Notes
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Temps 1 = T1 ; Temps 2 = T2 ; Temps 3 = T3.
1 Si les pratiques éducatives parentales représentent un domaine de recherche privilégié depuis les années 1960, celles relatives à la gémellité demeurent, à ce jour, peu explorées tant au plan national qu’international. Dans une société où les naissances multiples ne cessent de s’accroître, peu de travaux sont initiés par les chercheurs en psychologie au sujet des familles de multiples. À ce titre, deux questions se posent : comment se développent les pratiques éducatives des parents d’enfants jumeaux ? Quelles places, quels investissements, quels rôles occupent chacun des deux parents dès lors que la famille se compose d’une fratrie gémellaire ? Nous tenterons dans cet article de comprendre comment on devient parents d’enfants jumeaux, notamment par l’intermédiaire des pratiques éducatives parentales.
Problématique
2 Les recherches en psychologie qui portent sur les pratiques éducatives parentales spécifiques à la gémellité sont rares dans la littérature et relativement anciennes. Ces études, principalement françaises, ont d’abord été menées dans les années 1960 par Zazzo ; deux types de pratiques y ont été mises au jour : la « gémellisation » et la « dégémellisation ». La première réfère aux mères qui accentuent la gémellité de leurs enfants en nivelant toutes les différences entre les jumeaux (en leur donnant des prénoms proches ou complémentaires, en les habillant de la même manière, en les éduquant comme s’ils constituaient une seule et même personne…). La seconde, au contraire, consiste à différencier au maximum leurs enfants (ils n’auront pas les mêmes jouets ni les mêmes vêtements, n’iront pas dans la même école, n’auront pas les mêmes activités…). Dans les années 1990, elles sont réactualisées par Tourrette, Robin, Josse et leurs collaboratrices : un constat novateur, par rapport aux travaux pionniers de Zazzo (1960), émerge (Robin, 1990 ; Robin, Josse, Casati, Kheroua et Tourrette, 1993 ; Tourrette, Robin et Josse, 1988, Tourrette, Josse et Robin, 1989). Pour certaines mères, l’attrait pour la situation gémellaire se manifeste de manière plus implicite que pour les mères ayant des pratiques gémellisantes, c’est-à-dire qu’une forme d’unification apparaîtra mais de manière détournée. Par conséquent, ces mères n’adoptent ni pleinement des pratiques gémellisantes, ni des pratiques purement différenciatrices, elles auront des pratiques qu’elles qualifient d’« intermédiaires ». En 2014, les pratiques éducatives sont à nouveau questionnées par Lamarque, Troupel-Cremel et Zaouche Gaudron, notamment par la validation d’un outil à destination des mères d’enfants jumeaux âgés de 4 à 7 ans : « Pratiques éducatives et relations gémellaires ». Par ce questionnaire, elles suggèrent une pratique maternelle d’individuation qui réfère à leur degré de différenciation des préférences et des goûts pour chacun de leurs enfants. Par conséquent, une mère qui adopte des pratiques gémellisantes peut s’avérer, au même titre qu’une mère différenciatrice, tout autant individuatrice, c’est-à-dire en capacité de reconnaître et d’apprécier les goûts et les préférences de chacun de ses deux enfants.
3 Au regard de ces recherches, deux constats peuvent être formulés. D’abord, sous l’égide des pratiques éducatives parentales, seules celles des mères sont examinées au détriment de celles des pères. Ils ne sont, en effet, jamais interrogés dans les recherches et sont seulement qualifiés de « double maternel » (Tourrette, Robin et Josse, 1988). Seule l’étude menée par Robin, Josse et Tourrette (1991) permet d’illustrer l’organisation des mères des jumeaux à leur retour de la maternité, ainsi que la participation et l’implication des pères. Pour autant, ces dernières ne sont appréhendées qu’à partir des réponses des mères. Ensuite, les études sur les pratiques éducatives parentales, hormis celle de Lamarque et coll. (2014), interrogent la période de la prime enfance. Au-delà de 3 ans, les recherches sur les pratiques éducatives parentales, en contexte de gémellité, sont inexistantes.
4 L’objectif de cette étude exploratoire est donc d’examiner les pratiques éducatives non seulement des mères mais aussi des pères d’enfants jumeaux et ce, au début de la période de l’enfance (3-4 ans).
Méthodologie
Échantillon
5 Cette étude longitudinale a été menée sur une année auprès de cinq familles qui ont été rencontrées à trois temps d’intervalle (espacés en moyenne de 5,5 mois) [1]. Les familles ont été sélectionnées selon deux critères d’inclusion. Le premier critère réfère à l’âge des enfants, qui sont âgés de 3 ans lors de la première rencontre. Le second critère renvoie aux caractéristiques des enfants, à savoir le type de gémellité et le sexe. Le type de gémellité fait référence aux jumeaux monozygotes (mz) et aux jumeaux dizygotes (dz). Les premiers ont le même patrimoine génétique et sont donc de même sexe. Les seconds peuvent être de même sexe ou de sexe différent. Par conséquent, les cinq familles permettent de représenter les cinq types de configuration : mz filles (mzf), mz garçons (mzg), dz filles (dzf), dz garçons (dzg) et dz mixtes (dzm).
Instrument et procédure
6 Cette étude procède, au plan méthodologique, d’une démarche qualitative par entretiens semi-directifs auprès de cinq mères et cinq pères rencontrés à trois reprises (soit trente entretiens). Pour mener ces entretiens, nous nous sommes appuyées sur la procédure de Tourrette et coll. (1988) qui consiste en la passation d’un entretien avec la mère d’enfants âgés de 0 à 3 ans et d’une observation des enfants et de leur environnement. Pour les besoins de cette recherche, seul l’entretien a été sélectionné et est adressé aux mères et aux pères des enfants individuellement.
7 La grille d’entretien comporte initialement six thèmes : les antécédents familiaux, les préoccupations éducatives, l’habillement, le sommeil, l’alimentation et les jeux. Suite à une adaptation de l’entretien à la population de cette recherche, il se compose de treize questions. Seule la dimension « antécédents familiaux » n’a pas été reprise dans la mesure où une fiche signalétique proposée aux parents questionne déjà les mêmes dimensions (annonce de la gémellité et risques de gémellité ; grossesse et accouchement, hospitalisation éventuelle des jumeaux). Au sujet de l’alimentation, trois questions n’ont pas été posées compte-tenu de l’âge des enfants de notre population (« Comment est-ce qu’ils boivent leurs biberons, seuls ou avec vous ? Comment vous y prenez-vous ? » ; « Comment procédez-vous pour les repas à la cuillère ? »). Les treize questions se répartissent donc en cinq thèmes :
8 – Préoccupations éducatives : cinq questions, dont deux sur les pratiques éducatives perçues par la mère et le père (« Pensez-vous qu’il y ait une façon particulière d’élever des jumeaux ? » « Qu’est-ce qui à votre avis vous a aidé/vous aide dans la façon d’élever des jumeaux ? ») et trois questions sur la séparation des enfants (« Pensez-vous que ce soit utile de les séparer ? » « Vous arrive-t-il de les séparer ? » « Dans quelle circonstance ? »).
9 – Habillement (quatre questions) (« Pensez-vous que le fait de les habiller pareil ou différemment a une importance quelconque ? » « Comment les habillez-vous ? » « Ressemblances et différences dans les vêtements régulières ou occasionnelles ? » « Les vêtements sont-ils attribués à chaque enfant en particulier ou est-ce un pool commun dans lequel on prend au hasard ? »).
10 – Sommeil (une question) (Est-ce que vous les couchez et les levez en même temps ?).
11 – Alimentation (deux questions) (« Est-ce qu’ils aiment les mêmes choses ? » « Est-ce que vous leur donnez les mêmes aliments à tous les deux ? »).
12 – Jeux (une question) (« Quand vous achetez des jouets, comment les choisissez-vous ? »).
Méthode d’analyse
13 Les trente entretiens ont été enregistrés et intégralement retranscrits (corpus d’environ 300 pages). Si dans la procédure de Tourrette et coll. (1988) les réponses aux questions sont codées positivement ou négativement selon le type de pratiques, une analyse thématique des entretiens a ici été privilégiée. Une analyse thématique « consiste à lire un corpus, fragment par fragment, pour en définir le contenu en le codant selon des catégories qui peuvent être construites et améliorées au cours de la lecture » (Fallery et Rodhain, 2007, p. 20). Pour réaliser cette analyse thématique, le logiciel Nvivo est utilisé (version 10) et plus spécifiquement la fonction d’encodage matriciel qui permet de mettre en perspective le discours des mères et des pères selon une thématique. Cette dernière est également désignée comme un « nœud », c’est-à-dire un ensemble de références sur un thème (par exemple, les préoccupations éducatives). Le logiciel Nvivo permet de comptabiliser le nombre de citations dans chacun des nœuds et de déterminer les sujets qui en parlent.
Présentation des résultats
14 Les résultats sont présentés non pas selon les cinq thèmes de la grille d’entretien, mais selon les thématiques les plus saillantes qui ont émergé du discours des parents suite à leur analyse avec le logiciel Nvivo. Trois d’entre elles seront donc présentées : les pratiques éducatives parentales, le traitement différentiel parental et l’émergence de pratiques éducatives parentales particulières.
Les pratiques éducatives parentales
15 Pour les pères, les pratiques différenciatrices sont autant mentionnées que les pratiques gémellisantes (105 fois chacune). Les mères évoquent, quant à elles, dans leurs discours davantage les pratiques gémellisantes que différenciatrices (169 fois vs 109 fois). Comparativement, les pratiques de type intermédiaire sont peu abordées autant pour les mères que pour les pères (47 fois vs 38 fois). Qu’il s’agisse des réponses des mères ou des pères, l’habillement des enfants et les jouets sont les deux sous-thématiques les plus présentes dans le discours des parents concernant les pratiques différenciatrices (« ils ne sont pas habillés pareil… ils ne sont pas du tout habillés pareil », père des dzg) et intermédiaires (« ils ont les chaussons similaires, ils n’ont pas le même dessin mais ils sont un peu similaires mais globalement si on ne regarde pas dans le détail, on a l’impression qu’ils sont habillés différemment », père des dzg). De plus, au sujet des pratiques différenciatrices, la conception du couple comme étant deux entités bien distinctes est récurrente dans leurs discours respectifs (« elles sont jumelles mais elles sont sœurs du même jour plutôt », père des mzf).
16 Concernant les pratiques gémellisantes, deux sous-thèmes ressortent majoritairement dans le discours des deux parents, à savoir « la prise en compte du désir des enfants » (42 fois) (« dans les vêtements, dans les jouets, elles veulent tout pareil », père des dzf) et « en raison pratique » (51 fois) (« nous par rapport à ça, on essaie de toujours acheter en double […] pour éviter les conflits justement », père des dzf). À elles seules, ces deux thématiques représentent près de 40 % du discours des mères concernant les pratiques gémellisantes et 27 % de celui des pères. Elles sont pourtant inexistantes des définitions des pratiques gémellisantes telles qu’elles sont décrites dans la littérature. Par ailleurs, la dimension « heure du coucher » est également fortement caractéristique du discours des deux parents lorsqu’ils évoquent les pratiques gémellisantes. Le fait de coucher les deux enfants en même temps ne relève pourtant pas d’un désir d’unifier les enfants, mais plutôt de rechercher, d’une part, l’équité entre eux (c’est-à-dire faire la même chose pour les deux enfants pour ne pas en léser ou en privilégier un au détriment de l’autre) et la tranquillité et le repos pour les parents d’autre part.
17 Concernant l’évolution de l’évocation des pratiques éducatives parentales, il est à noter que si les pratiques gémellisantes et différenciatrices tendent toutes deux à diminuer dans le discours des mères et des pères, les pratiques intermédiaires, bien que peu abordées, sont de plus en plus présentes. Au sujet du type de gémellité et du sexe, un constat intéressant ressort. Qu’il s’agisse des pratiques gémellisantes, différenciatrices ou intermédiaires, ce sont surtout les parents des mz qui en parlent le plus, au même titre que les parents des garçons. Pour les parents des dz mixtes, les questions relatives aux pratiques éducatives parentales ne sont que très peu rapportées et ils notent autant de pratiques gémellisantes (32 fois) que différenciatrices (30 fois). En revanche, ils n’évoquent qu’à quatre reprises les pratiques intermédiaires.
Le traitement différentiel parental
18 Les parents et plus précisément les mères ont conscience de dispenser un traitement différent entre leurs deux enfants (« c’est vrai que M. est beaucoup moins puni que J. », mère des dzg). Pour autant, cette conscience de Traitement différentiel parental (tdp) est relative aux caractéristiques propres des enfants et aux différences de tempérament perçues par les parents (« tu ne vas pas les punir de la même manière parce qu’ils n’ont pas le même caractère », mère des dzm). Les parents, en tentant de s’adapter à ces différences de tempérament parfois « troublantes » (amenant à ce titre de nombreuses interrogations), proposent un tdp qu’ils estiment approprié à chacun des enfants (« tu es obligée de composer avec leurs différences à eux... si je fais ce que je fais avec C. à S., mais S. je la froisse, je la heurte », mère des dzm), parfois s’accompagnant d’une certaine culpabilité (« mais c’est vrai que des fois je me sens plus proche de J. et ça me culpabilise vachement », mère des mzg).
19 Cette conscience de tdp propre aux caractéristiques des enfants se trouve davantage évoquée dans les témoignages des parents des enfants dz, qu’ils soient de même sexe ou de sexe différent, bien qu’également présente dans ceux des parents de mz (76 fois vs 27 fois). Par ailleurs, elle est aussi plus abordée par les parents des garçons que des filles (51 fois vs 7 fois). L’évocation de cette conscience de tdp ne semble pas évoluer entre le T1 (30 fois) et le T3 (25 fois), bien qu’au T2 (50 fois) elle soit plus présente dans le discours des parents.
20 Dans les réponses des parents concernant la présence de tdp, une autre thématique émerge concernant les « rôles parentaux » axés soit sur la différence des rôles entre les parents auprès de leurs enfants (« c’est maman qui encadre et si quelqu’un sort du cadre, c’est papa qui remet dans le cadre », père des dzf), soit sur leur complémentarité (« dans le couple, on se complète je veux dire », père des mzg). La différenciation des rôles est davantage rapportée par les pères que par les mères (31 fois vs 17 fois). En ce qui concerne la complémentarité, elle n’est abordée qu’à six reprises et ce, uniquement par les pères des enfants garçons (mz et dz).
Pratiques éducatives parentales particulières
21 Certaines particularités ressortent du discours des parents quant au fait d’élever des enfants jumeaux. Ces particularités sont souvent associées à des difficultés, comme l’atteste la recherche textuelle réalisée à partir de Nvivo. Les mots « compliqué », « inquiétude », « dur », « enfer », « difficultés, « difficile » apparaissent au total dans l’ensemble des discours des parents 311 fois.
22 Pour la thématique des pratiques éducatives parentales particulières, le principal élément souligné par les parents est « l’accommodation en permanence à deux enfants du même âge » (75 fois pour les pères vs 164 fois pour les mères). Pour les pères, l’accommodation à deux enfants du même âge passe majoritairement par le fait de « rechercher l’équité » entre les deux enfants (« achats, câlins, par exemple, le câlin, si j’en fais un à l’une, l’autre l’aura aussi », mère des dzf) et les limites et contraintes qui en découlent (changer d’enfants sur la balançoire toutes les dix poussées comme le suggère le père des mzg). Pour les mères, au même titre que pour les pères, la recherche d’équité est récurrente dans leurs discours, mais également l’« adaptation à deux enfants » (« l’éducation des jumeaux, c’est donc s’adapter en fonction de chacun », mère des dzm) et le « fonctionnement par deux ». Elles soulignent que « tout est par deux », tant d’un point de vue de l’organisation, des punitions, des bêtises, des maladies… Enfin, un autre aspect s’avère récurrent dans le récit des mères au sujet du fait d’éduquer des enfants jumeaux, à savoir la « négociation permanente », où elles ont l’impression d’avoir à se justifier constamment et d’être dans la « balance de la justice » au quotidien.
23 D’autres éléments inhérents aux particularités des pratiques en lien avec l’éducation de deux enfants du même âge ressortent du discours des parents, comme différentes formes de culpabilité. Si pour les pères des dzm et des mzf la culpabilité prend la forme du peu de temps passé ensemble (« on essaie de leur donner du temps à chacune mais c’est aussi souvent du temps globalisé », père des mzf), pour les mères la culpabilité est relative à la séparation de leurs enfants, au fait de préférer un enfant à l’autre ou encore de s’interdire des tête-à-tête individuels avec un seul des deux enfants. L’ensemble de ces éléments amènent, chez certaines d’entre elles, une remise en cause de leurs compétences en tant que « maman », parfois de manière virulente (« c’est comme ça que ça se passe et personne n’a trouvé la solution miracle, tout le monde vit son enfer », mère des dzm).
24 Ensuite, une fatigue intense, non seulement nerveuse mais également physique, est soulevée dans des proportions équivalentes par les deux parents (« parce que là on est à bout, on est fatigués », père des dzm) au même titre qu’un travail d’organisation fastidieux et une gestion du temps propre à la gémellité. Aussi, mis à part pour les pères des dzm, des dzf et la mère des mzf, l’ensemble des autres parents indiquent que l’éducation des enfants jumeaux s’avère être une expérience très particulière voire complexe (« l’éducation oui, c’est hyper compliqué avec les jumeaux », mère des dzf). Enfin, un dernier aspect, et non des moindres, apparaît pertinent à souligner concernant les particularités des pratiques éducatives. Pour l’ensemble des parents et ce, d’autant plus pour les parents d’enfants de même sexe (mz et dz), une évocation spontanée d’une césure entre la petite enfance et l’enfance émerge. Certains d’entre eux, en abordant la petite enfance, emploient des termes tels que « crash aérien », « tsunami », « survie », « enfer ». En guise d’illustration, voici l’extrait d’un témoignage de la mère des dzm : « Bon déjà les premiers mois ça a été l’enfer, ça a été l’enfer, il n’y avait pas de principes éducatifs, c’était juste de la survie… mais voilà tu es en survie, c’était une espèce d’usine où l’affectif n’avait pas de place... On était en usine, on avait des enfants qui ne dormaient ni le jour ni la nuit et quand ils dormaient, c’était par tranche de demi-heure et jamais ensemble jusqu’à 7 mois... Donc là c’était à bout de nerfs, c’était la fatigue, c’était une logistique voilà… On était dans une usine en logistique. » Pour autant, ces mêmes parents soulignent qu’à partir d’un certain moment, lorsque les enfants grandissent, « mûrissent », gagnent en autonomie, commencent à sourire, à entrer en interaction, à parler, un changement s’opère dans la mesure où la relation aux enfants ne passe plus uniquement par des relations que l’on peut qualifier de « soins ». Les parents prennent alors conscience que leurs enfants ne sont pas une unité mais bien deux enfants différents, distincts l’un de l’autre (« c’est là qu’on se dit, bon ok, il y a bien deux enfants », mère des dzg).
Conclusion
25 Les apports de cette étude exploratoire sont nombreux, notamment en raison de l’approche multi-source que nous avons menée en interrogeant les mères et les pères. Aussi, cette recherche permet de réactualiser les connaissances sur les pratiques éducatives parentales et plus spécifiquement au niveau des pratiques gémellisantes et de leur genèse. Elles sont, en effet, mises en œuvre soit pour des raisons pragmatiques, soit en raison du désir des enfants. Ces deux éléments, récurrents dans le discours des parents, n’apparaissent pas dans les définitions des pratiques gémellisantes qui visaient plus spécifiquement les mères et la période 0 à 3 ans (Tourrette, Josse et Robin, 1989). L’hypothèse selon laquelle, à partir de 3 ans, les parents ne seraient plus les seuls à choisir le type de pratiques à adopter à l’égard de leurs enfants jumeaux peut alors être posée. En effet, les pratiques parentales seraient également, dès 3 ans, influencées par les enfants eux-mêmes, qui joueraient un rôle actif dans la mise en œuvre des pratiques de leurs parents. Compte-tenu de l’apparition de ces deux éléments novateurs, la définition des pratiques éducatives parentales devrait être reconsidérée et surtout adaptée à la période de l’enfance.
26 Un autre constat ressort de cette recherche où une césure semble se dessiner entre la petite enfance et l’enfance. Parce que les parents prennent conscience que leurs enfants ne sont pas une unité, ils vont mettre en œuvre de nouvelles formes de pratiques éducatives parentales afin de placer ces deux enfants, qu’ils perçoivent plus nettement, sur un même pied d’égalité et ce, quelle que soit la situation. Il s’agira alors d’un principe d’équité qui peut être, d’ores et déjà, envisagé comme une nouvelle pratique originale pour appréhender les pratiques éducatives des parents de jumeaux.
Bibliographie
Bibliographie
- Fallery, B. ; Rodhain, F. 2007. « Quatre approches pour l’analyse de données textuelles : lexicale, linguistique, cognitive, thématique », communication présentée à la XVIe Conférence de l’Association internationale de management stratégique, Montréal, Canada.
- Lamarque, M. ; Troupel-Cremel, O. ; Zaouche-Gaudron, C. 2014. « Évaluation des pratiques éducatives et des relations gémellaires : adaptation d’un outil pour les mères de jumeaux de 4-7 ans », dans V. Rouyer, M. de Léonardis, C. Safont-Mottay, M. Huet-Gueye (sous la direction de), Actes du 6e Colloque du ripsydeve. Actualités de la psychologie du développement et de l’éducation, université Toulouse 2-Le Mirail.
- Robin, M. 1990. « Facteurs en jeu dans la construction de la personnalité chez les jumeaux », L’Année psychologique, vol. 90, n° 4, p. 529-549.
- Robin, M. ; Josse, D. ; Casati, I. ; Kheroua, H. ; Tourette, C. 1993. « La gémellisation et l’environnement physique des jumeaux : attitudes et pratiques maternelles », Enfance, vol. 46, n° 4, p. 393-406.
- Robin, M. ; Josse, D. ; Tourrette, C. 1991. « Naissance gémellaire : aspects matériels et psychosociaux. Interactions précoces mère-jumeaux », dans E. Papiernik-Berkhauer et J.-C. Pons (sous la direction de), Les grossesses multiples, Paris, Doin, p. 237-245.
- Tourrette, C. ; Robin, M. ; Josse, D. 1988. « Les pratiques éducatives des mères de jumeaux : une investigation par l’analyse factorielle des correspondances », L’Année psychologique, vol. 88, n° 4, p. 545-561.
- Tourrette, C. ; Robin, M. ; Josse, D. 1989. « Treating twins as individuals: Maternal educative practices », European Journal of Psychology and Education, vol. 4, n° 2, p. 269-283.
- Zazzo, R. 1960. Les jumeaux, le couple et la personne, Paris, Puf.
Notes
-
[1]
Temps 1 = T1 ; Temps 2 = T2 ; Temps 3 = T3.