Empan 2006/1 no 61

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Article de revue

Manager : un anar dans les clous

Pages 55 à 61

Notes

  • [*]
    Hugues Marty, directeur d’établissement sanitaire et social, 8, rue de la Hache, 31000 Toulouse.
  • [1]
    chrs : Centre d’hébergement et de réinsertion sociale.
  • [2]
    Il s’agit de la reconstruction d’un entretien dont on a voulu garder tout le jeu de la distance et de l’implication : cela se traduit par l’alternance d’une objectivation détachée, à la troisième personne, et par le surgissement plus engagé de la première personne.

1Même quand on est un directeur « moderne » de chrs[1], formé aux méthodes du management, il arrive qu’on soit parfois confronté à d’importantes difficultés, à de gros soucis avec tel ou tel personnel, avec tel ou tel résident, avec ses tutelles : ces épreuves surgissent sans crier gare, elles vous « prennent la tête » et elles bouleversent votre agenda. C’est ainsi qu’Hugues Marty me téléphone à la fin de l’été pour me dire : impossible de vous faire l’article promis dans les délais. Mais l’un des principes recteurs du management tel que l’entend Hugues Marty, c’est la responsabilité : il ne saurait y déroger par rapport à notre contrat tacite et il me propose une alternative. Il va me raconter de façon brouillonne quelques aspects de sa manière d’exercer sa fonction, à charge pour moi de mettre en forme ses propos sous son contrôle. Nouveau contrat donc, dont voici le résultat[2]. (Marcel Drulhe)

2Le fait de diriger entraîne des responsabilités de fait appelant une éthique qui ne s’invente pas comme on claque les doigts : on peut trouver des principes moraux dans tout bon manuel civique, mais l’éthique, c’est autre chose. D’abord, déclinons les principales responsabilités. Elles sont au nombre de quatre : une responsabilité de service public, une responsabilité à l’égard du public accueilli (il faut mettre en place un contrat qui écarte la possibilité d’un marché de dupe, entre un équipement, avec le personnel à disposition, et la personne reçue), une responsabilité à l’égard du personnel de l’établissement et une responsabilité à l’égard du conseil d’administration de l’association qui l’emploie. Le directeur est cette personne qui doit manager au carrefour de toutes ces intentions, de toutes ces demandes. Ce n’est pas une position confortable, mais elle doit rester dans cet inconfort si on veut faire vivre l’éthique.

La fonction managériale : des techniques au service d’une politique

3Pour manager correctement, il faut des méthodes, peut-être plus simplement encore des outils. Ce sont des outils d’entreprise. Le secteur social et médico-social a fabriqué ses outils propres à partir de ce monde de l’entreprise, souvent par l’intermédiaire de l’État. Nous ne sommes plus au temps des directions paternalistes ou des directeurs gourous très attachés à une technicité particulière quoique souvent fumeuse. On n’en est plus à l’élu des petits copains, celui qui va occuper la fonction de direction à l’égard de l’environnement extérieur, avec une équipe autogérée. Désormais, la fonction de direction s’apprend à travers une formation précise, le plus souvent acquise à l’École nationale de santé publique de Rennes. De ce point de vue, l’État a façonné cette fonction en mettant en place une formation qui convienne à son mode d’organisation et à son fonctionnement. Il ne faut pas oublier que les inspecteurs de l’action sanitaire et sociale sont également formés par cette école. Cela permet aux directeurs de comprendre le langage de leurs financeurs parce qu’ils puisent dans la même boîte à outils.

4D’abord, les outils sont ceux de la gestion financière. Ils ne s’inventent pas ! Dans l’exploitation financière, si vous faites supporter les frais du personnel par le haut du bilan, qui est consacré à l’entretien du patrimoine et à l’investissement, c’est la faillite. Comme dans toute entreprise commerciale, on travaille sur l’exploitation annuelle, c’est-à-dire le quotidien, et en même temps on travaille sur le long terme pour pouvoir garantir des bases saines à l’entreprise sociale parce qu’elle veut continuer à vivre.

5Le second type d’outils relève de la gestion administrative : il s’agit de pouvoir se caler sur les dispositifs réglementaires qui font force de loi dans notre secteur. Il est nécessaire d’être au fait de ces réglementations sans cesse renouvelées. L’enjeu est d’avoir les mêmes informations et les mêmes outils que nos partenaires, en particulier nos financeurs. Ces dispositifs ont trait en particulier à la légalité de la prise en charge, à sa nature et à sa durée. Pour ce qui est des méthodes de la prise en charge, c’est la loi du 2 janvier 2002 qui a précisé les indicateurs tels que le contrat de séjour, le livret d’accueil, le projet personnalisé et donc tout ce qui concerne la contractualisation des rapports entre usagers et établissements. L’ensemble est à la charge du chef d’établissement, qui est directement responsable de cette contractualisation.

6Enfin la gestion du personnel. On mobilise alors d’autres types d’outils : le droit du travail et les conventions collectives entre autres. Sur ce terrain-là, si le directeur n’est pas dans les clous, il va aux prud’hommes !

7Voilà l’essentiel de ce qui constitue la boîte à outils du manager. Mais il y a des outils dont on se sert tous les jours et d’autres moins souvent. Ainsi, c’est tous les jours qu’un directeur prend des décisions. Quels sont les outils d’aide à la décision ? Par exemple, pour la gestion de l’admission des personnes que nous recevons, c’est le recours aux différents cadres : les psychologues, les assistantes sociales, qui apportent un regard différent. La responsabilité du directeur reste entière, mais sa décision est éclairée de l’avis de personnels dont la technicité particulière est mobilisée pour ce type de décision. Un autre outil : les délégués du personnel. Combien de fois remarque-t-on dans les établissements que les instances consultatives sont peu interrogées ! Elles ne sont pas utilisées parce qu’on en a peur, alors que c’est un outil d’aide à la décision. L’utiliser, ce n’est pas jouer au démagogue, c’est tirer parti d’une disposition légale. Autres outils encore : les fiches de postes et les niveaux de délégation accordés. Un directeur ne délègue pas sa responsabilité, mais il ne peut pas tout faire : on voit mal le directeur effectuer les tâches que réalise l’homme d’entretien, ou accomplir le travail de la psychologue, de l’éducateur, etc.

8Manager, c’est finalement mettre tous ces outils au service d’une politique, celle qui est définie par le conseil d’administration. Le paradoxe est que les élus politiques donnent une enveloppe et débrouillez-vous ! C’est ce « débrouillez-vous » qui doit être le terrain politique du conseil d’administration. C’est là que des bénévoles militants s’impliquent pour déterminer des orientations en fonction des convictions qu’ils veulent promouvoir. Si le directeur est choisi par les membres du conseil d’administration, il est tout aussi vrai qu’il choisit aussi de travailler pour telle ou telle association en fonction des missions qu’elle s’est données et de l’esprit qui l’anime. Les candidatures aux fonctions de direction ne se font pas en général au hasard (en ce qui me concerne, j’ai souvent revendiqué être un anarchiste dans les clous). Cette complicité est d’autant plus nécessaire que le directeur est le relais entre ce militantisme du conseil d’administration et les dures réalités des administrations d’État. Il doit à la fois accepter les objectifs des militants associatifs et être au fait de la rigueur administrative et de la gestion publique. Plus un directeur est intègre et rigoureux, plus il sera crédible et mieux il parviendra à faire passer le message de son conseil d’administration aux financeurs.

9Il ne suffit pas d’aller réclamer de l’argent sans dire pourquoi. Le rôle du manager, c’est aussi de justifier les demandes de financement. Certains collègues ont des rapports tendus avec les pouvoirs publics parce qu’ils s’en méfient. Non. Il faut aller voir ses inspecteurs, leur rendre des comptes, leur montrer l’équilibre budgétaire obtenu. Il faut leur dire : « Regardez ce qu’on a fait ! » Dès lors, partant du présent, on peut leur parler de l’avenir en fonction du feu vert donné par le conseil d’administration. Par exemple, en ce moment, nous envisageons un grand réaménagement immobilier. Je suis en train de dire à la ddass : ce n’est pas inutile qu’on injecte plus d’argent dans nos bâtiments parce que la reconfiguration des chambres va permettre de donner de l’intimité à chaque famille, en particulier par un accès exclusif à une salle d’eau et à des toilettes ; finissons-en avec les douches ou les toilettes collectives dont l’hygiène minimale est assurée, mais qui ne respectent pas l’hétérogénéité des exigences hygiéniques de chaque famille accueillie. Et nous allons pouvoir adapter leur volume à la composition familiale. Actuellement nous avons des chambres pour deux personnes : que faire avec une famille de quatre personnes, elle aussi à la rue ?

10En relais du conseil d’administration, c’est bien une des fonctions de direction que d’être vigilant pour une adaptation régulière de l’outil de travail à la configuration de la population qui arrive et à son évolution. Avec la loi du 2 janvier 2002, l’État a régularisé la plupart des dispositifs innovants qui n’étaient pas reconnus. L’État considère que maintenant on a tout inventé ! Heureusement, le militantisme des conseils d’administration n’arrête pas d’observer ce qui se passe et d’imaginer comment y faire face, heureusement, les personnels des établissements tendent aussi l’oreille et tirent des sonnettes d’alarme… Il y a encore beaucoup à inventer et à négocier avec les administrations de l’État.

Manager un établissement social : traduire une politique en activités concrètes de soin ou d’accompagnement avec une équipe…

11Pour exercer ses responsabilités et mettre en œuvre la politique de son association, le directeur ne peut pas instruire tout seul chaque dossier avec sa boîte à outils. C’est là qu’intervient une autre composante du management : mettre en synergie une équipe, c’est-à-dire à la fois faire émerger des qualités et les faire avancer ensemble afin de transformer des orientations en objectifs clairement identifiés. Ces objectifs doivent être clairement énoncés aux collaborateurs et collaboratrices mais aussi aux membres du conseil d’administration et aux financeurs. On ne peut pas manager dans des conditions vraiment professionnelles et avec une rigueur éthique sans avoir été clair : on ne manage pas dans l’ombre.

12Mais cela ne suffit pas. Si on veut poursuivre les objectifs qui sont les nôtres, il est indispensable qu’il y ait de la porosité, sinon les cadres réglementaires vous étouffent. Indispensable que ça transpire, indispensable qu’il y ait des manques, indispensable qu’il y ait des moments sans cadres parce que la vie, les circonstances, la singularité de telle ou telle personne, qu’elle soit accueillie ou salariée, aboutissent à ce que le cadrage ne « marche » pas. J’ai en tête une salariée avec qui ça ne marche pas : il faut pouvoir admettre que ça ne marche pas pour chercher des solutions non prévues dans les cadres actuels. Cela ne veut pas dire qu’on va renoncer aux outils et aux responsabilités qu’on exerce par ailleurs : il s’agit simplement de reconnaître que ça ne marche pas et qu’il va falloir toucher aux cadres. Je pense donc à ce personnel qui vit son métier de façon très difficile, avec des errances intellectuelles sur ce qu’il faut faire, sur ce qu’il ne faut pas faire, etc. J’ai beau lui dire : il faut que vous mettiez vos chaussures de sécurité pour faire ceci, etc., ça ne marche toujours pas ! Il le fait une fois : hiérarchie oblige, mais le lendemain, c’est oublié. Cette personne-là, il faut faire avec. Le directeur n’a pas de baguette magique. En revanche, il y a quelques jours, une résidente vient me voir parce qu’elle est en panne pour une formation de mise au travail. Elle sait que nous avons inventé des stages dans l’établissement. « Un stage en cuisine vous intéresserait ? – Oui, oui. » Alors j’ai demandé à ce personnel qui est le plus « hors cadre » dans notre maison de prendre en stage cette résidente pour lui apprendre un cadre. On ne sait pas ce que ça va donner, mais plutôt que de se fixer sur une relation qui ne débouche sur rien, j’essaie de rendre productive cette difficulté-là, de faire en sorte qu’une difficulté, un manque dans la structure, loin d’être colmaté, puisse être l’occasion d’engendrer des dispositifs un peu innovants.

13Bien sûr, la responsabilité du chef d’établissement est engagée tout le temps, la responsabilité de son propre fait et la responsabilité des autres qui interroge la sienne. De l’exercice de cette responsabilité dépendent les résultats. Et l’obligation de résultats renvoie à l’obtention des moyens de la politique qu’on met en œuvre, les financements. C’est le contrôle de l’État sur les établissements : que sont devenues les résidentes ? Se sont-elles réinsérées ou non quand elles sont sorties du dispositif ? C’est normal : il faut faire la preuve de l’efficacité de sa politique.

14Si la responsabilité du directeur est toujours engagée, il est nécessaire aussi de savoir s’en détacher pour pouvoir être ouvert à ce que disent les autres. Innover consiste souvent pour moi à prendre au mot ce que certains de mes collaborateurs salariés m’ont dit et à quoi je n’avais pas pensé. Pourquoi pas ? On va le mettre en place, on va l’essayer, on va l’évaluer. Je pense à l’une des psychologues en charge d’une dame très troublée. On a mis en place un stage « ménage » dans l’établissement, contractualisé par une convention d’observation en milieu professionnel, parce que cette personne, du fait de son trouble psychique, ne peut exercer valablement une activité de type professionnel qu’à la condition d’être seule. Alors on lui a fabriqué un stage sur mesure : ici, elle nettoie la cave, elle fait le ménage de la salle de jeu des enfants, elle range la bibliothèque toute seule. Plus tard, progressivement, on espère arriver à l’intégrer dans une équipe de travail. J’ai mis en place ce dispositif interne parce que j’ai retenu ce que disait cette collaboratrice. Ce contrat formalisé avec cette personne permet de mettre en avant le sujet. Ce contrat n’est pas illégal mais il est tout a fait atypique et n’entre pas dans le cadre normalisé de notre fonctionnement. Sur ce plan-là, je prends un risque, mais manager, c’est accepter aussi de s’engager et de risquer.

15L’évocation de ces exemples pourrait laisser croire que l’exercice du management appelle la faveur, sinon l’exclusivité, de relations duelles et en face à face avec son personnel. Pas du tout. Le fait d’avoir des réunions collectives, tout comme leur densité et leur pertinence, donne vraiment une idée de la posture à partir de laquelle on exerce comme directeur. Le collectif mobilisé est un outil irremplaçable. Il y a bien sûr des réunions techniques consacrées aux résidentes et aux types de difficultés dans lesquelles elles sont prises, mais il y a aussi les réunions générales qui sont l’occasion de mettre tout sur la table : je ne cache rien au personnel. D’aucuns diront que c’est démagogique ; quant à moi, je ne vois pas pourquoi je cacherais les problèmes budgétaires, les questions de relation de notre établissement avec la ddass, tout aussi bien mes difficultés. Au niveau de la gestion du personnel, il n’est pas question de faire des cachotteries pour utiliser démagogiquement la promotion sociale. D’ailleurs c’est l’une des différences du secteur social et médico-social avec le monde de l’entreprise : nous avons des conventions collectives, appliquons-les. Les seules informations que je cache, ce sont celles dont je ne suis pas sûr : je cherche à éviter les effets d’annonce. Quand une négociation est finie et que j’en ai les relevés, je les expose. Je les expose aux délégués du personnel puis en réunion générale, en particulier au cours de la réunion de rentrée et de la réunion de fin d’année.

16Le fait de réussir autant que possible à faire travailler des personnels ensemble dans la même direction, en particulier en mettant suffisamment de niveaux de délégation qui soient adaptés à chaque personne, permet d’éviter au manager de tomber dans le piège le plus récurrent dans les équipes : se poser de mauvaises questions aux mauvais moments. Par ce jeu de délégations et d’interactions, le personnel pose régulièrement des questions adaptées du fait du croisement des regards échangés au cours des nécessaires collaborations (chaque personnel est amené à s’adresser à la personne qui a en charge telle ou telle délégation). Lorsque les personnels réagissent en professionnels qui échangent leurs expériences auprès des résidentes accueillies, ils expriment des questions justifiées par les faits qu’ils ont eu à connaître. Ils m’en font part, comme ils en ont fait part aux autres professionnels concernés. On n’est plus dans un management exclusivement pyramidal où l’information est censée remonter en y mettant les formes tandis que la direction diffuse vers le bas ses ordres et ses commandements. Non, il s’agit de fonctionner avec des allers-retours. Ainsi, le personnel a la possibilité de prendre la mesure de ce qu’il a besoin de me demander et de ce qui doit rester totalement de son initiative. L’enjeu est de faire comprendre à l’ensemble de mes collaborateurs qu’il existe des niveaux de responsabilité au sein desquels ils doivent agir en toute autonomie. Par exemple, au cours de mes vacances, la ddass appelle la secrétaire-comptable pour lui annoncer la possibilité d’un supplément financier dans le cadre d’une enveloppe régionale. Il s’agit donc de faire une demande cohérente pour obtenir un petit reliquat. La secrétaire-comptable a rédigé une lettre totalement pertinente qui mettait bien en évidence la raison de la demande parce qu’elle connaît bien l’établissement du fait de son poste, des interactions avec les autres personnels et des réunions générales. Elle m’a joint au téléphone sur mon lieu de vacances. Ensemble nous avons vérifié la cohérence de l’argumentation proposée : je n’ai rien retouché. Voilà comment la transparence et une certaine horizontalité dans les rapports permettent la confiance en soi de chacun à la fois dans l’exercice de sa technicité et dans l’accomplissement de la forme de délégation qui l’engage au-delà de sa stricte professionnalité.

17Et c’est aussi cette façon d’organiser les rapports qui permet à un directeur de ne pas avoir peur d’être représenté par les autres à l’extérieur. Ainsi, le fait d’avoir délégué, le fait d’essayer d’éclairer des situations, de réduire l’opacité du fonctionnement, tout ce qui vise à faire comprendre (sans faire des cours de gestion financière) en explicitant tout simplement ce qui se passe… tout cela permet de supprimer ou au moins de réduire les fantasmes, d’être sur son travail avec sérénité. De plus, ce mode de fonctionnement est une véritable préparation à la représentation dans n’importe quelle réunion à l’extérieur, y compris dans des réunions où il faut donner des niveaux de réponse très techniques. Bien sûr la personne qui représente s’exprimera à sa manière mais les faits seront là tout comme la pertinence de son analyse. Il existe toutes sortes de représentations. L’homme d’entretien, par exemple, est allé faire une formation : il a su raconter l’endroit où il travaillait. Je crois que lorsqu’un salarié arrive à raconter avec plaisir et clarté l’endroit où il travaille, c’est gagné ! Il se met en valeur lui-même comme il met en valeur l’établissement parce que ce qu’on y fait est clair et compréhensible par tous.

Sous l’exigence d’une éthique

18Pareil management de l’activité de l’établissement engage une éthique. C’est un gros mot aujourd’hui ! Mais comment le dire autrement ? De la rigueur, oui. Ajoutons encore un gros mot : l’autocritique. Quand on est directeur d’établissement, on ne peut pas s’illusionner sur sa place. Il est absolument nécessaire qu’un directeur puisse trouver quelque part de la contradiction de la part des autres, sinon ce peut être une fuite dans le délire. Manager, c’est un dur métier. On est sommé de faire des choix. On ne peut pas passer à côté d’événements ou de personnes en se disant qu’on ne les a pas vus : si on commence à s’enliser dans l’évitement, c’est le déclin. Oui, j’ai vu ; qu’est-ce que j’en fais ? Mon propre regard est sous le regard des autres, celui du conseil d’administration, celui de l’instance consultative du personnel, celui de la ddass. Ce regard, ce contrôle, je le réclame parce que plus on me contrôlera, plus je pourrai dire quelque chose.

19Cette exigence éthique pour moi-même me permet d’entretenir la vigilance éthique auprès du personnel. Par exemple, j’ai demandé à tout le personnel de ne pas tutoyer nos résidentes. Nous avons travaillé ensemble cette question. Cela renvoie à une exigence de respect, bien sûr. Mais il est nécessaire d’étendre le questionnement. Dans la prise en charge que l’on fait dans nos établissements, on met naturellement en premier la difficulté, le manque, la déficience et ainsi de suite. Derrière : plus personne. On est en train de travailler sur la difficulté et l’on oublie totalement qu’il y a là quelqu’un qui est sans doute malheureux, mais qui a aussi une histoire, qui a des désirs. Dans l’établissement que je dirige, prenez une mère de famille : même si toute sa vie de mère est une suite d’échecs dans son maternage et dans l’éducation qu’elle donne à ses enfants, elle n’en reste pas moins une mère de famille, elle n’en reste pas moins une femme, elle n’en reste pas moins une personne qui a des désirs, qui peut rêver, etc. Mais voilà, ici, ce sont des femmes qui s’occupent d’autres femmes. Du coup, il y a les bonnes et les mauvaises mères. Puis quand une femme s’adresse à une autre femme, elle commence par lui montrer comment être femme. Voilà un questionnement éthique qui est de la responsabilité du directeur. Il ne va pas intervenir dans l’atelier de jeu ou dans le bureau de consultation de l’assistante sociale, non. Son intervention doit s’exercer dans la transversalité des activités de l’établissement sur l’image qu’on peut avoir les uns des autres et sur le mode de relation des personnes (qu’elles soient salariées ou résidentes). Pour les questions techniques, le personnel est qualifié : c’est son affaire. Mais il apparaît là quelque chose qui ressemble peut-être à un « pré carré » du directeur : une vigilance constante quant à l’image que les personnes de l’établissement renvoient, pour qu’il n’y ait pas en coulisse un effet d’imposition de normes qui relèvent du choix libre de chaque citoyen.


Mots-clés éditeurs : management, militantisme, chrs, gestion, éthique

Date de mise en ligne : 01/05/2006

https://doi.org/10.3917/empa.061.61

Notes

  • [*]
    Hugues Marty, directeur d’établissement sanitaire et social, 8, rue de la Hache, 31000 Toulouse.
  • [1]
    chrs : Centre d’hébergement et de réinsertion sociale.
  • [2]
    Il s’agit de la reconstruction d’un entretien dont on a voulu garder tout le jeu de la distance et de l’implication : cela se traduit par l’alternance d’une objectivation détachée, à la troisième personne, et par le surgissement plus engagé de la première personne.

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