« Le directeur est pris, pour reprendre la formule de Daniel Hameline, entre l’idéal du géomètre et l’idéal du saltimbanque. »
1 Lorsqu’on entreprend de mettre en œuvre un projet de développement, on constate rapidement une mise en tension entre des pôles ordinairement opposés. Les conditions de réussite du projet se situent dans la capacité à se maintenir en équilibre entre ces pôles. Par opposition, certaines dérives sont liées à un déséquilibre qui tire l’activité de façon excessive vers l’une ou l’autre de ces composantes.
Utopie/réalité
2 Le projet est une tentative de conjugaison entre de l’idéal et du réel avec pour objectif de concrétiser ce qui n’existe pas encore, mais à partir d’une réalité qu’il doit permettre de faire évoluer.
3 Dérives associées : irréalisme, recherche de perfection/immobilisme, enfermement dans les routines bien établies, reproduction sans créativité.
Individuel/collectif
4 Chaque projet mobilise des ressources individuelles qui ne sont opérantes que si un certain degré de satisfaction y est attaché. Par ailleurs, la dimension collective suppose qu’un certain « désintéressement » prévale. Cette combinaison individu/collectivité suppose pour fonctionner que le projet ait intégré l’importance de cette dialectique.
5 Dérives associées : personnalisation, autoritarisme, abus de position/dilution, absence de lisibilité, défaut d’implication.
Innovation/respect de l’existant
6 Par définition, le projet propose de l’innovation même si tous les projets ne se construisent pas sur des éléments de nouveauté, la transformation induite par de nouvelles dispositions introduit une autre complexité qui peut, par ailleurs, être ressentie comme menaçante par l’environnement. Il s’agit de respecter l’écologie et l’économie de la transformation.
7 Dérives associées : collage, plaquage, imposition de méthodes ou de stratégies décalées/absence de dynamisme, conformisme.
Investissement/bénéfices
8 Le projet peut être vécu comme très consommateur d’énergie, de financement, de motivation et d’espoir. Les bénéfices attendus se situent du côté de l’amélioration de la situation antérieure. On peut dire que plus les bénéfices escomptés sont clairement identifiables et répartis de façon juste, plus on peut espérer à une bonne mobilisation des intervenants.
9 Dérives associées : épuisement, essoufflement, gabegie financière/déception, absence de résultats convaincants.
Efficacité (selon la norme imposée)/efficacité (selon la norme subjective)
10 Le projet est encadré par ses propres définitions mais qui doivent être rapportées à une grille générale d’évaluation dans laquelle les critères sont « standardisés ». À l’intérieur de cette grille, il n’est pas toujours facile d’incorporer les mesures de réussite telles qu’elles sont appréciées par les équipes investies. Notamment la constitution d’échéanciers ajustés sur la périodicité normalisée des affectations budgétaires oblige les équipes à caler leur activité sur ces temps d’évaluation obligée alors qu’ils peuvent être en décalage avec le rythme propre au projet.
11 Dérives associées : rigidité des stratégies, obsession de la démonstration au détriment de la profondeur/attentisme, précautions excessives, autosatisfaction sans repères.
Utilité généralisable/utilité ciblée
12 Les deniers publics ne peuvent être investis que pour le bien commun, et non en vue de la réalisation de « lubies » particulières. Mais, par ailleurs, les projets doivent être construits sur mesure et non se réduire à la reproduction de modèles parachutés sur des réalités qui sont toutes particulières.
13 Dérives associées : tentation d’appliquer les formules éprouvées sans les requestionner/particularisme exacerbé ne permettant pas la transmission à d’autres.
14 Ces quelques éléments d’analyse ont pour fonction de sensibiliser les porteurs de projets aux dérives éventuelles qui peuvent mettre en danger leur entreprise et les inviter au discernement et à la maîtrise d’un équilibre délicat à maintenir et cependant essentiel à son pilotage.