« Il était donc, une fois, un bébé, dans une famille, et dans une histoire. »
1Le terme de « parentalité » est passé depuis quelque temps dans le langage courant des professionnels, mais il renvoie trop souvent à la dimension éducative de la fonction parentale. D’où son corollaire qui se décline sous la forme de « guidance parentale ». Peu à peu, la notion de parentalité a perdu son sens premier, celui d’une capacité à penser sa fonction et sa position de parent, et celui de donner aux mouvements psychiques toute leur importance dans la construction des liens entre les parents et leur enfant.
Des histoires de famille
2Il existe aujourd’hui de nouvelles façons de « faire famille », et de nouvelles formes de parentalité (familles monoparentales, familles homoparentales, fécondation in vitro, familles recomposées ...). Il existe aussi différentes façons de devenir un enfant : enfant de la survie familiale, enfant du désir de l’adulte, enfant du droit, enfant roi, enfant d’une famille recomposée, monoparentale ou homoparentale, etc.
3En recevant les parents dans un cadre classique de consultation, nous nous sommes aperçu que la rencontre avec des parents et leur enfant mettait trop fréquemment en avant leur autorité et leur responsabilité, là où nous aurions souhaité les voir parler de leurs histoires, de leurs peurs et de leurs projections. Quant au cadre de la thérapie familiale, il était bien souvent difficile à tenir avec des adolescents dans l’agir et dans l’opposition. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’offrir aux parents la possibilité d’être reçus seuls, dans un lieu autre que celui du soin pour leur enfant. À partir de ce travail dans un dispositif « d’aide et de soutien à la parentalité », la clinique ne cesse de nous montrer combien le déroulé de l’histoire familiale est important pour comprendre la réalité de l’histoire actuelle … de l’enfant.
4Nous rencontrons M. et Mme M. parce que leur fils de 15 ans frappe sa mère depuis qu’il est petit. Au fil des entretiens, l’un et l’autre nous parleront de leur enfance et tout particulièrement des violences dont ils ont été l’objet. Pour Madame, issue d’une famille d’immigrés, c’est l’hostilité de l’environnement qui a été très difficile à vivre : moqueries, agressivité, mise à l’écart, etc. Pour Monsieur, c’est une histoire familiale qui a vu se succéder les morts du côté des hommes qui a été particulièrement lourde à porter – en tant qu’homme dans cette famille, on pouvait mourir violemment d’un instant à l’autre. Chacun a pu raconter son enfance et ses vécus douloureux pour la première fois, y compris à son conjoint.
5M. et Mme S. consultent pour une incompréhension au sein du couple parental qui a pu engendrer des violences conjugales. Tous les deux sont désireux de comprendre pourquoi « ils en sont arrivés là ». Leur fille Clara a 10 mois, et ils viennent de se séparer. Ils nous sont alors adressés. Les premières rencontres permettent à ces deux parents de parler de leur relation très conflictuelle et violente, mais également de leur désir quant à l’enfant. Monsieur est très inquiet sur un éventuel rejet de la part de sa fille et Madame ne cesse de revendiquer une place pour le papa. Notre compréhension de la dynamique de ce couple parental ne pourra advenir que par le détour de l’histoire individuelle de chacun des parents. Pour Monsieur, les vécus de l’enfance sont très traumatiques et c’est de maltraitance dont il parle. Pour Madame, c’est l’enveloppe rassurante d’un papa dont elle garde une nostalgie qui est sur le devant de la scène.
6Deux jumelles naissent dans le couple de M. et Mme F. Dès la naissance, elles sont séparées. L’une ira au domicile familial, l’autre restera à l’hôpital pour deux mois. La famille nous sera adressée pour un « soutien parental ». Mais au fil du temps, il apparaîtra très clairement que cette famille ne peut jamais être ensemble et « former une famille ». L’histoire de Madame renvoie à une mère très fusionnelle et à un père absent. L’histoire de Monsieur renvoie à une mère très malade et à un père pilier de la vie familiale. Leur histoire de couple conjugal est une belle histoire d’amour, leur histoire de couple parental est un désastre.
7Dans ces trois histoires familiales, il est question de la représentation de chacun des parents de ce qu’est une vie d’enfant, et de ce que peut être une place de parent.
Un dispositif en binôme, sans enfant
8Notre cadre de rencontre avec les parents pose clairement l’absence des enfants, et propose des entretiens avec un binôme de thérapeutes homme-femme.
9Nous avons donc fait le choix de recevoir les parents seuls, laissant à d’autres le soin d’accompagner leur enfant. C’est à travers le regard et les paroles des parents que l’enfant nous apparaît.
10Derrière les façades et les défenses, l’incompréhension de ce qui arrive est très présente et cherche à se résoudre par les nombreuses questions posées qui attendent des réponses. Mais répondre dans le concret des questions serait se positionner à partir d’un supposé savoir infantilisant la position parentale qui, en plein désarroi, attend d’un autre qu’il s’empare de cette fonction impossible à assumer. Il est en effet très fréquent que notre place de médecin psychiatre ou de psychologue soit interrogée dans le sens d’un conseil, d’un avis, et donc d’une participation aux décisions concernant leur enfant. Cette sollicitation dans le réel de la famille traduit une résistance qu’il convient de travailler. Occuper cette place disqualifie la position de thérapeute.
11Le binôme mixte fait également émerger des positions transférentielles qu’il sera nécessaire de travailler. La position de substitut parental est souvent mobilisée vers l’un ou l’autre des thérapeutes, de même que l’alliance de genre est sollicitée.
12Là est toute la différence entre une « guidance parentale » et une « thérapie parentale », et l’intérêt qu’il y a de ne pas avoir à gérer la question du soin pour l’enfant.
Vignette clinique
Première rencontre
13M. et Mme F. ont deux enfants, deux fils de 20 et 17 ans.
14Lors de la première rencontre, ils évoquent la situation de leur fils Adrien, 17 ans, qui présente des conduites de violence à la maison. Cette violence est omniprésente, et les parents vivent dans un climat d’insécurité permanente. Adrien détruit les murs et les objets, mais il ne s’en prend pas aux personnes. Les parents d’Adrien évoquent leur incapacité à contenir leur enfant et disent combien c’est douloureux. Ils se disent blessés par ces attaques, démunis et en grande souffrance. Ils se sentent mis à mal dans leur rôle de parent.
15Leur fils refuse de s’engager dans un dispositif de psychothérapie, qu’il soit individuel ou familial.
16Comme toujours dans les premiers temps de notre travail, nous accueillons ces affects à l’état brut, et nous nous sentons pris, comme eux, dans un vécu d’impuissance. Ces vécus de souffrance nous mettent dans l’incapacité de mobiliser un jeu psychique interne.
Deuxième rencontre, à 3 semaines
17Les relations familiales sont toujours tendues, et les parents se disent en incapacité de communiquer avec leur fils. Au cours de cet entretien nous allons remonter aux premiers liens avec Adrien.
18Ils disent qu’Adrien était attendu par tous les deux, vraiment désiré. Dans la petite enfance, Adrien était très attaché à sa nourrice, les parents également. Mais il en a été séparé brutalement, suite à des problèmes familiaux vécus à cette époque par cette assistante maternelle. Pratiquement d’une semaine à l’autre, les parents ont dû trouver un autre mode de garde. Adrien a très mal vécu cette rupture, dont il parlera longtemps après.
19Les parents évoquent une certaine fragilité chez Adrien, avec des séparations et des adaptations plutôt difficiles. Lors de la première rentrée des classes, les parents disent avoir été prêts et sereins, par contre, pour Adrien, la séparation a été très difficile.
20L’expression des affects et des désirs qui entourent la constitution du couple parental (avec l’arrivée d’un enfant) s’actualise dans un premier temps. L’expression autour de la constitution du couple conjugal apparaît dans un second temps. Ces deux évocations permettent de percevoir la réalité et les fantasmes autour de la constitution de la famille, mais également les vécus d’angoisse ou de plaisir de l’un et de l’autre.
Troisième rencontre, à 1 mois et demi
21M. et Mme F. nous disent bonjour et s’assoient à la même place : Mme F. en face du thérapeute femme, M. F. en face du thérapeute homme. Ils disent qu’ils ne vont pas bien du tout. Ils parlent de l’importance de cet espace où ils peuvent exprimer, en tant que père ou mère, homme ou femme, leur souffrance, leur colère, etc., en ayant le sentiment d’être écoutés, accompagnés. C’est la colère qui va dominer la première partie de la rencontre. La situation avec leur fils devient insupportable à vivre. Et il nous apparaît peu à peu qu’Adrien intruse l’intérieur familial et psychique, « il casse, ne respecte rien, il ne nous respecte pas ». Le père décrit une scène qui, d’après lui, illustre ce qu’ils racontent depuis le début. Un soir en rentrant chez lui, le père constate que dans le salon un fauteuil de taille imposante a disparu. Le salon était une pièce très investie par eux, où des portes de placard ont déjà été fracturées, des éléments hi-fi débranchés ; ils ont dû se replier sur le « petit salon » et mettre un cadenas à la porte pour avoir un espace préservé. Très en colère, le père monte dans la chambre d’Adrien, et il trouve l’adolescent installé dans le fauteuil en question au milieu de sa chambre ! Il ressent à ce moment-là que plus rien ne leur appartient !
22Nous-mêmes, nous ressentons une certaine confusion : l’attaque du lien à travers l’attaque des objets, en même temps qu’une fusion chez l’adolescent marqué par une impossibilité de se détacher, de se décoller.
23Une vive altercation a lieu entre le père et le fils, le père tente de reprendre le fauteuil, il essaie de le sortir de la chambre par la porte, il ne passe pas ! « Mais comment a-t-il fait pour le faire entrer ? » La fenêtre ? Non ce n’est pas possible, c’est à l’étage. À ce moment-là, le père ne parle plus à son fils, il est hors de lui, il veut récupérer son bien, il refait plusieurs tentatives sans succès. Mais il ne veut pas capituler, il descend au garage et revient avec la solution : une scie. Il découpe l’objet en deux pour pouvoir le faire passer par la porte.
24Nous écoutons, sidérés, puis nous renvoyons au père la douleur que cela nous évoque.
25Très souvent, un moment particulier de la vie familiale résume assez bien le désarroi parental et l’impasse dans laquelle ils se trouvent.
26La mère reprend qu’elle se sent attaquée également d’une autre manière, Adrien l’attend le soir et dès qu’elle passe la porte, il l’agresse verbalement. Il attaque son identité de mère en lui renvoyant : « Qui es-tu, toi, pour me parler comme ça ? »
27Nous évoquons l’escalade de la violence. Comment cela va-t-il se terminer ? Pas de tiers entre eux, la violence est en vase clos. Est-ce qu’ils ont pensé qu’ils seront peut-être amenés à faire intervenir le samu, la police, la justice ? Les parents restent interloqués ! La mère dit qu’elle souhaite qu’Adrien quitte la maison, qu’il aille dans un foyer de jeunes, elle pleure en prononçant ces paroles. Le père dit qu’il n’est pas du tout prêt à cela, qu’il a vécu lui-même des relations conflictuelles avec son père et qu’il est parti en claquant la porte.
28Par ailleurs, leur capacité parentale, remise en question avec Adrien, est alors réinterrogée à travers leur fils aîné. Ils parlent d’une relation de bonne qualité. Ils échangent avec lui sur de nombreux sujets, c’est un enfant brillant, curieux, qui réussit ce qu’il entreprend. Ce qui leur permet de ne pas sombrer, au-delà du désarroi, vers le désespoir. Les parents font l’hypothèse qu’Adrien a peut-être vécu dans l’ombre de ce frère, et qu’il a réagi à l’inverse en refusant de rentrer dans une conformité, toujours en décalage, en opposition.
29Le père est dans un paradoxe. Il a proposé à Adrien de travailler dans l’entreprise familiale pour qu’il ne se désocialise pas, mais il n’a aucun espoir de le voir tenir une place à ses côtés. La mère, plus « attaquée » par son fils, semble plus désabusée, et dit être profondément déçue par lui.
30Ce moment émotionnel fort se traduit dans le contre-transfert par un clivage au niveau du binôme des thérapeutes dans les identifications projectives (« cet ado, il est vraiment pénible » se mêle à « qu’est-ce qu’il doit souffrir cet ado pour en arriver là ! ! »). Dans leur travail d’élaboration, ceux-ci associent avec le clivage dans les investissements (espoir/désespoir) et au niveau des défenses (tenir/s’abstenir) mises en place par le couple parental.
31Les affects et les vécus transférentiels et contre-transférentiels permettent de comprendre les mouvements émotionnels des parents, mais également les impossibles et les ouvertures.
Quatrième rencontre, à 2 mois
32Pas d’amélioration depuis la dernière rencontre. Nous reparlons de la séance précédente, et le père se demande comment ils ont pu en arriver là. Dans l’entretien, il est possible d’avoir une certaine extériorité, de regarder les événements avec un peu de distance : « Quand même, c’est fort ! Couper le fauteuil en deux ! » À cette évocation, l’humour devient possible : « Vous allez nous prendre pour des fous ? » Rires !
33La différence de ressenti des thérapeutes est reprise et nous évoquons ces attaques de leur intérieur et l’absence de limite. Nous parlons de la souffrance de cet adolescent, de son incapacité à pouvoir se détacher psychiquement de ses parents et de cette maltraitance subie par eux. Ils ne maîtrisent plus la situation, Adrien ne prend plus ses repas avec eux et fume du haschich … Jusqu’où peut-on accepter cela ? Pourquoi ? Comment protéger son intérieur ? Ils disent : « Mais quand même, ce n’est pas possible de le mettre à la porte ! »
34Adrien a obtenu son cap, mais ne cherche pas de travail. La mère parle d’appartement, de rechercher pour lui un ailleurs … mais pas dans un passage à l’acte … dans un mois ou deux, si les choses ne s’améliorent pas.
35Peut-être faut-il informer Adrien que la vie ensemble n’est plus possible et qu’il faut trouver une solution … tout en l’aidant à se séparer. Tous les scenarii sont envisagés et les parents échangent à ce sujet, confrontent leur point de vue, sans agressivité. Nous ressentons un certain apaisement face à la situation.
36Nous proposons souvent une interprétation qui concerne la dynamique actuelle de la famille, en lien avec leur vécu. Ici, l’attaque de l’intérieur de la maison, en miroir de l’attaque de l’intérieur de chaque parent.
Cinquième rencontre, à 3 mois
37Moins de tensions à la maison, les parents ont appris à ne plus être détruits par les attaques d’Adrien. Le père a mis une certaine distance entre lui et son fils, il n’échange plus avec lui, et la maman évite d’être trop exigeante.
38Le salon des parents est à présent respecté. Adrien ne prend toujours pas ses repas avec eux, mais la mère dit que ce n’est pas plus mal ! Cela évite les conflits. Le couple paraît plus soudé, plus complice. Sourires, humour sont présents.
39Nous évoquons des événements agréables pour le couple. Un projet de départ en week-end émerge.
40Notre regard, toujours centré sur le couple parental, les reconstitue comme couple, non plus dans le déchirement, mais dans une alliance.
Sixième rencontre, à 4 mois
41Adrien a trouvé un emploi en cdd. Il semble s’y tenir et en accepter les contraintes. Nous revenons sur le clivage induit par Adrien et sur son incapacité à sortir de la relation duelle exclusive. Chacun en vient à parler de son vécu par rapport à son histoire d’enfant et à leurs « histoires de famille ». Monsieur parle des tensions qui existaient entre lui et ses frères et dans la famille de Madame les affects envahissaient parfois les réunions de famille, qui tournaient au tragique ! Madame dit qu’il y a des alliances, dans la famille de Monsieur, sa mère et sa sœur par exemple. Monsieur F. dit : « Oui, tu as sûrement raison ! » Ils comparent avec leur propre famille actuelle, où il y a aussi alliance entre le frère aîné et le père, et entre Adrien et la mère.
42Les parents disent alors qu’il est intéressant pour eux de faire le détour du côté de leurs familles respectives, pour mieux comprendre la leur.
43L’évocation de leurs histoires personnelles permet à ces parents de mettre un peu de lumière sur leur histoire familiale, parentale et de couple. Cet éclairage met du sens sur leur vécu actuel, et cette compréhension apaise leurs tensions internes, même si la situation reste très difficile.
Septième rencontre, à 5 mois
44Le couple est serein. Il s’est toutefois passé un nouvel événement. La responsable de leur fils a appelé chez eux, elle était inquiète. Adrien avait des retards et s’était absenté. La maman dit qu’elle aurait dû renvoyer cette personne vers l’adolescent et ne pas s’occuper de ce qui se passe dans le cadre professionnel. Elle fait le lien avec ses comptes bancaires : il a un chéquier qui reste dans l’entrée sous le regard des parents ; la mère a remarqué qu’il n’inscrivait rien sur les talons de chèque, comment va-t-il pouvoir se gérer ? Elle lui en a fait la remarque et cela a dégénéré entre eux !
45Évocation de la fragilité d’Adrien ; fragilité toujours présente qui conduit le parent à se mettre en position de replacer les règles et la loi.
46Maintenant, Adrien respecte davantage l’espace des parents, mais le sien aussi. Il a commencé des travaux de rangement dans sa chambre, nettoyage à fond ! Impression qu’il installe un « chez lui » … chez eux. Il prend ses repas avec eux, demande s’il peut se joindre à eux.
47Petit à petit, chacun semble trouver des repères. Adrien leur dit que c’est difficile la vie d’un jeune, les projets, les rencontres avec les filles, comment ont-il fait eux pour se rencontrer ? Les échanges se font plus facilement. Le modèle parental est questionné, mais pas toujours critiqué par leur fils.
48Un point important du travail : au-delà de la reprise du rôle et de la place de chacun, la rencontre avec des professionnels à l’écoute des préoccupations de leur enfant permet l’apparition d’un « entre-deux » qui ouvre aux parents la perception d’une altérité et une meilleure compréhension des vécus de l’autre.
Huitième rencontre, à 6 mois
49M. et Mme F. arrivent avec un peu de retard. Ils avaient oublié le rendez-vous. Ils sont souriants et disent qu’ils veulent changer de place aujourd’hui, il faut changer les habitudes ! Nous, nous restons aux mêmes places. Apparaît alors une possibilité de changement, de décalage ; une capacité de se mettre à la place de l’autre !
50Leur fils a décidé de partir quelques jours en vacances avec des amis, il s’insère socialement, évoque la notion de congés payés, et l’alternance entre travail et repos. Au domicile, c’est plus détendu, Adrien les provoque parfois, mais nous concluons que ce sont davantage des propos d’adolescent, des prises de position différentes du modèle familial, plutôt que des agressions dues à une souffrance ou à un mal-être. La mère dit que cette fragilité, cette souffrance chez lui, qu’ils ont vécue difficilement, remonte finalement à bien longtemps. Et ils évoquent Adrien et son petit décalage, cette impossibilité de rentrer dans le moule. Finalement, par certains côtés, il ressemble à son père qui a choisi de ne pas avoir de hiérarchie dans son travail.
51Ils sont partis deux jours en week-end et ils n’éprouvent plus le besoin que leur fils quitte le domicile familial. Ils nous demandent si nous souhaiterions voir leur fils en photo. Après tout, nous ne l’avons jamais vu ! Nous nous demandons si ce n’est pas un moment où leur enfant devient « présentable », moment où l’on peut « se pencher sur le berceau ». Nous évoquons alors la poursuite ou l’arrêt de la thérapie !
52La proposition de l’arrêt de la thérapie émerge au moment où les parents prennent du recul par rapport aux thérapeutes et peuvent envisager de trouver seuls des solutions.
Le dispositif de « thérapie parentale »
53M. et Mme F. nous interrogent : « Mais finalement, comment peut-on appeler nos rencontres avec vous ? » Notre réponse est la suivante : « Nous appelons ça, entre nous, une thérapie parentale. » « C’est très bien, c’est exactement ça ! »
54Dans ce travail, c’est d’abord par le récit de leur propre souffrance que nous rencontrons les parents. Puis vient le désarroi de n’y rien comprendre et l’inquiétude de se demander quelle est leur part de responsabilité. Mais rapidement, la parole des parents s’oriente vers leur propre histoire et vers une remise en perspective de leur trajet de vie, comme pour comprendre l’origine et la nature de la bifurcation sur ce chemin devenu tortueux.
55Il devient alors particulièrement intéressant d’entendre le mythe fondateur du couple conjugal, qui peut aller de l’enthousiasme d’une rencontre amoureuse au désespoir d’une fuite d’un cadre familial traumatique ou trop contraignant. Ces vécus disent quelque chose de la place que l’enfant va prendre dans cette nouvelle famille. C’est l’enfant réel qui fait advenir le couple parental, mais c’est l’enfant rêvé qui pose le cadre de son accueil et de la position éducative du parent.
56Qu’ils soient unis, séparés, recomposés, mono ou homoparentaux, notre attention se porte sur la place, le rôle et la fonction du parent. Être père ou mère dépasse la structure même du cadre familial. Ce qui est mis en œuvre dans notre travail, c’est la position parentale, au sens où la parentalité interroge les positions psychiques, au-delà des postures éducatives.
57Le travail porte sur les représentations, les rôles assignés, les modalités du lien et les transmissions générationnelles. Pour nous, les difficultés parentales sont à resituer dans le cadre d’une dynamique familiale actuelle assez souvent portée par une histoire familiale transgénérationnelle. Les mythes fondateurs et les vécus infantiles des parents font passer dans le réel la position éducative des parents, via des postures fortement symboliques. Ce travail fait émerger les aménagements du couple parental et les processus de parentification, il questionne également la constitution du couple conjugal et le désir d’enfant.
58C’est aussi à partir de là que va s’exprimer l’enfant qui est en eux. L’enfant n’étant pas présent dans le dispositif, le cadre facilite cette réminiscence. L’histoire infantile de chaque parent joue un rôle de « fondateur des mythes » du couple parental. Dans cette nouvelle famille, chacun joue sa partition, parfois en harmonie, parfois en désaccord. Derrière une histoire familiale douloureuse actuelle se profilent, bien souvent, des souffrances individuelles anciennes. C’est à ce niveau-là du récit parental que s’inscrit le travail de thérapie.
59Les fantômes familiaux émergent quelquefois au décours d’une phrase murmurée, ou jetée comme un cri. Ils sont parfois à décrypter derrière une histoire déjà bien maîtrisée, lissée, et tellement anodine ! Au cœur de ces histoires toujours actuelles émergent alors telle maltraitance parentale vécue (« mes parents ne m’ont jamais aimé »), telle histoire cachée (« interdiction de parler de la mort de maman »), tel trajet migratoire traumatique (« je n’ai jamais accepté ce que mon père voulait pour moi »), etc. Les cryptes peuvent apparaître également en creux dans ces « histoires de famille », avec leur cortège d’ancêtres porteurs d’un secret qui, au-delà du parent, se rejoue dans l’actuel de l’enfant.
60Dans cette rencontre qui interroge l’histoire de la famille actuelle et des familles passées, la mise en récit est fondamentale. Ce cadre est quelquefois le premier lieu où se partagent, au niveau du couple, les trajets de vie de l’un et de l’autre, trajets fondateurs des positions parentales actuelles. Et c’est à partir de ce récit que peut se mettre en place un travail sur la parentalité, c’est-à-dire sur la position psychique des parents dans l’accompagnement éducatif de leur enfant.
Bibliographie
Bibliographie
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- Winnicott, D.W. 1975. Jeu et réalité. L’espace potentiel, Paris, Gallimard.
Mots-clés éditeurs : binôme thérapeutique, thérapie parentale, parents, parentalité
Mise en ligne 29/01/2014
https://doi.org/10.3917/empa.092.0109