1 Créés sur décision du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier 1999 et faisant suite à l’expérience des unités à encadrement éducatif renforcé mises en place en 1996, les centres éducatifs renforcés ont fait une apparition progressive et vite remarquée dans notre paysage social. Au premier juin 2005, ils ont atteint le nombre de 67. Rebaptisés cer par cette habitude des sigles qui caractérise les professionnels de l’enfance et constitue une forme de langage codé fédérateur au-delà des spécificités de chaque métier, ils ont tout de suite fait leur place sur l’échiquier des mesures éducatives.
2 De fait, dans une ambiance assez morose où la prise en charge en hébergement des mineurs les plus difficiles se voit fréquemment reprocher son manque d’innovation, de souplesse, voire d’efficience, ils offrent une réponse qui se veut différente et s’affiche comme telle. De notre place de magistrat, nous nous proposerons donc ici de réfléchir tant aux objectifs poursuivis qu’aux modalités de fonctionnement de ces structures en les mettant en perspective avec les besoins et problématiques des jeunes dont nous avons la charge.
3 Les cer sont prioritairement destinés aux délinquants, qui constituent à ce jour près de 90 % de leur effectif. Mais cette dimension pénale n’est pas seule présente ; les mineurs accueillis sont majoritairement ce que l’on appelle des cas « lourds », au parcours personnel et institutionnel déjà lourdement chargé, pour lesquels les formes de prise en charge classique semblent avoir atteint leurs limites. Si cette orientation peut alors apparaître en premier lieu comme une respiration, pour permettre à chacun, adolescents comme professionnels, de reprendre son souffle au sens littéral du mot, quelles sont au-delà les attentes des professionnels et les évolutions escomptées ? Les objectifs annoncés se concrétisent-ils et surtout perdurent-ils à l’issue du séjour ?
4 Il est évident que les conditions matérielles de prise en charge offertes par les cer, à savoir en premier lieu un fonctionnement basé sur un groupe de huit jeunes en moyenne pour onze intervenants présumant le sérieux de l’encadrement, a d’emblée de quoi séduire les juges. La formule n’en est pas moins coûteuse avec un prix moyen à la journée de 380 euros. Mais si de telles conditions s’avèrent indispensables pour contenir des jeunes à ce point en rupture avec les règles et les cadres sociaux, sont-elles suffisantes pour assurer la qualité de l’éducatif ?
5 Les cer nous obligent à revoir nos schémas classiques de juge des enfants en matière éducative. Quelques constats préalables sont sources de surprise…
6 S’agissant de mineurs délinquants considérés comme les plus en difficulté, on peut s’étonner par exemple de constater que la pjj, qui devrait avoir à leur égard une compétence naturelle, ne gère que cinq d’entre eux alors que le secteur associatif a massivement investi cette nouvelle forme de prise en charge.
7 Comme c’est le cas pour les lieux de vie ensuite, si leur public vient de zones fortement urbanisées, qualifiés généralement de banlieues sensibles, leur implantation géographique est majoritairement en zone rurale ou dans de petites villes provinciales. Dépaysement et retour à la nature apparaissent ainsi comme des valeurs positivées après avoir été souvent critiquées. Est-on bien conscient enfin que les adultes qui vont les encadrer sont encore aujourd’hui majoritairement dépourvus de diplômes dans le champ éducatif ? Sur quels critères sont-ils recrutés ? Y aurait-il des savoir-faire supérieurs aux savoirs traditionnels ou en tout cas plus opérationnels ?
8 Même si chacun s’accorde à dire au bout du compte que les cer, « ça marche », beaucoup d’interrogations, donc. Elles vont se décliner autour des trois phases du placement, sa préparation, son déroulement proprement dit, et ses suites, en écho avec la pédagogie que ces structures mettent en œuvre, clairement basée sur trois principes incontournables et obligatoirement liés : la rupture, le faire avec et la temporalité.
La préparation du placement en cer, autour de la notion de rupture
9 La rupture, pour le mineur, c’est avant tout l’éloignement de son milieu, de ses habitudes, de son parcours. Sachant à quel point les adolescents dont nous nous occupons sont viscéralement attachés à leur territoire, insécurisés dès qu’ils s’éloignent de cet espace restreint qui les enferme autant qu’il les protège, la perspective du départ en cer est un grand changement, source d’une réelle anxiété chez ce public fragile dont la délinquance réitérante n’est pas exclusive de comportements dépressifs qui peuvent être sous-estimés. Toute une préparation pour apprivoiser les résistances du mineur mais aussi de sa famille est nécessaire.
10 Le choix d’un tel placement n’est pas anodin. Il doit être le fruit d’une réflexion approfondie entre le magistrat en charge du dossier et l’éducateur référent. Un placement en cer ne s’improvise pas. Seul le hasard permettra en de rares occasions de faire coïncider une mise en examen dans le cadre d’un déféré avec une orientation en cer pourtant adaptée à la problématique de l’adolescent présenté. On peut le regretter car parfois l’urgence que traduit un déféré coïncide avec la nécessité d’une rupture immédiate. Le temps judiciaire et le temps éducatif ne coïncident pas toujours et en l’espèce l’éducateur se trouve confronté à de nombreuses difficultés que les magistrats doivent intégrer en application du principe de réalité… Soyons clairs : bien souvent, il faudra s’y reprendre à plusieurs reprises pour emporter sinon l’acceptation du mineur du moins sa compréhension d’une telle orientation. La préparation n’intègre pas nécessairement l’obtention d’une adhésion même si celle-ci doit être recherchée comme ailleurs. Il s’agit avant tout de définir des objectifs et d’apporter les explications les plus concrètes et précises possible sur le contenu de la session, ce qui sera proposé comme ce qui sera attendu de l’adolescent afin de le rendre acteur du projet et le lui rendre accessible.
11 Le mineur, qui arrive en général en cer après un long parcours éducatif plus ou moins chaotique, sait parfaitement qu’il n’a pas vraiment le choix et que ce placement s’inscrit pour lui en alternative à court ou moyen terme entre la rue, la prison ou même l’hôpital psychiatrique. C’est donc bien d’aide contrainte qu’il s’agit et non de l’un de ces pseudo-contrats dont l’ambiguïté n’est pas dépourvue d’une certaine violence institutionnelle.
12 À côté des difficultés inhérentes au mineur lui-même, l’éducateur référent devra bien entendu tenir compte des dates des sessions, du contenu des séjours et surtout en priorité du contenu du projet.
13 C’est l’éducateur, en effet, qui en réalité opère le choix du placement. Pour de nombreuses raisons qui tiennent en grande partie à l’évolution de la fonction, les magistrats ne sont plus en prise directe avec les établissements que du reste ils ne connaissent quasiment plus. C’est là une évolution considérable et qui, pour être regrettable, n’en paraît pas moins désormais irréversible. Déjà, pour les foyers implantés dans le ressort géographique de compétence, les visites sont rares et la mission de contrôle que nous confère la loi est peu exercée. Pour les cer, implantés souvent loin du lieu de résidence des mineurs et qui intègrent fréquemment l’itinérance à leurs projets, la tendance s’accentue encore. Nous sommes en fait très dépendants de la perception que peuvent avoir les référents, intermédiaires entre le lieu d’accueil et la juridiction. Il est donc indispensable qu’au-delà du bouche à oreille, l’équipe qui propose un cer ait une connaissance personnelle et si possible approfondie de son fonctionnement. Les contacts préalables avec la protection judiciaire locale et le service départemental de l’aide sociale à l’enfance, les visites régulières des lieux sont indispensables.
14 N’oublions pas à cet égard que près d’un quart des projets présentés par les cer intègrent le séjour à l’étranger dans leur projet pédagogique, en général sous la forme d’une immersion dans le milieu d’accueil, qui a peu de choses en commun avec un séjour touristique. En direction principalement de l’Afrique noire, mais aussi du Maghreb (Maroc), ces séjours de rupture offrent aux adolescents des expériences hors du commun, inscrites souvent dans le champ humanitaire et dont ils retirent de réels bénéfices. Mais encore faut-il que la prise de risque inhérente à la démarche s’accompagne d’une rigueur sans faille des organisateurs dans la préparation comme dans la prise en charge, ce qui n’a malheureusement pas toujours été le cas dans les dernières années. La nécessité d’assurer la sécurité des adolescents sur le plan physique, psychologique, mais aussi sanitaire, est l’exigence prioritaire. Elle l’est d’autant plus que l’adolescent, sans aucun repère familier et comme dépouillé de sa carapace, se trouve particulièrement vulnérable.
La phase de réalisation : contenu et mise en œuvre du projet autour du « faire avec » et du « vivre ensemble »
15 Si parler de rupture conduit inévitablement à s’assurer d’une rigueur particulière dans la prise en charge, ces deux notions sont elles-mêmes inhérentes au contenu du projet. Quelles que soient les déclinaisons, on retrouve des constantes : les thèmes de l’aventure et de l’exploration sur terre et sur mer, le dépassement de soi dans l’effort sportif, la découverte de la nature au travers d’une vie rustique, sont omniprésents. Thème éternel du voyage initiatique qui transforme l’enfant immature en homme sage, riche de sa nouvelle expérience. « Sublimer sa révolte dans un combat au corps à corps avec le milieu marin », propose ainsi tel cer maritime, dans une formule choc, tandis qu’un autre annonce clairement la couleur en inscrivant en caractère gras dans son projet : « au commencement était l’action ». Ce n’est pas d’une agitation vaine semblable à une fuite dont il est question, mais bien de créer un espace d’expériences de vie. Exactement comme dans les contes et légendes inscrits dans notre inconscient collectif le jeune héros, éloigné de sa famille pour un temps, va « apprendre la vie » ailleurs et autrement pour trouver sa place en société. À la différence des récits de notre enfance cependant, l’expérience n’est pas solitaire et c’est la toute sa force : elle est à la fois partagée et encadrée. Le projet est collectif, il s’agit en faisant ensemble les mêmes activités, en suivant le même programme commun à tous de transcender l’histoire douloureuse de chacun au profit de la solidarité, ciment du groupe. Les actes conduiront à la réflexion et les leçons de l’expérience seront tirées pour permettre ensuite à chacun de progresser individuellement et à son rythme sur le chemin de la socialisation. Le cer produit ainsi de la norme et de la communauté, dont l’une se nourrit de l’autre. Le partage des tâches comme des loisirs avec le groupe des pairs et l’encadrement en continu par les adultes autour du « vivre ensemble » et du « faire avec » comme gage de légitimité sont des leviers puissants dont l’efficacité est reconnue. Outre leur coût inévitable, ces notions toutes simples en apparence paraissent néanmoins assez différentes des « habitudes éducatives », basées plutôt sur l’élaboration d’un projet individuel dont la mise en œuvre se réalise dans l’environnement familier de proximité, avec le soutien et l’appui de l’éducateur qui le garantit, mais sans le « co-agir » avec l’adolescent. Sont-elles en opposition ou complémentaires ? Difficile de ne pas se poser la question.
16 La constitution d’une équipe homogène et soudée est en tout cas essentielle. Il est indéniable que le secteur associatif qui dispose du choix de recrutement de ses personnels dispose d’un réel avantage sur ce point, même si tout n’est pas maîtrisable. Enfin, au-delà des qualités personnelles et de l’engagement de chacun des adultes, la mise en place rapide de formations de qualité s’impose pour valider les acquis et les expériences, professionnaliser les encadrants et assurer dans la durée le maintien de la cohérence du travail.
La temporalité comme outil éducatif, le cer suite et fin…
17 Le troisième principe fondateur et non des moindres car de lui découle tout l’équilibre de la prise en charge est celui de la temporalité. Le séjour est inscrit dans une durée brève, connue dès le départ, incompressible, de trois à six mois maximum en fonction des projets. Le temps ainsi s’intègre à l’éducatif et y participe. Pour le mineur, c’est fondamental. La déstabilisation volontairement opérée par le séjour et la séparation parfois douloureuse avec les proches qui s’ensuit, n’est probablement supportable qu’à cette condition. Pour l’équipe aussi, soumise à un rythme intensif qui ne saurait se prolonger trop longtemps sans perdre de son efficacité.
18 Au-delà, tous les professionnels savent combien la question du temps est prégnante dans l’action éducative. Elle est très fréquemment posée par les mineurs et leurs parents dans le bureau du magistrat et il nous est difficile d’y répondre. Les échéances qui marquent la fin des mesures ne signifient pas pour autant la fin des problèmes. Le séjour en cer en revanche prendra fin à son terme quoi qu’il en soit. La réussite obligatoire est d’une certaine manière programmée. Il s’agit quasiment d’une obligation de résultat comme disent les juristes. D’ailleurs, le but affiché paraît bien autant de se réconcilier avec les règles de vie sociale qu’avec soi-même, par la mise en valeur des capacités et des compétences, ce qui est fondamental pour ces adolescents animés d’un fort sentiment d’échec la plupart du temps.
19 Le temps est donc scandé et chaque session elle-même subdivisée en plusieurs séquences. Certains cer souhaitent associer les magistrats aux rythmes qu’ils instaurent et nous demandent de ponctuer ces étapes par des audiences. Outre qu’elles sont très difficiles à organiser sur un plan matériel, il n’est pas certain qu’elles servent l’objectif recherché. L’audience est avant tout un lieu de décision et le juge n’est pas un super-référent.
20 Quoi qu’il en soit, les questions de l’avant et du pendant contiennent fatalement celle de l’après. Mais alors que les phases de la préparation et du séjour lui-même paraissent à ce jour maîtrisées, force est de constater que les suites du cer apparaissent plus incertaines. Comment accepter, après cette communauté construite de toutes pièces et mythique d’une certaine façon, les exigences de la vie en société, celles-là des plus terre à terre et contraignantes sans exaltations compensatrices ? Après avoir vécu de manière intense, sans temps mort, les activités s’enchaînant les unes aux autres, les mineurs se voient malheureusement brutalement reconfrontés sans transition à l’oisiveté sans but du quartier. Très vite, les tentations de toutes sortes sont là. Alors que l’on constate en général à l’issue du séjour une réelle évolution des mineurs, parfois même spectaculaire, il est à craindre, si rien ne se passe, que ce nouveau dynamisme ne s’effrite progressivement. Il nous semble que le cer et l’éducateur référent gagneraient à clarifier leurs rôles respectifs sachant qu’il appartient à ce dernier d’assurer le « fil rouge », c’est-à-dire la continuité et la cohérence de la prise en charge de façon probablement plus lisible.
21 La préparation de la sortie et l’après séjour doivent pouvoir mieux s’intégrer à une prise en charge globale dont le cer serait une étape clairement repérée et non une simple parenthèse. L’exploitation insuffisante des acquis et la difficulté à les intégrer dans la durée nous semblent être à l’heure actuelle des points urgents à améliorer alors que les chiffres nous indiquent que 70 % des mineurs font encore l’objet d’un suivi éducatif à leur sortie. Et quant aux 30 % restants, dont on sait que 12 % sont incarcérés et que 18 % repartent dans leur famille sans mesure éducative, peut-on vraiment en conclure qu’aucune solution éducative n’était possible ou qu’aucune n’était nécessaire ?
22 Ces quelques remarques ne sauraient remettre en cause le travail de qualité mené dans les cer, reconnu je crois unanimement par les magistrats. Elles expriment simplement un regret de ne pas voir ce travail aller jusqu’au bout de ses effets pour les raisons évoquées mais aussi vraisemblablement en raison de la crise que traverse le secteur de l’hébergement assurant des prises en charge traditionnelles et qui peine à assurer le relais.
23 Pour autant, ce qui est accompli est déjà très important et ouvre des pistes de réflexion. À une époque où les grands principes de l’ordonnance de 1945 paraissent susceptibles d’être remis en cause, il est rassurant de les voir mis en œuvre avec succès dans cette forme de prise en charge qui les applique à la lettre tout en passant étonnamment pour novatrice. J’ai compris, m’écrivit un jour un mineur depuis le cer où il était placé « que j’en avais assez d’être “l’intrus” partout où je passais, et je voudrais maintenant que mes parents soient fiers de moi ». Cette phrase naïve, mais ô combien porteuse d’espoir, me servira de conclusion.
Si tu es attaqué, pratique à la rigueur le jiu-jitsu, qui est connaissance de l’homme avec la manière de s’en servir.
Je parle par image : il ne peut pas être question qu’ils te sautent dessus.
Si ça t’arrive, change de métier : c’est que tu es trop petit, que tu as une vilaine figure ou les pieds plats.
Fernand Deligny