Empan 2006/4 no 64

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Article de revue

Usager et psychothérapie

Pages 63 à 66

1Il est maintenant établi par la loi et entré dans les mentalités que l’usager a droit de regard sur ses soins, mais qu’en est-il des soins par la psychothérapie ? Peut-il avoir un jugement aussi pertinent ? Une psychothérapie, c’est évidemment plus compliqué à présenter que des médicaments et c’est moins concret qu’un nombre de jours ou de semaines d’hospitalisation.

2Disons d’abord qu’il faut présenter une psychothérapie avec précaution, car les usagers ont des souhaits différents et pas forcément univoques quant à la psychothérapie.

3Certains usagers ne conçoivent pas de se confier longuement, ils surinvestissent beaucoup les médicaments, avec souvent une certaine addiction, en particulier pour les anxiolytiques. Ils ne souhaitent répondre à leurs difficultés psychologiques que par des traitements chimiques et rien de plus.

4Certains considèrent qu’ils ont fait un effort louable pour venir consulter, alors ils veulent être payés en retour par un résultat rapide et si possible définitif.

5D’autres argumentent que cela ne sert à rien de parler, certains d’ailleurs ont déjà eu des expériences « malheureuses » avec des thérapeutes, des expériences trop stériles, trop frustrantes… Ce n’était souvent que des rencontres trop brèves pour être significatives ; cependant, ils ont quand même eu l’impression de perdre leur temps…

6Ces usagers déçus ont la sensation d’avoir déjà tout raconté, trop raconté pour le peu que ça leur a rapporté…

7On voit qu’étant donné la complexité de la psychothérapie et l’engagement qu’elle requiert, il paraît nécessaire de présenter le mieux possible à l’usager la psychothérapie qu’on peut lui proposer et de commenter en particulier ses rapports avec les médicaments.

8Le thérapeute a beaucoup d’informations à communiquer pour présenter sa psychothérapie. Il présente d’abord ses choix conceptuels, c’est-à-dire sa façon à lui ou la façon de son école de pensée d’expliquer les difficultés existentielles. Il annonce éventuellement là où il veut en venir avec cette psychothérapie, ensuite le temps que cela peut prendre, les difficultés à prévoir…

9On sait qu’il existe plusieurs écoles de psychothérapie, c’est-à-dire plusieurs façons de conceptualiser des difficultés existentielles. En général ces champs conceptuels sont exclusifs les uns des autres ; cette exclusivité est compliquée pour les non-professionnels, mais il est nécessaire que le thérapeute l’aborde. De plus, il est raisonnable que le thérapeute ne laisse pas croire à l’usager que ce qu’il pense est plus vrai que ce que pensent les autres thérapeutes d’autres écoles, mais simplement que cela lui semble plus vrai à lui, que cela convient mieux à sa vision intuitive de la vie. Enfin, on peut prévenir l’usager qu’il sera critiqué dans sa façon de penser et lui demander qu’il reste quand même un certain temps fidèle à cette thérapie.

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« Il ne faut pas dire handicapé. Ça me fait mal. »

11Bien sûr, on ne peut faire une telle présentation structurée avec les thérapies basées sur l’émergence comme la psychanalyse. Car, d’une part, toute présentation peut obturer l’émergence et, d’autre part, il est impossible de prévoir le moment et la forme de cette émergence.

12Notre thérapie, elle, se prête à une présentation structurée, c’est pour cela que nous pouvons la présenter aisément dans cet article.

13Brièvement, notre thérapie pose que tout désordre psychologique quel qu’il soit provient d’une difficulté d’adaptation à la communauté humaine, c’est-à-dire à toute société sans exception, car toute société est une communauté humaine. En d’autres termes, il s’agit de finir ses phrases, de ne pas se contenter de penser « je suis mal » mais plus exactement « je suis mal dans la communauté humaine » ou encore ne pas penser seulement « je n’arrive pas à vivre », mais « je n’arrive pas à vivre dans cette communauté humaine ».

14C’est ce qu’on appelle une thérapie existentielle et non pas une thérapie essentielle qui, elle, s’intéresse au système de la personnalité plus ou moins isolé et indépendant de son environnement. Les thérapies existentielles ne cherchent pas à savoir qui on est mais comment on existe et quel rôle on tient, ou pour quel rôle on se prend.

15C’est une présentation que nous devons faire à l’usager, car faire des choix conceptuels, c’est en éliminer d’autres, mais, bien entendu, nous faisons cette présentation si possible plus simplement, car nous ne pouvons employer des mots aussi philosophiques qui peuvent effrayer.

16Le but fixé est de s’adapter, soit, mais comment fait-on pour s’adapter ? Pour s’adapter, il faut prendre ses responsabilités. c’est-à-dire que j’admets que je ne suis pas désadapté et exclu par la volonté des autres mais par ma volonté. Je ne suis donc pas victime de cette désadaptation mais responsable, car c’est moi qui refuse les règles de la communauté. En d’autres termes, je ne suis pas victime de la façon dont les autres me traitent. Donc rien ne sert de vouloir changer comment ces autres me traitent, mais je suis responsable de la manière dont je les traite et c’est cela que je prétends changer par la psychothérapie.

17Ainsi, ce fondement de la thérapie qu’est la responsabilité se trouve actualisé quand nous lui demandons de choisir ou pas cette thérapie après avoir, si possible, éclairé son choix.

18Par ailleurs notre thérapie se veut didactique, elle est donc formalisée et plus facilement présentable. Surtout, elle repose sur un travail personnel en accord avec le principe de la responsabilité et de l’engagement.

19Ainsi pour étayer ce travail, nous proposons des formulaires qui sont faits de questions auxquelles l’usager doit répondre, ce sont les étapes. Une fois ce formulaire rempli, l’usager le relit et le commente avec le thérapeute.

20La première étape est standard, c’est une biographie générale pour mieux situer l’usager.

21Dans la deuxième étape, nous lui demandons ce qui se passe de pénible pour lui dans la communauté, tout ce que les gens lui ont fait dernièrement de trop insupportable et qui l’a poussé à demander une hospitalisation ou une aide psychothérapique.

22L’usager ne sait pas forcément répondre à ces questions mais on les reprendra ensuite dans les étapes ultérieures.

23Dans les étapes suivantes, nous lui demandons si cette désadaptation vient de lui. Pense-t-il qu’il a trop de défauts pour s’adapter et pour se faire accepter ? Ou pense-t-il que cette désadaptation vient de la malveillance des autres gens qui ne l’aident pas et ne l’acceptent pas tel qu’il est, car même s’il a des défauts, il n’a pas choisi d’être comme il est.

24En d’autres termes, se sent-il victime de ce qu’il est ou de ce que lui font les autres ?

25Dans les sociétés occidentales, l’usager se sent apparemment davantage victime de lui-même que des autres. C’est l’individualisme occidental : il a l’impression qu’il ne s’aime pas, qu’il n’a pas confiance en lui, qu’il a des complexes, etc.

26Mais, dans les sociétés communautaires comme les sociétés africaines, l’usager se sent surtout victime des autres, mais en conférant aux autres des pouvoirs magiques au lieu de percevoir exactement ce que les autres lui font.

27À noter que le mot « gens » ou le mot « autres » que nous employons souvent, désignent en fait la communauté humaine dans son entier et dans toute sa complexité. On pourrait dire aussi la mentalité humaine ; par exemple, si quelqu’un se plaint de ne pas avoir de chance ou d’avoir un mauvais destin, nous lui traduirons qu’il se sent victime des autres.

28Donc, dans cette première partie, l’usager formalise pourquoi et comment il subit sa vie dans la communauté, et pourquoi et comment il se défend tant bien que mal pour échapper au poids de la communauté.

29Le traitement proprement dit commence avec les étapes ultérieures, quand il prend conscience qu’il n’a jamais été victime des autres gens et que les refus et oppositions des autres sont normaux et non pas injustes et malveillants. Ce n’est pas par ce rôle de victime qu’il peut expliquer ses égarements et sa désadaptation communautaire, mais par le fait qu’il ne respecte pas les intérêts, au sens large, des autres.

30Nous lui proposons un renversement : ce n’est pas les autres qui le maltraitent mais c’est lui qui maltraite les autres. Il les maltraite au sens où il ne respecte pas, par égocentrisme, les droits divergents des autres dans la communauté.

31Il pourra même comprendre que finalement se sentir victime est une tricherie ; c’est encore la meilleure façon qu’on ait trouvée pour se débarrasser des autres sous le prétexte de la légitime défense.

32L’usager est donc libre et responsable, mais il ne l’accepte pas. C’est lui qui fait ses choix ; s’il ne tient pas compte des autres quand il fait ses choix, alors il ne peut pas éclairer ses choix correctement.

33Cette psychothérapie brève est une première approche, car l’usager sera sans doute rattrapé par son rôle de victime dès l’accumulation de conflits trop insupportables. Nous devons aussi le prévenir de cette difficulté à garder ses responsabilités, de même que nous l’encourageons à ne pas être dupe de ce rôle de victime ; c’est-à-dire, au moins, à ne pas dramatiser ce que les autres lui font.

En conclusion

34Il nous semble que notre thérapie correspond assez bien aux critères d’une thérapie de l’usager ou du citoyen. D’abord, parce que ce dernier y parle de ses difficultés à s’intégrer dans la communauté, il dénonce les raisons plus ou moins conscientes pour lesquelles cette communauté lui est insupportable. Ensuite, parce qu’il est placé en position de liberté et de responsabilité.

35En effet, cette thérapie requiert sa responsabilité pour s’adapter à cette communauté ; aussi nous l’invitons à chercher sa responsabilité dans tous ses choix, y compris le choix d’entreprendre ou pas cette thérapie. S’il s’y engage, alors c’est lui-même qui, entre autres par son travail personnel, fait cette thérapie avec l’aide du thérapeute.

36Bien entendu, ce concept du choix éclairé par le thérapeute de faire telle ou telle thérapie est idéal car, par définition, seul un professionnel peut avoir une vision d’ensemble des différents champs conceptuels.

37Mais il vaut quand même mieux, à notre avis, se contenter de cette présentation incomplète que pas de présentation du tout.

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