1L’accompagnement est un terme très largement partagé aujourd’hui, dans le vocabulaire des professionnels du social et du médico-social en particulier. Il a relégué dans l’archaïsme « l’aide » et le « suivi », en proposant ses propres outils et ses propres procédures. « Ne sois pas toujours derrière lui ! derrière elle ! », tel est le nouveau mot d’ordre.
2Peut-on pour autant identifier le contenu des pratiques qui s’accomplissent dans le cadre de cette nouvelle prescription ? Et ce contenu tient-il sa promesse implicite de modernité et d’innovation ? La dimension relationnelle de l’exercice des métiers du social et du médico-social en est-elle véritablement bouleversée ou bien raconte-t-on et se raconte-t-on des histoires (le storytelling des Étasuniens que l’on peut traduire en bon français par « baratin ») ? N’est-il pas trop souvent encore un drapeau qu’on agite pour faire plaisir aux politiques et aux gestionnaires ?
3Ne soyons pas d’emblée trop pessimistes. Peut-on percevoir des spécificités propres de l’accompagnement dans certains univers sociaux ? Quelle différence en effet entre le travail de pédiatres et d’infirmières engagés dans les soins palliatifs auprès de tout jeunes enfants et qui « accompagnent » leurs parents affectés par un dénouement inéluctable, et le travail d’un réseau de soignants et d’éducateurs en charge d’adolescents, soucieux de renouer des fils et de reconstruire avec les intéressés une narrativité de leurs trajectoires fragmentées et dispersées en de multiples structures qui finissent par les exclure – et le travail de celles et ceux que la justice charge d’assurer une tutelle auprès d’une famille, d’une personne, d’enfants… à « accompagner » pour sortir un jour de ce cadre et rejoindre les pratiques de la vie ordinaire –, et la supervision d’un groupe de professionnels accompagnés pour mieux objectiver la part d’ombre de leur rapport aux usagers accompagnés, et… (vous trouverez encore d’autres situations abordées dans ce numéro qui témoignent de cette diversité).
4Mais « plus on accompagne et moins on s’en occupe » est un petit refrain émergeant. C’est que l’accompagnement ne délivre pas magiquement des nombreuses activités bureaucratiques et de gestion qui « accompagnent » de plus en plus les activités de l’intervention sociale, éducative, soignante (récemment, un pédiatre praticien hospitalier témoignait de son exaspération dans un média par ce titre : « On code ou on soigne ? »). L’accompagnement serait-il réductible alors à un ensemble de pratiques entrant en consonance avec les politiques néolibérales qui se focalisent sur l’autonomisation, la responsabilisation et l’individualisation de toute intervention sociale, sanitaire, médico-sociale et socio-éducative dont il faut rendre compte par tout un codage de fiches ? Peut-il rester un peu de temps pour se décentrer des individus « accompagnés » et pour leur faire apercevoir d’autres groupes d’appartenance, voire des collectifs d’autoprise en charge qui font groupe non pas par affinité mais pour porter une idée, pour en faire des projets et leur donner corps dans la réalité, ce qui permet une reconnaissance conquise au sein d’un territoire… Un rêve ? Des exemples témoignent qu’il a de l’avenir.
5Ce numéro n’a pas la prétention d’offrir un bilan exhaustif des pratiques d’accompagnement. Il vise plus sobrement à proposer aux lectrices et aux lecteurs à la fois des comptes rendus de situations où l’accompagnement est en jeu, et des tentatives de prise de distance qui s’efforcent d’échapper au tableau tout noir ou tout blanc pour viser la palette de couleurs d’un tableau impressionniste. Y sommes-nous parvenus ? Vous nous le direz.
