

Date de mise en ligne : 10/03/2020

https://doi.org/10.3917/empa.117.0081

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