Notes
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Paule Sanchou, membre du Comité de rédaction. Responsable des formations supérieures en travail social à l’université Toulouse-Le Mirail. paule.sanchou@univ-tlse2.fr
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[1]
ash du 2 novembre 2012, n° 2781, p. 28-29.
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[3]
N° 2784 du 23 décembre 2012, p. 24-28.
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[4]
N° 1089 du 17 janvier 2013, p. 10-20.
1En mai 1982, Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale, publie une Circulaire relative aux Orientations sur le travail social qui fait grand bruit dans le champ professionnel. Pour la première fois depuis longtemps, un politique en charge de l’action sociale interpelle directement les professionnels sur les questions du droit des usagers, du développement social local, de l’élaboration et de l’évaluation collective des objectifs du travail social par les professionnels eux-mêmes. Pour permettre « une action sociale adaptée, évolutive, libératrice », la formation doit évoluer. « La formation des travailleurs sociaux doit permettre d’apporter aux travailleurs sociaux une réelle sécurité dans leur identité professionnelle, sans faire de cet ancrage professionnel une résistance au changement. [...] Elle passe par une collaboration avec les universités [qui] doit conduire à décloisonner les formations supérieures, à mieux affirmer la relation entre la recherche et l’action... »
2Trente ans après, on en parle encore… La revue Vie sociale, publiée par le Cedias, consacre le numéro 3-2012 à cette Adresse aux travailleurs sociaux, à travers les textes des témoins de son élaboration, des responsables des politiques sociales, des travailleurs sociaux, des étudiants.
3Les ash ont interviewé Nicole Questiaux, en novembre 2012, sur cette circulaire et sa perception de l’intervention sociale aujourd’hui [1]. Étonnée de cet hommage tardif, elle dit, simplement : « Il m’a paru normal de prendre du temps pour le travail social. »
4Le 23 janvier 2013, Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée en charge des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, intervient devant le Conseil supérieur du travail social à propos du Plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté qui « intègre le travail social comme un levier important ». Elle confirme la tenue, en 2014, des Assises du travail social, qui « sont nécessaires alors que le métier évolue et se complexifie sous l’effet des difficultés sociales et des évolutions des politiques publiques. […] Les travailleurs sociaux doivent répondre à des demandes a priori inconciliables, en tout cas gigantesques ! Tout au bout de la chaîne de solidarité, ce sont eux qui sont quotidiennement confrontés aux situations de précarité et de dénuement. C’est à eux que l’on demande d’agir vite devant l’urgence sociale. C’est à eux de traiter rapidement des dossiers qui se multiplient avec la crise. Mais c’est aussi à eux que l’on demande de voir que derrière chaque cas, il y a une personne, et que celle qu’on a en face de soi ne rentre pas, comme par miracle, dans une case. Ce sont eux qui doivent en permanence préciser, ajuster, adapter les réponses devant des désarrois multiples et à chaque fois différents ».
5« Les travailleurs sociaux sont sur le terrain, au plus près de ceux qui souffrent, et pourtant ils ne se sentent pas écoutés quand il s’agit de penser les politiques qu’ils devront mettre en œuvre. […] Voilà ce qui me semble être aujourd’hui les grands enjeux de ce métier et aussi les difficultés qui peuvent générer un certain malaise chez les travailleurs sociaux. […] Nous devons en premier lieu parler de la formation, initiale et continue, des travailleurs sociaux. Aujourd’hui l’offre est trop émiettée, trop éloignée de l’Université et de la Recherche qui est indispensable à l’enrichissement de nos connaissances et à l’amélioration des enseignements. Je pense notamment que nous devons avoir un œil curieux sur le modèle des Hautes Écoles professionnelles de l’action sociale. »
6C’est qu’en effet, depuis 2008, l’unaforis (Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale) s’est engagée sur les questions de la formation des intervenants sociaux et la promotion des hepass (Hautes Écoles professionnelles en action sociale et de santé).
7L’unaforis réunit, depuis le 1er janvier 2012, l’ensemble des établissements de formation en travail social, précédemment adhérents de l’aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social) et du gni (Groupement national des instituts régionaux du travail social). Son projet est de « promouvoir et soutenir la mise en place d’un nouvel appareil de formation, via les plateformes régionales des formations et les Hautes Écoles professionnelles en action sociale et de santé (hepass), et contribuer activement à une nouvelle architecture des formations et au développement d’une offre de services de qualité ainsi qu’au développement de la recherche pour le travail social ».
8À partir d’une analyse critique du système de formation professionnelle des travailleurs sociaux (atomisé, peu lisible, très complexe, peu régulé, incompatible avec les exigences européennes, déconnecté de la recherche…), l’unaforis, qui se revendique comme « un acteur majeur de la professionnalisation des métiers de l’aide à la personne », a conçu un modèle de hautes écoles, en référence aux modèles belge ou suisse, afin « d’ œuvrer à l’inscription de l’appareil de formation dans l’enseignement supérieur professionnel pour accompagner les mutations organisationnelles et professionnelles du système de formation ».
9Les hebdomadaires professionnels se font régulièrement l’écho de ces questions et nous souhaitons évoquer quelques-unes d’entre elles. Refonder l’appareil de formation semble certes une nécessité, mais appelle à quelques réflexions.
À propos de la compétence des travailleurs sociaux
10De quoi est-elle faite et comment s’élabore-telle ? L’ensemble des métiers de l’intervention sociale a été redéfini selon la logique des référentiels : quelles sont les activités ? Quelles compétences nécessaires pour les exercer ? Comment les certifier (la vae étant devenue un mode de reconnaissance obligé) ? Et enfin, quelle formation pour acquérir ces compétences ?
11Et l’on a vu les formations se structurer selon le modèle du jeu de Lego, un ensemble de briques de compétences modulables, empilables, cumulables, mais où il manque parfois la place pour du lien, du sens, de la réflexion critique, de la mise en perspective.
À propos du niveau de reconnaissance
12Les métiers canoniques du travail social sont reconnus de niveau III (bac + 2). Partout ailleurs en Europe, ils relèvent de formations universitaires et sont reconnus au niveau licence (bachelor, en langage européen). Cette reconnaissance de la formation au niveau II est une vieille bataille des travailleurs sociaux, toujours repoussée par leur ministère de tutelle. Des avancées semblent avoir été obtenues.
13En août 2011, des arrêtés sont pris qui accordent 180 crédits aux diplômes d’État d’assistant de service social, d’éducateur spécialisé, d’éducateur technique spécialisé, d’éducateur de jeunes enfants, de conseiller en économie sociale familiale. Les crédits sont des indicateurs européens permettant de valider les formations et les diplômes. 180 ects (European Credits Transfer System) valident une licence. Mais dans ce cas, si les crédits sont accordés, la licence ne l’est pas pour autant, ni le niveau II correspondant. La réponse à une récente question écrite à l’Assemblée nationale, posée par Madame Beaubatie, laisse entendre qu’en effet, cette reconnaissance au niveau II relève du ministère chargé des Affaires sociales qui doit la faire valider par le rncp (Répertoire national des certifications professionnelles) (Question 15501, au jo du 15 janvier 2013-319 et réponse au jo du 29 janvier 2013-1106).
14Les infirmières et tous les métiers paramédicaux ont obtenu que leurs diplômes soient transformés en licence. Les travailleurs sociaux, non.
À propos des relations avec les universités
15En France, ce sont essentiellement les universités qui sont habilitées à délivrer les diplômes de licence, master et doctorat (l.m.d.). Une des caractéristiques du système français de formation des travailleurs sociaux est qu’il a été développé par des associations professionnelles, hors de l’université.
16Aujourd’hui, la relation entre les deux univers est tellement complexe mais incontournable que, dans le cadre des Orientations pour les formations sociales, 2011-2013, la Direction générale de la cohésion sociale (dgcs) a constitué un groupe de travail qui a produit un rapport sur La coopération entre les établissements de formation préparant aux diplômes de travail social et les universités, en octobre 2012 [2]. Ce rapport formule plusieurs recommandations dont il ressort la nécessité de restructurer l’appareil de formation, dans le cadre européen de qualification l.m.d., en incluant les établissements de formation en travail social dans le système universitaire français des pres (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) et en développant des coopérations équilibrées avec les universités.
17Le rufs (Réseau universitaire des formations sociales), qui regroupe une vingtaine d’universités intervenant dans les formations de travailleurs sociaux, a participé à ce groupe. Il considère que la pluralité des systèmes de formation répond en partie à l’évolution du travail social et à sa complexité actuelle. « Ce qui est essentiel dans toutes les offres de formation, c’est de se retrouver sur les valeurs fondamentales du travail social pour former les professionnels capables d’accompagner les plus vulnérables et compétents pour analyser et s’adapter aux problématiques sociales actuelles complexes et difficilement maîtrisables. […] Ne cherchons pas un modèle unique, cartésien, rationnel en apparence, car les meilleures réponses possibles ne peuvent être que plurielles. »
18C’est dire qu’il faut certes travailler ensemble mais que se rencontrent là des cultures, des institutions, des modes de fonctionnement très différents et que les coopérations ne sont pas simples… Pardonnez cet euphémisme.
Dernière pièce du puzzle : la recherche
19Prendre place dans le système universitaire, c’est accepter le fait que toute formation doit être soutenue, enrichie et confortée par la recherche.
20En 2007, la dgcs a lancé un appel d’offre pour la création de Pôles ressources pour le développement, la valorisation, la capitalisation et la diffusion de la recherche dans le domaine social. Les établissements de formation en travail social y ont répondu, souvent en coopération avec les universités, et des prefas (Pôles ressources pour la recherche en travail social) sont apparus dans toutes les régions. Ils ont vocation à constituer la dimension recherche des futures hepass.
21Les 15 et 16 novembre 2012, s’est tenue une Conférence de consensus, sur la recherche en/dans/sur le travail social, après plus d’un an d’échanges et de concertation. L’intitulé, déjà, questionne la place de la recherche dans le travail social, sa fonction, ses objectifs, ses acteurs. Le rapport n’est pas encore publié mais les ash [3] et Lien social [4] en ont diversement rendu compte. Face à la multiplicité des représentations de cette recherche, la question de départ est bien : comment produire un minimum de consensus qui permette d’avancer dans la recherche relative au travail social ?
22La création d’un doctorat en travail social, très ancienne revendication des professionnels, est remise à l’ordre du jour à cette occasion. Mais le travail social est-il une discipline scientifique, un ensemble des sciences de l’action (comme les sciences de gestion ou de l’éducation), un objet de recherches hétérogènes ?
23Chacun de ces axes mérite réflexion, questionnement, analyse et surtout débat. Notre intention ici n’est que de tenter de clarifier tous ces éléments d’une actualité qui va rester centrale pour les travailleurs sociaux et leurs modes de formation, pendant quelques années encore.
24Bien sûr, les rubriques d’Empan sont là pour accueillir vos réflexions et vos points de vue.
Notes
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Paule Sanchou, membre du Comité de rédaction. Responsable des formations supérieures en travail social à l’université Toulouse-Le Mirail. paule.sanchou@univ-tlse2.fr
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ash du 2 novembre 2012, n° 2781, p. 28-29.
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[3]
N° 2784 du 23 décembre 2012, p. 24-28.
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[4]
N° 1089 du 17 janvier 2013, p. 10-20.