Empan 2013/3 n° 91

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Article de revue

Le Sahara occidental : entre résistance, projets et urgences

Pages 137 à 140

Notes

  • [*]
    Évangelina San Martin Zapatero, sociologue, formatrice auprès de la formation moniteur éducateur et éducateur spécialisé, La Rouatière, 11400 Souilhanels. zapatero65@hotmail.com
  • [1]
    Laayoune, ville la plus importante du Sahara occidental, contrôlée et administrée par le Maroc depuis 1975 et revendiquée comme capitale par la République arabe saharaouie démocratique.
English version

1En avril dernier, nous avons eu l’opportunité et la merveilleuse expérience de partir dans les camps de réfugiés de Tindouf (Algérie), où vivent, depuis trente-six ans, des milliers de Sahraouis. Nous sommes arrivés avec d’autres collègues espagnols pour participer à la grande mobilisation sociale qui, sous le nom « la columna de los mil », rassemble depuis quatre ans des Sahraouis et des personnes venues du monde entier pour contester le mur de sable de 2 700 kilomètres bâti dans les années 1980 par le Maroc et qui, avec des troupes militaires et des mines anti-personnelles interdites par les conventions internationales, sépare des familles et empêche ce peuple d’exercer sa souveraineté sur le territoire.

2À notre arrivée au petit matin, là où la lumière peine à donner volume et forme au monde extérieur, une étendue infinie de sable marron clair, de ciel bleu encore étoilé et de petites maisons en adobe dispersées et disposées sans aucun ordre, en apparence, contrastaient avec les couleurs vives, disparates et en mouvement des « malfhas » que portaient les femmes qui nous attendaient. Et puis le silence, ce silence brisé par un vent toujours présent, par les rires et l’émotion des femmes à travers leurs visages couverts. Dans cette rencontre, d’abord ce furent les regards, la timidité mutuelle des personnes qui ne se connaissent pas, puis la curiosité, le rapprochement, les mots, l’accueil. Nous fûmes ainsi hébergés pendant une semaine chez des familles, et c’est là, à l’occasion de ce partage du quotidien, que commença tout un apprentissage sur la trajectoire et le compromis politiques des hommes et des femmes pour faire vivre toute une société dans l’exil, pour parvenir d’une manière pacifique à leur droit d’autodétermination et lutter contre l’oubli international.

3Selon le recensement du Haut Comité aux réfugiés (hcr) de 1997, environ 155 000 Sahraouis vivent dans les quatre camps implantés sur la Hamada de Tindouf, à l’extrême sud-ouest du Sahara algérien, zone particulièrement aride et rude, dépourvue de matières premières et dépendante économiquement de la solidarité internationale. C’est là que la République arabe sahraouie démocratique (rasd) s’est créée en 1976, dans un contexte de guerre entre le Maroc et le Front Polisario qui durera seize ans. Cette guerre a condamné des milliers de Sahraouis à fuir, d’abord dans des camps improvisés dans le désert du Sahara occidental, puis près de Tindouf. Nombre d’entre eux arrivaient épuisés et blessés, d’autres restaient sur le chemin. Les conditions sanitaires et alimentaires étant très précaires, une intervention internationale humanitaire a été nécessaire. Dans ces conditions, les femmes sahraouis, qui n’étaient pas restées sur le front, se trouvaient face au défi de construire et d’organiser les camps, de distribuer l’aide, de s’occuper des blessés, des enfants…

4Le cessez-le-feu de 1991 et la signature d’un plan de paix, sous l’égide de l’onu avec promesse de référendum, insufflaient de l’espoir pour faire valoir leur droit à l’autodétermination. La minurso (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) surveille depuis lors le cessez-le-feu et est chargée d’organiser un référendum permettant aux habitants du Sahara occidental de décider du statut futur du territoire. Aujourd’hui, malgré cette présence, ce référendum n’a pas encore vu le jour. L’attente, la longue attente de vingt ans, vingt ans sans guerre ni paix, sillonne les regards et fait s’évanouir, dans l’immensité de cet espace de terre et de ciel, l’intensité de l’espoir initial.

5Ces regards qui se croisaient et se trouvaient avec les nôtres prenaient la forme d’un dialogue entre deux cultures étrangères, d’une rencontre marquée par la curiosité mutuelle de se connaître, dans un contexte où le temps, ce temps long, ce temps immense habillé par l’attente, la routine, les sourires, les rituels du thé, le sable, les rideaux qui dansaient au rythme d’un vent inclément et sans scrupule, laissait voir dans les visages un mélange de fatigue et d’urgence pour que leurs revendications de justice et de dignité soient enfin reconnues.

6L’urgence, dans les visages, de sortir de cette impasse, mais sans pour autant oublier l’urgence de continuer à s’organiser et faire fleurir, comme cela a été le cas, une petite oasis d’écoles, d’hôpitaux, de bibliothèques, d’ateliers, de centres de formation et même de foyers pour l’accueil des enfants en situation de handicap, comme l’école « Castro » dans le camp de « Smara ». Il est important de signaler que, depuis le début de sa création, l’État sahraoui a toujours accordé une grande importance à l’éradication de l’analphabétisme hérité de l’époque coloniale, à la formation et à l’instruction de la population. Cela a permis l’instauration de l’école obligatoire et mixte en langue arabe et espagnole. Après l’école obligatoire et le lycée, nombreux sont ceux qui partent en Algérie, en Libye ou à Cuba pour continuer des études supérieures à l’université. Des jeunes se forment alors dans d’autres pays et rentrent ensuite chez eux pour participer au développement de leur peuple et à la transmission des savoirs. Une jeunesse cultivée, politisée et formée, mais avec des ressources matérielles et des possibilités de travail très limitées.

7Discuter avec eux nous a permis de sentir, d’une manière très prégnante, leur mobilisation et leur implication sociale et politique, tout autant que la tendresse et l’hospitalité d’un peuple qui, dans des conditions d’extrême dureté climatique et avec des ressources très limitées, continue à tisser, avec l’appui de nombreuses ong internationales, des projets de résistance et d’utopie.

8Des projets de résistance et d’utopie qui prennent parfois nom de femme. Comment ne pas citer, par exemple, Aminatu Haidar, la « Gandhi » du Sahara occidental, récompensée quatre fois entre 2006 et 2009 du prix des Droits de l’homme et nominée pour le prix Nobel. Cette femme de 42 ans, rentrant à Laayoune [1] le 14 novembre 2010 via les Îles Canaries et ayant indiqué le « Sahara occidental » comme son lieu de résidence, s’est vue confisquer son passeport marocain. Les autorités policières marocaines l’expulsent alors vers les Îles Canaries, d’où provenait son vol. Les autorités policières espagnoles acceptent qu’elle pénètre en territoire espagnol, malgré l’absence de passeport, mais ne l’autorisent pas à embarquer à nouveau pour le Maroc, justement en raison de l’absence d’un passeport. Aminatu Haidar commence alors une grève de la faim de plus d’un mois, réclamant que les autorités marocaines lui remettent son passeport ou lui permettent de retourner au Maroc. Cette affaire a donné lieu à un bras de fer diplomatique entre Madrid et Rabat, Paris jouant un rôle déterminant pour débloquer la situation. Bien sûr, si le cas d’Aminatu Haidar est pour les Sahraouis un symbole de résistance et de lutte, le travail mené par l’Association des familles de disparus et de prisonniers sahraouis, afapredesa, est indéniable. Cette association, créée en 1989, fait état de 526 personnes portées disparues et travaille pour leur réapparition, pour la libération des prisonniers et pour le soutien et l’orientation des familles devant les organismes humanitaires, l’onu, l’oua (Organisation de l’Union africaine) et des organisations gouvernementales et non gouvernementales.

9Nous avons aussi eu l’occasion de participer à l’inauguration du VIe Congrès de l’unms (Union nationale des femmes sahraouis). Parmi les objectifs, renforcer l’empowerment politique, économique et social des femmes, et favoriser leur présence tant au niveau national qu’international. Le témoignage d’une femme d’âge avancé, la peau burinée, avec dans le regard des centaines de récits, a été particulièrement émouvant, racontant la façon dont elles parvinrent à bâtir les camps, à s’organiser et à s’entraider pour assurer l’éducation, l’alimentation, la gestion de la vie domestique, le soin des proches, la participation dans les affaires publiques et leur contribution à la création des institutions qui donnèrent lieu à la nouvelle société bâtie dans l’exil. Son témoignage fut un appel à la nécessaire organisation collective pour faire face aux obstacles et difficultés que la guerre et le déplacement imposaient à la population civile, en sa grande majorité composée de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Après le récit de celles qui étaient à la base de la création des camps, d’autres récits de femmes plus jeunes, puisque nées dans l’exil, ne furent pas moins émouvants. Leur appel à l’implication et à la participation des plus jeunes dans les instances politiques, à la lutte pour l’égalité entre les sexes, convergeait avec ceux que nous pouvons entendre dans notre société européenne. Écouter et parler avec ces femmes fut alors une autre rencontre et une mise en dialogue du féminisme d’ici et d’ailleurs. Une grande inscription sur le mur du local du congrès annonçait : « Sans les femmes, il n’y a pas de démocratie ». Cette phrase traduisait la nécessité de rendre visible le travail effectué par ces femmes dans toutes les sphères de la société. L’urgence de rendre visible et d’inciter à leur participation politique en vue d’une réelle société démocratique. Un exemple de revendication transfrontalière où le féminisme de là-bas et celui d’ici peuvent tisser des ponts, des dialogues, des liens, des étreintes.

10Ces différentes expériences reflétaient une vitalité et une effervescence sociale qui contrastaient avec la pénurie de ressources et les difficultés matérielles de chaque jour.

11Nous sommes partis avec la volonté de contribuer à maintenir en vie leur mémoire et de rappeler qu’une dette à leur égard reste encore en suspens.

12Le silence international ressemble au silence du désert. Le temps de l’attente n’est que la métaphore de la nécessaire urgence pour briser ce silence.

Bibliographie

  • Union nacional de mujeres Saharauis. 2011. La fuerza de las mujeres. Experiencia de la mujer saharaui.
  • « Un casse-tête nommé Sahara occidental ». 2011. Matalana. Le temps de l’Afrique, n° 27, p. 22-26.

Mots-clés éditeurs : femmes, Sahraouis, réfugiés, démocratie, résistance, enpowerment, mobilisation

Date de mise en ligne : 15/10/2013

https://doi.org/10.3917/empa.091.0137

Notes

  • [*]
    Évangelina San Martin Zapatero, sociologue, formatrice auprès de la formation moniteur éducateur et éducateur spécialisé, La Rouatière, 11400 Souilhanels. zapatero65@hotmail.com
  • [1]
    Laayoune, ville la plus importante du Sahara occidental, contrôlée et administrée par le Maroc depuis 1975 et revendiquée comme capitale par la République arabe saharaouie démocratique.

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