Empan 2016/3 n° 103

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Article de revue

Éditorial

Le sens et la direction

Pages 7 à 8

Notes

  • [*]
    Philippe Gaberan, membre du Comité de rédaction.
  • [1]
    J. Plantet, éditorial, Lien social, n° 1158, du 5 au 18 mars 2015.
  • [2]
    Association Rhône-Alpes pour la formation des directeurs d’établissement du secteur social, www.arafdes.fr
  • [3]
    B. Lemaignan, « Transformation des institutions : réinventer la place du directeur et des figures d’autorité », Les cahiers de l’anras, n° 3, janvier 2016.
English version

1De par leur polysémie, les deux mots devraient pouvoir aisément converger, voire apparaître comme étant synonymes… Or, sous les coups de butoir d’une société en perte de repères, les deux termes semblent de plus en plus à la dérive l’un de l’autre ! Toute direction, et pas seulement dans sa signification d’orientation mais aussi de management, devrait avoir du sens ou du moins devrait le porter ; de même que tout sens, pas seulement dans sa signification d’orientation mais de valeur aussi, devrait impulser une direction ou du moins l’indiquer. Las, il semblerait que le sens et la direction n’aillent plus si facilement de pair… dans l’ensemble de la société, d’une part, où les institutions paraissent bien malades, tout comme dans le secteur sanitaire, social et médico-social, d’autre part, au sein duquel les établissements paraissent en proie au doute et au malaise. Joël Plantet, rédacteur en chef adjoint du journal Lien social, le transcrit à sa façon dans son éditorial d’un numéro de mars 2015 : « L’approche humaniste fondatrice cède le pas devant les coups de boutoir d’un management brutal, aux contre-pouvoirs amenuisés, revêtant parfois les oripeaux sémantiques d’une parole creuse et trompeuse […] Seulement gestionnaires, de nouvelles directions se sont installées, sans connaissance du terrain, en rupture définitive avec ce que fait la création, l’innovation permanente du travail social [1]. » Ainsi le propos, un peu rude, prendrait acte du divorce entre le sens et la direction, entre les managers et leurs équipes. Le ton est donné. À un tel point que l’article ne passe pas inaperçu. Bernard Lemaignan, directeur de l’arafdes[2] (Lyon), en reprend les termes dans le propos introductif d’une intervention prononcée en octobre 2015 dans le cadre des journées de réflexion de l’Association des directeurs, cadres de direction et certifiés de l’ehesp[3]. Refusant de traiter par le mépris l’éditorial de Lien social et de son rédacteur en chef, il développe une analyse en trois points qui fait de la tension entre le sens et la direction un symptôme à traiter et non une cause à subir. Passons assez vite, comme il le fait d’ailleurs lui-même, sur cette « sorte de méfiance ou d’hostilité de principes à l’égard de ceux qui exercent les fonctions de direction ». Ce réflexe atavique, qui serait d’ailleurs particulièrement cultivé par le peuple de France, est exacerbé dans les périodes de changement et de profonde mutation. Tous les établissements des secteurs sanitaire, social et médico-social doivent revoir leur mode d’organisation et il appartient aux directions d’indiquer le sens du changement dans un contexte où il devient très difficile d’apercevoir des repères suffisamment stables pour donner un cap. Face à cette réalité, il s’avère extrêmement compliqué d’inviter les équipes à anticiper les échéances et à penser un advenir dont les contours paraissent plus qu’incertains. De sorte qu’au sein des établissements surgissent des expressions aussi contradictoires qu’un désir de chef et un besoin de concertation. Symptôme somme toute assez banal par temps de crise… mais symptôme immanquablement à risque en période de basculement possible.

2Plus intéressant sans doute est le second élément d’analyse développé par Bernard Lemaignan ; il voit dans cette rupture, entre le sens et la direction, le symptôme de ce qu’il nomme « une forme d’horizontalisation des relations sociales et d’arasement de la différence des places ». En clair, ce que d’aucuns désignent comme étant une crise d’autorité serait en réalité la conséquence d’une heureuse banalisation des droits reconnus et accordés à tout individu ; celle-ci pouvant le mener, si mal appropriée, à une malheureuse forme de revendication à n’être ni dirigé ni commandé. De cette interprétation erronée de la notion d’égalité des droits, associée à une activation fallacieuse d’une égalité des statuts et des places, naîtraient des comportements aberrants, voire pathologiques, consistant à dénier toute légitimité et donc toute autorité à un supérieur hiérarchique. De sorte que la crise sociétale actuelle est d’abord, et avant tout, une crise de la liberté et de la créativité propre à chaque être nécessairement inscrit dans un collectif. Aussi, loin de tout catastrophisme, l’intérêt d’une telle analyse réside dans sa capacité à favoriser l’émergence, ou sans doute la réémergence, de dispositifs organisationnels porteurs d’avenir. Devraient être banalisés dans les établissements des espaces-temps de réflexion formalisés qui ne soient plus ces lieux de discours en l’air, ayant longuement irrigué les secteurs de l’action sociale et médico-sociale, mais qui soient des lieux de négociation et d’élaboration de projet. Devrait émerger alors une culture de l’organisation des réunions, cadrées par des ordres du jour, orientées par des objectifs au final actés et évalués dans leur mise en œuvre. Ce sont de nouvelles compétences professionnelles qui ainsi se dégageraient, de sorte à renforcer la responsabilité des acteurs, de tous les acteurs et pas seulement des managers. Ces nouvelles compétences façonneraient une nouvelle identité professionnelle, laquelle a été judicieusement anticipée par la réforme des diplômes de niveau 3 de l’éducation spéciale et du travail social. Tout en ayant soin de conserver le cœur de métier (la relation d’aide éducative et de soin), celle-ci est venue renforcer le dispositif de formation dans les domaines de la compréhension des organisations et du jeu des acteurs au sein de celles-ci. Le devenir des établissements ne pouvant pas et ne devant pas reposer que sur une seule catégorie d’acteurs, en dépit de ses défauts la réforme des diplômes de niveau 3 laisse espérer l’arrivée de futurs professionnels ayant conscience de ces mécanismes, à défaut de savoir ou de pouvoir totalement les intégrer à leur posture. Au moins seront-ils outillés a minima pour faire bouger les lignes… de la rupture entre le sens et la direction.

Notes

  • [*]
    Philippe Gaberan, membre du Comité de rédaction.
  • [1]
    J. Plantet, éditorial, Lien social, n° 1158, du 5 au 18 mars 2015.
  • [2]
    Association Rhône-Alpes pour la formation des directeurs d’établissement du secteur social, www.arafdes.fr
  • [3]
    B. Lemaignan, « Transformation des institutions : réinventer la place du directeur et des figures d’autorité », Les cahiers de l’anras, n° 3, janvier 2016.
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