Empan 2016/2 n° 102

Couverture de EMPA_102

Article de revue

Parentalité(s) à l’aube de la vie

Pages 43 à 49

Notes

  • [*]
    Daniel Metge, psychologue-psychanalyste, spp. daniel.metge@free.fr
  • [1]
    J. Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, Puf, 1987.
  • [2]
    D. Houzel, Les enjeux de la parentalité, Toulouse, érès, 1999.
  • [3]
    S. Missonnier, « Une relation d’objet virtuelle ? », Le carnet psychologique, n° 120, 7/2007, p. 43-47.
English version

1L’univers de la maternité est un concentré d’humanité où se côtoient les multiples dimensions de l’expérience humaine mais aussi toute la palette des expressions psychiques et psychopathologiques que nous pouvons y rencontrer, des plus légères aux plus graves. Et toute naissance se passe nécessairement dans un contexte culturel, social et familial particulier dont nous avons à tenir compte. La parentalité va devoir se frayer un chemin au sein de cette complexité. Elle n’est pas donnée d’emblée. Elle est un processus, une construction et une solution à chercher mais jamais définitivement trouvée.

2Face aux multiples manières d’être et de devenir parents dans notre époque contemporaine, il n’est pas toujours aisé de trouver une définition minimale (mais y en a-t-il une ?) de ce qu’est la parentalité. Je pense ici aux différentes configurations familiales que nous sommes amenés à croiser dans notre clinique : entre monoparentalité, coparentalité, recompositions familiales diverses, homoparentalité… les techniques de plus en plus courantes de procréation médicalement assistée permettent à beaucoup d’accéder au statut de parent alors qu’en d’autres temps et d’autres lieux ils en auraient été écartés. Cela nous amène nécessairement à nous interroger sur ce concept même de parentalité à travers la prise en compte de toutes ces évolutions relativement récentes. Et la ligne de partage, hors toute représentation idéologique, n’est pas tant sur la forme familiale dans laquelle va s’incarner la parentalité que dans la capacité que peut avoir un adulte à s’inscrire dans un rôle et une fonction parentale.

3Peut-être le curseur est-il à placer sur la nature de l’investissement psychique dont la parentalité est l’objet. Je pense ici à deux situations cliniques qu’il m’a été donné de rencontrer et qui, bien que présentant des analogies évidentes, ont connu des destins différents : deux futures mères autour de la quarantaine, ayant eu recours à la pma avec don d’ovocyte, et avec un projet monoparental revendiqué. L’analogie va s’arrêter là.

4Pour l’une, c’est un deuxième enfant, le premier ayant été conçu avec un père qui à l’évidence n’était pas dans une projection paternelle et duquel elle s’est séparée rapidement sur un mode très conflictuel. Au cours de cette deuxième grossesse, elle évoque clairement le fait de donner un petit frère à son aîné, « faire famille », et derrière ce propos, c’est sa propre histoire qu’elle questionne. Elle-même enfant déracinée, sans attaches, sa vie est une succession de placements en familles d’accueil et en foyers. Elle a peu de modèles parentaux auxquels elle puisse s’identifier et son ambition est d’être une « mère parfaite », ce qui l’entraîne dans des dérives violentes où le Faire supplante l’Être : impossible que son enfant résiste au fait qu’elle soit cette bonne mère idéalisée.

5Pour l’autre, il s’agit d’une mère que je rencontre en consultation externe en post-partum. À proprement parler, elle n’exprime pas de difficultés particulières avec son enfant mais plus un questionnement qui la tourmente autour des conditions mêmes de sa conception. Que va-t-elle pouvoir dire à son enfant sur sa naissance, sur la question du père ? Et à travers cette question, elle se place déjà dans une logique intersubjective du manque alors que dans la situation précédente il ne pouvait y avoir l’idée d’un manque.

6À travers ces deux brefs récits cliniques, nous voyons bien que ce qui est en cause pour le premier c’est l’investissement narcissique à haute valeur réparatrice qui domine et laisse peu de place à l’altérité, à l’objet, au manque. Hémorragie narcissique qui rend les limites incertaines, sans trop de repérage sur la différence des sexes et des générations. Pour la deuxième situation, l’investissement objectal est plus repérable et vient interroger la question de l’appartenance, de la filiation, de la distance, avec une préoccupation qui va vers l’ouverture et l’intégration psychique des mouvements pulsionnels qui peuvent se conflictualiser chez le parent et chez l’enfant.

7D’une manière générale, nous sommes de plus en plus sollicités dans la prise en charge des troubles de la parentalité qui s’originent dans des configurations psychopathologiques de type états limites, pathologies narcissiques voire psychotiques. Autant dire que dans ces situations, l’alliance thérapeutique est difficile à construire, mais pas forcément impossible si l’on accepte certains modes de fonctionnement atypiques, à condition qu’ils ne remettent pas en cause la sécurité et le développement de l’enfant. Nous avons à tenir compte des potentialités de l’environnement, des personnes ressources qui peuvent entourer le futur parent, de la capacité à mobiliser un réseau contenant qui ne soit pas trop persécuteur, de la possibilité pour un parent en difficulté d’investir un espace de soins avec une certaine plasticité sans que cela soit trop décourageant pour le soignant et ne l’incite à lâcher prise ou à envisager des solutions plus radicales…

8Nous sommes aussi confrontés à des situations où, avant même sa naissance, le projet sera de placer l’enfant en famille d’accueil dès la maternité. Comment alors rester à portée du parent pour préserver malgré tout une capacité parentale, même partielle, dont il puisse se saisir ultérieurement ? Je pense ici à une mère schizophrène dans une grande précarité psychique et sociale, hors de la réalité et pour laquelle tout le travail d’accompagnement en anténatal a été de l’amener à accepter le placement de son enfant, mais aussi la possibilité pour elle-même de rentrer dans un soin psychiatrique.

9Il n’y a pas de réponse univoque au devenir parent et l’ambition pourrait être de devenir des parents suffisamment moyens : ni trop carencés, ni trop soumis à un idéal tyrannique, suffisamment dégagés des identifications aliénantes à leurs propres parents, et des enjeux psychiques parfois mortifères du transgénérationnel. La parentalité, si elle est processus, construction, est aussi une affaire de transmission où se rejoue à chaque génération ce que Jean Laplanche a appelé « la situation anthropologique fondamentale [1] ». Elle est fondamentale en ce sens qu’elle est originaire et désigne cette confrontation profondément dissymétrique entre un adulte et un bébé ; entre un adulte déjà psychiquement construit, bien ou mal, avec son inconscient, ses défenses, ses conflits, et un bébé qui dépend entièrement, absolument de lui, pour sa survie biologique et pour son développement et sa croissance psychique. Bien avant d’être ou de se sentir père, mère, parent, ce sont les conditions de cette rencontre avec l’étranger qu’est ce nouveau-né qui vont être déterminantes. Il est d’usage de dire que tout enfant est adopté par ses parents et peut-être il ne s’agit là que de réduire l’étrangeté de la rencontre avec ce nouveau-né, de rendre familier cet être si différent, si étranger, de l’accepter dans sa lignée, dans sa famille, et dans sa communauté humaine. Si généralement cela va de soi, pour bon nombre de situations, cette première rencontre avec le bébé reste problématique, soumise à des aléas divers, sur un mode mineur ou majeur, mais qui chaque fois vient à réinterroger voire percuter l’organisation narcissique du parent et ses assises identitaires. On ne peut aborder la clinique périnatale sans avoir en tête cette dimension-là où se trouve à mon sens le noyau même de la parentalité.

10D’ailleurs, ce terme de « parentalité » ne s’est-il pas imposé sur un mode négatif pour souligner le fait que certains parents ne remplissaient pas au mieux leurs fonctions parentales ? On parlera alors de soutien à la parentalité, de parentalité défaillante ou d’incapacité à assumer une fonction parentale. C’est ainsi que toute une politique de soins s’est mise en place autour des familles dites à difficultés multiples en particulier. Le soin est alors à considérer dans sa double acception : prendre soin et donner des soins. Il est des situations où la priorité sera surtout d’être présent dans ce processus et le curseur sera mis plutôt sur le « prendre soin ». Je pense en particulier à certains parents ou futurs parents, loin de leur environnement habituel, sans ressources familiales à portée, et qui se trouvent démunis et débordés à l’approche d’une naissance alors qu’ils se montrent tout à fait performants dans les autres secteurs de leur vie. Dans ce cas, il s’agira plus de les aider à apprivoiser leur parentalité, à faire vivre en eux ce projet, souvent idéalisé et aux prises avec une réalité qui prend parfois une tonalité traumatique. Dans d’autres cas, c’est le soin dans sa dimension thérapeutique qui s’imposera : en particulier lorsque nous sommes face à des situations de détresse psychosociale, de troubles psychopathologiques plus ou moins graves, d’événements et de vécus traumatiques actuels ou anciens. Quoi qu’il en soit, entre prévention et soins, notre préoccupation est de favoriser l’émergence d’une capacité parentale chez des adultes qui ont conçu un projet d’enfant, aussi flou et incertain soit-il, c’est-à-dire soigner, éduquer un enfant pour le conduire vers l’autonomie, sans trop de discontinuité. Métier impossible si l’on paraphrase Freud mais à bien y regarder, ce dont il est question c’est de l’instauration de ces premiers liens entre un adulte, un père, une mère et un enfant. Ces liens premiers si fondamentaux pour faire entrer l’enfant dans le monde des humains mais dont on sait qu’ils ne peuvent rester en l’état sous peine d’aliénation et que leur destin c’est de se défaire, de se transformer pour que ce futur adulte puisse à son tour contracter de nouvelles alliances en dehors de sa famille et au mieux sous son regard bienveillant.

11Didier Houzel [2], dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire, avait distingué trois axes de la parentalité :

  • un premier axe qu’il a nommé « exercice de la parentalité » et qui concerne surtout les aspects anthropologiques et juridiques ;
  • un deuxième axe, « l’expérience de la parentalité », qui l’amène à s’interroger sur les aspects subjectifs, conscients et inconscients, impliqués dans ce qu’il appelle le « processus de parentification » ;
  • enfin, un troisième axe qu’il appelle « la pratique de la parentalité » et qui concerne essentiellement les soins prodigués au bébé, à l’enfant. Les soins maternels, les soins parentaux au sens large.

12Dans le cadre de mon propos, je laisserai de côté le premier axe, l’exercice de la parentalité, pour insister surtout sur les deux autres : l’expérience et la pratique de la parentalité, qui eux sont au cœur de notre clinique périnatale.

13À l’écoute des futurs parents, nous nous apercevons que la parentalité est un processus qui s’inaugure bien avant la conception et quelquefois longtemps avant. Il interroge le désir d’enfant qui est un succédané de l’aventure œdipienne avec tous ses avatars. Que dire de ce désir d’enfant ? Pas grand-chose à mon sens sinon qu’il est enchâssé dans le psychisme de chacun et qu’il peut prendre des valeurs différentes qui suivent les lignes de construction de la personnalité propres à chacun et à chaque histoire personnelle. Tôt ou tard, de manière inconsciente ou non, pratiquement chaque être humain va avoir à se positionner par rapport à un projet parental : de manière ambivalente, ou sur le mode du déni, que ce soit aussi sur le registre de l’affirmation ou de la revendication parfois portée très haut, ou bien sur le mode du renoncement et ses dérivés sublimatoires, chacun est concerné.

14Il ne suffit pas d’être désigné parent pour se sentir parent et à ce titre l’annonce d’une grossesse est une épreuve de réalité qui vient faire bouger les lignes : ce qui apparaissait dans le fantasme comme un désir irrévocable peut devenir tout à coup accablement avec son lot d’angoisses, d’incertitudes et de doutes, mais aussi, dans la palette des réactions possibles, cela peut aller du rejet tout à fait conscient, passer par un sentiment de culpabilité ou celui d’une responsabilité écrasante, avec toujours ce sentiment d’irréversibilité, d’impossible retour en arrière, qui prend parfois, dans les situations les plus difficiles, un caractère de contrainte psychique difficilement conflictualisable.

15Petit flash clinique : je reçois une patiente adressée par son obstétricien et qui est à cinq mois de grossesse. Elle présente un état anxieux avec des troubles du sommeil et ne se sent pas épanouie dans cette grossesse si désirée. Elle dit qu’elle n’aime pas ce bébé, qu’elle n’éprouve rien pour lui et se sent coupable de cela. Je lui demande alors qu’est-ce que ça peut vouloir dire d’aimer un bébé qu’on ne connaît pas encore. Immédiatement, elle me répond : « Ma mère m’a dit que lorsqu’elle a été enceinte de moi, elle m’a aimé immédiatement. » Cette parole définitive lui laissait finalement peu de place : entre la rivalité œdipienne, les incertitudes de la future mère, l’antériorité toute-puissante de cette future grand-mère auréolée d’un savoir et d’une expérience qui lui échappaient, il était nécessaire de l’aider à déconstruire cette imago maternelle tout en en préservant les qualités intrinsèques. Cela, me semble-t-il, pose la question du statut psychique du fœtus dans le psychisme des futurs parents. Sylvain Missonnier émet une hypothèse qui semble tout à fait intéressante et qui est celle de la « relation d’objet virtuelle [3] ». Pour cet auteur, c’est la confrontation dialectique entre le bébé virtuel prénatal et le bébé actualisé en postnatal. Cette confrontation est à considérer comme « un processus dynamique et adaptatif d’humanisation progressive du fœtus […] et est inscrite fantasmatiquement dans le processus de parentalité chez la femme et chez l’homme ». L’anticipation de la fonction parentale, inscrite dans ce processus, devient en quelque sorte une préfiguration, une préconception de la fonction contenante dont on sait le rôle essentiel dans la constitution des premiers liens du bébé et de son développement dans sa double dimension, intrapsychique et intersubjective.

16Devenir parent, accéder à la parentalité, représente dans le cours d’une existence une mutation profonde et qui, à ce titre, peut être comparable à une crise. Dans la plupart des cas, cette crise est mutative et inaugure un changement, un nouvel état, à l’instar de la crise d’adolescence par exemple. Il y a une remise en jeu de tout l’équilibre pulsionnel et défensif antérieur qui va devoir se réorganiser autour de cette nouvelle réalité que représente l’arrivée d’un enfant. Monique Bydlowski parle à ce propos de « transparence psychique » chez la future mère : un état particulier de perméabilité aux émotions, de fragilité plus importante propice au retour dans le psychisme d’événements traumatiques qui avaient été jusque-là plus ou moins refoulés et qui la rendent plus vulnérable. Et plus la grossesse avance, plus nous observons chez la future mère des modifications de ses centres d’intérêt, de ses investissements habituels et une interrogation plus aiguë sur ses capacités à accueillir l’enfant à venir. Cela se traduit par des propos maintes fois entendus : « j’ai peur de ne pas y arriver, d’être débordée, de ne pas savoir m’en occuper ». Anxiété habituellement normale mais qui pour certaines se transforme en procès d’incompétence qu’elles se font à elles-mêmes, avec parfois une dépressivité sous-jacente qui peut faire le lit d’un baby blues sévère ou, plus grave encore, d’une dépression du post-partum. Cela plaide aussi pour une attention particulière des professionnels autour de cette période et en règle générale, on ne peut faire l’impasse sur les qualités, les manques ou les failles de l’environnement de la mère et plus globalement des futurs parents. Avec les conditions de vie actuelles, il n’est pas rare de trouver des grands-parents peu disponibles autour d’une naissance, pour de multiples raisons, bonnes ou mauvaises d’ailleurs. Ce groupe familial qui, en d’autres temps et sans idéaliser le passé, pouvait constituer une enveloppe accueillante n’existe plus beaucoup et il semble qu’il peut y avoir là une faille autour de la transmission de la fonction parentale. Dans le meilleur des cas, la future mère va trouver des solutions de substitution pour peu qu’elle ait d’assez bonnes ressources psychiques, mais il est des situations plus complexes où la grossesse et la naissance viennent s’agglomérer à des événements et des problématiques à haute teneur traumatique rendant plus difficile l’accès à la parentalité : un deuil, un exil nostalgique, une rupture, un vécu d’abandon, sans compter tous les conflits psychiques anciens insuffisamment ou non élaborés : ce sont là quelques exemples de ce à quoi nous sommes confrontés régulièrement. Et il faut tenir compte dans notre approche clinique de toutes ces dimensions, qui, loin s’en faut, n’invalident pas les capacités parentales de la mère.

17Nous pouvons également nous interroger sur l’abord de la parentalité chez certains hommes, qui prend parfois une forme psychopathologique plus ou moins sévère. Pour le futur père, nous pouvons aussi parler de période, de moment de crise. Autant que la mère mais peut-être dans un registre différent, il y a un vacillement identitaire perceptible qui, selon les lignes de clivage et de défenses qu’il a antérieurement mises en place, va s’exprimer de différentes façons. Cela peut être dans le registre d’une identification anxieuse à la future mère, laquelle devient une sorte de déesse-mère à qui il va interdire le moindre effort, la moindre peine, de sorte que cela devient très vite envahissant et conflictuel dans le couple.

18D’autres manifestations sont plus franchement dans une lignée dépressive, associées à des plaintes somatiques et à des troubles fonctionnels. D’autres encore, chez certains futurs pères, empruntent le registre des troubles du comportement : ce sont ces hommes qui se mettent soudainement à avoir des comportements à risque, à fuguer ou à s’alcooliser massivement, autant d’attitudes qui visent à éviter et à fuir cette situation si nouvelle et si étrange pour eux.

19Il y a un dernier aspect qui sans être commun est souvent repérable : il concerne tout le domaine de la pathologie conjugale et il n’est pas rare que des ruptures interviennent au moment de la grossesse ou après la naissance, précédées, dans des cas extrêmes, par l’apparition de violences conjugales. On ne peut pas éluder la question de la sexualité et de toute l’économie libidinale du couple pour tenter de trouver un début d’explication à ce qui peut apparaître comme un mouvement paradoxal chez certains hommes. Ces comportements extrêmes peuvent traduire chez eux un mouvement de désorganisation psychoaffective qui ranime des motions incestueuses peu ou mal refoulées, allant jusqu’à mettre en péril le projet parental. Pour certains, la sexualité devient un objet d’évitement et le corps transformé de leur femme un tabou qui les ramène aux temps anciens de la construction de leur psychosexualité. Et ce problème peut, dans des cas plus rares, se prolonger bien au-delà de l’accouchement. Alors peut-on dire la parentalité au risque de la conjugalité ? Il est parfois pertinent de le penser et nécessaire d’avoir cette double écoute, de la parentalité et de la conjugalité, dans nos consultations périnatales et postnatales. Ces deux dimensions sont intriquées, ne sont pas substituables et participent au processus de parentification. L’équilibre est fragile et il remet au centre la question du statut psychique de l’enfant, de sa fonction et de sa place dans la configuration familiale. Si tout l’investissement parental est porté sur l’enfant, alors il est légitime de penser qu’il devient un bouche-trou narcissique pour le parent, lui donnant l’illusion de le combler au détriment de sa propre croissance psychique. Mais que penser alors des situations, de moins en moins atypiques d’ailleurs, que sont la monoparentalité ou l’homo-parentalité par exemple ? Là comme ailleurs, il me semble que les choses ne sont pas radicalement différentes. Dans le projet parental, il y a une part narcissique de soi qui est projetée : fantasme d’immortalité, désir de se perpétuer, de laisser une trace, de donner un sens à sa vie, mais aussi promesse de bonheur sur un mode idéalisé. En ce sens, l’enfant est un fantasme qui condense tout ce que chacun rassemble en soi de manque et d’illusion réparatrice que la réalité se charge de démentir rapidement. Toute parentalité naissante doit intégrer une dimension de deuil, c’est-à-dire de renoncement à l’idée que l’arrivée de l’enfant va venir combler ce manque, aider à grandir ou à devenir adulte. Quelle que soit la configuration familiale, conjugale, amoureuse du parent, il est important que celui-ci puisse désirer ailleurs. Il y a là un point de structure qui intègre la dimension du tiers, « un Autre de la mère » pour reprendre une expression d’André Green, un point d’appel extérieur qui viendrait infléchir la relation de fascination et d’emprise entre un parent et un enfant : la ligne de partage se situe quelque part par là entre une parentalité suffisamment bonne et une parentalité avec des risques de dérive pathologique.

20Pour conclure, il est utile de rappeler qu’il n’y a pas un en-soi de la parentalité, que son expérience et sa pratique s’inscrivent pour chacun dans les heurs et malheurs de chaque vie. Elle est une construction et un processus mais aussi un héritage et une transmission. Nous avons là toutes les occurrences possibles qui feront de certains des parents à peu près adéquats alors que d’autres peineront à assumer cette tâche. Je crois qu’en tant qu’intervenants dans le champ de la périnatalité, notre rôle est d’accompagner au mieux ce processus de parentification en se gardant de tout mouvement d’idéalisation de ce que nous imaginons être une « bonne parentalité » d’une part et, d’autre part, dans ce que cette question touche en nous d’intime, dans notre propre fonction parentale.

À ma très chère famille de forme actuelle,
Papa, Maman, à vous, héros investis de responsabilité et d’accompagnement auprès de moi sans être des pros.
Papa, Maman, à vous, soleil et lune de ma constellation familiale.
Si je devais dessiner une cartographie dynamique de mon fonctionnement psychique concernant vos rôles spécifiques, ça ferait un millier de cœurs. Vous êtes mes boussoles, mon refuge inconditionnel et sans jugement.
Vous m’avez ouverte à l’altérité, structurée et dotée de concept psychiques opérationnels, et pour toutes ces belles choses, je vous dis merci, je vous aime.
Elsa Maëlys Legros, comédienne, metteur en scène. Collectif Gorgée Rouge

Mots-clés éditeurs : transmission, processus, identité, crise, parentalité, périnatalité

Mise en ligne 06/06/2016

https://doi.org/10.3917/empa.102.0043

Notes

  • [*]
    Daniel Metge, psychologue-psychanalyste, spp. daniel.metge@free.fr
  • [1]
    J. Laplanche, Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, Puf, 1987.
  • [2]
    D. Houzel, Les enjeux de la parentalité, Toulouse, érès, 1999.
  • [3]
    S. Missonnier, « Une relation d’objet virtuelle ? », Le carnet psychologique, n° 120, 7/2007, p. 43-47.
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