Notes
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[*]
Michel Chapponnais, directeur, maison d’enfants Les Marron-niers, 10 bis, rue Jean-Mermoz, 78000 Versailles, mchapponnais@ wanadoo. fr
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[1]
Rapport de l’odas, Protection de l’enfance, 0bserver, évaluer pour mieux adapter nos réponses, 2005.
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[2]
Le président du conseil général met en place dans le département un observatoire de l’enfance maltraitée.
-
[3]
Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée, Loi du 10 juillet 1989. Le snatem gère le 119.
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[4]
Le défenseur des enfants est une autorité indépendante chargée de promouvoir les droits de l’enfant (loi 2000-196 du 6 mars 2000).
-
[5]
Rapport de l’igas auprès de quatre services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance.
-
[6]
Voir chapitre 6 dans Placer l’enfant en institution, M. Chapponnais, Paris, Dunod, 2005.
1Au sens commun, le terme signalement se définit comme la « description physique d’une personne que l’on veut reconnaître » ; c’est donc un terme anthropométrique et de police qui a évolué. En protection de l’enfance, ce mot est chargé d’un sens particulier puisqu’il désigne une démarche en faveur de l’enfant victime ou en danger. Ainsi en 2004, 95 000 enfants ont fait l’objet d’un signalement en France [1].
2Il y a signalement lorsque l’entourage s’émeut d’une situation qu’il juge anormale ou lorsque les professionnels recueillent des confidences ou constatent des signes de mauvais traitements.
3L’acte qui consiste à signaler est un geste grave au cours duquel les uns portent à la connaissance des autres des faits qu’ils pensent répréhensibles pour l’éducation, la moralité et le développement de l’enfant. C’est une démarche citoyenne mais avec laquelle le citoyen entretient des rapports complexes, non dépourvus d’hésitation ou d’ambiguïté : on ne sait jamais comment la justice va tourner. Ainsi, les citoyens en appellent à la justice mais malgré tout, la justice effraie. En termes de frayeur, l’affaire d’Outreau n’est pas de nature à rassurer les esprits malgré les excuses publiques et les actes de contrition qui ont accompagné l’affaire.
4La problématique du signalement ne se réduit pas à une tension juridique entre respect de la vie privée et protection des victimes, d’autant plus que des signalements sont directement adressés à l’administration. Pourtant, il est des affaires dans lesquelles les circonstances ne permettent pas de qualifier le signalement auprès du procureur ou du juge des enfants, du fait de la représentation actuelle que l’on se fait du danger. Il s’agit des situations qui se situent entre le soin et l’éducation, entre le social et le médico-social. Dans ce cas, le signalement est empêché parce que la problématique de l’enfant n’est ni celle d’une maltraitance avérée ni celle d’une négligence éducative. Empêchement accentué par un mouvement de déjudiciarisation de nature à freiner les démarches de signalement judiciaire.
5Pour illustrer cette question, nous évoquerons le parcours d’un enfant, après avoir décrit brièvement le cheminement que connaît le signalement dans le cadre de la protection de l’enfance, tant du point de vue des circuits que de la législation qui l’accompagne.
Circuit et contexte du signalement
6Sur fond de protection et de respect de la vie privée, le signalement est encadré par une série d’articles qui dialectisent le devoir de signaler les situations de danger, l’obligation de porter assistance à autrui et, pour certains professionnels (santé, action sociale), celle de protéger les informations recueillies dans le cadre de leur exercice.
7Le signalement en protection de l’enfance suit un processus soit administratif soit judiciaire, suivant la porte d’entrée dans le dispositif. Soit la gravité des faits judiciarise d’emblée la situation via le procureur et le juge des enfants, soit la situation est censée relever de l’aide sociale et le signalement est alors adressé aux services du conseil général.
8Le schéma ci-après trace le cheminement du signalement jusqu’aux destinataires institutionnels : le procureur, juge des enfants, le président du conseil général.
Topologie du signalement
9Outre des instances et institutions, la législation encadre la transmission ou la restriction de l’information (le secret).
10Ainsi le citoyen, en vertu des articles 434-1 et 434-3 du Code pénal, se doit d’informer et porter à la connaissance des autorités administratives ou judiciaires les crimes, les mauvais traitements ou atteintes sexuelles dont sont l’objet les mineurs de moins de 15 ans et les personnes en danger (article 223-6 du ncp).
11Les professionnels, bien que soumis au secret pour certains d’entre eux, sont tenus de révéler les atteintes à l’intégrité des personnes qu’ils accompagnent, ne serait-ce qu’en tant que citoyens (article 434-1 et suivant). La notion de secret est de nature à troubler les esprits et amène souvent les professionnels à s’interroger sur le champ d’application de ce secret. Nous savons que les professionnels sont soumis au secret soit du fait de leur profession, soit de leur mission.
12Pour les professions, il s’agit des médecins, sages-femmes, infirmiers, dentistes, orthopédistes, orthophonistes, assistants de service social (et naturellement les étudiants de ces professions). La liste n’est pas définitive.
13Pour les missions, il s’agit des actions confiées aux professionnels de santé en milieu scolaire et aussi la totalité des personnes qui, directement ou par délégation, participent aux missions de l’Aide sociale à l’enfance.
14En ce qui concerne les institutions, elles ont également le devoir de signaler au procureur de la République les cas de maltraitances institutionnelles (circulaire dga 5/SD n°2002-265 du 30 avril 2002). La loi prévoit des sanctions en cas de manquement à ce devoir de secret (article 226-13 du ncp). Parallèlement, l’article 226-14 prévoit les situations où les professionnels de la santé et de l’action sociale sont autorisés à la révélation du secret.
15On observe que la transmission de l’information oscille entre l’obligation de révéler et celle de se taire : les personnes mal informées hésitent souvent, sans compter celles qui ignorent les interlocuteurs auprès de qui elles doivent signaler.
16Du reste, le signalement des mauvais traitements à l’enfant fait l’objet d’une préoccupation récente des administrations, et nombreux sont les conseils généraux qui éditent des guides du signalement destinés aux professionnels et à leurs administrés.
17Le dispositif étant posé, reste à savoir comment il fonctionne. Malgré la loi du 10 juillet 1989 [2] et des créations récentes, tels le snatem [3] et le défenseur des enfants [4], de nombreux rapports expriment une insatisfaction quant au processus de signalement. On reproche aux signalements adressés à l’autorité judiciaire un manque d’étayage, un abus du signalement d’auto-protection, de type parapluie [5], etc. De fait, dans un vent de déjudiciarisation de la protection de l’enfance, on observait en 2001 que le parquet de Paris classait la moitié des signalements. Nous reviendrons plus tard sur cette question de la judiciarisation des situations de protection de l’enfance.
18Néanmoins, il est des situations qui sont « empêchées de signalement ». Des situations où les faits sont difficilement qualifiables en termes de maltraitance et dans lesquelles les auteurs sont si « bientraitants » qu’ils vont inhiber le signalement. Nous parlerons de Grégory.
Grégory
19Les parents de Grégory sont suivis par les travailleurs sociaux depuis de nombreuses années.
20Grégory n’a jamais été séparé de sa famille et a fréquenté très épisodiquement l’école maternelle où la directrice devait l’arracher des bras de sa mère comme avec un tout-petit. Il a 8 ans et entre en cp. Grégory est très investi par sa famille : il serait à l’origine de l’abstinence alcoolique de la mère de Madame. Les parents sont suivis par les travailleurs sociaux et Grégory en cmpp.
21Les parents de Grégory ont accepté, tant bien que mal, le placement dans une maison d’enfants du fait de la proximité de l’établissement (quartier voisin). Grégory ne se faisait pas à cette séparation d’avec son milieu et attendait désespérément la fin de chaque semaine. Chaque retour à l’établissement était accompagné de violences vis-à-vis des éducateurs et de l’environnement.
22Pour fréquenter l’école spécialisée de l’institution, il exigeait de serrer contre lui, toute la journée, une photo de sa famille, et l’institutrice devait le tenir par la main pour qu’il ne se sauve pas. Grégory était en partance et dès que quelques frémissements d’installation apparaissaient, la famille déstabilisait la situation, tout en donnant des signes apparents de collaboration.
23Grégory fuguera deux fois en empruntant un itinéraire que sa mère lui avait préalablement expliqué. Le placement, de caractère administratif, ne durera que trois mois, les parents y mettant fin à la fois du fait de leur souffrance à être séparés et aussi en raison de l’impossibilité pour l’institution d’empêcher les fugues de leur fils… Paradoxalement, la fin du placement devenait alors une mise en sécurité de l’enfant.
24Après son départ, nous avons appris que cet enfant était resté au domicile plusieurs mois, sans prise en charge, et qu’il avait été finalement admis dans un externat médico-pédagogique qu’il fréquentait seulement à mi-temps car la fréquentation à temps complet avait été un échec. Récemment, nous avons été contactés par la Brigade des mineurs suite à des comportements exhibitionnistes de Grégory sur la voie publique.
25Rappelons que le caractère administratif de la situation laisse aux parents le choix de mettre fin au placement puisque la mesure d’aide est subordonnée à l’acceptation des familles. Il en est de même pour l’affectation de l’enfant à une structure de soins : la cdes doit obtenir l’accord de la famille.
26Enfin, les services de l’Aide sociale à l’enfance ne pouvaient s’appuyer sur l’article 226-4 du casf qui fait obligation à l’administration de saisir l’autorité de justice dans les situations de maltraitance et de non-coopération de la famille puisque, rappelons-le, la famille donnait toutes les apparences de la coopération.
27D’où provient cet empêchement à en référer à une autorité qui aurait pu apporter davantage de coercition dans la situation ? En l’occurrence, nous devons cette position à l’idéologie ambiante concernant la famille, à la promotion du droit des parents à exercer leur rôle (parfois sans évaluation des compétences), à la stigmatisation des familles par les décisions de placement [6], etc. Dans le cadre de cet article, nous développerons seulement la question de la déjudiciarisation des situations de protection de l’enfance.
La déjudiciarisation
28Le terme judiciarisation est un néologisme créé pour désigner le recours excessif à la justice. La judiciarisation concerne autant les échanges commerciaux mondiaux que les rapports sociaux en général. Le phénomène, très inquiétant pour le monde médical, a gagné les sphères de l’éducation et du social, y compris, bien sûr, celle de la protection de l’enfance. Le signalement à l’autorité judiciaire représente donc l’archétype même de la judiciarisation d’une action sociale.
29Dès 2000, l’odas affirmait que le recours à la judiciarisation des situations interrogeait les limites de la prévention administrative, sentiment relayé par le défenseur des enfants en 2001.
30De fait, dans la situation de Grégory, les travailleurs sociaux en charge du dossier n’ont fait aucun signalement à l’autorité judiciaire. Du reste, que signaler ?… Trop aimer son enfant jusqu’à ne pas vouloir s’en séparer est-il considéré comme un facteur de danger ? De toute évidence, dans le contexte actuel, le parquet n’aurait pas retenu un tel signalement et aurait classé sans suite l’affaire, de même que le juge des enfants d’ailleurs.
31En effet, la souffrance affichée d’être séparés de leur enfant faisait obstacle à un signalement, jugé trop agressif vis-à-vis des parents, non maltraitants, au sens habituel de terme. Par ailleurs, la famille, insérée dans le quartier, était demandeuse de prestations d’action sociale et les travailleurs sociaux entretenaient eux une relation positive.
32On peut se demander si l’équilibre familial du couple parental n’a pas été privilégié au détriment de la santé de Grégory. Depuis longtemps, Grégory aurait dû bénéficier de soins intensifs, et ce malgré la volonté des parents et grands-parents qui y faisaient obstacle pour éviter la séparation. L’absence d’une culture d’évaluation de diagnostic en France a certainement également contribué à ce que l’on peut considérer comme un échec de la protection de cet enfant.
33D’une manière générale, l’absence de signalement à l’autorité judiciaire est la résultante d’un regard qui consiste à penser la famille d’origine comme lieu idéal de l’éducation. Dans ce contexte, le juge est le seul acteur en droit de surseoir provisoirement à l’autorité parentale, et la tendance actuelle consiste à promouvoir les droits parentaux de la famille d’origine : on ne saurait priver les parents du droit d’élever leurs enfants. À cet égard, la loi du 2 janvier 2002, favorable à la participation des usagers et au renforcement des droits parentaux, ne saurait être interprétée, insidieusement, a contrario de la protection des enfants victimes. Enfants qui, en matière de protection de l’enfance et de placement, ont besoin d’être parfois séparés des parents agresseurs.
34Ceci dit, précisons que la loi du 2 janvier, loi phare et totémique, a le bénéfice d’uniformiser les pratiques et de rappeler le nécessaire partenariat avec l’usager… pour ceux qui l’auraient oublié.
Conclusion
35La problématique du signalement est largement dominée par les questions de droit, sur fond de respect des libertés individuelles, et portée par la vague de la promotion du droit des usagers, des droits parentaux de la famille d’origine. Sur cette vague, il convient de garder l’équilibre entre les besoins des enfants et les droits des parents. Même s’il n’est pas repéré comme victime au sens juridique du terme, l’enfant devrait pouvoir bénéficier d’un signalement du fait de son état psychique, bien sûr, sur la base d’une évaluation approfondie de ses besoins, sans que les droits parentaux soient perçus comme affaiblis ou bafoués.
36Ne craignons pas d’affirmer que le recours à la justice est parfois un mal nécessaire…
Notes
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Michel Chapponnais, directeur, maison d’enfants Les Marron-niers, 10 bis, rue Jean-Mermoz, 78000 Versailles, mchapponnais@ wanadoo. fr
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Rapport de l’odas, Protection de l’enfance, 0bserver, évaluer pour mieux adapter nos réponses, 2005.
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Le président du conseil général met en place dans le département un observatoire de l’enfance maltraitée.
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Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée, Loi du 10 juillet 1989. Le snatem gère le 119.
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Le défenseur des enfants est une autorité indépendante chargée de promouvoir les droits de l’enfant (loi 2000-196 du 6 mars 2000).
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Rapport de l’igas auprès de quatre services départementaux de l’Aide sociale à l’enfance.
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Voir chapitre 6 dans Placer l’enfant en institution, M. Chapponnais, Paris, Dunod, 2005.