Notes
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[1]
Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.
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[2]
Loi n° 68-5 du 3 janvier 1968.
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[3]
Mesure d’accompagnement social personnalisée.
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[4]
Mesure d’accompagnement judiciaire.
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[5]
Article 425 du Code civil.
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[6]
Article 415 du Code civil.
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[7]
Article 472 du Code civil.
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[8]
Certificat national de compétence.
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[9]
Article 457-1 du Code civil.
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[10]
Corinne Cheminet, juge des tutelles honoraire, consultante.
1S’il est un domaine où le droit a toujours prévalu sur le social, c’est bien celui de la protection des majeurs vulnérables. Avant la réforme de la protection juridique des majeurs du 5 mars 2007 [1], mise en application le 1er janvier 2009, c’est bien le droit qui dictait la plupart des actions des curateurs et des tuteurs. Depuis cette réforme qui transforma radicalement la prise en charge des majeurs, qualifiés alors d’incapables et nommés depuis majeurs protégés, le champ de la protection juridique des majeurs est entré dans celui de l’action médico-sociale. Ainsi les organismes tutélaires devenus services mandataires à la protection des majeurs sont désormais des établissements et services sociaux et médico-sociaux (essms) et donc soumis à la loi de 2002.
2Il est intéressant d’observer comment, paradoxalement, c’est le droit qui est venu apporter un peu d’humanité dans cet accompagnement qui parfois se résumait à de la simple gestion des biens et des intérêts des majeurs. En effet, nous sommes passés de la gestion des biens à la protection des biens et de la personne. La loi a consacré la protection de la personne, la personnalisation du contenu des mesures afin de tendre vers l’autonomisation de la personne.
3Ce texte propose un témoignage sur la mise en place de la réforme à partir de l’expérience d’un petit service mandataire à la protection des majeurs dans un département rural du Sud-Ouest de la France mais aussi d’une observation plus large de ce qui s’est passé sur plusieurs services d’un large quart sud-ouest qui recouvre aujourd’hui la Nouvelle Aquitaine et l’Occitanie.
4C’est de la place de chef de service que j’ai été amené à accompagner la mise en place de la réforme auprès des délégués mandataires, il y a maintenant dix ans. Je laisserai le soin à d’autres d’en faire le bilan. Mon propos ici est une illustration de la façon dont a pu se dérouler cette transition, les effets à long terme sont relatés précédemment dans cette revue.
5Je ne parlerai pas ici des tuteurs privés, indépendants, que j’ai très peu rencontrés et qui étaient peu nombreux dans ce département.
Avant la réforme
6Avant la réforme, la plupart des délégués qui exerçaient à partir d’un service géré par une association étaient issus d’une formation du travail social. Éducateurs ou éducatrices spécialisées, assistantes sociales, conseillères en économie sociale et familiale menaient leur accompagnement avec bienveillance et empathie, mais la forme même du mandat judiciaire et les contraintes de l’ordonnance pouvaient faire oublier quelquefois les bonnes pratiques et les fondements mêmes du travail social.
7En effet, il pouvait être plus confortable de s’appuyer sur des principes de morale pour justifier de la protection du majeur sans tenir compte de ses choix, de ses désirs, de sa liberté, ce dernier étant considéré alors comme incapable de faire les bons choix.
8Ainsi un délégué refusant d’attribuer de l’argent de poche à son protégé, soupçonnant ce dernier de s’en servir pour acheter de l’alcool et préférant lui donner un bon d’alimentation à dépenser dans l’épicerie du quartier, bon portant la mention : « alimentaire et hygiène, excepté alcool ». L’appréciation de la quantité de consommation d’alcool acceptable étant bien entendu variable selon les délégués.
9Les travailleurs sociaux étaient rarement spécialisés dans la connaissance des règles juridiques du droit patrimonial, des successions, autant de champs sollicités au cours de l’exercice de la mesure de protection. Aussi, nous avons vu apparaître dans les associations tutélaires des professionnels issus de la formation juridique, du droit des assurances, de la consommation, plus à l’aise dans les relations avec les notaires ou les huissiers. La protection des biens des majeurs pouvait effectivement s’avérer complexe, surtout pour ceux qui possédaient un patrimoine conséquent qu’il fallait soit préserver des tentatives de spoliation du reste de la famille, soit conserver (biens immobiliers non occupés) et gérer au mieux des intérêts du majeur protégé.
10La pluridisciplinarité permettait ici une complémentarité dans la prise en charge des majeurs entre l’aspect social et celui du droit. Il était parfois amusant dans ce contexte de voir que les questionnements sur la liberté de choix des majeurs étaient volontiers le fait des juristes alors que certains travailleurs sociaux paraissaient ne pas s’embarrasser de telles considérations.
11Lorsqu’il a été question de réviser la loi, bon nombre de professionnels ont constitué des groupes de travail et de réflexion pour alimenter le futur débat. Parmi ceux-ci, on trouvera des délégués et des cadres des services tutélaires regroupés autour de leurs fédérations et associations nationales. La précédente loi de 1968 [2] était fortement critiquée et il était intéressant que des professionnels de terrain puissent peser sur le débat aux côtés des experts.
12Les débats parlementaires qui ont précédé l’écriture définitive des textes de loi s’étaient donné comme objectifs les points suivants :
13– la maîtrise de la dépense publique. En effet, près de 800 000 personnes bénéficiaient alors d’une mesure de protection et on en attendait 1 million à brève échéance. Il était donc recommandé de confier les mesures en priorité à la famille (elles représentaient près de 50 %) ; mesures exercées gratuitement alors que les mandataires professionnels (salariés d’associations ou gérants en libéral) sont rémunérés (en partie par l’État et les collectivités) ;
14– pour ce faire, il était nécessaire de développer l’aide aux tuteurs familiaux. Or les mieux placés pour apporter cette aide étaient les services tutélaires associatifs, qui maîtrisaient bien les rouages et les règles de la protection des majeurs. On entrait ainsi dans un dilemme concurrentiel : favoriser le développement des tuteurs familiaux, n’était-ce pas perdre quelque peu de sa clientèle ?
15– bien différencier les mesures juridiques et les aides de protection sociale (une série de nouveaux dispositifs tels que les masp [3] et les maj [4] vont apparaître, gérés par les services sociaux) ;
16– stopper la progression exponentielle des nouvelles mesures en insistant sur la nécessité, la subsidiarité et la proportionnalité. La mesure de protection est-elle vraiment nécessaire ? Autrement dit, y a-t-il une altération des facultés personnelles ? Un autre type d’intervention n’est-il pas envisageable ? Enfin, la protection ne peut-elle pas être prononcée que pour un certain type d’actes et pour une durée moindre ?
17– harmoniser l’exercice des mesures en proposant une formation unique pour les délégués, nommés depuis mandataires judiciaires à la protection des majeurs ;
18– améliorer la protection en personnalisant les mesures ;
19– enfin l’esprit général étant de protéger le faible sans le diminuer.
Des avancées notoires
20La prodigalité, l’oisiveté et l’intempérance ne sont plus des motifs pour une mise sous protection. Cette dernière n’est prononcée que si « la personne est dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté [5] ».
21L’apport essentiel de la réforme de la protection des majeurs reconnus vulnérables et donc à protéger est l’affirmation des droits et libertés fondamentales. L’article 415 du Code civil stipule : « la protection est assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne ». Renforcer le droit des personnes protégées (le respect de l’intégrité, l’intimité, la sécurité, une information adaptée, la participation aux décisions, la confidentialité) mais aussi redéfinir le régime juridique des professionnels chargés de mettre en œuvre les mesures de protection judiciaire.
22La finalité de la réforme est bien l’intérêt de la personne protégée ; elle favorise dans la mesure du possible l’autonomie de celle-ci [6].
23La loi a voulu combler l’écart dans les pratiques professionnelles en posant le principe d’une formation unique (le certificat national de compétence) afin d’harmoniser ces pratiques, notamment entre les services du milieu associatif et les mandataires privés. Il s’agissait également de tenter d’établir une culture commune chez tous les professionnels de la protection des majeurs.
24Avant la réforme, la mise sous tutelle provoquait automatiquement la suppression du droit de vote. Ce n’est plus le cas maintenant. C’est le juge qui, s’appuyant sur le certificat médical d’expertise et l’audition de la personne à protéger, va évaluer la nécessité de supprimer ou non le droit de vote.
25Le droit a permis des avancées objectives :
26– pour les personnes qualifiées alors d’incapables, elles sont devenues des majeurs protégés. Elles ont bénéficié de nouveaux droits relatifs à la loi de 2002 ; elles peuvent faire appel à tout moment et ne sont pas déclarées à protéger toute leur vie puisque la mesure est révisable tous les cinq ans et même à tout moment, à la demande du majeur ou de son mandataire ;
27– pour les professionnels qui retrouvent les fondamentaux de leur formation d’origine et de nouvelles obligations.
28En effet, ces derniers étaient quelque peu accaparés par la demande de protection : protéger le majeur de l’extérieur, de son environnement familial, de lui-même lorsque ses comportements portaient atteinte à ses intérêts.
29Combien de fois ai-je entendu une déléguée discuter au téléphone avec son majeur protégé, lui parlant comme à un petit garçon, le réprimandant, lui faisant la morale. Eh non, le majeur protégé est avant tout majeur, ce n’est pas un mineur ! On ne peut pas diriger sa vie comme un titulaire de l’autorité parentale. L’article 415, qui inaugure en quelque sorte cette nouvelle loi, précise bien que cette protection doit être assurée dans le respect de la dignité de la personne.
Une loi qui bouscule les pratiques des mandataires délégués
30Je me souviens de cette ancienne juge des tutelles qui, intervenant dans les formations des mandataires, pouvait dénoncer des comportements abusifs de professionnels : « De quel droit peut-on interdire à un vieux monsieur d’entretenir une danseuse si cela est son désir et qu’il en a les moyens ? » disait-elle. À partir du moment où ses intérêts ne sont pas bafoués, qu’il peut vivre de façon décente, le mandataire ne doit pas juger de la bonne morale de son protégé. La règle relative à la gestion de l’argent dont dispose chaque mois le majeur protégé – ses revenus mensuels – est de s’assurer qu’il soit bien logé (un toit : le clos et le couvert), qu’il puisse bien se nourrir et se soigner. Ensuite, tout le reste doit lui revenir et il en fait ce qu’il veut, pour ses loisirs. À chaque ouverture de mesure, l’ordonnance du juge le précise : une fois que le budget (établi conjointement par le mandataire et le protégé) est réalisé, « l’excédent est reversé sur un compte laissé à disposition de l’intéressé ou versé entre ses mains [7] ». C’est-à‑dire que le budget négocié, qui comprend les frais fixes et incontournables, mensualisés (loyer, électricité, gaz, impôts, remboursement de crédit…), est géré par le curateur et que l’excédent du revenu mensuel est à la discrétion du protégé qui n’a pas à rendre compte de ses dépenses au curateur. Pourtant, il n’était pas rare, dans les premiers temps de la mise en place de la réforme, de voir des mandataires continuer à s’octroyer un droit de regard sur ce pécule ; sans doute hésitant à faire confiance après tant d’années de gestion sinon autoritaire, du moins trop souvent solitaire. On remarquera ici que l’excédent dont il est question est toujours nommé « argent de poche », terme quelque peu infantilisant.
31J’ai d’ailleurs pu observer que les nouveaux mandataires, ceux qui sortaient de l’école, fraîchement formés, avaient moins de mal à intégrer ces nouveaux comportements.
32Cela me fait penser à cette autre déléguée qui hésitait à autoriser une protégée à s’abonner à Canal+, jugeant qu’elle avait assez de chaînes à voir sur la tnt. Même si ses maigres revenus faisaient qu’elle vivait chichement, après s’être assuré du confort minimum dans la maison, de quel droit interviendrait-on sur le type de programme télévisé, même si c’est une chaîne payante, alors qu’il s’agissait là du seul plaisir que s’accordait cette femme seule et isolée, sans autre activité que cette fenêtre sur le monde extérieur, lui permettant de passer la journée comme elle l’entendait ?
33La loi insiste sur la capacité d’agir du majeur protégé ; il y a un bénéfice de présomption de capacité : c’est le majeur qui agit et le curateur qui assiste et non le contraire.
34À plusieurs reprises il est rappelé que le majeur protégé doit participer activement à la mesure de protection. C’est avant tout sur la négociation de son budget selon ses besoins, ses habitudes de vie. Il est vrai qu’il est plus facile pour un mandataire de formation cesf (conseiller en éducation sociale et familiale) d’appréhender cette négociation que pour un juriste. La loi a voulu combler cette différence dans sa volonté d’harmonisation en rendant la formation au cnc [8] obligatoire.
35Les nouvelles mesures étant prononcées en général pour cinq ans, toutes les mesures ouvertes avant le 1er janvier 2009 ont dû être réexaminées. Certains majeurs se sont vu bénéficier d’une mainlevée car, au regard de la nouvelle loi, ils n’étaient plus considérés comme personne à protéger. Là encore, chez certains mandataires, cela a été difficile à admettre, n’imaginant pas leur majeur sans protection et certainement inquiets de leur lâcher la main par manque de confiance.
36Il s’agissait également de rétablir la place de la famille, de ne pas l’écarter systématiquement des mesures exercées en dehors du cercle familial. Ce qui n’était pas facile pour un mandataire habitué à travailler seul avec ses représentations. Une mesure confiée à un professionnel impliquait forcément que l’on était en présence d’une famille dans l’incapacité d’apporter une protection ou bien qu’il fallait protéger l’intéressé de cette famille, ou encore il s’agissait d’une famille absente. D’autres cas de figure peuvent se présenter et lorsque la présence de membres de la famille peut être bénéfique au majeur protégé, il est nécessaire d’y travailler, même si cela introduit un nouveau partenaire avec lequel il faudra également négocier.
Une relation à trois (majeur-mandataire-juge)
37La loi redonnait la parole aux bénéficiaires et surtout leur donnait l’occasion d’entendre leurs droits lors de la remise du livret d’accueil. Bon nombre d’entre eux l’ont vite intégré et font plus facilement appel au juge pour régler ou dénoncer les différends qui les opposent à leur curateur ou tuteur. Le juge prend alors un rôle de médiateur entre le mandataire et le majeur ; il n’est plus seulement le donneur d’ordre auprès du mandataire mais aussi le protecteur bienveillant auprès du majeur. On a pu voir des délégués quelque peu désorientés par l’attitude du juge qui, à l’occasion d’un point d’étape ou du renouvellement d’une mesure, demande au majeur, en présence du délégué : « Est-ce qu’elle est gentille avec vous votre déléguée ? »
38Le mandataire doit tout expliquer au protégé de ce qu’il fait dans l’exercice de la mesure. Dans le cadre de la participation à sa propre mesure, on doit discuter des choix budgétaires, de l’administration des biens. On est passé du tuteur qui s’occupait de tout (il était dans la prise en charge totale) à un mandataire qui doit faire avec, il est dans l’accompagnement. Il doit faire avec le majeur mais aussi avec les partenaires de droit commun. Cela nécessite bien entendu de travailler en partenariat pour un ancrage du majeur dans le réseau social et pour ce faire, de contribuer à changer les représentations des partenaires sur le rôle du tuteur. À partir du moment où une protection juridique était ordonnée, ces derniers avaient tendance à se désengager totalement de la situation, considérant qu’il revenait au tuteur de tout gérer.
39Le cadre des rencontres entre les majeurs et les mandataires délégués se trouvait donc modifié. Faire de la pédagogie avec le majeur, adapter son langage, traduire les décisions de justice, se référer à la charte des droits et libertés de la personne protégée, ne pas se retrancher derrière le jargon professionnel. Pour que le majeur fasse valoir ses droits, il faut qu’il ait une information préalable et c’est au délégué de la donner.
40Avec les nouvelles prérogatives liées à l’arrivée des services mandataires dans le champ des essms, il a fallu intégrer la loi de 2002 et organiser le développement des outils : le document individuel de protection du majeur, le livret d’accueil avec la notice d’information, la charte des droits et libertés de la personne protégée, la mise en place d’un conseil de vie sociale.
41Cela a eu pour conséquence la nécessité de développer le travail en équipe. En effet, la tendance précédente voyait l’exercice de la mesure en solitaire, où le mandataire évoluait dans une sorte de pré-carré. L’arrivée de la nouvelle loi a obligé à réfléchir ensemble sur l’aménagement du service, le changement des pratiques, l’ouverture sur l’extérieur. On a vu par exemple, dans les services exerçant un nombre important de mesures, le fait de déléguer une personne dédiée à l’ouverture des mesures (temps intense nécessitant un travail important pour récupérer de multiples données dans une durée déterminée et rendre compte, notamment, d’un inventaire du patrimoine du majeur). Devant la nécessité de placement du patrimoine financier, il a été là aussi intéressant de mutualiser les compétences. La formation obligatoire a été l’occasion d’échanges et de réflexions sur les pratiques. Il en a été de même lors de l’élaboration du projet de service et de la mise en place des évaluations interne et externe. Tout cela a permis la refonte des services avec, en particulier, la mise en place d’une procédure de recueil de plaintes afin de mieux les traiter et d’améliorer encore le service rendu.
42Une idée répandue chez les professionnels qui sont amenés à accompagner des personnes vulnérables est de commencer une prise en charge vierge de toute histoire. On ne veut pas savoir ce qu’il s’est passé avant la mesure ; on « remet les compteurs à zéro » pour commencer une nouvelle histoire sans a priori : posture idéologique féconde ou bien tout simplement évitement d’un travail fastidieux ?
43On sait combien cette posture peut être préjudiciable à la prise en charge, au risque de refaire les mêmes erreurs que ses prédécesseurs. On le constate dans l’expérience des réseaux de soins, qui tentent de réparer les liens, de recoller les morceaux, et on observe combien le fait de rassembler tous les acteurs présents et passés du parcours d’une personne vulnérable et de connaître et partager son histoire peut améliorer l’accompagnement.
44Dans le cas de la protection des majeurs, cette attitude est encore plus dommageable. Nous avons ici un mandat judiciaire et au-delà de l’ordonnance, il est indispensable que le mandataire prenne connaissance de la situation en allant consulter le dossier au tribunal, lire le certificat médical. Il a un devoir d’information auprès du majeur protégé pour favoriser son autonomie [9] et doit donc aller à son tour rechercher les informations, connaître les partenaires. Ne pas le faire peut être lourd de conséquences, voire constituer une faute. Dans l’élaboration du document individuel de protection, on doit présenter le dossier au majeur et donc avoir nous-mêmes une bonne connaissance de ce dossier.
Conclusion
45Mon propos ici n’est pas de dénoncer des comportements inadaptés de la part de personnes chargées de la protection (d’autres le font à travers des reportages ou articles à sensation souvent de manière caricaturale), mais bien d’illustrer comment une nouvelle loi a pu faire évoluer des pratiques professionnelles chez des mandataires judiciaires à la protection des majeurs, en grande majorité très soucieux de bien faire, mais souvent pris dans des contraintes d’organisation et des limites budgétaires. Il faut bien sûr du temps pour intégrer de nouvelles pratiques conformes à l’esprit de la loi et l’évolution des choses fait que ces pratiques devront sans cesse être réinterrogées.
46La loi de 2007 est donc venue libérer un peu les majeurs protégés des contraintes antérieures de contrôle de tous leurs actes en leur redonnant des droits.
47Le majeur protégé est un citoyen comme un autre, il n’est pas un sous-citoyen. Le droit commun doit s’appliquer avant tout.
48À force d’être confronté au quotidien à des questions de droit, le mandataire en devient un expert. Les situations où il doit prendre une décision (dans le cas d’une tutelle) ou donner un conseil, porter assistance (dans le cas d’une curatelle) se multiplient et sont de plus en plus complexes. Certains actes, notamment les actes de dispositions, sont soumis à l’autorisation du juge et c’est conjointement que le majeur et le mandataire vont demander cette autorisation.
49Parfois, le juge, éloigné du terrain, peut prendre une décision contraire aux intérêts du majeur par défaut d’appréciation de la situation (il n’est pas infaillible). Il va refuser par exemple la souscription d’une assurance vie jugeant la clause bénéficiaire pas assez claire ou bien la vente d’un bien immobilier à un prix sous-évalué selon lui. Chargé de faire appliquer la loi, le juge peut aussi l’interpréter lorsque celle-ci n’est pas assez précise. Le mandataire peut l’y aider en faisant appel de la décision lorsqu’il considère que celle-ci n’est pas conforme aux intérêts du majeur (c’est bien dans ce sens qu’il doit travailler). C’est cet appel qui pourra corriger l’interprétation de la loi et faire avancer la jurisprudence.
50« Si la loi est le rempart contre notre subjectivité, la questionner permet de l’améliorer [10]. »
Bibliographie
Bibliographie
- andp. 2010. « Quelle participation pour le majeur sous protection juridique ? », dans Actes journée d’étude, Toulouse, andp.
- cnape, fnat, unaf, unapei. 2012. Livre blanc sur la protection juridique des majeurs.
- drjscs-creai Nord Pas-de-Calais. 2012. Vivre une mesure de protection juridique.
- Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, texte de loi publié au jo n° 56, le 7 mars 2007 – NOR : JUSX06001126L.
- Seraphin, G. 2003. Agir sous contrainte. Être sous tutelle dans la France contemporaine, Paris, L’Harmattan.
Mots-clés éditeurs : majeurs protégés, droits nouveaux, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, changement des pratiques, protection juridique des majeurs
Date de mise en ligne : 11/09/2019.
https://doi.org/10.3917/empa.115.0057Notes
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[1]
Loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.
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[2]
Loi n° 68-5 du 3 janvier 1968.
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[3]
Mesure d’accompagnement social personnalisée.
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[4]
Mesure d’accompagnement judiciaire.
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[5]
Article 425 du Code civil.
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[6]
Article 415 du Code civil.
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[7]
Article 472 du Code civil.
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[8]
Certificat national de compétence.
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[9]
Article 457-1 du Code civil.
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[10]
Corinne Cheminet, juge des tutelles honoraire, consultante.