1Lors d’une journée organisée par la revue Empan, une intervenante défendait l’importance des temps informels dans sa clinique, position qui a connu un accueil très favorable de la salle, exaspérée par les cotations… En tant que chercheur, un peu mathématicien, j’ai été interpellé par ce terme « informel ». Dans ma pratique, l’informel, ce n’est qu’une définition négative, ce que l’on n’a pas réussi à formaliser, donc un échec de la pensée. Informe n’est jamais, dans le langage courant, une qualité.
2Je me suis demandé quel type de temps informel elle défendait. Ce temps informel, dans un couloir, à deux mètres d’une salle d’attente, où un psychologue annonce à voix basse à une mère les premiers résultats, assez mauvais, d’un test passé par un de ses enfants, la mère qui (informellement) ne sait pas comment réagir, submergée par ces nouvelles inattendues, pendant que l’enfant, dans les jambes de sa mère, trop petit pour comprendre le sens de ces paroles (trop formelles), n’en saisit pas moins le désarroi de sa mère, ne comprenant que trop bien qu’il en est responsable ? Ou cet autre temps (informel), dans une institution, où un groupe d’enfants, sans activité vraiment définie, sans encadrement adéquat, dérape complètement, commet des dégâts conséquents, dégâts matériels, coûteux mais réparables, dégâts humains aussi malheureusement ? Bien sûr que non… Si j’ai bien saisi, ce que cette assemblée cherchait à fuir, c’est un quotidien chargé, répétitif, normé, où les cotations étouffent le sens de l’action, où les diagnostics masquent les singularités des êtres, où les évaluations ne reflètent que ce qui peut être mesuré.
3Mais qu’est-ce donc que cet informel de la clinique alors, dont rêve cette profession ? J’ai pensé là à mon kiné. Pour avoir un bon dos, me disait-il, il faut un squelette, solide et bien aligné, il faut des muscles, régulièrement travaillés, et ce que l’on oublie souvent, ajoutait-il, il faut de la souplesse, et à répéter sans cesse les mêmes gestes, on peut gagner en muscle, mais perdre en souplesse. « Comparaison n’est pas raison » mais peut-être pourrait-on faire un parallèle, imaginer que le dos est comme l’institution, qui tout à la fois encadre et soutient, imaginer que les muscles, c’est la technique, l’expertise des professionnels, et que ce que cette profession cherche, c’est regagner un peu de souplesse, un peu d’agilité dirait-on dans mon domaine. Pouvoir saisir une balle au bond, comme rattraper une situation qui dérape, concilier cadre, force et souplesse.
4Tous les aspects d’une pratique, d’une clinique, n’ont pas vocation à être normés et côtés, formalisés. Mais s’il existe des parties importantes, voire essentielles, de la clinique, en marge de la partie normalisée des pratiques, peut-être méritent-elles d’êtres rêvée, pensées, et peut-être même nommées. Et une fois nommées, peut-être même partagées, voire (attention, gros mot à venir) institutionnalisées.