Notes
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[1]
La mobilisation populaire autour de l’ex-général Humberto Delgado, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 1958, marque le début d’une grande agitation politique et sociale contre le régime portugais, qui s’achèvera par la révolte de Beja, la nuit du 31 décembre 1961. Fernando Rosas nomme cette période le séisme delgadiste, expression qui évoque le titre d’un ouvrage du candidat à la présidentielle publié la même année. Humberto Delgado, Tufão sobre Portugal, São Paulo, Editora O Malhete, 1962 ; Fernando Rosas, O Estado Novo (1926 - 1974), in José Mattoso (dir.), História de Portugal, Lisbonne, Círculo de Leitores, 1994, vol. VII, pp. 523-539.
-
[2]
Cristina Clímaco, L’exil politique portugais en France et en Espagne : 1927-1940, thèse de doctorat, Université Paris 7 (Denis Diderot), Paris, 1998 ; Paulo Jorge Pires et Maria João Raminhos Duarte, O Testamento Político de João Rosa Beatriz, Lisbonne – S. Brás de Alportel, Edições Colibri – Câmara Municipal, 2003 ; et « Aos Democratas Portugueses », déclaration de l’Union démocratique portugaise, Casablanca, 10 février 1963 in Centro de Documentação 25 de Abril, fonds Lopes Cardoso.
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[3]
Le groupe accoste au Maroc après un voyage rocambolesque dans une barque ouverte avec un petit moteur. Il est constitué de : Cláudio Torres, militant du Parti communiste portugais (PCP) et ancien prisonnier politique, Manuela Barros Ferreira, épouse de ce dernier, arrêtée avec lui et sympathisante communiste, José Hermínio Duarte, fiché par la Police Internationale et de Défense de l’État (PIDE), José Duarte Afonso, surnommé « Valadas », Valdemar Pinho, également proche du PCP, et le couple Maria Helena Vidal et Fernando Vasconcelos, sans aucune expérience ni aucun lien politique. Entretien de Cláudio Torres mené par Susana Martins et Miguel Cardina, 21 juillet et 10 septembre 2015 ; Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres (interviewé), « De Tondela a Marrocos num ex-barco a remos, passando pela prisão », Público, 2005, http://www.publico.pt/temas/jornal/de-ton-dela-a-marrocos-num-exbarco-a-remos-passando-pela-prisao-26464552 [consulté en janvier 2014].
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[4]
Ibid. et témoignage de Cláudio Torres lors du colloque Exílios contra a Ditadura, Instituto de História Contemporânea - UNL, Lisbonne, 7 et 8 mai 2010.
-
[5]
Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres, « De Tondela a Marrocos… », art. cit.
-
[6]
Lúcio Lara, Um amplo movimento… Itinerário do MPLA através de documentos de Lúcio Lara (1961-1962), Ed. Lúcio Lara, 2006, vol. II, p. 72. La première Conférence des mouvements de libération des colonies portugaises se déroule à Casablanca, du 18 au 20 avril 1961, comptant sur la participation des délégués d’organisations angolaises, cap-verdiennes et guinéennes, mozambicaines, goésiennes et santoméennes. Ibid.
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[7]
Traqué par le régime, Humberto Delgado se voit contraint à demander l’asile politique au Brésil en janvier 1959. Il s’y établit en avril de la même année. Il y sera rejoint par Henrique Galvão, responsable portugais de la spectaculaire prise d’assaut du paquebot Santa Maria, action réalisée au nom du Directoire révolutionnaire ibérique de libération (DRIL) en janvier 1961. Militaire de carrière, partisan de l’Estado Novo, Henrique Galvão s’éloigne progressivement du régime à partir des années 40. En 1951, il soutient l’un des candidats de l’opposition modérée à l’élection présidentielle. Arrêté l’année suivante, Henrique Galvão restera en prison jusqu’à son évasion, dans les tous premiers jours de 1959. Il s’exile d’abord en Argentine, puis au Vénézuela. Frederico Delgado Rosa, Humberto Delgado. Biografia do General sem Medo, Lisbonne, A Esfera dos Livros, 2008 ; Francisco Teixeira da Mota, Henrique Galvão. Um Herói Português, Lisbonne, Oficina do Livro, 2011.
-
[8]
David Raby, « Transatlantic Intrigues: Humberto Delgado, Henrique Galvão and the Portuguese Exiles in Brazil and Morocco, 1961-62 », Portuguese Journal of Social Science, 3 (3), 2004, pp. 143-156 ; témoignages de Camilo Mortágua et Amândio Silva lors du colloque 1961: O ano de todas as crises, CEISXX – Université de Coimbra, Coimbra, 3 et 4 mars 2011, et témoignage de João Paulo Silva Graça lors du colloque international 1961. O Ano Terrível de Salazar, Instituto de História Contemporânea – UNL / CEISXX – Université de Coimbra/Fondation Mário Soares, Lisbonne, 29 et 30 avril 2011.
-
[9]
Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres, « De Tondela a Marrocos… », art. cit.
-
[10]
Entretien de Cláudio Torres mené par Susana Martins et Miguel Cardina, 21 juillet et 10 septembre 2015.
-
[11]
Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses em Argel. A FPLN, das origens à rutura com Humberto Delgado (1960-1965), thèse de doctorat, Université Nouvelle de Lisbonne, Lisbonne, 2013, p. 58.
-
[12]
Entretiens de Quintino de Barros menés par Susana Martins, Lisbonne, 26 janvier 2007 et 1er novembre 2008. Ce groupe s’exile par refus de participer à la guerre coloniale. Informations de Luís Garcia e Silva et Elisa Areias, transmises à Susana Martins par José Hipólito dos Santos, 15 août 2012.
-
[13]
Joaquim Vieira et Celestino Amaral, « Ayala, o resistente », Expresso Revista, 21 juillet 1990, p. 20-27 et Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 102.
-
[14]
Manuel Tito de Morais réside en Angola de février 1952 à avril 1961, date à laquelle il est arrêté par la PIDE, expulsé de cette colonie et transféré en métropole. Ne trouvant pas de travail au Portugal, il s’exile en juillet de la même année en France, puis s’installe au Brésil en septembre 1961. Lors de son séjour à Paris, il s’emploie à créer un organisme représentatif de l’opposition à l’extérieur du Portugal, travail qu’il poursuivra à São Paulo. Lettre envoyée de Rabat, 20 septembre 1962 – fonds Fernando Piteira Santos (lettre 9), Centro de Documentação 25 de Abril. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 73 et sqq.
-
[15]
Lettre à Manuel Sertório, Rabat, 1er septembre 1962 – fonds Manuel Sertório (lettre 743), Centro de Documentação 25 de Abril.
-
[16]
Manuel Sertório s’exile début décembre 1959. Il s’établit au Brésil après un très court passage par l’Uruguay. Au Portugal, il était l’un des principaux responsables de la restructuration de la revue Seara Nova, dont il était devenu le directeur-adjoint en 1958. L’année précédente, il s’était pleinement engagé dans la préparation des élections à l’Assemblée Nationale et avait intégré la Commission citoyenne électorale de Lisbonne. Il avait encouragé la constitution de l’Acção Socialista [Action socialiste], petit cercle socialiste de gauche. Soutien de la campagne présidentielle de Humberto Delgado en 1958, il est lié aux mouvements unitaires qui en sont issus – le Mouvement national indépendant dirigé par Delgado et la Junta Nacional de Libertação [Junta nationale de libération], initiative communiste. Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 59.
-
[17]
Idem, op. cit., pp. 58-101.
-
[18]
Idem, op. cit., pp. 102-118.
-
[19]
Acte de la Ire Conférence du FPLN, rédigé par Manuel Sertório – fonds Manuel Sertório (FPLN/Ire Conférence 1962/Notes, Doc 1), Centro de Documentatação 25 de Abril. Mário Ruivo, qui résidait alors à Rome, était directeur de la Division des ressources halieutiques et de l’environnement de l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation de l’ONU (FAO). Au Portugal, il avait initié son activité politique dans le mouvement de jeunesse MUD Juvenil. Dans les années 1950, il était lié à la rédaction de la revue Seara Nova et à l’activité politique des cercles proches de la revue, notamment dans le cadre de l’Acção Socialista. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 86.
-
[20]
Entretiens de Quintino de Barros menés par Susana Martins.
-
[21]
Entretien de Joaquim Branquinho mené par Susana Martins, 28 février 2008.
-
[22]
Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 135-173.
-
[23]
Rui Cabeçadas arrive en exil à Londres en septembre 1961. Il ira ensuite à Paris en mars 1962 et enfin à Alger après février 1963. Au Portugal, il fut l’un des membres de la nouvelle génération que Sertório appela à la rédaction de la revue Seara Nova. Il fut aussi l’un des membres les plus actifs de l’Acção Socialista. C’est dans ce contexte qu’il a intégré la liste des candidats aux élections à l’Assemblée Nationale de 1957, qu’il a appuyé la campagne présidentielle de Humberto Delgado en 1958 et qu’il s’est engagé dans les mouvements conspiratifs qui s’ensuivirent, notamment la conspiration da Sé en mars 1959. Il avait intégré aussi le mouvement des Juntas de Acção Patriótica [Juntas de l’action patriotique], en constitution à cette époque-là, et il avait représenté l’Acção Socialista dans les débats du Programme pour la Démocratisation de la République, auquel son groupe politique finit par ne pas souscrire. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., pp. 136-137.
-
[24]
João Madeira, História do Partido Comunista Português, Lisboa, Tinta da China, 2013.
-
[25]
Fonds José Hipólito dos Santos et entrevue de José Hipólito dos Santos menée par Susana Martins, 20 juin 2007.
-
[26]
Fonds Manuel Sertório (lettre 357), Centro de Documentação 25 de Abril.
-
[27]
Après sa participation à la IIe Conférence du FPLN, qui se tient à Prague entre les derniers jours de 1963 et les premiers jours de 1964, Delgado est interné dans une unité de santé tchécoslovaque à la suite d’un problème de santé. La convalescence devait être de courte durée, mais des complications la prolongent de presque six mois. Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., pp. 333-343.
1À partir de la fin des années 1950, les oppositions portugaises à l’Estado Novo connaissent une profonde recomposition sous l’impulsion du séisme delgadiste, puis de l’immense frustration ressentie après l’échec de la révolte de Beja [1]. Cette restructuration est visible dans l’émergence de nouveaux courants et l’éclosion ou le renouveau d’organisations politiques, ainsi que dans l’importante redéfinition doctrinaire, qui infléchit la réponse à d’anciennes questions que se posaient la résistance, comme le rôle à attribuer à l’opposition en exil. Elle met aussi à l’ordre du jour d’autres questions pratiquement ignorées jusque là, comme la lutte armée et la lutte anticoloniale.
2Au même moment, l’exil portugais se transforme en profondeur. Non seulement le nombre d’exilés s’accroît du fait d’une répression aggravée à l’intérieur du pays et du refus de jeunes, toujours plus nombreux, de participer à la guerre coloniale entretemps déclenchée. Mais l’arrivée d’un nombre significatif de hauts dirigeants de l’opposition et d’une nouvelle génération d’hommes politiques directement impliqués dans la dynamique renouvelée de l’opposition le revitalise et le revalorise. On constate par ailleurs un changement remarquable dans la répartition géographique des noyaux d’exilés, avec une redistribution des effectifs et une perte d’influence politique de certains cercles au profit d’autres. C’est dans ce contexte que le Maroc et l’Algérie prennent une importance particulière pour l’exil portugais et deviennent les deux scènes centrales de la métamorphose de l’opposition et de l’intensification de la lutte politique qui en découle. Les noyaux d’exilés dans ces deux pays jouent à la fois un rôle de moteur et de frein à la radicalisation de l’opposition portugaise. On y trouve en effet un terrain fécond pour la mobilisation et l’approfondissement de la réflexion, mais on cherche aussi à y contrôler et contenir la gauche marxiste non communiste.
3Une première vague d’exilés portugais était arrivé au Maroc au début des années 1930, à la suite de leur participation aux tentatives de révolte reviralhiste contre la dictature ou, peu après, à la guerre civile d’Espagne, aux côtés des forces de gauche. Ce groupe restera numériquement restreint, dispersé entre plusieurs villes et peu capable de développer une activité systématique et conséquente. Cette incapacité s’explique en grande partie par la grande perméabilité du groupe à l’infiltration d’informateurs de la police politique portugaise, à la surveillance permanente des représentants diplomatiques du régime salazariste et aux faiblesses de l’opposition portugaise en général, et plus particulièrement en exil. Ajoutons à cela que, selon la loi française (qui s’appliquait également au protectorat) les étrangers n’avaient pas le droit de mener une quelconque activité politique [2].
4Avec l’indépendance d’une grande partie du territoire marocain en 1956, ce cadre se modifie significativement. Le Maroc, qui a pour lui d’être à la fois un pays frontalier de l’Algérie (colonie française en guerre pour son indépendance), et un pays voisin des dictatures ibériques, avec un accès facilité à la France, voire à des capitales européennes, apparaît comme un espace privilégié pour le travail politique. De plus, les autorités de ce jeune pays sont disposées à soutenir la lutte anticoloniale, ce qui attire de nombreux militants révolutionnaires de différentes nationalités et les intègre dans la dynamique politique renouvelée. Parmi ceux qui accourent au Maroc, nous comptons des membres du Front de Libération Nationale algérien, des activistes des réseaux internationalistes de soutien à la lutte de libération algérienne ou à l’anticolonialisme en général, des éléments liés aux mouvements de libération des colonies portugaises, entretemps regroupés au sein du Secrétariat permanent de la Conferência das Organizações Nacionalistas das Colónias Portuguesas (Conférence des Organisations nationalistes des Colonies portugaises – CONCP), ainsi que des opposants aux régimes franquiste et salazariste. Le noyau démocrate portugais établi au Maroc gagne ainsi en importance numérique et politique.
5Fin juillet 1961, un petit groupe de jeunes qui veulent échapper à la violence du régime et à la mobilisation pour la guerre en Angola [3], arrivent sur le territoire marocain en provenance de Porto. Après avoir stabilisé un tant soit peu leur situation personnelle, les plus politisés cherchent aussitôt à reprendre le travail politique. Ne voulant pas reproduire les schémas traditionnels de l’opposition, ces jeunes développent une activité relativement autonome à partir de prémisses qu’ils estiment prioritaires : l’action immédiate et la lutte anticoloniale. C’est dans ce contexte que survient la création du Comité de Apoio aos Desertores e Refractários Portugueses (Comité de soutien aux déserteurs et aux réfractaires portugais).
6Plusieurs des jeunes qui fuient la guerre coloniale trouvent refuge au Maroc. Ils y arrivent souvent par bateau, clandestinement, sans passeport, sans relations ni moyens de subsistance, ce qui fait d’eux des cibles faciles pour les autorités locales et les agents de la police politique espagnole et portugaise en activité dans le pays. Le Comité cherche des solutions pour ces situations d’urgence sociale, soit par des initiatives propres comme l’assaut de l’Ambassade du Portugal à Rabat (dans l’intention de récupérer des passeports à falsifier), soit par le recours à l’aide du Secrétariat permanent de la CONCP, dont le siège est à Rabat [4]. Par ailleurs, le Comité accueille, comme il peut, les déserteurs que lui remet l’organisation africaine [5].
7Le rapprochement entre Cláudio Torres, l’élément le plus actif du Comité, et les membres de la CONCP (qui se sont établis dans la capitale marocaine ou y séjournent régulièrement) est évident. Il concrétise d’ailleurs une résolution prise lors de la constitution de la CONCP en avril 1961 au sujet de l’opposition portugaise, à savoir le soutien à la lutte du peuple portugais contre le régime salazariste et l’ouverture à « un dialogue constructif » et « une coopération efficace avec les représentants authentiques du mouvement démocratique portugais sur la base de la reconnaissance solennelle du droit des peuples des colonies portugaises à l’autodétermination et à l’indépendance nationale » [6].
8Durant ce même été 1961, des émissaires de Humberto Delgado et de Henrique Galvão arrivent au Maroc [7] en provenance du Brésil, où les deux chefs militaires avaient commencé à esquisser un nouveau plan révolutionnaire pour renverser la dictature salazariste. Entretemps, Delgado et Galvão rompent tout contact et commencent à agir chacun de leur côté. L’accord entre les deux chefs ayant été gardé secret par leurs « opérationnels » (agents de liaison), ceux-ci continuent à coordonner les préparatifs révolutionnaires au Maroc. Cependant, divers incidents mettent un terme au projet concocté en commun, laissant la place à deux actions distinctes et non cordonnées : le détournement de l’avion de la TAP, la compagnie aérienne portugaise, sur le vol Casablanca-Lisbonne, le 10 novembre 1961, et l’assaut de la Caserne de Beja ci-dessus évoqué [8].
9Au cours des préparatifs, Humberto Delgado et Henrique Galvão prennent contact avec le groupe arrivé de Porto, dont ils ont appris la périlleuse aventure par la presse de l’opposition. Delgado est le premier à prendre contact. Pensant que le groupe avait utilisé une embarcation d’envergure, le général veut vérifier s’il est possible de s’en servir pour « réaliser un grand débarquement » au Portugal. Idée qu’il écarte aussitôt, en apprenant que la réalité est tout autre [9]. Néanmoins, c’est par l’intermédiaire du groupe de Porto qu’il obtient le passeport qui lui permettra de rentrer au Portugal pour participer à la révolte de Beja, et qui fut fourni par la CONCP. C’est encore ce groupe qui promut les premiers contacts avec les nationalistes des colonies portugaises.
10Peu après, c’est Galvão qui leur fait part de son projet de détournement d’un avion dans l’espoir de les impliquer. Helena Vidal et Fernando Vasconcelos acceptent, les autres conditionnent leur participation au fait de pouvoir lâcher des pamphlets contre la guerre coloniale. Condition rejetée [10]. Toutefois, leur intervention se révélera décisive lors du retour au Maroc du groupe opérationnel engagé dans le détournement de l’avion de la TAP. Arrêté par les autorités marocaines, le groupe est en effet menacé d’extradition suite à la demande du gouvernement portugais. Recourant à nouveau à la médiation de la CONCP, le groupe de Porto parvient à éviter le rapatriement des éléments impliqués dans l’opération (qui aurait inévitablement conduit à leur emprisonnement par la police politique), ainsi qu’à négocier leur retour au Brésil, la sentence d’expulsion du Maroc étant maintenue.
11C’est également à l’été 1961, au mois d’août, que le médecin António Santos Dores arrive au Maroc. Mobilisé pour l’Angola lorsqu’il accomplissait son service militaire dans le 1e groupe des Compagnies de Santé comme sous-lieutenant médecin, il décide de déserter. Au Portugal, il avait appartenu à l’Ateneu Cooperativo, où il avait été recruté pour le comité de rédaction de la revue Seara Nova [11]. Il devient le premier d’une série de médecins, dans la même situation, qui s’établira au Maroc dans les mois suivants, profitant des possibilités d’emploi dans ce secteur professionnel. Ainsi, entre la fin de l’année 1962 et le début de l’année 1963, il est rejoint, entre autres, par Quintino de Barros, Victor Blanc, António Marcelo Fernandes, Luís Garcia e Silva et Mário Leão Ramos [12].
12Début juillet 1962, Fernando Piteira Santos arrive à Tanger avec l’intention de poursuivre vers Paris. Il était entré en clandestinité tout de suite après l’échec de la révolte de Beja, en conséquence de sa participation à la préparation de l’insurrection en qualité de membre de la Junta Central de Acção Patriótica (Junta centrale de l’action patriotique), et il reste caché au Portugal jusqu’à ce qu’il prenne le risque de rejoindre le Maroc en bateau, en compagnie d’Adolfo Ayala et du médecin Germano Ferreira da Costa [13]. Ceux-ci sont soutenus principalement par les nationalistes des colonies portugaises de la CONCP. C’est par leur intermède que les nouveaux arrivants cherchent à obtenir des papiers d’identité.
13Ce sont ces exilés, nouvellement arrivés, dont certains sont clairement en transit vers d’autres destinations, qui dévoilent les conditions réelles du travail politique des démocrates portugais au Maroc et l’impossibilité d’y développer une action politique offensive contre le régime portugais. En effet, l’action politique n’est permise qu’aux nationalistes africains, à l’ombre desquels l’opposition portugaise doit accepter de vivre. Cette subordination déplaît certes aux Portugais, mais elle s’impose par une conclusion pragmatique : le besoin de mettre en relief la lutte anticoloniale au sein de la lutte de l’opposition contre le régime salazariste. Comme le souligne Piteira Santos dans une lettre à Manuel Tito de Morais en septembre 1962 :
« Ce qui donne de la visibilité au problème du petit Portugal, c’est la question coloniale : sans la perspective anticolonialiste, nos affaires internes n’ont aucune portée internationale. C’est triste pour notre amour propre, mais il faut avoir le courage de le reconnaître. Personne ne s’intéresse au triste sort d’un Général bien intentionné à qui on a volé des voix lors d’une élection, mais l’opinion internationale écoutera attentivement une déclaration anticolonialiste. Nous devons ouvrir la voie et ce d’autant plus volontiers que la cause est juste et qu’elle rejoint notre intérêt national. » [14]
15Avec l’avancée de la décolonisation au niveau international et le déclenchement de la guerre dans les colonies portugaises, la pression des milieux internationaux contre le Portugal et sa politique coloniale va crescendo. Associer la lutte anticoloniale à la lutte anti-salazariste permettrait aux démocrates portugais de gagner en audience et de s’assurer une aide diplomatique et matérielle. C’est en tout cas ce que croit l’écrasante majorité de la nouvelle génération d’opposants qui arrive en exil. Un tel rapprochement convient également aux mouvements nationalistes des colonies portugaises, qui s’assureraient ainsi un allié supplémentaire dans la lutte contre le colonialisme de l’Estado Novo et obtiendraient, tout particulièrement, un engagement à ce sujet dans la perspective d’une démocratie future.
16Le Maroc est la scène principale où l’opposition portugaise et les mouvements africains reconnaissent avoir un intérêt commun, ce qui resserre leurs liens politiques. Comme nous l’avons vu, la CONCP est disposée à user de son influence sur les autorités marocaines pour faciliter la résolution de questions administratives, voire pour intervenir dans la résolution de sujets plus délicats, comme dans le cas des personnes impliquées dans le détournement de l’avion de la TAP. Par ailleurs, tout à fait consciente de la portée nationale et internationale des figures de Henrique Galvão et Humberto Delgado, et les considérant comme des candidats plausibles à la direction d’une structure de l’opposition portugaise en exil, la CONCP profite du séjour des deux chefs politiques sur le territoire marocain pour sonder l’éventualité d’un rapprochement. Démarche vaine pour ce qui est de Galvão, mais qui trouve un écho auprès de Delgado. C’est aussi parce que la CONCP comprend l’intérêt du renforcement de l’opposition portugaise qu’elle encourage les relations entre cette dernière et les cercles internationalistes de Rabat. Elle met ainsi l’opposition portugaise sur la piste d’une nouvelle voie à explorer : l’Algérie.
17En mars 1962, la France et les représentants nationalistes algériens signent des accords de paix. Quatre mois plus tard, l’Algérie est officiellement reconnue comme un pays indépendant. Ces temps-là sont ceux d’un immense trouble, résultat d’une longue guerre, du démantèlement des structures coloniales françaises et de la lutte violente pour le pouvoir au sein du Front de libération nationale algérien. La tendance qui sort victorieuse de ce conflit est celle de Ben Bella, qui cherche à ériger un socialisme éloigné du modèle soviétique, une sorte de mélange bigarré entre la reproduction de l’expérience autogestionnaire yougoslave, l’influence de ses conseillers trotskistes et, surtout, l’admiration à l’égard de la singularité de la révolution cubaine. Il en résulte une approbation explicite de la lutte armée contre le colonialisme et le fascisme, ce qui attire sur le territoire une véritable plateforme révolutionnaire. S’établissent alors à Alger nombre de ceux qui avaient antérieurement fait leur la lutte nationale algérienne – des Français, des Grecs, des Égyptiens, des Yougoslaves, etc. –, ainsi que des délégations de divers mouvements de libération des colonies portugaises et des opposants portugais, dont un certain nombre arrive du Maroc.
18Aussitôt après l’indépendance de l’Algérie, le médecin Santos Dores est informé de l’intention des nouvelles autorités algériennes de concéder des « facilités tout à fait étonnantes » à l’opposition portugaise [15]. Il essaie alors de rencontrer un représentant valable du front de l’intérieur pour développer ces contacts et profiter de ce qu’il voit comme une occasion unique. En vain.
19Grâce au séjour de Piteira Santos au Maghreb et à l’attention que lui portent Tito de Morais et Manuel Sertório, exilés au Brésil, le sujet revient à l’ordre du jour [16]. Il s’agit d’identifier le lieu le plus approprié pour établir le siège d’un secrétariat de l’opposition à l’extérieur du pays, projet qui avait fait son chemin dans les cercles de l’opposition et qui réunissait désormais des soutiens considérables dans divers noyaux d’exilés, notamment à Londres, à Paris, dans l’Uruguay, ainsi qu’au Portugal. Tous reconnaissent que les potentialités de l’opposition expatriée ne seraient pleinement mises à profit que si elles reposaient sur un organisme capable de définir, avec le front de l’intérieur, une stratégie commune, de coordonner la vaste diaspora de l’opposition et de devenir son porte-parole dans les assemblées internationales [17].
20Le Maroc semble réunir, en principe, les conditions nécessaires à l’établissement d’une structure de cette nature. Mais le déroulement des événements donne l’avantage à l’Algérie. Les autorités algériennes sont en effet disposées à permettre le fonctionnement légal et public d’une base de travail de l’opposition portugaise, à pourvoir à l’emploi et au logement des exilés portugais, à accueillir Humberto Delgado et Rui Luís Gomes et à leur garantir un poste compatible avec leur statut, et enfin à assurer les équipements et moyens techniques indispensables au maintien d’un émetteur radio. Piteira Santos est informé personnellement de toutes ces possibilités, en novembre 1962, par le président Ben Bella lui-même et un autre responsable algérien, Boumediene, lors d’un entretien promu par Michel Raptis, dirigeant de la IVe Internationale trotskiste, ainsi que par l’un de ses contacts dans les milieux internationalistes de Rabat [18].
21Ces informations sont transmises aux participants de la Conferência das Forças Portuguesas Anti-Fascistas (Conférence des forces portugaises antifascistes), qui se tient à Rome entre les derniers jours de 1962 et les premiers jours de 1963. Il y est décidé de créer une commission déléguée du mouvement unitaire portugais – le Frente Patriótica de Libertação Nacional (Front patriotique de libération nationale - FPLN) – à l’extérieur du pays, sans parvenir à un consensus sur le meilleur endroit où l’établir. Alger, Paris ou Rome sont les options analysées. L’hypothèse de Paris étant d’emblée exclue, on confie à Mário Ruivo, un des participants, la mission de faire le point sur les conditions possibles à Rome, tandis que Tito de Morais, un autre participant, est chargé de la même mission à Alger, où il part sans tarder [19].
22Quelques jours plus tard, Joaquim Branquinho, déserteur de la guerre coloniale et ancien étudiant en médecine, jusqu’alors proche des communistes, arrive à Alger [20].
23La capitale algérienne accueillait déjà le médecin Quintino de Barros et sa famille. Les rumeurs d’une probable mobilisation pour la guerre coloniale l’avaient poussé à quitter le Portugal. Il s’était d’abord installé à Rabat (en septembre 1962), avant d’être attiré par la révolution algérienne. Connaissant le manque de cadres techniques avec lequel le nouvel État se débattait, il rejoint l’Algérie en décembre 1962 [21].
24Ce sont les premiers à inaugurer une route qui conduira en Algérie un nombre considérable d’émigrants politiques portugais. En mars 1963, il y a déjà environ vingt-cinq Portugais à Alger, et ce chiffre croît indéniablement tout au long de l’année. Certains de ces Portugais sont directement en lien avec la nouvelle organisation en gestation, de nombreux autres, relativement indépendants de cette structure, sont simplement enthousiasmés par la possibilité de vivre l’esprit révolutionnaire d’Alger et notamment par la porte entrouverte à l’action immédiate, ainsi que par le discours frontalement anticolonial du communiqué issu de la Conférence de Rome [22].
25Parallèlement à ce flux, Alger s’affirme comme le lieu le mieux placé pour fixer la base de travail de l’opposition. Option indiscutable pour certains artisans de l’unité, comme Piteira Santos, Tito de Morais ou Rui Cabeçadas, alors engagés dans le processus de recomposition du camp socialiste et proches du Movimento de Acção Revolucionária (Mouvement d’action révolutionnaire - MAR). Ils sont en effet unanimes sur l’importance de s’associer à la lutte anticoloniale et de s’éloigner des positions communistes [23]. Option que les communistes cherchent à éviter jusqu’au dernier moment, parce qu’ils craignent l’hétérodoxie de la révolution algérienne et la sujétion des intérêts de l’opposition portugaise à la lutte des nationalistes africains, et, par-dessus tout, ils redoutent de ne pas savoir retenir l’élan vers la lutte armée insufflé par l’option algérienne.
26Dans le cadre de la correction de la « dérive à droite » menée par Álvaro Cunhal depuis son évasion de Peniche, en janvier 1960, le Parti Communiste Portugais (PCP) admet les actions violentes comme l’une des formes de la lutte contre le régime. Il s’y voit contraint par plusieurs secteurs du parti qui, depuis les élections de 1958, interrogent l’intérêt des manifestations pacifiques et font valoir que les conditions sont dorénavant réunies pour passer à un niveau supérieur de la lutte. Cependant, la direction du parti ne partage pas cet enthousiasme. Elle persiste à contester l’opportunité à court terme des actions armées, alléguant le besoin de préparation, de planification commune et d’encadrement idéologique. Le renversement de la dictature se ferait certes de manière violente, mais à moyen terme, soulignent les dirigeants du PCP, Cunhal en tête [24].
27De la même façon, l’anticolonialisme est loin de faire l’unanimité parmi l’opposition portugaise. Ils sont nombreux à défendre un changement de la politique coloniale dans le cadre du colonialisme, et tant d’autres semblent n’avoir aucune difficulté à mettre de côté leurs positions formellement anticolonialistes dès que l’exigent les prétendues nécessités de la pratique politique. À la marge, une faible minorité travaille, de manière ferme et constante, à placer l’anticolonialisme au cœur du débat politique portugais, soit par conviction personnelle intrinsèque, soit parce que cette option est de toute évidence essentielle pour porter la lutte antifasciste portugaise au niveau international.
28Or, à ce moment-là, comme nous l’avons avancé ci-dessus, c’est la perspective d’une action immédiate et de la lutte anticoloniale qui attire la majorité des exilés accourant à Alger. Cette majorité est chaque jour plus mécontente des intrigues politiques et des querelles pour le pouvoir entre les dirigeants de la Commission déléguée, dans lesquelles ces derniers veulent constamment impliquer la communauté portugaise. Elle est d’autant plus mécontente que, pendant ce temps, l’opposition ne profite pas pleinement des structures offertes par les Algériens, comme le bureau du Front, qui fonctionne depuis avril 1963, les émissions de la radio Voz da Liberdade (Voix de la liberté), initiées fin juillet de la même année, le soutien politique que les autorités algériennes lui manifestent, en expulsant par exemple la représentation consulaire portugaise en Algérie et en attribuant cette fonction au FPLN. Ne devraient-ils pas mettre tous les Portugais au service de la lutte armée, en l’organisant, en préparant les esprits à cette éventualité, en y encourageant tous ceux qui veulent y participer ? Ne devraient-ils pas rapidement construire et concrétiser une solidarité active avec les mouvements de libération ?
29C’est ce mécontentement qui provoque la création, en août 1963, de la Junta de Acção Patriótica dos Portugueses da Argélia (Junta d’action patriotique des Portugais d’Algérie), structure de base du FPLN qui encadre l’émigration politique portugaise installée dans le jeune pays. C’est aussi ce mécontentement qui motive, en octobre 1963, la « lettre d’appel » à Humberto Delgado, le seul homme capable, pensent-ils, de les mener jusqu’à cette révolte décisive tant désirée. Ces deux initiatives visent un même objectif : renouveler la mobilisation autour du Front et faire pression sur sa direction en vue d’une activité plus offensive et conséquente [25]. Le sentiment général est très clairement exprimé dans les mots que Rui Cabeçadas, l’unique élément de la Commission encore proche de la communauté, adresse, début décembre 1963, à Lopes Cardoso, l’un des membres du cercle démocrate du Maroc : « Je pense qu’ici des perspectives se sont ouvertes et tout le monde est d’accord pour les exploiter en dehors du F. P. [Front patriotique], voire contre lui » [26].
30Jusqu’à la fin de l’année 1964, l’exil algérien est marqué par le clivage entre ces deux pôles politiques. D’un côté, les activistes, surtout influencés par les socialistes de gauche rassemblés dans le MAR, dont les propositions reçoivent l’appui des désalignés politiques. Maristes, delgadistes, communistes en rupture avec le parti et d’autres sans aucun lien politique, tous sont réunis par le désir commun d’une unité plus fluide en termes d’organisation et plus intransigeante dans ses propositions. Ils défendent l’action immédiate contre le régime et le colonialisme. De l’autre côté, les modérés, ancrés dans la structure du PCP, alliés de circonstance du petit cercle local de socialistes de la Résistance républicaine et socialiste. Enfermés dans une vision traditionnelle de l’unité, dirigiste et prête à de grands compromis dans le discours, ils sont disposés à un rapprochement « diplomatique » avec les mouvements nationalistes africains, mais ils restent très réticents quant à l’opportunité d’une lutte armée à court terme, davantage intéressés à retenir l’élan révolutionnaire.
31À l’arrivée de Humberto Delgado, à la fin du premier semestre 1964, les deux camps se sont radicalisés à l’extrême. Le général est la mèche qui allume le dernier conflit. Humberto Delgado, président de la Junta Revolucionária Portuguesa (Junta révolutionnaire portugaise), se déplace à Alger pour préparer en vitesse une révolte qu’il espère décisive. Il s’attend à y trouver des troupes pour son armée et des moyens de l’équiper et de l’entraîner. Il avait déjà attendu longtemps, et avec amertume, dans son exil brésilien, et il avait également été retardé par son séjour forcé en Tchécoslovaquie. Maintenant, il veut de l’action [27]. Le choc avec la réalité est terrible. Les ressources à disposition du Front ne sont pas celles qu’il avait imaginées et la communauté portugaise à Alger n’a pas l’ampleur qui pourrait lui assurer un recrutement en nombre suffisant. Enfin et surtout, les autres dirigeants du FPLN ne semblent pas vraiment intéressés par l’action.
32Amplifiée par le contexte très particulier de l’exil algérien, la confrontation frôle les limites de la folie. Aucune des parties n’est disposée à céder. L’ambiance en est à un tel point d’excitation qu’on ne peut plus se contenter d’autre chose que d’une victoire définitive. Une victoire qui, à Alger, prendra l’apparence d’un status quo matérialisé par la ligne du PCP. Rapidement, le cercle local du MAR s’épuise d’un point de vue numérique, mais surtout d’un point de vue politique. Les dissidents communistes qui se sont entretemps réunis dans l’embryonnaire Frente de Acção Popular (Front d’action populaire - FAP) renoncent à l’idée d’influencer le FPLN et de le transformer de l’intérieur. Ils choisissent aussi de quitter l’exil algérien. Ce flux est accompagné par des « gens des gauches » qui se sentent trompés, après avoir été attirés par l’ambiance révolutionnaire d’Alger et avoir vu dans le général Delgado la possibilité réelle d’une action à court terme contre la dictature portugaise.
33Mais cette victoire est loin d’être définitive. La radicalisation du débat politique est irréversible. On interroge les décisions fondatrices de l’unité de l’opposition et de son format. On conteste les stratégies de luttes traditionnelles. On met en cause le discours ramolli de l’opposition en matière coloniale. La polémique s’engage au Portugal, mais surtout en exil, du fait de la prise de recul favorisée par la liberté d’information et d’expression. L’exil n’est plus regardé comme un appendice logistique, mais se réaffirme comme un centre politique. Sa supériorité numérique et sa plus grande hétérogénéité politique y contribuent. C’est un mouvement inexorable qui, comme nous avons cherché à le démontrer, fait ses premiers pas au Maroc et en Algérie.
Notes
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[1]
La mobilisation populaire autour de l’ex-général Humberto Delgado, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 1958, marque le début d’une grande agitation politique et sociale contre le régime portugais, qui s’achèvera par la révolte de Beja, la nuit du 31 décembre 1961. Fernando Rosas nomme cette période le séisme delgadiste, expression qui évoque le titre d’un ouvrage du candidat à la présidentielle publié la même année. Humberto Delgado, Tufão sobre Portugal, São Paulo, Editora O Malhete, 1962 ; Fernando Rosas, O Estado Novo (1926 - 1974), in José Mattoso (dir.), História de Portugal, Lisbonne, Círculo de Leitores, 1994, vol. VII, pp. 523-539.
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[2]
Cristina Clímaco, L’exil politique portugais en France et en Espagne : 1927-1940, thèse de doctorat, Université Paris 7 (Denis Diderot), Paris, 1998 ; Paulo Jorge Pires et Maria João Raminhos Duarte, O Testamento Político de João Rosa Beatriz, Lisbonne – S. Brás de Alportel, Edições Colibri – Câmara Municipal, 2003 ; et « Aos Democratas Portugueses », déclaration de l’Union démocratique portugaise, Casablanca, 10 février 1963 in Centro de Documentação 25 de Abril, fonds Lopes Cardoso.
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[3]
Le groupe accoste au Maroc après un voyage rocambolesque dans une barque ouverte avec un petit moteur. Il est constitué de : Cláudio Torres, militant du Parti communiste portugais (PCP) et ancien prisonnier politique, Manuela Barros Ferreira, épouse de ce dernier, arrêtée avec lui et sympathisante communiste, José Hermínio Duarte, fiché par la Police Internationale et de Défense de l’État (PIDE), José Duarte Afonso, surnommé « Valadas », Valdemar Pinho, également proche du PCP, et le couple Maria Helena Vidal et Fernando Vasconcelos, sans aucune expérience ni aucun lien politique. Entretien de Cláudio Torres mené par Susana Martins et Miguel Cardina, 21 juillet et 10 septembre 2015 ; Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres (interviewé), « De Tondela a Marrocos num ex-barco a remos, passando pela prisão », Público, 2005, http://www.publico.pt/temas/jornal/de-ton-dela-a-marrocos-num-exbarco-a-remos-passando-pela-prisao-26464552 [consulté en janvier 2014].
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[4]
Ibid. et témoignage de Cláudio Torres lors du colloque Exílios contra a Ditadura, Instituto de História Contemporânea - UNL, Lisbonne, 7 et 8 mai 2010.
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[5]
Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres, « De Tondela a Marrocos… », art. cit.
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[6]
Lúcio Lara, Um amplo movimento… Itinerário do MPLA através de documentos de Lúcio Lara (1961-1962), Ed. Lúcio Lara, 2006, vol. II, p. 72. La première Conférence des mouvements de libération des colonies portugaises se déroule à Casablanca, du 18 au 20 avril 1961, comptant sur la participation des délégués d’organisations angolaises, cap-verdiennes et guinéennes, mozambicaines, goésiennes et santoméennes. Ibid.
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[7]
Traqué par le régime, Humberto Delgado se voit contraint à demander l’asile politique au Brésil en janvier 1959. Il s’y établit en avril de la même année. Il y sera rejoint par Henrique Galvão, responsable portugais de la spectaculaire prise d’assaut du paquebot Santa Maria, action réalisée au nom du Directoire révolutionnaire ibérique de libération (DRIL) en janvier 1961. Militaire de carrière, partisan de l’Estado Novo, Henrique Galvão s’éloigne progressivement du régime à partir des années 40. En 1951, il soutient l’un des candidats de l’opposition modérée à l’élection présidentielle. Arrêté l’année suivante, Henrique Galvão restera en prison jusqu’à son évasion, dans les tous premiers jours de 1959. Il s’exile d’abord en Argentine, puis au Vénézuela. Frederico Delgado Rosa, Humberto Delgado. Biografia do General sem Medo, Lisbonne, A Esfera dos Livros, 2008 ; Francisco Teixeira da Mota, Henrique Galvão. Um Herói Português, Lisbonne, Oficina do Livro, 2011.
-
[8]
David Raby, « Transatlantic Intrigues: Humberto Delgado, Henrique Galvão and the Portuguese Exiles in Brazil and Morocco, 1961-62 », Portuguese Journal of Social Science, 3 (3), 2004, pp. 143-156 ; témoignages de Camilo Mortágua et Amândio Silva lors du colloque 1961: O ano de todas as crises, CEISXX – Université de Coimbra, Coimbra, 3 et 4 mars 2011, et témoignage de João Paulo Silva Graça lors du colloque international 1961. O Ano Terrível de Salazar, Instituto de História Contemporânea – UNL / CEISXX – Université de Coimbra/Fondation Mário Soares, Lisbonne, 29 et 30 avril 2011.
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[9]
Alexandra Dias Coelho et Cláudio Torres, « De Tondela a Marrocos… », art. cit.
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[10]
Entretien de Cláudio Torres mené par Susana Martins et Miguel Cardina, 21 juillet et 10 septembre 2015.
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[11]
Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses em Argel. A FPLN, das origens à rutura com Humberto Delgado (1960-1965), thèse de doctorat, Université Nouvelle de Lisbonne, Lisbonne, 2013, p. 58.
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[12]
Entretiens de Quintino de Barros menés par Susana Martins, Lisbonne, 26 janvier 2007 et 1er novembre 2008. Ce groupe s’exile par refus de participer à la guerre coloniale. Informations de Luís Garcia e Silva et Elisa Areias, transmises à Susana Martins par José Hipólito dos Santos, 15 août 2012.
-
[13]
Joaquim Vieira et Celestino Amaral, « Ayala, o resistente », Expresso Revista, 21 juillet 1990, p. 20-27 et Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 102.
-
[14]
Manuel Tito de Morais réside en Angola de février 1952 à avril 1961, date à laquelle il est arrêté par la PIDE, expulsé de cette colonie et transféré en métropole. Ne trouvant pas de travail au Portugal, il s’exile en juillet de la même année en France, puis s’installe au Brésil en septembre 1961. Lors de son séjour à Paris, il s’emploie à créer un organisme représentatif de l’opposition à l’extérieur du Portugal, travail qu’il poursuivra à São Paulo. Lettre envoyée de Rabat, 20 septembre 1962 – fonds Fernando Piteira Santos (lettre 9), Centro de Documentação 25 de Abril. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 73 et sqq.
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[15]
Lettre à Manuel Sertório, Rabat, 1er septembre 1962 – fonds Manuel Sertório (lettre 743), Centro de Documentação 25 de Abril.
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[16]
Manuel Sertório s’exile début décembre 1959. Il s’établit au Brésil après un très court passage par l’Uruguay. Au Portugal, il était l’un des principaux responsables de la restructuration de la revue Seara Nova, dont il était devenu le directeur-adjoint en 1958. L’année précédente, il s’était pleinement engagé dans la préparation des élections à l’Assemblée Nationale et avait intégré la Commission citoyenne électorale de Lisbonne. Il avait encouragé la constitution de l’Acção Socialista [Action socialiste], petit cercle socialiste de gauche. Soutien de la campagne présidentielle de Humberto Delgado en 1958, il est lié aux mouvements unitaires qui en sont issus – le Mouvement national indépendant dirigé par Delgado et la Junta Nacional de Libertação [Junta nationale de libération], initiative communiste. Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 59.
-
[17]
Idem, op. cit., pp. 58-101.
-
[18]
Idem, op. cit., pp. 102-118.
-
[19]
Acte de la Ire Conférence du FPLN, rédigé par Manuel Sertório – fonds Manuel Sertório (FPLN/Ire Conférence 1962/Notes, Doc 1), Centro de Documentatação 25 de Abril. Mário Ruivo, qui résidait alors à Rome, était directeur de la Division des ressources halieutiques et de l’environnement de l’Organisation pour l’agriculture et l’alimentation de l’ONU (FAO). Au Portugal, il avait initié son activité politique dans le mouvement de jeunesse MUD Juvenil. Dans les années 1950, il était lié à la rédaction de la revue Seara Nova et à l’activité politique des cercles proches de la revue, notamment dans le cadre de l’Acção Socialista. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 86.
-
[20]
Entretiens de Quintino de Barros menés par Susana Martins.
-
[21]
Entretien de Joaquim Branquinho mené par Susana Martins, 28 février 2008.
-
[22]
Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., p. 135-173.
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[23]
Rui Cabeçadas arrive en exil à Londres en septembre 1961. Il ira ensuite à Paris en mars 1962 et enfin à Alger après février 1963. Au Portugal, il fut l’un des membres de la nouvelle génération que Sertório appela à la rédaction de la revue Seara Nova. Il fut aussi l’un des membres les plus actifs de l’Acção Socialista. C’est dans ce contexte qu’il a intégré la liste des candidats aux élections à l’Assemblée Nationale de 1957, qu’il a appuyé la campagne présidentielle de Humberto Delgado en 1958 et qu’il s’est engagé dans les mouvements conspiratifs qui s’ensuivirent, notamment la conspiration da Sé en mars 1959. Il avait intégré aussi le mouvement des Juntas de Acção Patriótica [Juntas de l’action patriotique], en constitution à cette époque-là, et il avait représenté l’Acção Socialista dans les débats du Programme pour la Démocratisation de la République, auquel son groupe politique finit par ne pas souscrire. Données biographiques in Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., pp. 136-137.
-
[24]
João Madeira, História do Partido Comunista Português, Lisboa, Tinta da China, 2013.
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[25]
Fonds José Hipólito dos Santos et entrevue de José Hipólito dos Santos menée par Susana Martins, 20 juin 2007.
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[26]
Fonds Manuel Sertório (lettre 357), Centro de Documentação 25 de Abril.
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[27]
Après sa participation à la IIe Conférence du FPLN, qui se tient à Prague entre les derniers jours de 1963 et les premiers jours de 1964, Delgado est interné dans une unité de santé tchécoslovaque à la suite d’un problème de santé. La convalescence devait être de courte durée, mais des complications la prolongent de presque six mois. Susana Martins, Exilados Portugueses…, op. cit., pp. 333-343.