Empan 2014/2 n° 94

Couverture de EMPA_094

Article de revue

Les aidants : naissance d'une République des pairs ?

Pages 19 à 25

Notes

  • [*]
    Serge Guérin, professeur à l’esg-Management School.
    Dernier ouvrage : La solidarité ça existe… et en plus ça rapporte !, Paris, Michalon, 2013.
    guerinconsulting@yahoo.fr
  • [1]
    Haut Conseil de la santé publique, La prise en charge et la protection sociale des personnes atteintes de maladie chronique, 2009.
  • [2]
    B. Manin, « Volonté générale ou délibération ? », Le Débat, n° 33, 1985.
  • [3]
    Sondage tns Sofres/Ircantec, décembre 2013.
  • [4]
    S. Guérin, « Les aidants, cœur du système social », Revue Projet, n° 326, 2012.
  • [5]
    J. Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, 2006.
  • [6]
    Les premiers Téléthons sont apparus dès 1954 aux États-Unis en soutien à la recherche sur l’infirmité motrice cérébrale (imc) et dans le Kentucky pour la « Croisade pour les enfants ».
  • [7]
    P. Dauriac, « La proximologie ou l’émergence d’une nouvelle discipline », Revue Infirmière, vol. 101, 2004.
  • [8]
    Les demandes sont diverses et parfois irréalistes, mais se concentrent sur un soutien effectif aux aidants (santé et droits sociaux).
  • [9]
    Observatoire Sociovision-Cofremca, janvier 2014.
  • [10]
    Signalons, là aussi, une logique de protection puisque la marque « Maison des aidants » a été déposée par celle de Bergerac.
English version

1En quelques années, les « invisibles » du soin sont devenus une figure majeure du care. L’apparition des aidants bénévoles d’un proche en fort déficit d’autonomie dans l’espace public, au sens d’un processus d’institution symbolique d’un espace d’appartenance et d’un monde commun (Arendt, 1983), est une réalité récente. Depuis 2010, une Journée nationale leur est dédiée, et ils sont pour la première fois clairement désignés dans deux lois importantes de la République. D’un côté, la réforme des retraites de 2012 prévoit explicitement la continuité des droits à la retraite pour des salariés cessant leur activité pour accompagner un proche en grande fragilité. Par ailleurs, la loi d’orientation sur l’adaptation de la société au vieillissement envisage d’ouvrir pour la première fois des droits pour les aidants. Ce qui équivaut à leur reconnaissance.

2La centralité croissante de la question des aidants repose, d’abord, sur une réalité démographique et sociale puissante. On assiste, en effet, à une très forte augmentation des populations fragilisées. Dans les représentations, la vieillesse est la cause essentielle de la hausse du nombre de personnes vulnérables. Il faut dire que l’augmentation très importante du nombre de personnes très âgées est une réalité (le nombre des plus de 85 ans va être multiplié par huit entre 1980 et 2050, pour atteindre 4,8 millions d’âmes) et a – et aura – des conséquences sur le volume de la population en fort déficit d’autonomie. Pour autant, l’augmentation du nombre d’individus en situation de handicap, touchés par des maladies chroniques ou par des problèmes d’addiction forme et formera la majeure partie des publics en perte d’autonomie. La problématique principale concerne la très forte hausse du nombre de malades chroniques, due en grande partie aux dérèglements environnementaux, en particulier liés aux effets des perturbateurs endocriniens sur les humains. On compte aujourd’hui plus de 9 millions de personnes touchées par une maladie chronique invalidante les conduisant à bénéficier de l’ald (Affection longue durée) [1]. Comme l’avait déjà fait valoir M. de Certeau (1980), les avancées technologiques et les progrès de la médecine n’ont pas, loin s’en faut, éradiqué la fragilité, la maladie et le déclin physique ou mental … Parfois même, les progrès de la médecine produisent des effets paradoxaux, comme la hausse de l’espérance de vie des personnes en situation de handicap, qui renforce l’importance de la problématique du soutien aux plus fragiles.

3Cette réalité d’une fragilisation croissante des populations vivant en France vient se confronter à deux mouvements structurants : le recul de la capacité d’intervention de l’État et les mutations de l’ordre familial. Le recul de l’État est une construction fondée sur le succès de l’idéologie du libéralisme radical, pour reprendre Bernard Manin [2], théorisée d’abord par des économistes comme Hayek et Friedman et reprise, peu ou prou, par la majorité des institutions et des décideurs politiques occidentaux, mais aussi dans les pratiques d’entreprises (Heredia, 2014). La mondialisation, la financiarisation de l’économie mais également les nouvelles formes d’organisation du travail ayant pour leur part largement contribué à épuiser le modèle de l’État providence et à restreindre les recettes destinées à financer l’intervention publique. Les mutations de l’ordre familial forment le second axe de ces nouvelles structurations. Si la famille nucléaire n’est plus le modèle unique, elle reste le modèle dominant et laisse place à un pluralisme familial, pour reprendre les termes de Déchaux (2006). Cette diversité des types de famille, qui s’accompagne d’une espérance de vie moyenne en couple de plus en plus courte, loin de réduire l’importance du lien de solidarité familiale le renforce. Comme si dans les périodes de crise et d’incertitudes, la famille jouait le rôle d’amortisseur social. Ainsi l’aide en nature à ses ascendants ou descendants est dans les activités de solidarité intergénérationnelle considérées comme les plus essentielles (60 % pour les parents ou grands-parents et 50 % pour les enfants et petits-enfants [3]). C’est un marqueur essentiel de nos temps modernes. On parlera même de « génération boomerang » pour évoquer les personnes adultes qui reviennent chez un parent, déjà âgé, après un accident social majeur (séparation, perte d’emploi, perte de logement …).

Les aidants, une question politique

4Dans cette optique, la question des aidants et de l’accompagnement des plus fragiles apparaît bien comme une question politique centrale. Derrière cette interrogation, on peut relever deux problématiques sensibles en filigrane. La première concerne les modes de représentation des aidants et leur manière d’accéder à l’espace public. La seconde a trait à : comment co-construire des politiques publiques avec les personnes directement concernées ?

5Mais la première question politique portée par la reconnaissance des aidants concerne la déconstruction du discours dominant sur l’individualisme et le manque de citoyenneté : les 8 à 10 millions d’aidants (selon la définition et le type de personnes aidées) sont une démonstration par les faits que des femmes et des hommes sont capables de s’engager dans l’accompagnement et le soutien, parfois très lourd, d’un enfant, d’un conjoint, d’un parent ou d’un proche, d’un ami [4]

6L’accès à l’espace public pour les aidants s’est construit dans une approche bottom up[5], au sens où ce sont des organisations de la société civile qui, les premières, ont fait émerger, vers le haut, la question. Certes, des organisations internationales ont su rapidement prendre le relais, notamment l’oms qui dès le début des années 2000 portera la nécessité de prendre en compte les aidants dans le processus de soin. En France, des associations de malades et de familles de malades, et d’abord la Ligue contre le cancer et France Alzheimer, seront les premières à aborder la question des aidants. Dès 2003, la Ligue organise les États généraux des malades et de leurs proches. Tandis qu’en 2005, France Alzheimer lance une campagne de communication sur le thème « Alzheimer, maladie de la famille ». Cette dynamique puise largement dans l’évolution de la nature des relations entre la communauté médicale et le monde des patients. Cette rupture du modèle descendant classique a amplement été portée par les associations de malades du sida qui, dans les années 1980-1990, ont forcé, souvent par des manifestations et démonstrations spectaculaires, l’attention des médias et du monde médical. Les associations de malades touchés par des maladies orphelines ou rares ont aussi cherché à alerter un milieu trop peu attentif. Enfin, l’Association française contre les myopathies (afm) a contribué à l’émergence dans l’espace public des proches des malades concernés en disant la nécessité d’investir dans la recherche à travers l’opération Téléthon, créée en 1987 et très largement relayée par les médias [6]. Le pouvoir des aidants, le pouvoir de changer, provient de plus en plus des acteurs, de la mobilisation de chacun, plutôt que de l’attente d’une décision du haut. On ne change pas la société par décret, résumait Michel Crozier.

7Ces mouvements ont participé à un changement de paradigme : le modèle centré sur l’approche technique de la prise en charge de la maladie laissant place (ou laissant une place) à un modèle centré sur le patient comme personne (Couturier et coll., 2012). Ils ont permis l’émergence des aidants comme acteurs de la prise en soin du malade. À cela s’est ajoutée la mobilisation de quelques entreprises, dont en particulier la Macif, qui a organisé des assises, et le laboratoire pharmaceutique Novartis. La mutuelle a notamment élaboré un manifeste, « sos aidants », qui a été remis aux pouvoirs publics lors de ses « États généraux aidants-aidés », en novembre 2010. Au début de l’année 2014, la Macif a édité dans son magazine, destiné à ses cinq millions de sociétaires, une proposition d’engagement volontaire pour soutenir un aidant. De son côté, le laboratoire Novartis s’est engagé depuis le début des années 2000 dans une démarche de recherche et de soutien aux acteurs autour de la thématique de la proximologie – que l’on pourrait définir comme un champ de recherche centré sur les formes, les conditions et les motivations de l’action de l’entourage de la personne malade ou en fort déficit d’autonomie, c’est-à-dire les aidants [7]. Le laboratoire est, par la suite, à l’initiative, en 2010, des Ateliers de la proximologie dans dix villes de France, avant la tenue des Assises nationales de proximologie. Ces différentes manifestations ont largement contribué à la création en 2010, par le secrétariat d’État chargé des Aînés, de la Journée nationale des aidants. Mais les autorités publiques avaient déjà initié des premiers actes avec, entre autres, la loi du 4 mars 2002, sur la place de la personne de confiance, le Plan cancer de 2003 qui intégrait pour la première fois la notion de proche, ou encore la création de la « Charte de l’aidant familial » en 2004 et du congé de soutien familial en 2006. La Haute Autorité de santé présentera plusieurs recommandations pour la prise en compte des proches et des aidants et la loi hpst (Hôpital, patients, santé et territoire) de 2009 fera référence de manière explicite aux aidants.

8Mais la création de la Journée nationale en 2010, quelques initiatives d’entreprises – parfois très médiatisées comme le don de rtt spontanément proposé par des salariés de Badoit en faveur d’un collègue –, ou portées par le secteur de la mutualité ou des assurances, puis l’appel « Pour plus d’équité en faveur des aidants », lancé en 2013, ont marqué l’entrée des aidants dans l’espace public. On passe d’une approche des aidants liée à la maladie de l’aidé à une vision globale. Pour la première fois, avec l’Appel, les aidants apparaissent comme un collectif. Un collectif de neuf millions de personnes. L’enjeu au regard du débat public était aussi de donner la mesure économique de la mobilisation des aidants. En effet, l’action des aidants permet à la collectivité d’éviter une dépense de 164 milliards d’euros, soit autant que le total de l’impôt sur le revenu et de la csg … En outre, l’investissement dans le care par neuf millions de proches de malades ne pourrait être réalisé dans son entièreté par des professionnels, en nombre bien insuffisant et relevant du droit du travail qui interdirait d’atteindre ou même d’approcher la même densité de présence. Les aidants de proches contribuent très directement à la bonne vie des aidés et à la réduction de la charge publique. Aussi, les soutenir est une démarche humaniste et solidaire, qui répond en outre à un intérêt économique bien compris. Dans le sens où aider les aidants [8], c’est permettre à ce qu’ils puissent plus longtemps aider leur proche plutôt que le relais soit pris par la collectivité. Cette mobilisation reste l’apanage de quelques organisations pionnières (AG2R-La Mondiale, Bayard, Casino, Crédit Agricole assurances, Danone, edf Sud-Ouest, Macif, Novartis …). D’autant que les organisations syndicales, en dehors de la cfdt, poussée par son union de retraités, demeurent très en retrait sur ces questions, privilégiant les aspects quantitatifs. La culture d’entreprise mais aussi son mode d’organisation et son positionnement expliquent en large partie les différences d’approches. Plus largement, derrière cela c’est également l’émergence d’une diversification des modes de rétribution qui est à l’ œuvre, pour à la fois sortir de la logique de la rémunération salariale et répondre à la diversité des attentes et des situations de vie des salariés.

Le « pouvoir des aidants »

9Les aidants forment un groupe social important en termes numériques et qui le devient aussi en termes symboliques. Le « pouvoir des aidants » marque ainsi l’émergence nouvelle de la société civile dans le champ de la solidarité de proximité et symbolise la construction par les acteurs d’une société décentrée se vivant à côté des institutions (Guérin, 2013). Des institutions qui perdent, comme jamais sans doute, leur légitimité auprès d’une partie croissante de la population. Cette délégitimisation des institutions produit en même temps un repli sur soi et un retour du collectif [9].

10On l’a vu, le pouvoir des aidants, et d’abord des aidantes puisqu’elles sont majoritaires parmi les accompagnants d’un proche en déficit d’autonomie, marque en premier lieu une évolution dans le rapport à l’institution et aux médecins. Ils permettent de mieux penser en réseau et de toucher des publics autres à travers des pairs. L’émergence des aidants, qui signale la transformation d’un problème domestique en question politique (Weber, 2011), marque bien la nécessité de dépasser la distinction médicosocial et secteur sanitaire : l’enjeu est d’inventer une politique du care à la fois globalisée et attentive à la singularité.

11Mais l’histoire du rapport de la société avec la question des aidants montre la conflictualité des acteurs, entre les associations de malades qui défendent d’abord le soutien et la recherche concernant la pathologie définie et des structures qui voudraient représenter et soutenir les aidants de manière transversale. On a vu que les associations de malades ont été les premières sur le champ de la reconnaissance des aidants, pour autant deux types d’initiatives ont vu le jour : la création d’organisations cherchant à représenter les aidants et la mise en œuvre de sites Internet désireux d’être des plates-formes pour l’ensemble des aidants. La création de l’Association française des aidants de personnes malades, dépendantes ou handicapées remonte à 2003. Elle change de nom pour Association française des aidants familiaux en 2006, puis se dénomme en 2009 Association française des aidants – dont Florence Leduc prendra la présidence la même année. L’association s’est donné pour objectif d’être reconnue comme la porte-parole légitime des aidants auprès des pouvoirs publics. Elle développe aussi des initiatives en faveur des aidants, comme les cafés des aidants, dont le premier sera organisé dès 2004 à Paris (on notera que l’association a déposé le nom « café des aidants », interdisant ainsi à d’autres structures, collectivités ou associations de reprendre le terme sans autorisation). L’association s’inscrit dans une démarche institutionnelle forte à travers la signature de partenariats avec de nombreux acteurs intervenant dans le champ de l’accompagnement des personnes en déficit d’autonomie.

12D’autres structures ont vu le jour, le plus souvent à l’initiative d’un aidant qui souhaite capitaliser sur son expérience et venir en aide à d’autres personnes faisant face à la même situation. Ces aspirations sont facilitées par le développement des réseaux numériques et la faiblesse de leurs coûts d’accès. C’est le cas de la Compagnie des aidants, qui propose aux aidants professionnels et bénévoles un réseau social privé, avec un espace solidaire d’entraide et d’échanges pour communiquer et créer du lien social. Un autre exemple vient de Aidant Attitude, à la fois site fédératif et espace d’échanges et de conseils. À Bergerac, c’est la création en 2008 de la Maison des aidants, qui se veut à la fois un espace de soutien aux aidants et un lieu de formation. D’autres réseaux vont se lancer, comme Avec nos proches en 2011, le premier réseau social basé sur téléphone, permettant à des aidants de partager, d’être écoutés et soutenus par des aidants ou d’anciens aidants. En parallèle, les mutuelles et assurances poursuivent leur présence sur le Net, chacune développant son site accessible sur Facebook, et/ou par une plate-forme. Très souvent, des aidants utilisent ce biais pour ce constituer en forum, échanger, se donner des tuyaux … L’inflation d’associations de soutien aux aidants témoigne d’une dynamique nouvelle mais pose aussi le risque du saupoudrage et de perte d’efficience.

13L’élément majeur qui sous-tend cette dynamique, c’est que les aidants tendent à privilégier l’écoute et les conseils d’autres aidants. La légitimité ne se réduit plus au statut, au diplôme, au savoir théorique, y compris celui du médecin spécialiste, mais relève pour une large part de celle ou celui qui est « passé par là », qui a expérimenté la situation. C’est une sorte de « République numérique des pairs » qui se développe. La distance géographique et, pour une part, culturelle est abolie, ce qui réunit c’est le partage d’épreuves identiques, voire d’un destin commun. Cette distance est d’autant plus mise entre parenthèses que beaucoup d’aidants perdent en mobilité du fait de la nécessité de leur présence auprès de l’aidé. Sans compter que leur propre situation physique peut être déficitaire. Si les réseaux numériques semblent avoir accéléré ce mouvement, on le retrouve aussi cependant à travers des interactions en face à face : groupes de parole, démarche de sensibilisation, actions de formation, approches thérapeutiques…

14On note également l’émergence, encore extrêmement réduite, de lieux dédiés aux aidants, comme la Maison des aidants à Nantes, à Lille ou à Suresnes [10] ; d’autres dénominations existent, comme la Maison des proches, à Trélazé en Maine-et-Loire, ou le Club des aidants de l’ose (Œuvre de secours aux enfants) à Paris. Le plus souvent, ces structures de répit sont organisées et soutenues par des collectivités, mais elles sont nées aussi de l’initiative d’associations et d’aidants ou d’anciens aidants mobilisés. Autrement dit, le fait d’être aidant ne résume pas l’identité de ces personnes. Ce ne sont pas des victimes à 100 %, mais des auteurs de leur vie qui échangent, pensent, agissent, et peuvent avoir des désirs, des besoins, des envies …

15Les aidants forment un nouvel acteur social qui est appelé de plus en plus à co-construire les politiques publiques. La réalité est bien qu’une grande partie des initiatives menées ces dernières années proviennent des aidants. Aussi, les Départements – et les métropoles – sont l’échelle la plus indiquée pour permettre les innovations en fonction de la réalité des territoires et de leurs populations. La loi Delaunay sur l’adaptation de la société au vieillissement s’inscrit dans cette perspective en déléguant aux conseils généraux cette responsabilité et en ouvrant la possibilité d’agir de manière décentralisée. Ce qui pose évidemment la question des recettes allouées aux Départements par l’État et des conditions de la péréquation entre ces derniers. D’ailleurs, la logique finale sera certainement à terme que les Départements exercent l’ensemble de la responsabilité du champ de l’accompagnement médicosocial des plus âgés, et donc du secteur des maisons de retraite médicalisées – qui peuvent être également des espaces de soin et de soutien aux aidants. Une meilleure allocation des ressources passe par la définition claire d’une autorité décentralisée unique pour insuffler et coordonner la politique d’accompagnement des plus fragiles et de leurs aidants. En parallèle de cette définition, il importera que la collectivité puisse trouver un interlocuteur capable de fédérer sur le territoire l’ensemble des aidants et de porter leurs problématiques.

16Le pouvoir des aidants repose aussi sur une reconnaissance accrue par le monde médical du proche comme acteur du soin de l’aidé et comme personne dont prendre soin. La sensibilisation du corps médical à cette question et l’ouverture de droits spécifiques à un suivi de santé sont au cœur des demandes des aidants. Elles doivent conduire également à penser la place des aidants dans la gouvernance des hôpitaux, des lieux d’accueil pour personnes âgées, malades ou en situation de handicap. Le rapport de Claire Compagnon, remis le 17 février 2014, sur la place des usagers en établissement de santé s’inscrit parfaitement dans cette nouvelle dynamique qui impose une révolution culturelle dans la relation entre les soignants et les usagers. Plus profondément encore, la problématique des aidants ouvre à la redéfinition des relations de soin et des modes d’accompagnement. Les aidants obligent à penser le care au moins autant que le cure.

17À ce jour, les aidants, à l’identique d’ailleurs des retraités, n’ont pas su se fédérer pour parler d’une seule voix auprès des pouvoirs publics ou des médias. Or, dans une démocratie, à la fois représentative et d’opinion, la capacité d’un groupe social à donner de la voix et à défendre un point de vue revêt une importance majeure. En même temps, dans un paysage politique qui, bon gré mal gré, avancera seulement si les acteurs sont capables de partager la construction des projets avec les personnes concernées, la nécessité d’une fédération, ou d’une confédération, des aidants ou des associations d’aidants se pose. La Journée des aidants est un catalyseur pour favoriser cette émergence. D’autres initiatives vont – et iront – dans ce sens. Le nœud gordien étant de pouvoir inventer une organisation qui fédère les aidants tout en préservant la compréhension de leur singularité. Car la solidarité est autant une politique volontariste et concrète qu’une construction sociale et le levier d’un projet de société.

Bibliographie

Bibliographie

  • Arendt, H. 1983. La condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy.
  • Bisiaux, F. 2013. Soin maternel, Paris, Puf.
  • Certeau (de), M. 1980. L’invention du quotidien, 1 : Arts de faire et 2 : Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard.
  • Collière, M.-F. 1988. Soigner, le premier art de la vie, Paris, InterÉditions.
  • Couturier, Y. ; Belzile, L. ; Gagnon, D. 2012. « Principes méthodologiques de l’implantation du modèle prisma portant sur l’intégration des services pour les personnes âgées en perte d’autonomie », Management et avenir, n° 47(7).
  • Déchaux, J.-H. 2006. Sociologie de la famille, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».
  • Guérin, S. 2013. La solidarité ça existe … et en plus ça rapporte !, Paris, Michalon.
  • Heredia, M. 2014. À quoi sert un économiste ?, Paris, La Découverte.
  • Paugam, S. (sous la direction de). 2007. Repenser la solidarité. L’apport des sciences sociales, Paris, Puf.
  • Weber, F. 2011. Handicap et dépendance. Drames humains, enjeux politiques, Rue d’Ulm, coll. du Cepremap.

Mots-clés éditeurs : care, empowerment, soin, aidants, santé

Mise en ligne 20/06/2014

https://doi.org/10.3917/empa.094.0019

Notes

  • [*]
    Serge Guérin, professeur à l’esg-Management School.
    Dernier ouvrage : La solidarité ça existe… et en plus ça rapporte !, Paris, Michalon, 2013.
    guerinconsulting@yahoo.fr
  • [1]
    Haut Conseil de la santé publique, La prise en charge et la protection sociale des personnes atteintes de maladie chronique, 2009.
  • [2]
    B. Manin, « Volonté générale ou délibération ? », Le Débat, n° 33, 1985.
  • [3]
    Sondage tns Sofres/Ircantec, décembre 2013.
  • [4]
    S. Guérin, « Les aidants, cœur du système social », Revue Projet, n° 326, 2012.
  • [5]
    J. Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, 2006.
  • [6]
    Les premiers Téléthons sont apparus dès 1954 aux États-Unis en soutien à la recherche sur l’infirmité motrice cérébrale (imc) et dans le Kentucky pour la « Croisade pour les enfants ».
  • [7]
    P. Dauriac, « La proximologie ou l’émergence d’une nouvelle discipline », Revue Infirmière, vol. 101, 2004.
  • [8]
    Les demandes sont diverses et parfois irréalistes, mais se concentrent sur un soutien effectif aux aidants (santé et droits sociaux).
  • [9]
    Observatoire Sociovision-Cofremca, janvier 2014.
  • [10]
    Signalons, là aussi, une logique de protection puisque la marque « Maison des aidants » a été déposée par celle de Bergerac.
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