1Finances & Pédagogie est une association loi 1901 qui a pour objet d’aider chacun à mieux vivre sa relation à l’argent. Son siège est à Paris, sa couverture est nationale (environ trente salariés). Créée en 1957 par le réseau des Caisses d’Épargne, cette association, qui s’appelait alors le Centre de recherche sur le budget familial (crbf), a su offrir une véritable opportunité d’éducation financière à des clients en situation tendue. Avec le temps, elle a agrandi son auditoire et intervient aussi vers les professionnels et les salariés, du public comme du privé. Car la précarité a, depuis deux décennies, touché de plus en plus de personnes, y compris dans le monde du travail : les « travailleurs pauvres », qui ne sont pas tous des travailleurs précaires. Enfin, elle accompagne par la formation des structures de distribution de micro-crédits sociaux, comme Parcours confiance.
2Les publics rencontrés sont principalement les bénéficiaires du rsa, les travailleurs en insertion, les jeunes en grande précarité, les femmes seules en charge de famille, les personnes incarcérées à qui il faut redonner les repères nécessaires à une réinsertion sociale et économique.
3Pour la plupart « anciens banquiers », les correspondants Finances & Pédagogie apportent une aide concrète et une analyse professionnelle aux publics en difficulté.
Malendettement : causes et remèdes
4Avant de parler de « surendettement », qui correspond à un état chronique nécessitant à tout le moins l’intervention de la commission de surendettement, il convient de décrire l’état qui précède souvent cette situation. On le qualifiera de « malendettement ». C’est une situation instable et délicate mais pas irréversible. Lorsqu’une dérive des comptes du ménage apparaît, elle n’est pas perçue par le ménage lui-même comme irréversible ni même insoluble. C’est dans ces moments-là que le recours au découvert, puis au « crédit revolving » est utilisé comme une véritable solution miracle destinée à mettre un terme au déséquilibre budgétaire. Or, le recours au crédit pour éponger une dette ou un déficit s’avère un remède pire que le mal lui-même : il donne une illusion temporaire d’un mieux-être, voire ouvre des perspectives nouvelles de dépenses qui vont creuser le déséquilibre qui ne devrait jamais être né entre ressources et dépenses.
5L’illusion est éphémère : l’emprunt, quel que soit le taux auquel il est contracté, vient alourdir la charge et donc accentuer la difficulté. Nous verrons plus loin que les taux des organismes qui vous « disent oui » quand les autres refusent sont plus qu’exorbitants. Ils frisent littéralement le taux d’usure. Ce principe est important à admettre. Bien évidemment, l’effet bénéfique du crédit existe et il peut se révéler regrettable de n’avoir pas su saisir une opportunité faute d’avoir pu ou su recourir à lui. Nous le développons ci-dessous.
6Il paraît profitable de donner ou redonner aux citoyens qui seraient tentés par la surconsommation les règles fondamentales de la bonne gestion d’un budget :
- les charges totales doivent être inférieures, strictement, aux ressources totales ; la difficulté est de connaître la stabilité dans le temps de ces deux postes ;
- le recours au crédit ne peut s’envisager que si :
- l’échéance (comprendre la charge mensuelle de remboursement) vient à hauteur d’une capacité d’épargne existante et respectée,
- ou l’échéance vient remplacer une charge qu’elle fait disparaître (remplacer un loyer, une épargne forcée par un remboursement de prêt immobilier).
- rupture de contrat de travail, entraînant rapidement une baisse de revenus ;
- séparation du couple entraînant une augmentation des charges qui ne sont plus supportées à deux : double logement, double équipement mobilier et électroménager notamment ;
- tentations multiples de la société de surconsommation : téléphonie mobile, gadgets électroniques, tuning, décoration d’intérieur, voyages exotiques, etc.
7Les conséquences d’un déséquilibre budgétaire peuvent s’envisager sous deux angles : pour le ménage lui-même ; pour son environnement.
8Le ménage en déséquilibre va certainement perdre pied et choisir de feindre d’ignorer le mal qui le ronge. La consommation est justifiée par le « besoin » et non « l’envie ». Du coup, c’est le refus de voir les problèmes qui caractérise la première phase de cette situation.
Pourquoi la société continue-t-elle de cautionner de telles situations ?
9Les ménages en déséquilibre financier ont-ils conscience du mal qui les ronge ? Sont-ils victimes consentantes ou même complices de leurs bourreaux financiers ? Cette question m’a longtemps taraudé et c’est en observant de près les raisons du recours aux crédits « toxiques » (comme on dit aujourd’hui « actifs toxiques » à propos de dettes qui sont transformées en actions vendues à nos banques avides de gains faciles) que j’ai compris, en partie, les raisons qui font que les victimes sont non pas consentantes mais résignées.
Le point de vue du banquier
10Lorsque le banquier commence à sentir des difficultés, il ne souhaite ni ne peut en sortir sans dommages. La pluie de frais, agios et autres charges qui va s’abattre sur le client en difficulté ne peut qu’aggraver sa situation. C’est donner à boire à un noyé ! Du coup, le banquier « vrai » dit non à toute demande de crédit de trésorerie supplémentaire. Pas fou, le professionnel ! Il respecte le devoir de ne pas « soutenir abusivement » un client en difficulté. En clair, on ne surcharge pas une mule déjà trop chargée !
11La pression des ratios de solvabilité et autres critères d’appréciation du gestionnaire de clientèle le conduit immanquablement à ne pas alourdir le risque global de son portefeuille de clients et à évacuer le « mauvais risque » qu’il contient. Si par opportunité (malheureuse) un organisme de crédit revolving propose un « ballon d’oxygène » ou une « réserve » à notre ménage en difficulté, cela représente une véritable aubaine pour le banquier, qui se désengage du risque (pour son établissement) tout en laissant accroître le danger pour le client. Cette externalisation des risques n’est pas sans rappeler l’une des perversions de la crise des subprimes que nous traversons : en « titrisant » une créance, on l’habille de respectabilité sans pour autant la rendre plus sûre. En la rendant respectable, en apparence du moins, on la cède plus facilement. En la cédant, on transfère habilement le risque intrinsèque qu’elle recèle. On vient de créer un de ces « actifs toxiques » auxquels il est fait allusion plus haut.
12Les banquiers ont compris cela depuis longtemps : les sociétés de crédit qui accordent des prêts aux plus fragiles d’entre nous ne sont-elles pas leurs filiales ? Filiales rentables (le taux moyen tourne autour de 20 %, oui quand même !) et le risque est très maîtrisé : la casse est beaucoup plus faible qu’on ne le laisse croire. Comment ? Par une technique de recouvrement bien au point : relancer (harceler ?) dès le moindre retard, même pour une échéance mensuelle de 15 €. Car, comme disait cyniquement un responsable du recouvrement de l’un de ces respectables établissements, « ce n’est pas que les gens n’ont plus d’argent, c’est qu’ils n’en ont plus assez ». Le premier qui exige, le premier qui tape fort du poing sur la table est payé. Tant pis pour les autres. Les autres ? Le bailleur du logement, souvent organisme hlm, l’assureur de la voiture, la cantine scolaire, edf, pour ne citer que les principaux, au hasard, ou plutôt là où on croit déceler une faiblesse, les impayés se cumulent. Jusqu’à provoquer pire que le mal qu’on croit guérir. Peut-on impunément cesser de payer son loyer ? L’hiver, c’est vrai, on est protégé du risque d’expulsion, mais l’hiver ne dure pas très longtemps ! Peut-on facilement renoncer à payer l’assurance auto ? Oui, franchement, c’est facile : qui d’entre vous a été contrôlé par la police ? Et puis avec une bonne imprimante couleur, on fait une fausse attestation pour pas cher… Sauf que, en cas d’accident, qui va indemniser la victime ? Le fonds d’indemnisation des victimes de la route ! Certes, mais il se retournera contre vous pour obtenir remboursement !
13Ne croyons pas encore au Père Noël, même si la période s’y prête !
14Comment cela peut-il exister ? Et comment peut-on admettre un risque d’un côté et pas de l’autre ? Eh bien, tout simplement parce que les uns sont des établissements financiers, les banques, qui répondent à des impératifs de gestion de leurs clients très stricts. Les banques européennes se sont imposé de respecter des ratios de solvabilité « convenables ». Elles se rencontrent en Suisse, dans la ville de Bâle, régulièrement, dans ce but. En revanche, les autres, les organismes de crédit, ne sont pas des banques. Il leur suffit légalement de vérifier que le client n’est pas « interdit ficp » (en langage courant, on dira « interdit bancaire » ou encore « fiché à la Banque de France ») pour qu’ils n’aient pas interdiction de prêter. Et hop, le tour est joué. Comme on le disait plus haut, avec une pratique efficace de recouvrement, « même pas peur des impayés » ! La loi Lagarde du 1er juillet 2010 n’a pas encore solutionné le problème : même si une commission a été créée pour imaginer les modalités d’un fichier « positif » (qui comprendrait l’ensemble de l’endettement d’un ménage et empêcherait, théoriquement, de dépasser une limite dite insupportable), celui-ci, de l’aveu des spécialistes, n’est pas près de voir le jour… Ces officines vont continuer à engranger de substantiels profits.
Le point de vue du ménage
15La conscience de se « faire avoir » quelque part, comme on dit, n’est pas absente des propos recueillis auprès de ces publics. Mais s’il y a « conscience », il y a aussi résignation. Car devant un trou budgétaire, devant une difficulté matérielle chronique, devant une insuffisance de ressources ou une explosion de charges (quand ce ne sont pas les deux…), il faut pourtant continuer à vivre, à assurer la nourriture, ne pas montrer qu’on se heurte à une insuffisance économique, qu’on est incapable de faire face. On feint de croire que la « réserve d’argent » n’est pas un crédit hors de prix, que le découvert est un droit ou même un surplus de moyen pour accroître son « pouvoir d’achat ».
16J’ai rencontré beaucoup de gens dont la douleur était visible, mais dont la fierté est intacte : on veut faire face et honorer les échéances, rembourser ses dettes. Même de ses crédits les plus scélérats. Un exemple. Un monsieur d’une cinquantaine d’années, bénéficiaire d’une aide dans une épicerie sociale de la région toulousaine, m’a confié lors d’un « atelier budget » détenir un de ces « crédits revolving » que je venais de décrire. Depuis trente ans… il paie avec sérieux, application et respect de sa parole donnée une « petite » somme chaque mois. Je lui ai alors demandé combien cela lui coûtait chaque mois. Il m’a répondu « 104 €, je crois ». J’ai alors procédé au calcul, sous ses yeux, de ce que cela lui avait réellement coûté. À 20 %, sans assurance, pendant 360 mois, il a déboursé 31 216 € d’intérêts. Pour avoir disposé d’un capital de 6 224 €. En tout ! Et au maximum s’il l’a utilisé dès le début. Autant dire qu’il a payé fort cher sa « liberté », son « autonomie », sa « réserve » dont il a pu jouir « à sa guise », sans justificatif !
17Vous pourriez contester mon calcul : en effet, j’ai fait « comme si » il s’agissait d’un crédit amortissable dont le capital est débloqué en début de période. Et aussi j’ai « figé le taux » sur toute la période à 20 %. Or, pour mieux échapper à la loi Scrivener, il est évident que ces crédits sont à taux variables, « capés » de facto par le taux d’usure ! Si son revolving n’est pas amortissable, sa charge d’intérêt est à peu près la même mais sa dette est encore intacte… Si le taux est monté plus haut, il manque des euros dans mon calcul. Mon approximation, car c’en est une, est finalement « optimiste » (sa situation vraie est peut-être encore pire). Car si ce monsieur avait mis 104 € chaque mois dans une tirelire (sur un livret A, c’est plus sûr), il aurait accumulé 6 224 euros en 60 mois seulement. Cinq ans et non pas trente ! Et « non dépensé » 31 200 € comme il l’a fait en continuant à payer pendant trente ans ! Quel scandale !
18Alors pourquoi céder à ces publicités qui envahissent nos boîtes aux lettres et nos magazines ? Par ignorance ou par bêtise ? Ni l’un ni l’autre : parce que ces personnes fragilisées par une insuffisance de revenus et/ou une charge trop lourde à supporter n’ont aujourd’hui pas trouvé d’autre solution que ces organismes tentateurs. Il y a certes des foyers « suréquipés » en gadgets comme les téléviseurs à écran plat, les derniers pc portables, en canapés en cuir et autres signes extravagants de réussite matérielle. Mais ce n’est pas la seule avidité des uns qui crée ces déséquilibres. La facilité déconcertante avec laquelle on « ringardise » tout ce qui n’est pas « le top de l’équipement », le vêtement de marque qu’il faut avoir, dès l’école primaire, la montre de luxe pour les plus de 50 ans, etc. – autant de marqueurs de la réussite de sa vie : il faut avoir pour être quelqu’un ! Bravo le marketing, ils sont nombreux à y avoir cru. Avec une aah (Allocation adulte handicapé) peut-on vivre correctement ? Ou même avec le rsa ? Pardon, j’aurais dû écrire « survivre », car il n’est pas question de superflu, ni même de fantaisie à ce niveau-là de revenus. Non, le scandale véritable, c’est quand l’insuffisance de revenus oblige à recourir chaque mois aux découverts facturés lourdement quand ils ne sont pas contractuels (on dit « autorisés ») et que le coût des frais plombe lourdement les maigres ressources, aggrave encore les charges.
19Les commissions de surendettement tendent une main secourable aux personnes fragilisées par un « accident de la vie », pas aux surconsommateurs dont la frivolité est la source de leur déséquilibre. Car il n’est pas certain de présenter un dossier « recevable », et donc de bénéficier d’un étalement, voire d’un effacement partiel de ses dettes à tous les coups. De même, le plan de redressement personnel, le prp, est une opération chirurgicale pour sauver en dernier recours un organisme menacé de gangrène. Ce n’est pas un coup d’éponge sans conséquence !
Comment s’en sortir ?
20L’optimisme ne doit pas nous abandonner pour autant ! Il faut réduire sa consommation, chaque fois qu’on peut, traquer les petites fuites sans relâche, pour faire la place à la petite mais nécessaire barrière anti-surendettement imparable : l’épargne de précaution. Remplacer nos pulsions d’avoir par des actes d’être. Et chaque soir vider ses poches pour mettre les pièces jaunes dans une tirelire : avec 20 centimes par jour, je mets de côté de quoi changer ma machine à laver tous les quatre ans. Avec 50 centimes, je m’autorise une réserve de 180 € par an pour faire face à une dépense imprévue. C’est peu ? Vous pouvez plus ? Faites-le : avec l’équivalent d’un paquet de cigarettes par jour, vous pouvez économiser le prix d’une voiture d’occasion en deux ans… Courage, vous allez vous en sortir ! Et pour compenser vos « manques » matériels, rejoignez une association de quartier pour rencontrer d’autres humains, échanger vos bonnes pratiques, vos recettes de cuisine et de bricolage, voire un coup de main pour retapisser une pièce, réparer une prise électrique ou débroussailler un jardin d’un voisin qui physiquement n’en est pas ou plus capable.
21Nous sommes loin des discours de Copenhague ou de Cancun ! Mais dans nos villes et dans nos campagnes, la reconquête de notre bien-vivre passe par ces pratiques.