Notes
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[1]
Fausse idée car il s’agit le plus souvent de parole qui n’est pas sous transfert.
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[2]
L. Lambrichs, dans Écrire, c’est vivre. Les entretiens de Brive, par P. Bouret, Paris, éditions Michèle, 2015, p. 248.
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[3]
Ibid., p. 253.
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[4]
Après tout, Freud, dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne (Paris, Puf, 1998), ne fait rien d’autre que de déchiffrer à la lettre les bizarreries qui nous échappent.
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[5]
C. Combes, Darwin, dessine-moi les hommes, Paris, éditions Le Pommier, 2006, p. 38 sq et p. 510 pour la définition des nucléotides atcg.
-
[6]
A. Ernaux , Écrire la vie, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2011, p. 151.
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[7]
Réseau international des institutions infantiles créé par Jacques-Alain Miller en 1992. http://www.ri3.be
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[8]
Publication du Champ freudien en Belgique : http://www.courtil.be/feuillets/ et aussi http://www.courtilpro.be/courtilenlignes/
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[9]
À ciel ouvert, chaque enfant est une énigme, film de M. Otero et livre d’entretiens, Blaq Out, Archipel 33, Arte France cinéma, 2013. http://www.blaqout.com
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[10]
H. Bonnaud, Les sms dans la vie amoureuse des femmes, sur http://www.causefreudienne.net/les-sms-dans-la-vie-amoureuse-des-femmes/. Ce texte analyse d’une certaine manière les dangers du toujours connecté, ce qui est l’exact inverse de la thèse ici soutenue où il n’est question que d’écritures occasionnelles, faisant coupure avec la routine du bla-bla. Si l’hyperconnexion est une jouissance sans fin, s’écrire les uns aux autres quand il le faut fait barrage aux hyper-procrastinations de groupe.
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[11]
Mais pour cela encore faut-il aimer la lecture, se rendre lisible et s’adresser à des autres qui aiment lire. Si ceux qui aiment lire n’aiment pas forcément écrire (ce qui reste à vérifier), il paraît probable que ceux qui n’aiment pas lire n’aiment pas écrire.
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[12]
Cf., par exemple, Gilles Chatenay, « Le monde de la lettre est silencieux », Les Feuillets du courtil, n° 22, mai 2004, p. 57.
-
[13]
La lettre fait bord entre les deux, thèse développée par J. Lacan : « L’écrit et la parole », dans Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Le Seuil, 2007, p. 77 sq.
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[14]
Un blog n’est pas un site Internet qui présente un objet. Un blog est du type « bloc-notes, journal intime », dit Wikipédia, qui sert à rendre lisible son objet. Il cherche plus à formuler qu’à montrer.
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[15]
C. Leguil, dans Écrire, c’est vivre. Les entretiens de Brive, op. cit., p. 165 sq.
Bavardages…
1 C’est d’une longue expérience de travail dans diverses institutions du secteur sanitaire et social que je tire ici quelques réflexions sur les écrits des éducateurs dans ces lieux. Je vise plus particulièrement ce corps de métier car j’ai toujours été frappé par son apparente réticence à rédiger spontanément des observations, des questions ou des idées sur telle ou telle situation. Sans parler des rapports obligatoires ou des comptes rendus programmés. La préférence va nettement aux parlotes de toutes sortes quand il est autorisé qu’elles soient « libres », c’est-à-dire sans autocensure. Qui n’a pas connu ces impromptus de couloir ou ces palabres dans le bureau des secrétaires, devant la machine à café, ou encore dans la cuisine, toujours spontanés et souvent extrêmement riches d’enseignements sur la vie institutionnelle ou sur ce qu’il est convenu d’appeler « les usagers » ? Comment ignorer cet incessant travail de rumination, de pétrissage des relations intra-institutionnelles et des étonnements plus ou moins heureux qui s’opère ainsi par la parole, par toutes ces paroles qui vont se perdre dans l’éther d’une « ambiance » de groupe ? Ambiance qui ne parvient cependant jamais à se hisser au niveau d’un « style » d’institution ou d’une « politique » professionnelle. L’ambiance peut être, certes, plus ou moins bonne, mais il est bien rare qu’elle évolue d’elle-même sur de meilleures capacités d’herméneutique, c’est-à-dire de meilleures compréhension et interprétation de ce qui se passe quand ça ne va pas.
2 Il ne s’agit pas ici de regretter cet état de fait qui est absolument inévitable en un lieu de rassemblement de corps dotés de la parole. Il s’agit plutôt de regretter que les formidables potentialités du travail qui apparaît ainsi possible en restent là dans la grande majorité des cas : une succession ininterrompue d’échanges « à la bonne franquette » qui se reproduisent inlassablement de jour en jour sans que jamais un dénominateur commun, un trait d’identification, une idée directrice, une analyse constructive en soient produits. Cela donne l’impression que des tonnes de matériaux demeurent inemployés, à l’état brut, empilés les uns sur les autres, et finissant parfois par alourdir le plaisir ou la curiosité de travailler ensemble. On enfile les anecdotes les unes après les autres, on répète à l’envi quelque question persistante, on redit sans cesse la même chose sans s’en apercevoir… On est là dans l’état de l’intersubjectivité la plus banale où l’on se comprendrait « sans dire » (sic) puisque l’on est « de la même paroisse », donc sans qu’il s’avère nécessaire d’en passer par d’autres voies de « communication ». N’apprend-on pas, d’ailleurs, dans les écoles d’éducateurs, que ladite communication est un facteur essentiel de la paix sociale ? Je caricature, mais à peine, ayant dû un certain nombre de fois tempérer cette fougue psycho-cybernetico-managériale auprès d’élèves éducateurs prêts à tout faire passer à la moulinette de la parole. Ne dit-on pas encore que « ça va mieux en le disant », ce qui les encourage beaucoup à faire parler coûte que coûte le petit monde dont ils ont à s’occuper, quitte à employer la paradoxale injonction « parle ! », sans se rendre compte que la plupart du temps ils ont été réticents à « dire bonjour à la dame » quand ils étaient petits… Et comme une fausse idée de la psychanalyse traîne encore par là [1], il n’est pas rare de rencontrer dans la pratique institutionnelle des chantres de la « libération par la parole ». Alors, donc, pourquoi ne pas croire que parler ensemble suffise à huiler les rouages d’un si difficile métier ? Et pourquoi ne pas estimer que les discussions « hors cadre », c’est-à-dire informelles, soient les soupapes d’une pression parfois insoutenable ? Cela peut être exact, ne mésestimons pas la chose. Mais cela ne peut en aucun cas améliorer les conditions de travail. Autant être formel là-dessus, car ce qui peut être parfois insupportable dans le travail n’est pas tant ce que l’on peut en évoquer que ce que l’on ne peut pas trouver si facilement (à raconter, à saisir, à transmettre, à faire). On ne fait jamais que relater ce que le savoir établit peu ou prou. Impossible en revanche d’attraper ce qui lui échappe. Ce qui se transmet alors est du savoir plaqué, imaginaire et vain en l’occurrence.
3 Devant la machine à café : « Cette petite K. m’a encore fait passer une nuit blanche, disait une éducatrice de mecs [Maison d’enfants à caractère social]. Pourtant j’avais passé la soirée à la calmer de son agitation en m’isolant avec elle, et j’avais cru qu’elle avait fini par s’apaiser. Mais dès que les autres se sont endormis, elle a hurlé au point de réveiller les voisins de la rue… J’en ai marre de cette situation ! Je n’ai plus envie de me lever le matin pour venir travailler tant que cette gamine sera là… » Et tout le monde de compatir, chacun y allant d’un diagnostic ou de recettes d’intervention différents, mais ô combien plein de bonnes intentions. Et ladite éducatrice d’avoir de plus en plus de mal à se lever car la petite K. de continuer à réveiller tout le quartier.
4 Grande innovation en la matière : « On en parlera en supervision. » Allons à l’essentiel pour ne point faire perdre son temps au lecteur : on cherche ici encore à « comprendre ». Pour la peine, admettons que la vogue de ces supervisions d’équipe y soit précisément liée, c’est-à-dire qu’il est admis implicitement d’y aller parce qu’on n’a pas compris quelque chose. L’ennui est que la plupart des superviseurs se croient obligés d’apporter « le complément d’information » qui manque au savoir de ladite équipe. Ce qui tourne rapidement au cours privé ou au prosélytisme, en tout cas à la surimpression d’un savoir de plus à ceux déjà en cours dans l’équipe : pas moyen de réduire les excès de parlote, décidément. Et même quand le superviseur se restreint à poser des questions pour « renvoyer l’ascenseur », il est rarement trouvé une idée pour que chacun aborde différemment la situation évoquée et en voie d’enlisement. Non pas du tout parce que chacun est stupide, mais parce que précisément tourne facilement en rond la seule jouissance du sens de ce que l’on imagine de toutes les façons possibles sur une situation en impasse. Vieille loi du principe de plaisir.
5 « Donner du sens » est justement ce par quoi chaque sujet tente d’échapper au déterminisme d’une relation de cause à effet. Par là, chaque éducateur qui parle informe de sa façon à lui de comprendre quelque chose. Mais il ne peut rien dire sur la cause qui lui échappe. Il reste dans l’ordre de la conjecture qui cherche à relier l’histoire des faits connus à l’événement perturbateur, faute de pouvoir mettre la main sur ce qui cause dans le présent la répétition dudit événement problématique et qui surgit malgré toutes les précautions prises par l’équipe. De même que ce n’est pas parce que le psy diagnostiquera telle forme de pathologie qu’on trouvera nécessairement quoi faire ou comment être pour que la situation s’améliore.
6 Et d’ailleurs, qu’est-ce qu’une situation qui s’améliore ? S’agit-il seulement de « calmer le jeu », comme il est dit si souvent, soit avec des médicaments, soit avec des techniques éducatives plus ou moins coercitives, soit encore « en faisant appel à l’autorité », généralement celle du directeur qui relaye par là le Maître de l’institution (services administratifs ou juridiques) ? Admettons que, dans l’intérêt des autres usagers, il soit justifié de calmer celui qui perturbe (la priorité étant généralement donnée au groupe dans une visée « socialisante » de l’action éducative). Mais ce n’est jamais que « faute de mieux ». C’est du même tabac que « faute que le voleur se dénonce, tout le groupe sera puni » : il y a un déficit de communication, précisément, là où elle aurait dû être théoriquement suffisante pour que tout le monde s’entende. Et quels que soient les excès de son emploi, ils n’empêchent que rarement d’autres excès, énigmatiques, silencieux, d’avoir lieu.
… et petits papiers
7 C’est ici qu’une articulation avec l’écrit de circonstance s’impose, semble-t-il, pour avancer sur la question de l’intersubjectivité dans les institutions.
8 Il n’est pas nouveau que l’on prône l’intérêt des écrits institutionnels, ceux réclamés par le maître administratif, judiciaire ou managérial. Et l’on sait le rôle à la fois formateur et de décantation que peuvent avoir les écrits des mémoires, des synthèses, des relais, des observations ou de signalement. Mais l’on sait aussi la difficulté, pour ne pas dire la réticence qu’ont les éducateurs à rédiger spontanément des textes, à remplir les dossiers de notes diverses qu’on ne leur a pas demandées mais qui peuvent servir, voire encore à écrire des articles…
9 Comme beaucoup de monde, après tout. De Flaubert qui s’écroulait d’épuisement sur son canapé au quidam qui ne « s’en sort pas », nombreux sont ceux qui sont dans la difficulté d’écrire. « Assise à mon bureau, je bute, tombe, me relève et m’échine pour vous proposer, leur proposer un texte qui ne soit pas vain (donc surtout pas du bavardage), […] [2]. » Chacun sait effectivement qu’il suffit de prendre une plume pour qu’aussitôt quelques mots jetés sur le papier, commencent les embarras de vocabulaire, les idées nouvelles qui en surgissent, les difficultés d’agencement de la pensée, un réel imprévu lié à l’acte lui-même de mettre en forme écrite quelque chose qui n’était que pensé et que l’on croyait parfois fort bien réfléchi. Car, comme le dit Louise Lambrichs : « … quand je n’écris pas, je ne pense pas au sens fort que j’attribue à ce verbe, je rêve. Éveillée ou endormie, je rêve en pensant, bien sûr, mais je ne pense vraiment que quand j’écris et me confronte à la difficulté de traduire quelque chose qui ne cesse de m’échapper. […] La question de la pensée renvoie donc à la question de la capacité de symbolisation qui se heurte toujours à nos insuffisances et à nos difficultés de trouver le mot juste, nécessaire pour traduire ce qui est et qui ne se verrait pas si on ne le traduisait pas. Ce travail engage donc, bien sûr, le sujet qui écrit, son rapport à l’écriture et au langage, mais aussi au monde qui l’entoure [3]. » Ou, selon la très belle citation de Mauriac donnée dans l’éditorial du n° 11 d’Empan (Écrire, disent-ils, juin 1993) consacré à l’écriture : « Je cherche un homme que je ne connais pas. Pour m’en faire une idée, je vais tenter d’écrire sur lui » (p. 9).
10 Il n’est pas étonnant que nous soyons tous confrontés à l’effort, angoissant pour certains (« la page blanche »), éprouvant pour d’autres (la « crampe de l’écrivain »), ou bien encore rebutant, de mettre en lettres les mots qui nous passent par la tête. Tout le monde n’est pas Picasso qui concevait d’abord mentalement et réellement son œuvre pour la jeter ensuite d’un coup sur son support. Mettre en lettres les mots qu’on croit penser est un exercice souvent lent, difficile et salutaire pour nos capacités de symbolisation, mais aussi pour notre relation à l’autre auquel nous avons affaire dans les embarras de la vie. Autrement dit, pour le lien social. Les amoureux le savent bien, qui s’écrivent afin de raccorder leur être en faillite quand une tension entre eux bloque la parole. Car l’usage de la lettre nous spécifie comme l’être qui l’a produite, sans qu’il soit besoin d’un quelconque sens, c’est-à-dire délivre le sujet du trop-plein de la présence imaginaire qu’il a dans sa parole. Des hiéroglyphes dans le désert, muets avant leur déchiffrage, n’en sont pas moins l’assurance qu’il y a du sujet qui est passé par là pour les produire. C’est leur énigme qui retient surtout l’attention, l’énigme de ce que celui qui les a gravés a voulu dire. Il y a de l’être là-dedans, déjà, seulement. Voilà qui nous rappelle que cette forme de langage qu’est l’écriture a quelque chance de « traduire ce qui est et qui ne se verrait pas si on ne le traduisait pas », de déchiffrer en quelque sorte les hiéroglyphes de la vie de tous les jours [4], voire, dans d’autres sphères, les hiéroglyphes de la vie elle-même comme le font les biologistes avec leurs petites lettres en hélices : adn, atcg [5]… Mais ceci est une autre histoire de lettres, celles de la science, des lettres sans sujet.
11 C’est à partir de cette remarque qu’on peut accorder un intérêt renouvelé à l’écriture en institution. Nous ne sommes plus ici dans le texte demandé, celui que le maître institutionnel exige, le rapport de synthèse, le rapport au juge, l’observation mensuelle… celui qui tamponne le désir autant par sa commande que par la mise en place de « protocoles » à appliquer. Nous sommes au contraire dans un autre rapport, si l’on peut dire. Un rapport au langage, cette fois, autre maître des jeux. Un rapport où il s’agit de se mettre en jeu pour d’autres comme acteur/auteur qui n’a pas le savoir de la cause du malaise, et qui cherche avec ces autres où elle pourrait bien être et quoi en faire, ou comment la transcrire. Autrement dit, il s’agira par des écrits (de toutes les formes possibles) d’échanger sur les points d’impasse, ceux qui ne font pas sens et dans lesquels chacun peut se trouver à un moment ou à un autre. Ce sont d’ailleurs ces points d’impasse qui engagent toujours la responsabilité individuelle car ils surgissent hors du cadre protocolaire. C’est-à-dire dans la plupart des imprévisibles problèmes de l’humain où il faut travailler à partir de ce qu’on ne sait plus, de ce qu’on ne voit pas, de ce qui se passe sans que l’on y comprenne rien et qu’il faut « traduire », déchiffrer, pour en avoir une idée. Comme le souligne Annie Ernaux dans Écrire la vie [6], « c’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture ».
12 Ceci se pratique sous diverses formes dans un certain nombre d’institutions, notamment celles du ri3 [7] et dont on peut lire de nombreux comptes rendus dans la revue Les Feuillets du courtil [8] ou en voir des effets dans le film de Mariana Otero À ciel ouvert [9]. Mais pour l’heure, il s’agit aussi de constater qu’avec les moyens actuels de communication, il est aisé de mettre spontanément en place toutes sortes d’échanges écrits à plusieurs dans les équipes.
13 Il me revient d’avoir été contacté par téléphone, un soir, par un éducateur dont les idées s’embrouillaient sur une situation opaque, qui avait besoin de lire un article dont il avait entendu parler et qu’il pensait que j’avais. Tout en le lui scannant, j’eus l’idée, moi, d’en parler par mail à l’auteur de l’article dont je savais qu’il serait disponible, qui se mit ensuite en contact avec lui (toujours par mail) et lui suggéra d’en parler à son collègue qui était en service, ce qu’il fit par sms vers 23 h 30 heures au grand étonnement de ce dernier, qui non seulement ne le prit pas mal mais rouvrit l’ordinateur du groupe sur lequel il travaillait pour lui répondre… Le surlendemain, via les tablettes et les portables de chacun, la discussion s’était affinée dans l’équipe, au point que non seulement notre éducateur initial n’était plus perdu, mais qu’il était devenu possible d’entendre enfin dans cette équipe un autre son de cloche que la plainte qui s’y éternisait. Remarquons au passage que l’instantanéité des échanges électroniques provoque une sorte « d’accélération de l’urgence et une précipitation de l’attente [10] » qui, avec la nécessité de faire court, réduisent les atermoiements des équipes d’éducateurs qui « ont le nez dans le guidon », sont « surchargés par le quotidien », et d’une manière générale n’ont jamais le temps de s’arrêter un peu pour « prendre de la hauteur », faire en quelque sorte leur « Nuit debout » pour réécrire l’histoire. Non seulement il ne s’agit pas là d’une surcharge de travail, mais est-ce encore une respiration dans l’automaticité de leurs cadences. C’est finalement du temps gagné sur l’usure et l’ankylose, car c’est à chaque fois une remise en marche de l’intérêt de travailler ensemble sur des situations qui, elles, ne sont pas routinières. C’est relancer la curiosité pour la surprise, ce qui fait toujours du bien.
14 L’exemple rapide ci-dessus (et qui est loin d’être le seul qui aurait pu être rapporté ici) indique que l’écriture hors cadre mais centrée sur les préoccupations du travail, par petits papiers, par cahiers de liaison, par Post-it, par texto, par notes individuelles, par griffonnages, par le moyen qui tombe sous la main (et il y en a !), semble toujours ranimer et entretenir le plaisir de faire nouage entre ce qui échappe au singulier et les autres au pluriel : lien social, encore.
15 Enfin…, a-t-on envie de soupirer, enfin quelque chose, l’écriture en l’occurrence, vide la jouissance des répétitions et offre une possibilité de dialectiser les solitudes, les refus, les dénis, les lassitudes en tout genre. Elle trouble le discours dominant. Cela est lié à la nature même de la lettre qui autorise au sujet d’être dépris du sens fermé sur lui-même et lui fait faire un pas de côté, lorsqu’il griffonne questions, idées, supputations et réactions diverses dans un réseau de lettres qui circulent de l’un à l’autre des sujets concernés (et pourquoi pas en cas de nécessité des usagers eux-mêmes ?). Le sujet donne alors à lire ce qui lui échappe [11] et il invente de la sorte une ouverture dans ce qui le domine du discours ambiant. C’est cela qui travaille au corps les répétitions de la parlote, ne serait-ce que parce que la lettre est silencieuse [12], qu’elle s’active comme un élément qui fonctionne en grande partie par lui-même entre symbolique et réel et entre savoir et jouissance [13]. Ces échanges d’écritures diverses, graphismes, schémas, dessins, plans, phrases, etc., contribuent toujours à produire des effets nouveaux. Comme d’ailleurs on le recherche dans les ateliers d’écriture, dans la rédaction du bulletin de l’institution (à condition qu’elle soit du cru de ses lecteurs !), voire dans le passage par le dessin ou par les murs qui prennent la parole, les boîtes à idées, les blogs [14], les carnets de bord, les mails, les journaux et tout ce qui favorise l’écriture pour des éducateurs qui en trouvent la forme la mieux appropriée à leur situation.
16 Ce n’est pas écrire pour écrire qu’il faut aux éducateurs, c’est écrire quand il le faut, quand l’écriture devient nécessaire pour mettre en forme « un tourment, un conflit, un moment où j’ai l’impression que quelque chose n’est pas entendu [15] ». Dommage qu’ils n’en aient pas plus souvent l’idée.
Mots-clés éditeurs : écriture, lettre, routine, parole, équipe
Mise en ligne 18/10/2018
https://doi.org/10.3917/empa.111.0115Notes
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[1]
Fausse idée car il s’agit le plus souvent de parole qui n’est pas sous transfert.
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[2]
L. Lambrichs, dans Écrire, c’est vivre. Les entretiens de Brive, par P. Bouret, Paris, éditions Michèle, 2015, p. 248.
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[3]
Ibid., p. 253.
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[4]
Après tout, Freud, dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne (Paris, Puf, 1998), ne fait rien d’autre que de déchiffrer à la lettre les bizarreries qui nous échappent.
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[5]
C. Combes, Darwin, dessine-moi les hommes, Paris, éditions Le Pommier, 2006, p. 38 sq et p. 510 pour la définition des nucléotides atcg.
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[6]
A. Ernaux , Écrire la vie, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2011, p. 151.
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[7]
Réseau international des institutions infantiles créé par Jacques-Alain Miller en 1992. http://www.ri3.be
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[8]
Publication du Champ freudien en Belgique : http://www.courtil.be/feuillets/ et aussi http://www.courtilpro.be/courtilenlignes/
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[9]
À ciel ouvert, chaque enfant est une énigme, film de M. Otero et livre d’entretiens, Blaq Out, Archipel 33, Arte France cinéma, 2013. http://www.blaqout.com
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[10]
H. Bonnaud, Les sms dans la vie amoureuse des femmes, sur http://www.causefreudienne.net/les-sms-dans-la-vie-amoureuse-des-femmes/. Ce texte analyse d’une certaine manière les dangers du toujours connecté, ce qui est l’exact inverse de la thèse ici soutenue où il n’est question que d’écritures occasionnelles, faisant coupure avec la routine du bla-bla. Si l’hyperconnexion est une jouissance sans fin, s’écrire les uns aux autres quand il le faut fait barrage aux hyper-procrastinations de groupe.
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[11]
Mais pour cela encore faut-il aimer la lecture, se rendre lisible et s’adresser à des autres qui aiment lire. Si ceux qui aiment lire n’aiment pas forcément écrire (ce qui reste à vérifier), il paraît probable que ceux qui n’aiment pas lire n’aiment pas écrire.
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[12]
Cf., par exemple, Gilles Chatenay, « Le monde de la lettre est silencieux », Les Feuillets du courtil, n° 22, mai 2004, p. 57.
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[13]
La lettre fait bord entre les deux, thèse développée par J. Lacan : « L’écrit et la parole », dans Le Séminaire, Livre XVIII, D’un discours qui ne serait pas du semblant, Paris, Le Seuil, 2007, p. 77 sq.
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[14]
Un blog n’est pas un site Internet qui présente un objet. Un blog est du type « bloc-notes, journal intime », dit Wikipédia, qui sert à rendre lisible son objet. Il cherche plus à formuler qu’à montrer.
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[15]
C. Leguil, dans Écrire, c’est vivre. Les entretiens de Brive, op. cit., p. 165 sq.