Empan 2018/1 n° 109

Couverture de EMPA_109

Article de revue

La pluralité des professionnalisations au sein de l’intervention sociale

Pages 27 à 35

Notes

  • [1]
    C. Guitton, « La professionnalisation, nouvelle catégorie de l’intervention publique. L’exemple du programme : nouveaux services, nouveaux emplois », Formation-Emploi, n° 70, 2000, p. 13-30.
  • [2]
    La loi du 12 juin 1945 précise en son article 1er : « Nul ne peut porter le titre d’assistant (ou auxiliaire) social, s’il ne possède le diplôme, délivré conformément aux dispositions des Arrêtés royaux qui en règlent l’octroi » (Moniteur belge, 21 juillet 1945).
  • [3]
    Un code de déontologie apparaît en Belgique dès 1948, mais il faudra attendre 1989 pour que soit créée une commission « Déontologie et contentieux » qui veille au respect et à l’actualisation du code.
English version

1 Les références à la professionnalisation deviennent omniprésentes au sein de l’intervention sociale, faisant du concept plus qu’une marotte : une forme de mobilisation positiviste, désignant tant des revendications que des faits sociaux pourtant fort différents.

2 En effet, à entendre les travailleurs sociaux, l’explosion des nouveaux besoins a un impact extrêmement fort sur les référents professionnels. Les groupes seraient ébranlés et pris au sein de tensions multiples redéfinissant les rapports de force entre eux, amenant à questionner le champ même de l’intervention sociale. Celle-ci reste une notion floue, qui regroupe traditionnellement l’ensemble des professions du domaine social abordant les interventions sur et avec autrui. On pourrait penser que les groupes professionnels qui y œuvrent sont à présents établis, avec une définition forte de leur identité. Or, en nous centrant sur un secteur qui se développe le plus actuellement en termes d’organisation et d’emplois, les services à la personne, nous constatons que les groupes professionnels sont relativement jeunes et qu’ils rentrent régulièrement en dissonance avec les professions canoniques et historiques du travail social.

3 De plus, le champ des services à la personne est investi par des politiques organisationnelles ayant une force transformatrice importante. C’est un secteur qui vit de plein fouet les crises sociales, et tente de répondre à l’urgence sociale. Où les incertitudes sur et dans le travail sont prégnantes, générant des contradictions en termes de conception du travail, de normes identitaires charriées ou développées ainsi que des tensions concernant les définitions de frontières entre les métiers.

4 Enfin, ce champ est également fortement investi par des politiques publiques qui redéfinissent les métiers présents, eu égard aux pénuries de main-d’œuvre qualifiée et transformations démographiques.

5 Effectivement, le développement des groupes professionnels dans le domaine de l’aide à la personne a suivi l’avènement de l’État providence, mais avec les crises actuelles et les recompositions des nouvelles politiques sociales, les professions présentes doivent répondre à des évolutions sociétales profondes. Autrement dit, l’ensemble de ces différentes activités revêtent des formes d’instabilité et de redéfinition larges, qui sont régulièrement abordées à travers la notion de professionnalisation. De fait, dans ce secteur, toute une série de discours laudatifs sur la professionnalisation ont vu le jour et provoquent des changements de conceptions au niveau des identités professionnelles, de l’autonomie au travail, de l’adéquation formation-emploi.

Appréhender la professionnalisation pour le sociologue

6 On le devine, le concept est devenu une catégorie pratique constamment mobilisée, omniprésente dans les discours et contextes organisationnels de travail tout en prenant un caractère fortement itératif. Considérée au départ par les fonctionnalistes comme un mécanisme de stabilité sociale qui organise la division du travail suite au développement de l’industrialisation et du progrès technique, la professionnalisation renvoie au procès de transformation d’un groupe en professions. Cette construction idéal-typique définit un système de valeurs normatives garantes de la cohésion au service de l’intérêt général caractéristique de la différence des professions par rapport aux autres métiers. Elle renvoie à un procès à force de valeur, un attribut spécifique de nos sociétés modernes qui redéfinit une nouvelle division du travail (Parsons, 1939 ; Carr-Saunders et Wilson, 1933…).

7 D’autres ont perçu la professionnalisation plutôt comme une idéologie positive servant à s’assurer des positions enviables (Johnson, 1972). La professionnalisation viserait à promouvoir non pas les intérêts des clients, des récipiendaires, mais les propres intérêts des praticiens, leur assurant un bon salaire, un statut social élevé, ayant ainsi la possibilité de jouir d’une protection monopolistique sur les compétences professionnelles reconnues. La professionnalisation devient alors un procès de fermeture sur les marchés du travail (Larsons, 1977 ; Larkin, 1983). Elle serait une marche en avant, la voie à suivre dans une direction donnée et graduée. Or, suite aux transformations politico-économiques, il n’est plus possible d’éluder le fait que la professionnalisation est, avant tout, un construit social et temporel. Une construction sur la base d’un échange entre l’intérieur et l’extérieur du groupe, qui prend en compte des temporalités multiples, mêlées aux injonctions laudatives à se montrer professionnel (Boussard, Demazière et Milburn, 2010).

8 Dans ce processus dialectique (Demazière, 2009), les travailleurs considérés chercheront à accroître leur contrôle sur les activités de travail ainsi que sur les modes d’évaluation et de gestion de celui-ci tout en étant opposés aux attentes, demandes et exigences extérieures qui affecteraient les normativités produites.

9 La professionnalisation désigne dès lors, pour nous, non pas la reconnaissance d’un groupe dans l’échelle sociale comme le pensait le courant interactionniste, mais un phénomène plus englobant qu’est « la diffusion de normes de professionnalité sous la double impulsion de demandes de reconnaissance de travailleurs et de formulations d’exigences de la part de leurs partenaires » (Demazière, 2009, p. 88).

10 Le caractère professionnel renvoie alors à une prescription traversant les mondes du travail. Une nécessité construite par une reprise du management du caractère idéologique ou positiviste de la professionnalisation dont nous avons parlé plus haut. être professionnel aujourd’hui, c’est bien être un « travailleur qualifié, expert, autonome, animé par des valeurs d’engagement et de responsabilité et impliqué dans une activité expressive et créative » (ibid.). Cette construction fait écho à celle du travailleur, prônée par le néomanagement (Maugeri, 2006) et que Christian Laval appelle Homme économique (Laval, 2007). Plus qu’une diffusion de normes par des discours laudatifs, on sent bien que la mise en avant de la figure du travailleur entrepreneur de soi-même est une tentative de moralisation du capitalisme afin de conserver son hégémonie. Ainsi, le vocable « professionnalisation » est de plus en plus associé et même connoté au nouveau paradigme de l’individu acteur et auteur de sa vie professionnelle (Wittorski, 2014). Cette connotation, cette nouvelle figure participe « d’un double processus : d’une part, la libéralisation mondialisée portée par le management, d’autre part les aspirations à la reconnaissance personnelle et à la réalisation de soi » (Dubar, Tripier, Boussard, 2011, p. 314). Dans ce cadre, « la professionnalisation relève avant tout d’une intention sociale, notamment d’une intention d’adaptation plus rapide des individus aux évolutions du travail et d’augmentation de l’efficacité de l’effet de formation » (Wittorski, 2005, p. 9).

11 La professionnalisation est donc bien un processus dialectique, car initiée de l’intérieur et maîtrisée par les travailleurs concernés, mais également de l’extérieur (Evetts, 2006) car introduite et gérée par des acteurs extérieurs au groupe de travailleurs concernés. C’est en cela que nous parlons de la professionnalisation comme d’un analyseur des rapports sociaux qui cristallise les tensions du fait professionnel contemporain entre sens idéal et réel, résultant de conflits et négociations.

Les services à la personne, un vivier pour l’analyse

12 Comme nous l’avons expliqué plus haut, l’analyse des modalités de professionnalisation au sein des services à la personne offre l’avantage de superposer différentes problématiques créant des processus variés qui ne sont plus l’apanage de la construction de collectif, faisant de la professionnalisation une question également individuelle qui est portée par des acteurs multiples. Prenons rapidement quatre groupes professionnels différents.

Les aides ménagères

13 Les aides ménagères peuvent être considérées comme un groupe en création qui se construit de manière hétérogène autour d’une activité pénible grâce à des politiques étatiques. Or, c’est bien là le nœud du problème : qui peut expliquer en quoi les aides ménagères deviennent professionnelles ? Ce n’est pas le groupe en lui-même qui revendique cette professionnalité. Les organisations de services ne revendiquent pas un caractère professionnel par rapport à ce métier mais à une activité. La rhétorique provient des pouvoirs publics. Nous constatons, en prenant ce groupe, que la rhétorique étatique va se saisir de la notion de professionnalisme « sous le vocable trompeur de professionnalisation » (Dubar, Tripier et Boussard, 2011, p. 292) afin de justifier des objectifs de développement d’activités et d’emploi imposés par la stratégie européenne pour l’emploi depuis les accords de Luxembourg en 1997. Christophe Guitton, dans un article datant de 2000, parlait déjà de la professionnalisation comme d’une nouvelle catégorie de l’intervention publique [1]. En effet, se professionnaliser, faire preuve de professionnalisme, n’est plus seulement développer ses compétences en emploi mais aussi développer son employabilité. Pour se professionnaliser, il faut exercer un emploi. Cela renvoie en réalité aux réparations des ruptures d’emploi, à la création de fonctions et métiers sous le couvert de rassemblement d’activités pour créer un nouveau marché de travail.

Les assistants sociaux

14 L’assistant social est une des plus anciennes figures du travail social en Belgique, reposant encore sur une logique statutaire où l’accessibilité au métier est fermée [2]. Il est inutile de présenter le métier mais utile de rappeler que de nombreuses études montrent une pluralité des pratiques qui reposent sur une déontologie et méthodologie propres et reconnues [3]. On perçoit que le cœur du métier d’assistant social tel qu’il est défini réside dans l’accompagnement. Les assistants sociaux ont su construire une qualification socialement instituée et décontextualisée des organisations où ils exercent. Il faut considérer ici que le processus de professionnalisation est non seulement temporel mais aussi social, c’est-à-dire travaillé par des interactions, des échanges, des conflits, des négociations qui impliquent une multiplicité d’acteurs. Nous retrouvons constamment des tensions sur la définition des contenus de travail, une recherche permanente de conserver l’autonomie de travail. La récente volonté d’abroger le secret professionnel en Belgique de ce groupe est exemplative.

Les aides familiales

15 En Belgique, lorsqu’on parle des aides familiales, on aborde un groupe professionnel né après la Seconde Guerre mondiale afin de venir en aide aux familles et personnes âgées qui en éprouvent le besoin. Ce métier s’exerce dans des centres d’aide à la vie journalière, qui sont principalement des associations sans but lucratif. Ces associations d’aide à domicile évoluent dans un quasi-marché (Gardin et Nyssens, 2010) créé par les autorités étatiques les poussant à se définir comme des organisations fournisseuses de services. Le processus de professionnalisation induit un développement des compétences sans les reconnaître dans le cadre d’une qualification socialement construite. Ainsi, « professionnaliser » dans le secteur de l’aide et des soins à domicile en Belgique revient davantage à « industrialiser » les activités, leur fluidité et la rencontre des agents sur un marché organisé (Artois, 2015). Le service fourni devient un produit échangeable au regard de la théorie économique et les aides familiales interchangeables. Les salariés sont donc en quelque sorte rendus invisibles.

16 Les dispositifs de professionnalisation que mettent en place les services semblent accroître les pénibilités, ce qui peut sembler pourtant être un paradoxe. Le processus contribue finalement à la diffusion d’un modèle salarial dégradé qui se base sur l’expérience et une forme de construction nomologique des compétences. Au cœur de ce processus, on retrouve bien l’individualisation des compétences, mais aussi du travail et de l’emploi. La professionnalisation mobilisée par les services organisateurs renvoie plus à un processus de rationalisation du travail, qui porte sur la déstructuration du collectif à travers des dispositifs individualisants favorisant l’interchangeabilité des exécutants au sein de l’activité de travail. Les dispositifs de professionnalisation des aides familiales intéressent donc la fonction exercée et non l’individu lui-même, afin de créer cette interchangeabilité. Le processus de professionnalisation concerne tant une division technique du travail, en se centrant sur une structuration de l’activité, qu’un morcellement des tâches afin d’accroître la spécialisation des individus. Il s’agit bien de maintenir une autonomie dans le travail et non pas sur le travail. Le professionnalisme développé, c’est-à-dire la forme d’organisation du travail, la manière dont on va apprécier les activités de travail, se base sur une éthique professionnelle défendue par les travailleurs mais instrumentalisée par les organisations afin de promouvoir les changements organisationnels.

Les aides-soignantes

17 De nombreux chercheurs parlent de la professionnalisation des aides-soignantes comme une institutionnalisation de la délégation du sale boulot à l’hôpital (Arborio, 2012).

18 Ce métier s’est en effet construit au sein d’organisations de soins. À bien regarder les études qui traitent de ce groupe, on remarque qu’on peut autant faire une carrière dans le métier, que « tomber » dedans en le considérant comme une forme de relégation ou de stabilisation professionnelle. Toutefois, cette hétérogénéité n’est jamais que relative. Bien qu’informel et invisible, et donc difficilement approchable, tout un processus de socialisation professionnelle prend cours. Il se traduit par des attitudes collectives et des récurrences de comportements sur fond éthique. Autrement dit, nous retrouvons au sein du groupe une forme d’ethos, de rationalité socialement et éthiquement encastrée (Fusulier, 2011). Ce groupe subit encore un déficit de reconnaissance, voire une méconnaissance, malgré une utilité sociale de plus en plus reconnue. D’une part, le métier est aisément confondu avec d’autres métiers de l’aide à la personne vu le contexte complexe et souvent privé d’exécution des tâches réalisées qui n’est pas propice à sa reconnaissance. D’autre part, l’isolement des salariés au sein des organisations constitue un frein à une construction sociale professionnelle. Cela pousse les travailleurs à mobiliser leurs propres normes de travail sous forme de rhétorique traduisant le fait de vouloir garder le contrôle sur leur travail, du moins sur la manière de le définir et de l’exécuter, suite aux tensions introduites par les changements d’organisation du travail et la rationalisation de type industriel. Ils participent au déficit de reconnaissance par la déstructuration des collectifs, et donc à une survalorisation des qualités innées dans le discours sur le professionnalisme convoqué. Mais ces mobilisations ne font que desservir le groupe car tant la qualification que les options identitaires sont redéfinies et recontextualisées par l’organisation.

Une pluralité de professionnalisations

19 Nous le constatons, les modalités de professionnalisation peuvent apparaître bien différentes, pour des groupes qui sont, en apparence pourtant, fort proches. Les revendications de professionnalisation face au contexte de développement des nouveaux besoins sociaux n’apparaissent pas uniquement pour obtenir un statut envié sur l’échelle des qualifications professionnelles. De même, la professionnalisation n’étant plus l’apanage de la construction de collectif, elle devient aussi une question individuelle, portée par des acteurs multiples. La rhétorique professionnelle développée représenterait cette volonté de tendre vers un professionnalisme particulier, schématisation de l’ensemble des normativités idéalisées. Dès lors, le chercheur se doit de faire des coalitions et des jeux d’acteurs un point central de l’analyse. Partant de ces constats, nous proposons une lecture typologique des modalités de professionnalisation sur un double axe macro-analytique/micro-analytique et individu/collectif. Cette option nous permet, à notre sens, de mieux appréhender les intrications entre les injonctions laudatives dont font l’objet les mondes du travail.

20 D’une part, l’intrication des discours, des pratiques ou encore l’usage des dispositifs de professionnalisation nous poussent à hypostasier que les travailleurs et groupes de travailleurs se verraient pris à contrepied dans un flot de demandes à finalités différentes. Les modalités de professionnalisation contemporaines s’exerceraient tant sur un plan individuel que collectif, poussant d’un côté l’individu à s’émanciper de l’organisation, du collectif, par des formes d’injonction à l’autonomie et à la responsabilisation. Mais également à s’intégrer dans ceux-ci afin d’agir positivement en intégrant des formes de protection ou solidarité symboliques (Ehrenberg, 2010), et de partager des mêmes schèmes culturels à l’ère de l’individualisme triomphant (Touraine, 2005, 2013). Faire partie d’un collectif, c’est donc se montrer capable, faire valoir ses capacités à être inséré.

21 D’autre part, les injonctions laudatives de la figure du professionnel s’exercent aussi à différents niveaux : un niveau macro, renvoyant aux initiatives et prescriptions de la force publique ainsi que des groupes professionnels institués, existants ou en devenir, afin de réguler le marché du travail ou de s’y faire une place. Nous identifions un deuxième niveau où s’exercent ces injonctions, le niveau micro, qui objecte une forme de régulation également, mais sur un marché interne du travail. Ce niveau est celui de l’organisation.

22 De la sorte, nous posons comme grille de lecture originale une matrice analysant les modalités de professionnalisation selon un axe collectif/individuel et un autre macro/micro.

23 Nous souhaitons préciser d’emblée que cette typologie n’est qu’une esquisse qui doit être soumise à des enquêtes de terrain plus poussées. Elle ne présente que des idéaux-types construits sur base de la littérature permettant de manière heuristique de catégoriser des résultats de recherches afin de construire des significations. À travers cette construction, nous pouvons comprendre qu’un groupe professionnel peut voyager d’un type à l’autre.

La professionnalisation emploi

24 Vu l’explosion des formations pour demandeurs d’emploi dans ces domaines, il est aisé de relier le groupe des aides ménagères au premier type. Professionnaliser signifie ici créer de l’emploi : « Cette visée normative suppose de rassembler un ensemble de tâches et de leur attribuer un nom de métier, de faire émerger une demande solvable et, au-delà, un marché de services ou de produits, bref d’exploiter des gisements d’emploi pour en faire des positions répertoriées dans la division du travail. Professionnaliser, c’est alors produire des formations et des formés qui alimenteront ces nouvelles positions et en ce sens, c’est créer de l’emploi » (Demazière, Roquet et Wittorski, 2012, p. 7).

La professionnalisation métier

25 Notre deuxième idéal-type présente une forme trop souvent idéalisée et sacralisée de professionnalisation. Celle où un groupe arrive à se créer un statut particulier sur le marché du travail en voulant garder la maîtrise de son champ d’activité. Il s’agit donc d’une catégorisation politique qui s’exerce au croisement des niveaux collectif et macro. Afin de se créer, se développer, puis se stabiliser, chaque groupe a dû passer par des phases de luttes, se dépêtrer au sein de rapports de force avec un ou plusieurs concurrents. Ces luttes en question n’opposent pas forcément le groupe en bloc face à d’autres acteurs, elles ont aussi pour cadre le groupe lui-même. Les tensions internes sont d’ailleurs les plus pertinentes, en cela qu’elles exposent les débats propres à la définition du professionnalisme revendiqué (Strauss, 2001). Ainsi, cette modalité de professionnalisation traduit une autonomie dans et sur le travail pour le groupe, mais continuellement attaquée, comme c’est le cas pour les assistants sociaux.

La professionnalisation fonction

26 L’individu, mobilisé par les discours gestionnaires, devient singulier et responsable de sa propre « professionnalisation » au sein de l’organisation. Ce n’est pas tant l’individu que le management essaie de professionnaliser mais bien la fonction qu’il exerce et qui le définit au sein de l’organisation sur la base d’une gestion des emplois par les compétences. Comme nous l’avons rapidement évoqué avec les aides familiales, les dispositifs servent en réalité à engendrer une rationalisation du travail, ou plutôt des fonctions, à travers une gestion par les compétences tendant vers un « développement professionnel » (Abbott, 1988) de l’individu centré uniquement sur un professionnalisme organisationnel. La notion d’Abbott se voit ainsi renversée par une conception voulant dépasser les apories et labilités de la professionnalisation à une reprise discursive par les experts de la gestion. Nous pouvons considérer que nous sommes encore dans un processus de soumission aux normes édictées par l’organisation et le facteur clef ici est une focalisation sur la division du travail en son sein. Cela afin d’organiser au mieux les compétences selon les prescrits définis. De cette façon, l’organisation à travers la division du travail sert à définir des compétences qui sont attribuées à une fonction définie. L’individu est considéré comme singulier et responsable, permettant à l’organisation de créer une logique d’interchangeabilité dans sa gestion des emplois.

La professionnalisation organisation

27 Ce type s’inscrit au sein de dispositifs de professionnalisation centrés sur un collectif de travail faisant l’économie de l’individu. On pourrait le schématiser comme une volonté de soumettre le groupe, le collectif en question, à des formes de contrôle. Ces processus prennent corps au sein d’archétypes importés des sciences de gestion principalement (Boussard, 2008). Ces modes de régulation trouveraient écho dans les tendances à l’externalisation des définitions du travail et de son contrôle de plus en plus prégnant. Ce modèle met en avant les conceptions de performativité, d’efficacité et de transversalité au nom du client, il passe par une forme de certification extériorisée au collectif en question.

28 De plus, si nous parlons de volonté de soumission du groupe par l’organisation, c’est bien dans l’optique de considérer que la rhétorique professionnelle, véhiculant un système de valeurs normalisées, devient en réalité un mécanisme disciplinaire (Fournier, 1999). L’organisation, en promulguant la figure du « bon professionnel », en vient à dicter les compétences reconnues et à rechercher et proposer, voire imposer, des dispositifs spécifiques permettant de les développer sous le nom d’offre de professionnalisation. Cette offre, selon nous, fait plus effet d’injonction identitaire, dont les aides-soignantes sont exemplatives.

Conclusion

29 Au centre des processus de professionnalisation se trouve l’analyse d’enjeux centraux que sont la division du travail et l’adéquation formation-emploi. Notre construction idéal-typique permet d’approcher la transformation des rapports sociaux produits par les interactions de travail et donc la production de modalités de professionnalisation différentes entre groupes, mais également par un même groupe en des temporalités différentes. Il convient néanmoins de tester de manière plus approfondie cette construction à travers l’analyse de monographies abordant les groupes professionnels d’autres écologies professionnelles.

Bibliographie

Bibliographie

  • Abbott, A. 1988. The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labour, Chicago, Chicago University Press.
  • Arborio, A.-M. 2012. Un personnel invisible : les aides-soignantes à l’hôpital, Paris, Economica.
  • artois, P. 2015. La pluralité des modalités de professionnalisation contemporaines. Le groupe professionnel des aides familiales au cœur des tensions, thèse de doctorat soutenue à l’Université libre de Bruxelles le 24 avril 2015.
  • Boussard, V. 2008. Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris, Belin.
  • Boussard, V. ; Demazière, D. ; Milburn, P. (sous la direction de). 2010. L’injonction au professionnalisme, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
  • Carr-Saunders, A. ; Wilson, P. 1933. The Professions, Oxford, Clarendon Press.
  • Demazière, D. 2009. « Professionnalisations problématiques et problématiques de la professionnalisation », Formation-Emploi, n° 101, p. 83-90.
  • Demazière, D. ; Roquet, P. ; Wittorski, R. 2012. La professionnalisation mise en objet, Paris, L’Harmattan.
  • Dubar, C. ; Tripier, P. ; Boussard, V. 2011. Sociologie des professions, Paris, Armand Colin.
  • Ehrenberg, A. 2010. La société du malaise, Paris, Odile Jacob.
  • Evetts, J. 2006. « Short note: The sociology of professional groups: New directions », Current Sociology, vol. 54, n° 133, p. 133-143.
  • Fournier, V. 1999. « The appeal of professionnalism as a disciplinary mechanism », The Sociological Review, vol. 47, n° 2, p. 280-307.
  • Fusulier, B. 2011. « Le concept d’ethos. De ses usages classiques à un usage renouvelé », Recherches sociologiques et anthropologiques, n° 42, p. 97-109.
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  • Johnson, T. 1972. Profession and Power, Londres, Macmillan.
  • Larkin, G. 1983. Occupational Monopoly and Modern Medecine, Londres, Tavistock.
  • Larsons, M. 1977. The Rise of Professionalism, Berkeley, University of California Press.
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  • Maugeri, S. (sous la direction). 2006. Au nom du client. Management néolibéral et dispositifs de gestion, Paris, L’Harmattan.
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  • Strauss, A. 2001. Professions, Work and Careers, Somerset, Transaction Publishers.
  • Touraine, A. 2005. Un nouveau paradigme pour comprendre le monde d’aujourd’hui, Paris, Fayard.
  • Touraine, A. 2013. La fin des sociétés, Paris, Le Seuil.
  • Wittorski, R. (coord.). 2005. Formation, travail et professionnalisation, Paris, L’Harmattan.
  • Wittorski, R. 2014. « La professionnalisation : transformer un concept social en concept scientifique », Travail, emploi, formation, n° 11, p. 13-29.

Mots-clés éditeurs : emploi, intervention sociale, travail, professionnalisation, profession

Date de mise en ligne : 06/04/2018.

https://doi.org/10.3917/empa.109.0027

Notes

  • [1]
    C. Guitton, « La professionnalisation, nouvelle catégorie de l’intervention publique. L’exemple du programme : nouveaux services, nouveaux emplois », Formation-Emploi, n° 70, 2000, p. 13-30.
  • [2]
    La loi du 12 juin 1945 précise en son article 1er : « Nul ne peut porter le titre d’assistant (ou auxiliaire) social, s’il ne possède le diplôme, délivré conformément aux dispositions des Arrêtés royaux qui en règlent l’octroi » (Moniteur belge, 21 juillet 1945).
  • [3]
    Un code de déontologie apparaît en Belgique dès 1948, mais il faudra attendre 1989 pour que soit créée une commission « Déontologie et contentieux » qui veille au respect et à l’actualisation du code.
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